Internationalisme (GCF) - N° 3 - Mai 1945 Retour 

LE MOUVEMENT OUVRIER EN FRANCE

Conférence faite le 5 avril 1945

L'objet de cette conférence ne consiste pas à faire une analyse détaillée du mouvement ouvrier français mais de donner un aperçu général de divers groupements politiques et syndicaux qui agissent au sein du prolétariat français, de tracer dans les grandes lignes leur orientation, la place qu'ils occupent dans la lutte de classe, leur possibilité de développement ultérieur, d'indiquer l'attitude, la position politique critique que prend notre fraction de la Gauche communiste à l'égard de chacun des groupes.

L'étendue d'un tel exposé ne peut que s'accompagner d'un schématisme inévitable. Il va de soi que cette conférence ne prétend nullement épuiser l'analyse et la critique des divers groupes agissant et surgissant dans le prolétariat ; elle ne fait que passer en revue, que donner un tableau général du mouvement ouvrier en France à l'heure actuelle. Dans son activité politique, dans sa presse et dans ses conférences, notre fraction aura plus d'une fois l'occasion de revenir et de combattre en détail les positions défendues par chacun de ces groupes.

On appelle "Libération" de la France le changement d'occupation. L'occupation ouverte et brutale de la France par l'impérialisme allemand, avec un gouvernement Pétain-Laval, a cédé la place à une occupation qui, plus camouflée; plus hypocrite, n'en est pas moins réelle économiquement, politiquement et militairement par les puissances "démocratiques" anglo-américaines. Le gouvernement De Gaulle est plus "indépendant" que celui de Pétain dans la mesure où il entre bénévolement et volontairement dans les vues de la politique des maîtres anglo-saxons.

Toute velléité de faire une politique indépendante, en opposition aux intérêts du capitalisme anglo-américain, se heurte à des barrières infranchissables, ramenant la bourgeoisie française et son gouvernement à une compréhension plus réaliste de ses possibilités.

Le capitalisme français ne s'est pas libéré, il n'a fait que changer de tuteur. Il a irrémédiablement perdu son indépendance économique (et politique) et est condamné à vivre et à évoluer dans l'ornière des autres grandes puissances impérialistes.

Si la "Libération" n'a pas apporté, pour le capitalisme français, un changement substantiel dans le sens de l'indépendance, elle a encore moins apporté une modification dans le sort et dans la vie du prolétariat. Les illusions savamment entretenues par le capitalisme sur l'amélioration de ses conditions de vie matérielles aussi bien que politiques s'évanouissent et se dissipent chaque jour davantage. La guerre, les massacres et la misère continuent ; au lieu de mourir pour l'hégémonie de l'impérialisme allemand, on les fait mourir pour l'hégémonie de l'impérialisme anglo-américano-russe ; à la place des Légions de volontaires de Pétain-Doriot, c'est la mobilisation militaires obligatoire de De Gaulle-Thorez ; à la place du travail obligatoire de l'organisation Todt, c'est le travail obligatoire de Parodi. Le nom, l'étiquette, (…) ont changé mais le contenu, l'exploitation et la misère sont restés les mêmes. Dans le domaine de la liberté politique, la "démocratie" n'a changé que le droit d'applaudir De Gaulle au lieu de Pétain mais aucune liberté de classe – la liberté de réunion, la liberté de presse, la liberté de grève – n'est accordée aux ouvriers. Tout comme sous l'occupation allemande, les révolutionnaires sont traqués et obligés (…) dans l'illégalité.

L'accusation de "5ème colonne" des staliniens a remplacé celle "d'agent de Moscou" des doriotistes pour terroriser et réprimer toute manifestation de mécontentement de classe des ouvriers.

Mais la "Libération" a toutefois apporté quelque chose. Elle a usé et tari la source du chauvinisme si largement exploitée pendant des années par le capitalisme français pour dévoyer le prolétariat qui se trouvait dans le fait de l'occupation et de la répression féroce de l'impérialisme allemand. La fin de l'occupation allemande devait faire apparaître au grand jour les positions et les programmes de tous les partis et ce qu'ils présentaient de positif, de constructif pour remédier à la misère du prolétariat. La fin de l'occupation allemande devait entraîner la caducité des slogans chauvins d'anti-boches et permettre aux ouvriers de commencer à mieux distinguer et reconnaître, dans cette masse, les différents partis jusque là camouflés derrière les rideaux de mensonge de l'anti-fascisme.

