Internationalisme (GCF) - N° 22 - 15 Mai 1947 Retour 

LA GRÈVE DE RENAULT ET LA CRISE POLITIQUE EN FRANCE

Dans une situation internationale de contrastes impérialistes aigus, après une conférence d'où ressortait brutalement, dès les premiers jours, une impossibilité d'entente entre les blocs en présence, la France devait subir, à brève échéance, sur le plan intérieur, le contrecoup de sa situation tendue.

Une analyse bien simpliste pourrait faire croire que les incidents coloniaux et les grèves en France sont déterminés directement par l'échec de la conférence de Moscou.

Cette détermination mécaniste n'est pas réalité. Les évènements indochinois, malgaches ainsi que les grèves peuvent venir se greffer dans le débat international, mais ils ne sont que des atouts entre les mains des blocs et non des produits directs ; les révoltes coloniales et le mécontentement général, dû à une situation de misère prolongée, trouvent leur source hors du débat inter-impérialiste. Ils expriment à leur début un phénomène tout ce qu'il y a de plus local et clairement séparé du reste des évènements. Mais aussi, dès le début, ils deviennent des pions dans l'échiquier international servant l'un ou l'autre bloc, car ces révoltes et ces manifestations se font à l'intérieur d'un quelconque bloc.

Ainsi, pour ne prendre que les incidents malgaches, c'est à tort que l'on pourrait voir une intrusion étrangère dans l'éclatement des troubles, c'est même à tort qu'on croirait sentir, une aide matérielle étrangère dans la révolte de l'île.

Le problème se joue en dehors de la question nationale malgache, la France s'étant rangée de plus en plus dans le bloc américain ; tous incidents, tout évènement qui peut retarder, diminuer la tendance de la France à faire partie intégrante du bloc EU/Angleterre doit être exploité démagogiquement par la Russie et les partisans du bloc russe.

La même situation se serait présentée si la France au lieu d'être dans le bloc américain se trouvait dans le bloc russe.

Seulement au lieu que ce soit les staliniens qui exploitent l'évènement, c'eut été la SFIO, et un quelconque DUCLOS eut mené la même politique colonialiste qu'un MOUTET.

Comme on le voit, les liens internationaux sont tellement serrés, la lutte impérialiste tellement poussée, qu'aucun évènement, aucun fait dans le plus petit coin perdu du monde ne peut échapper à l'attraction forcée vers un bloc ou un autre qui l’exploite.

Mais revenons aux évènements intérieurs de la France.

Depuis la conférence de Moscou, au sein du gouvernement il s'était produit une brisure nette qui n'attendait qu'un prétexte valable pour s'effectuer.

D'un côté, les staliniens tendaient à se défaire des liens qui les rattachaient au reste du gouvernement. Ils avaient cru, par leur participation et leur politique de noyautage, faire pencher la balance du côté russe en France. Comme toujours - et il ne faut pas se lasser de le répéter - ils n'ont enfermé personne qu'eux-mêmes. Ce dégagement de responsabilité, cette nécessité d'opposition des staliniens devant le tournant franc et net de la France vers l'Amérique, était urgent.

Déjà les staliniens avaient essayé d'exploiter les évènements indochinois et malgaches pour effectuer leur retraite du gouvernement. Mais l'écho rencontré dans la masse ayant été faible sinon nul, le PCF se voyait obligé d'attendre le coup d'éclat qui le libérerait de la responsabilité de la politique actuelle française.

D'un autre côté, la SFIO et derrière elle, comme des comparses, le MRP et le rassemblement des gauches cherchaient nettement à gouverner vers l'Amérique. La présence des staliniens dans le gouvernement ne pouvait que créer une équivoque d'autant plus nuisible que la France, se trouvant derrière l'Allemagne occupée par les Américains et les Anglais, ne pouvait que dépérir ou faire le jeu yankee.

La crise couvait depuis plusieurs mois, le prétexte n'étant trouvé, la conférence de Moscou venait envenimer le problème et rendre la solution urgente.

