Révolution ou Guerre n° 1

(18 janvier 2014)

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Lutte contre l’opportunisme : Le 20ème congrès du Courant Communiste International

En prenant position sur le dernier congrès du CCI, notre organisation perpétue une tradition fondamentale de la Gauche Communiste. Cette tradition est celle de l’importance de la discussion internationale entre les différents groupes prolétariens. Ces discussion ont deux facettes. Premièrement, elles tendent à prouver historiquement et matériellement qu’un tel camp prolétarien existe, ce qui n’est malheureusement même pas défendu par certaines de ses composantes. Deuxièmement, ces discussions sont une, sinon la fondamentale, des multiples facettes de la lutte pour le regroupement des communistes de gauche, c’est-à-dire de la lutte pour la constitution du parti communiste mondial. Ces débats permettent la décantation des groupes communistes. D’un côté, il nous faut encourager, s’associer et développer l’expression claire des positions traditionnelles de la Gauche Communiste tandis que de l’autre côté il nous faut critiquer, repousser et démasquer l’opportunisme peu importe la forme qu’il prendra.

Il est d’autant plus nécessaire aujourd’hui de perpétuer cette tradition alors que la principale organisation qui l’a défendu durant des décennies, le CCI, tourne le dos drastiquement à ce principe. [1] Autant Klasbatalo que la FGCI ont critiqué les positions opportunistes et révisionnistes du CCI, principalement les thèses sur la décomposition, l’importance mise sur la confiance et la morale dans les question organisationnelles, le rapprochement avec l’anarchisme. Ces critiques, le Groupe international de la Gauche Communiste les reprend à son compte entièrement.

Justement, les textes du 20ème congrès démontre clairement que non seulement le CCI actuel continue sans complexe sa politique opportuniste de liquidation de ses principes originels, mais un pas de plus est fait vers la déliquescence de l’organisation. En effet, nous apprenions dernièrement que le rythme des publications que le CCI a gardé pendant des décennies est abandonné, mais nous apprenions aussi qu’il n’y aura pas de réunion publique du CCI, à tout le moins en France, pour une période indéterminée en plus du fait qu’il en a pas eu depuis un an [2]. De plus, la présentation du congrès du CCI nous montre une organisation qui a perdu ses repères et qui n’est même pas en mesure de mettre de l’avant des orientations politiques. Tous ses éléments sont intimement reliés et sont aussi en relation avec la question du parti, autre aspect dont le congrès du CCI exprime la trahison, encore, des principes originels.

La presse, les réunions publiques, l’intervention

Le principe de base de l’intervention, que ce soit par la presse ou à travers des réunions publiques, est de se positionner sur un travail à long terme qui ne vise pas des résultats immédiats et éphémères, mais un résultat historique : la révolution prolétarienne. De ce fait, on doit viser une intervention stable, constante, sérieuse, disciplinée, bref un intervention de parti. Le CCI base son absence d’organisation de réunions publiques sur le fait qu’il veut mettre de l’avant la consolidation à long terme de son organisation. Voeux louable. ’L’ensemble du CCI a pris la décision de mener une réflexion bilan sur sa fonction et sur le sens de son activité à partir d’une analyse approfondie sur la situation historique depuis l’effondrement du bloc de l’Est et sur les difficultés internes que nous avons rencontrées. Nous avons pris conscience assez récemment que nous avons eu tendance à gaspiller nos faibles forces en nous dispersant dans une trop grande activité d’intervention à l’extérieur, et ceci au détriment de la construction de notre organisation sur le long terme.’ [3]