La confusion n'est certes pas encore complètement dissipée. Tel groupe ou parti a disparu au cours de la guerre ou tend à disparaître ; d'autres, des nouveaux, surgissent. Mais au travers de cette confusion, de disparitions et d'apparitions des groupes et des partis, nous pouvons déjà les distinguer et les classer da ns trois grandes tendances :

  1. ceux qui sont, dans leur nature et leur fonction, consciemment des organes de la bourgeoisie dans le prolétariat ;

  2. ceux qui, tout en croyant défendre les intérêts du prolétariat, sont prisonniers en fait d'une série de positions qui les rattache et les relie plus ou moins directement aux positions de classe de la bourgeoisie ;

  3. ceux qui représentent les tendances révolutionnaires du prolétariat.

 

LES AGENTS CONSCIENTS DE LA BOURGEOISIE

LE STALINISME

Le parti stalinien qui s'intitule encore PCF est incontestablement le parti le plus à "droite" dans le mouvement ouvrier. Quand nous employons le terme de "droite", nous ne voulons nullement dire que c'est un parti ouvrier de droite, un parti opportuniste. Le parti stalinien, depuis longtemps, a perdu tout caractère ouvrier. Nous employons ici le terme de "droite" dans un tout autre sens. C'est pour le situer par rapport aux autres partis bourgeois qui agissent au sein du prolétariat. La caractéristique particulière de ce parti issu de la dégénérescence et de la trahison du centrisme au sein de la 3ème Internationale, c'est d'être passé à la droite du parti socialiste issu de la dégénérescence et de la trahison de la 2ème Internationale en 1914 et qui est lui aussi un parti de la bourgeoisie. Cette évolution du parti stalinien, qui surprend et semble à première vue paradoxale, trouve son explication dans le rôle particulier et différent qu'a eu à jouer ce parti dans la lutte de classe. Le parti socialiste passé dans le camp de la bourgeoisie n'a jamais joué qu'un rôle d'auxiliaire de la bourgeoisie nationale. Même quand il remplit la haute fonction, tenant en main le gouvernail de l'Etat, même quand il se charge de l'ignoble fonction de bourreau sanglant contre la révolution comme Noske en Allemagne, il ne fait qu'être au service commandé de la bourgeoisie qui reste toujours l'unique et véritable maître de la société. Toute autre est la position du stalinisme. La bourgeoisie russe fut défaite par la Révolution d'Octobre et expropriée durant les premières années de la révolution prolétarienne. La contre-révolution en Russie ne pouvait être faite avec les débris des anciennes classes disloquées. C'est au sein de la bureaucratie maîtresse de l'Etat que surgissent les éléments qui donnent naissance à la nouvelle bourgeoisie, en s'appuyant d'ailleurs sur les éléments de l'ancienne bourgeoisie qu'elle incorporera. Cette évolution de renaissance du capitalisme trouvera dans le stalinisme et dans ce que fut autrefois le parti du prolétariat, épuré de ses éléments prolétariens (physiques et idéologiques) la base, l'organe de l'accomplissement de la contre-révolution. De même que la contre-révolution de la bourgeoisie thermidorienne trouvait son expression dans les jacobins de Thermidor, de la même façon la contre-révolution capitaliste en Russie devait trouver son expression et son représentant dans le parti stalinien.

Les mesures préventives que prend une classe contre la menace révolutionnaire d'une autre classe sont toujours plus clémentes que les représailles contre-révolutionnaires exercées en retour par une classe un moment dépossédée de ses privilèges. L'histoire nous enseigne jusqu'où peut aller le déchaînement de vengeance et la férocité sanguinaire d'une classe contre-révolutionnaire. L'exemple de la Commune de Paris, noyée dans le sang par le retour du gouvernement républicain de Thiers, n'est désormais plus un exemple unique dans l'histoire. Noske le social-démocrate, Hitler le fasciste devaient confirmer dans le sang des ouvriers allemands cet enseignement de la Commune.

