Internationalisme (GCF) - N° 24 - 15 Juillet 1947 Retour 

À PROPOS DU SYNDICAT AUTONOME DE RENAULT

Un camarade trotskiste, auteur d'un article dans le bulletin "La voix des travailleurs", explique la nécessité actuelle de création d'un syndicat autonome qu'il considère comme la forme d'organisation correspondant aux conditions actuelles. Il pense que le combat révolutionnaire présent doit être mené sous l'impulsion des éléments les plus actifs de la classe ouvrière réunis dans cet organisme. Cette décision de l'Union Communiste, prise en fonction de l'attitude des ouvriers de l'usine Renault, marque-t-elle un pas en avant dans l'interprétation et l'action politiques de ce groupement, et notamment sur le terrain pratique de la lutte de classe ?

Il suffirait, pour répondre à cette question, de souligner que le bulletin incriminé était, lors de la grève, l'organe de la minorité "active" de la CGT et qu'il avait pour mission le "redressement" de celle-ci. Mais entrons dans le vif du sujet. Tout d'abord, nous affirmons que cette décision est une erreur. Elle ne peut que porter un grave préjudice à l'intérêt du mouvement ouvrier. C'est la confirmation, une fois de plus, de la caducité de la méthode (et des moyens) employée par les trotskistes de toutes catégories ; et aussi de toute la tactique de la 3ème Internationale dont ils sont les héritiers. Aujourd'hui, en 1947, il nous faut revenir sur le sujet.

Chez Renault, comme ailleurs, les camarillas trotskistes ont pris pour habitude d'user d'une formule quasi magique, s'inspirant d'un principe selon lequel les travailleurs parviendront à saisir les problèmes politiques de classe par leurs seules luttes quotidiennes. Cette formule se complète, dans la conception trotskiste, par l'idée toute gratuite que lorsque les travailleurs revendiquent des améliorations d'ordre économique, ils font inévitablement l'expérience bénéfique de ce qu'est la gestion d'un gouvernement bourgeois. Le résultat de cet enseignement se traduirait par une volonté consciente et plus accrue de destruction du régime capitaliste.

Or, nous disons : "De quelle valeur sont ces revendications d'ordre économique ? Et nous répondons : "Elles n'expriment en réalité qu'une fausse compréhension de la lutte de classe. Elles ne sont que des marchandages normaux dans l'économie capitaliste elle-même. En dernière analyse, elles ne font que contribuer au maintien de son régime."

D'après cette critique, on est amené à se demander quels sont les moyens susceptibles de faire comprendre à la classe ouvrière les rapports qu'elle doit établir entre la lutte quotidienne pour sa condition économique et son but politique et social. Le prolétariat a conscience, quoiqu'imparfaitement, des abus dont il est l'objet ; mais ce dont il n'a pas conscience, c'est de l'état de ce régime et de sa propre situation au sein de celui-ci. Or les modes de combat que peut revêtir la lutte de classe ne sont que les différentes formes des moyens qui correspondent au conditionnement et à la conjoncture d'un moment donné.

Les objectifs immédiats peuvent varier mais, en aucun cas, ils ne doivent marquer une régression (absolue ou relative) quant à l'éducation de la classe ouvrière. Par l'expérience et l'enseignement de chaque conflit social, l'avant-garde doit se retrouver un peu plus instruite, la classe ouvrière un peu plus éduquée. Aussi elles doivent y avoir puisé plus d'ardeur et de courage. Toute action de lutte doit tendre à faire progresser le prolétariat tout entier sur l'unique itinéraire de la révolution socialiste.

Tel n'est pas, assurément, le résultat de la grève à Renault. Car, il faut le dire, elle a été une défaite ; non, comme l'affirment les trotskistes, une semi-victoire ou une semi-défaite (selon l'une ou l'autre organisation). En réalité, la dépression et l'épuisement en sont les signes.

Il est facile et commode d'en rejeter les torts sur les bonzes de la CGT à l'aide d'une éthique sentimentale ; par contre, il serait difficile et gênant d'en accepter les raisons quelles qu'elles soient à l'aide d'une critique exacte. Mais l'autocritique, de même que l'étude théorique, n'est pas dans la capacité et dans le goût des trotskistes.

On peut en dire de même de la grève à la SNCF, dont l'origine et le contrôle ont constamment été assurés par lesdits bonzes de la CGT. Là, à partir de motifs valables, la surenchère stalinienne n'a pas craint de s'exercer, fortifiée par la leçon Renault. Les possibilités démagogiques, jouissant de d'autant plus de marge de manoeuvre que s'élaborait, par ailleurs, le fameux projet financier Schumann.