Le problème se situe dans le fait que le CCI abandonne son intervention au profit d’une réflexion qui ne se base sur aucun principe politique et aucune orientation politique. Ce n’est qu’une série de questionnement qui ne mène nulle part. ’Est-ce que l’aggravation de la crise en 2007 fut un saut qualitatif ouvrant un nouveau chapitre dans l’histoire, menant l’économie à l’effondrement immédiat et rapide ? Quelle était la signification des événements de 2007 ? Plus largement à quel type de développement de la crise devons-nous nous attendre : un effondrement soudain ou un lent déclin politiquement ’maîtrisé’ ? Quel pays plongera en premier et lequel en dernier ? Est-ce que la classe dominante a des choix, une marge de manoeuvre, et quel type d’erreurs essaient-ils d’éviter ? Ou plus largement : en analysant la crise économique et ses perspectives, est-ce que la classe dominante peut ignorer les réactions attendues de la classe ouvrière ? Quel critère prend en considération la classe dominante quand elle adopte des programmes d’austérité dans différents pays ? Sommes-nous dans une situation où la classe dominante peut attaquer la classe ouvrière partout de la même manière qu’en Grèce ? Pouvons-nous nous attendre à une répétition d’attaques de la même ampleur (réduction des salaire jusqu’à 40%, etc.) dans les vieux coeurs industriels ? Quelle différence entre la crise de 1929 et celle d’aujourd’hui ? Jusqu’à quel niveau la paupérisation a-t-elle avancé dans les grands pays industriels ?’ [4] A ces questions masquant mal le désarroi et le déboussolement politiques, vient s’ajouter, presque mécaniquement, l’ouverture - au nom de la ’culture du débat’ ? - à la remise en cause de la méthode marxiste : ’Quelle méthode devrions-nous utiliser pour analyser la lutte de classe dans la période historique actuelle ?’ [5]

L’opportunisme sans principe a deux revers : l’activisme et l’académisme. Le 20ème congrès tente de combattre l’activisme dans une fuite en avant dans l’académisme, c’est-à-dire ’approfondir la théorie’, réfléchir pour réfléchir sans réels enjeux politiques derrière la réflexion. C’est bien là le résumé du 20ème congrès : beaucoup de questions laissées sans réponse, et surtout aucune orientations politiques ne sont mises de l’avant. Le CCI, après avoir bafoué un à un ses principes et son programme, n’est même plus en mesure de mettre de l’avant des orientations politiques pour la classe ouvrière. Les camarades du CCI seront donc appelé à réfléchir sur tout et rien, comme un cénacle d’intellectuels, cette démarche étant présentée comme un moyen d’assurer la ’construction de notre organisation sur le long terme.’ [6] Au contraire, cette démarche encouragera la dispersion, la confusion et la démoralisation politiques des camarades du CCI, un processus d’ailleurs déjà gravement enclenché.

Les questions organisationnelles

La présentation des travaux du congrès du CCI nous apprend ensuite que l’organisation connaît des difficultés, en particulier sur les questions organisationnelles :’En particulier, nous avons pu constater (comme nous l’avons affirmé dans notre article de bilan du 20ème congrès de RI) une tendance en notre sein à la perte des acquis du CCI et de l’histoire du mouvement ouvrier parmi les camarades de la vieille génération, notamment sur les questions d’organisation.’ [7] Il serait facile pour nous d’ajouter que les difficultés du CCI, notamment sur les questions organisationnelles, ne datent pas d’hier, mais plutôt du début des années 2000 , période qui mena à l’exclusion de la Fraction interne du CCI. La nouveauté ici réside dans le fait que la présentation fait mention de la perte des acquis chez les camarades de la ’vieille génération’. Nous estimons au contraire qu’il est fort probable que la vieille génération de militants du CCI garde certains réflexes marxistes et de la tradition de la Gauche Communiste. Ce sont ces réflexes sains que la faction liquidationniste du CCI montre du doigt afin de les soumettre aux nouvelles théories aussi loufoques qu’opportunistes. Le pire, c’est que le CCI semble s’appuyer sur des militants plus jeunes, donc moins expérimentés et/ou intégrés sur des bases opportunistes, pour faire la chasse à la ’vieille garde’.

Il s’ensuit un long et tortueux développement théorique sur la cause de la pénétration de l’idéologie bourgeoise dans l’organisation prolétarienne. Évidemment, la cause de tous les maux est la ’décomposition’, concept qui sert à expliquer tout et rien. Pour le CCI opportuniste, il suffit d’avoir de bons principes moraux, éthiques et de bonnes valeurs pour empêcher la pénétration de l’idéologie bourgeoise :’L’histoire du mouvement ouvrier nous a enseigné, à travers la gangrène opportuniste qu’ont amené la 2ème et la 3ème Internationales, que la menace principale pour les organisations révolutionnaires est précisèment leur incapacité à combattre la pénétration des ’valeurs’ et des habitudes de pensée de la société bourgeoise.’ ou encore :’Une organisation révolutionnaire doit établir un mode de fonctionnement où tout type d’individus et de personnalités différents peut être intégré dans un seul corps. (...) Et en même temps cela signifie qu’une organisation doit avoir un ensemble de règles et de principes qui sont basés sur des principes éthiques’ [8]. Au contraire du CCI liquidationniste, nous revendiquons d’une tradition, la tradition de la Gauche Communiste, dont la conception du militantisme se base non pas sur des concept abstraits et confus d’un point de vue de classe comme la morale et les valeurs, mais bien sur un programme politique clair synthétisant l’expérience de centaines d’années du mouvement ouvrier. Malheureusement, ce n’est pas la supposée décomposition du capitalisme qui rend le CCI plus perméable à l’idéologie bourgeoise, mais le concept même décomposition est plutôt l’exemple le plus frappant de pénétration de l’idéologie bourgeoise dans le CCI.