Dans cette situation de crise latente, à laquelle jusqu'à présent aucun évènement n'avait pu la faire éclater, la grève de Renault éclata extérieurement à cette crise.

De toute autre nature, cette grève relevait du mécontentement général contre les conditions de famine des masses travailleuses.

Au début la CGT et le PCF, débordés par la grève, ne s'étaient pas aperçus que cette grève était le prétexte rêvé. Se voyant lâchés par les masses, ils réagirent instinctivement par auto-conservation. Il fallait rallier les masses défaillantes se désintéressant de la politique stalinienne. D'où la politique d'opposition du PCF au début de la grève.

Mais la grève s'amplifiait ; le gouvernement intraitable tenait bon car il fallait détruire l'équivoque de la participation stalinienne au gouvernement.

La politique de baisse était et est encore plus une garantie politique de la France aux USA qu'une mesure proprement économique.

De là, le PCF et la CGT se trouvaient, du fait de leur politique, entre le marteau et l'enclume. Ils risquaient de perdre leur situation politique dans le monde ouvrier. Cette crainte aidant, le prétexte de la rupture était trouvé. Les staliniens refusèrent la solidarité gouvernementale se faisant démissionner. La grève, du coup, perdait de sa première nature - mécontentement de classe - pour devenir un instrument entre les mains d'une politique stalinienne. Les masses, encore une fois, étaient détournées de leur objectif premier ; encore fallait-il les ramener à l'ordre. La situation n'étant pas définitivement irréversible, les staliniens n'avaient pas intérêt à faire du gauchisme à fond ; et la grève était, par là même, sabotée, minimisée et étouffée. Renault reprenait le travail le lundi 12 mai.

Ceux qui avaient cru que la grève était la cause déterminante de la crise gouvernementale sont obligés aujourd'hui de déchanter en voyant que cette grève n'a en rien ébranlé la politique suivie par la SFIO, même à son plus fort moment. Mais elle a permis que, sur elle, se consomme la rupture gouvernementale par l'élimination des staliniens.

Demain, la situation tendue de plus en plus entre les 2 grands blocs pourra amener les staliniens et la SFIO à accentuer leur position ; les premiers en poussant démagogiquement les masses à manifester, bien encadrées par eux ; les deuxièmes en renforçant la politique américanophile avec tout ce qu'elle représente de répression.


LE CONSEIL NATIONAL DE LA SFIO

Venant immédiatement après le vote de confiance de l'Assemblée nationale et l'éviction des ministres staliniens du gouvernement, le conseil national de la SFIO s'est en fait trouvé devant une situation de fait accompli qui ne pouvait qu'être ratifiée, même s'il le fallait, par une voix de majorité. La politique Ramadier a eu 400 mandats de majorité. Une forte opposition venant surtout de la fédération de la Seine, représentée par le très connu Marceau Pivert, s'est manifestée au cours des débats.

Les journaux se sont même permis de parler d'une éventuelle scission au sein de la SFIO. Le ton et la chaleur des débats ne pouvaient quand même pas être la cause de cette scission. Si les staliniens ont vu dans cette opposition pivertiste un fort courant à gauche, ce n'est pas en fonction de la nature du débat mais uniquement parce que la motion pivertiste posait le principe de la non-séparation du gouvernement des staliniens.

Si d'autres socialistes dissidents ont cru voir pointer la possibilité d'une scission, qu'ils se rappellent que Pivert est rentré dans la SFIO la tête basse, la queue entre les jambes, après sa sortie éclatante en 1936-37.

Tout l'art de ces oppositions dans des organismes pourris comme la SFIO est de créer un semblant de lutte d'idées, permettant ainsi de camoufler le vrai visage contre-révolutionnaire de ces partis. La formule de ces oppositions tient en peu de mots : "Ne pas se soumettre en apparence, pour mieux se soumettre en réalité, sous couvert de discipline."

SADI


[Fraction interne du CCI]