Assuré d'aussi avantageuses perspectives en matière de politique ouvrière, le tandem gouvernement-CGT affirme et accuse encore celle-ci dans la grève Citroën. Ici, situation plus grave encore, le personnel ouvrier de l'usine se trouve acculé à la famine. La CGT contrôle et le gouvernement surveille ; les ouvriers font chèrement les frais du différend stalino-gouvernemental au profit de l'exploitation capitaliste en général.

Cette situation d'aujourd'hui était la conjoncture d'hier au moment de la grève de Renault et des mouvements de Lyon et de Toulouse, seules manifestations effectives de lutte de classe. Il s'agissait de les encourager sur le terrain sur lequel ils s'étaient engagés, le terrain social.

En effet, des mouvements partant dès le début (ou s'orientant dans un second temps) sur le seul terrain économique sont obligatoirement destinés à l'échec. Au stade actuel du régime capitaliste, la satisfaction des revendications économiques s'avère pratiquement impossible de sorte que, si celles-ci sont octroyées, ce n'est que dans la certitude qu'elles seront résorbées immédiatement. La seule possibilité dont dispose le prolétariat est de porter la lutte sur un plan différent, sur le plan social, champ plus large et plus général englobant l'économique, le dépassant, le conditionnant, le situant tout à la fois. Par le fait même de l'agrandissement de son champ d'action et de l'accession à un niveau de lutte supérieur, il peut alors compléter l'insuffisance de ces revendications strictement économiques, permettre une obtention plus rapide de celles-ci passées en seconde zone, les préserver au maximum. Les revendications sociales (rapports avec l'Administration en matière de ravitaillement par exemple) sont actuellement les prétentions de base pouvant apporter à la fois des améliorations immédiates d'un certain intérêt, la protection des revendications et plus encore. Nous faisons maintenant allusion à l'aspect psycho-idéologique de ces mouvements (...) dans un tel sens. Ils satisfont un critère énoncé ci-dessus, à savoir qu'ils engagent le prolétariat sur le véritable chemin de la révolution socialiste, le faisant spirituellement progresser, lui donnant conscience de sa capacité révolutionnaire, créant un rapport de forces entre celui-ci et l'État bourgeois favorable à des opérations ultérieures, influençant par leur efficacité et leur audace au mieux le restant du prolétariat et permettant à l'avant-garde de dégager les directives révolutionnaires du lendemain.

Ces principes de base, tout trotskiste, quel qu'il soit, les ignore ; ils s'inspirent pourtant directement, de la façon la plus orthodoxe, de la doctrine marxiste dont ils ne sont que l'expression contemporaine.

La stratégie et la tactique des trotskistes en général en face des conflits sociaux actuels ne sont que la conséquence et la transposition, dans le domaine de l'action pratique, de leur interprétation du plan politique, social et économique de la situation actuelle. À leur avis, cette situation évolue, depuis la "libération", dans le sens le plus satisfaisant (malgré le caractère coriace de la réaction évidemment) ; elle s'acheminerait lentement mais surement vers la révolution, comme ça, sans en avoir l'air. S'il y a autant d'espoir, il est sans doute permis d'espérer que l'éventualité de la prochaine guerre n'est que chimère ou que, tout au plus, elle ne pourrait que commencer.

Quant à nous, telle n'est pas notre opinion. Nous pensons, au contraire, qu'il n'y a pas lieu d'être autant optimiste, que dans l'ensemble, surtout après l'échec des mouvements intéressants, la situation de la classe ouvrière n'est pas brillante, qu'en un mot elle traverse une grave période de dépression, que justement, dans le profond bourbier dans lequel elle s'enlise chaque jour davantage, les chances d'actions révolutionnaires s'évanouissent les unes après les autres.

C'est pourquoi il nous apparaît, dans cette extraordinaire confusion, que l'oeuvre à accomplir ne supporte aucune comparaison antérieure à d'autres crises. En conséquence, le mouvement ouvrier doit s'adapter à cet état de choses tant dans son action que dans son organisation. De nouveaux moyens et de nouveaux modes doivent succéder aux anciens qui se trouvent périmés, en deçà de la situation actuelle du mouvement ouvrier. Si la lutte économique aujourd'hui ne peut qu'enliser tout mouvement de la classe dans des palabres ministérielles, le syndicat devient, parce qu'il exprime cette lutte, un organisme de confusion et de collaboration de classe. Et ceci s'applique aussi bien à la CGT qu'à tout syndicat autonome, même s'il naît d'une réaction contre la bureaucratie de la CGT.

RENARD


[Fraction interne du CCI]