La conception du parti de classe

Le CCI en vient aussi a abandonné explicitement la conception du parti qu’il a défendu des années durant : ’Comme le CCI l’a souvent souligné, la fonction de l’organisation révolutionnaire aujourd’hui n’est pas ’d’organiser la classe’’ ou ses luttes (comme cela pouvait être le cas durant les premières étapes du mouvement ouvrier au 19ème siècle). Son rôle essentiel, déjà mis en avant dans le Manifeste Communiste en 1848, vient du fait que les communistes ’ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien’. Dans ce sens, la fonction permanente et essentielle de l’organisation est l’élaboration des positions politiques et, afin de le faire, elle ne peut se permettre d’être totalement absorbée par ses tâches d’intervention dans la classe. Elle doit être capable de prendre du recul et d’arriver à une vision générale. Elle doit en permanence se soucier de l’approfondissement des questions posées à la classe comme un tout et de les situer dans une perspective historique. Cela signifie qu’elle ne peut se limiter à une analyse de la situation mondiale. Elle a besoin d’explorer des questions plus larges, véritablement théoriques, en rejetant la superficialité et les distorsions de la société capitaliste et de l’idéologie. C’est une lutte permanente, une lutte avec une vision à long terme qui embrasse toute une série d’aspects qui vont bien au-delà des questions posées à la classe à tel ou tel moment dans la lutte.’ [9] La conception qui est défendue ici est plutôt conseilliste en ce que l’on donne un rôle de second plan au parti, celui de conseiller les masses. Le parti ne doit pas trop intervenir afin de se permettre un espèce de recul face aux lutte. Il peut ensuite ’prodiguer de bons conseils’.

Il va sans dire que cette conception va à l’encontre d’une des propres positions de base du CCI, position que nous défendons toujours : ’L’organisation politique révolutionnaire constitue l’avant-garde du prolétariat, facteur actif du processus de généralisation de la conscience de classe au sein du prolétariat. Son rôle n’est ni ’d’organiser la classe ouvrière’, ni de ’prendre le pouvoir’ en son nom, mais de participer activement à l’unification des luttes, à leur prise en charge par les ouvriers eux-mêmes, et de tracer l’orientation politique révolutionnaire du combat du prolétariat.’ [10] Le CCI laisse tomber deux aspects fondamentaux du parti : premièrement, l’aspect partie-prenante et facteur actif des luttes et deuxièmement l’importance de tracer une orientation politique. En effet, si la présentation du congrès nous apprend bien quelque chose, c’est que le CCI n’a aucune orientation politique à proposer au prolétariat.

Situation internationale et perspectives politiques

La rapport sur les tensions impérialistes pour 20ème congrès du CCI est édifiant sur l’état de décomposition théorique, excusez le mauvais jeu de mot, du CCI. L’histoire n’est plus appréhendée selon la lutte de classe et les rivalités impérialistes entre les différentes bourgeoisies nationales. Selon le CCI, comme aucune des classes est capable d’imposer sa solution à la crise, la société stagne. C’est là la fameuse décomposition du capitalisme. L’histoire devient donc l’extension du chaos, du chacun pour soi, de l’irrationalité, etc., tous des concepts aussi peu marxistes les uns que les autres. A l’alternative classique toujours défendue par la Gauche Communiste, Guerre ou Révolution, on ajoute une zone grise entre les deux : la société se décompose sur ses pieds.

Cette théorie est d’autant plus dangereuse qu’opportuniste. Dangereuse en ce qu’elle désarme les militants. Elle empêche l’élaboration d’orientations politiques (par exemple cours vers la guerre ou plutôt cours vers la révolution ?) Aucune orientation politique crédible ne peut sortir de cette théorie. Les derniers congrès du CCI en sont l’expression la plus pure. Comme le CCI ne sait plus où il s’en va, il a tout le loisir de mettre sur pied des réflexions interminables sur des sujets qui ne comportent aucun enjeu politique réel. Il peut aussi se permettre d’inviter à son congrès d’éminents professeurs d’université afin que ceux-ci endorment les militants du CCI sur des sujets dont la classe ouvrière se moque complètement.

Sur le plan de la lutte de classe, le CCI invite le prolétariat à prendre exemple sur les mouvements des Indignés et sur Occupy. [11] ’Les expressions les plus avancées de cette tendance ont été les mouvements des Indignés et d’Occupy - particulièrement en Espagne - car ils ont été ceux qui ont le plus clairement montré les tensions, les contradictions et le potentiel de la lutte de classe aujourd’hui. Malgré la présence de couches provenant de la petite-bourgeoisie appauvrie, l’empreinte prolétarienne de ces mouvements s’est manifestée dans la recherche de la solidarité, dans les assemblées, dans les tentatives pour développer la culture du débat, dans la capacité d’éviter les pièges de la répression, dans les germes d’internationalisme, et dans la sensibilité aiguisée pour les éléments subjectifs et culturels. Et c’est au travers cette dimension de préparation du terrain subjectif que ces mouvements montrent toute leur importance pour le futur’ [12]. Le CCI tombe ici dans l’assembléisme et le démocratisme, c’est-à-dire l’illusion qu’il suffit de rassembler la classe ouvrière dans une assemblée pour que celle-ci se radicalise et se politise d’un point de vue de classe. Cette illusion vient directement de la conception du CCI sur la ’culture du débat’ où le débat en vient à avoir des vertus révolutionnaires en soi. Bien sûr, des initiatives de création d’assemblées ouvrières sont à encourager fortement, mais il ne faut pas oublier qu’elles doivent être prises en charge par les ouvriers eux-mêmes. Au contraire, les Indignés et Occupy ont été dès leur naissance des mouvement où le terrain politique a été complètement occupé par la gauche bourgeoise dans sa version altermondialiste et nationaliste économique.

Finalement, nous appelons les militants du CCI à tenter de redresser leur organisation qui est toujours plus gangrenée par l’opportunisme. Le CCI est en fait en déliquescence. Il faut lutter contre la démoralisation. Nous sommes actuellement dans une période de montée de la lutte de classe. Le prolétariat a besoin de ses organisations politiques plus que jamais afin de s’orienter vers la révolution prolétarienne. Un affaiblissement du CCI reste toujours un affaiblissement du camp prolétarien dans son ensemble. Et un affaiblissement du camp prolétarien implique nécessairement un affaiblissement du prolétariat dans la lutte de classe.

Robin, 10 janvier 2014.

(Publieé sur http://igcl.org: 18 janvier 2014)

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Notes:

[1Voir le texte de la FGCI Résolution honteuse du CCI contre la Gauche communiste : Dans le secret, le CCI actuel se trahit et trahit la classe ouvrière http://fractioncommuniste.org/fra/bci06/bci06_3.php

[4http://en.internationalism.org/internationalreview/201311/9278/presentation-20th-international-congress (traduit par nos soins). Toutes les citations de cette présentation du congrès dans cet article sont traduites par nous de l’anglais. Il est significatif de l’état réel du CCI, de ses ’priorités’ réelles et de ses capacités actuelles, ainsi que de la conviction politique et de l’engagement de ses militants, particulièrement en France, de constater que le texte de présentation de ce congrès - moment central et privilégié de la vie de l’organisation - n’a toujours pas été traduit en français à la mi-décembre - ni dans d’autres langues à l’exception, depuis peu, de l’allemand. Ce fait en lui-même vient illustrer, ô combien, le constat lamentable que nous dressons ici de cette organisation et de sa dérive.

[11Pour un bon point de vue sur les Indignés voir le texte de la Tendance communiste internationaliste La vraie colère de classe manque encore au mouvement des ’indignés’

http://www.leftcom.org/fr/articles/2011-05-29/la-vraie-col%C3%A8re-de-classe-manque-encore-au-mouvement-des-indign%C3%A9s