La violence du stalinisme en Russie est en proportion du temps et de la force de la révolution qu'il était appelé à anéantir directement et pour son propre compte. Et rien n'est donc paradoxal et surprenant dans le fait que les partis liés à l'Etat russe soient justement les partis les plus réactionnaires et les chauvins les plus hystériques.

Usurpant les souvenirs de la Révolution d'Octobre restés toujours chers au cœur des ouvriers, l'influence du parti stalinien dominait le prolétariat français. Encore aujourd'hui, c'est le parti le plus fort dans le sein du prolétariat de ce pays. Mais aussi le point culminant de son influence marque son talon d'Achille.

De même que la politique de la Russie, ses occupations finissent par dessiller les yeux des ouvriers sur sa vraie nature impérialiste, le parti stalinien en France, qui vit sur le prestige de l'Etat russe, va en se démasquant. La rentrée dans un gouvernement capitaliste, devenu un parti gouvernemental, l'oblige à prendre de plus en plus ouvertement des positions anti-ouvrières. Le dernier discours de Thorez à Ivry a fait de ce secrétaire et de son parti le champion de la croisade anti-ouvrière. Obligé d'abandonner la démagogie, Thorez s'est clairement prononcé contre les revendications économiques, contre les illusions de réformes de structure, de maintien des milices patriotiques, pour la formation d'une police et d'une armée fortes. Tout pour l'effort de guerre.

Si toute la bourgeoisie a longuement et chaleureusement applaudi à ce langage viril du nouvel "homme d'Etat" (l'Ordre de Buré), les ouvriers staliniens se trouvaient consternés. Le mécontentement s'est brusquement fait jour dans les rangs et ce mécontentement va en s'accentuant. c'est dans la jeunesse, plus directement touchée par la mobilisation, que le mécontentement s'est le plus nettement manifesté. C'est pour éviter à ce mécontentement de la jeunesse de s'élargir et de s'approfondir que Thorez a décidé la dissolution des Jeunesses Communistes provoquant des protestations multiples des groupes de JC.

Le parti stalinien, quoique encore le plus fort parti, perd du terrain et de l'influence sur les masses ouvrières. Aucun doute que cette tendance ira en s'accentuant dans les mois à venir. Le battage sur l'unification avec le PS dans un parti unique ne semble pas être vraiment sérieux. L'existence de ces deux partis sert mieux les intérêts de la bourgeoisie par la confusion qu'elle entretient. Une autre raison est qu'une fraction du capitalisme français, réduit à la position de vassal des puissances anglo-américaines, s'oriente et se tourne vers la Russie. Cette fraction de la bourgeoisie trouve dans le parti stalinien son expression, tandis que le PS est et restera le commis anglo-américain. Et la dernière raison, et non la moindre, est dans l'intérêt qu'a l'Etat russe d'avoir et d'entretenir l'agence perfectionnée et profitable qu'est le PC, d'autant plus que la perspective d'une guerre impérialiste américano-russe reste toujours une éventualité de demain.

LE PARTI SOCIALISTE

La décomposition du parti socialiste durant la guerre n'a d'égal que celle du parti radical. Comme ce dernier, il s'est discrédité à la tête du gouvernement et du front populaire. Les ouvriers n'ont pas oublié que c'est à Blum qu'ils doivent d'avoir été dupés en 1936. Blum avait raison de se vanter, dans le procès de Riom, que c'est grâce à lui que la bourgeoisie s'est tirée à si bon compte en 1936. "Les usines aux patrons, les ouvriers dans les usines et la rue à la police" était vraiment une politique très habile. Accords de Matignon, la pause, l'arbitrage obligatoire, voilà les étapes de l'étranglement des mouvements revendicatifs du prolétariat pour le mener, sous l'égide du Front Populaire, à la guerre impérialiste.

La défaite de la France en 1940 a produit la dislocation de ce parti dont une grande partie devait voter pour Pétain. La défection des meilleurs de ses militants, comme son secrétaire général Paul Fort et autres munichois, des autres avec Spinasse qui publiaient le journal "L'effort" ont servi de soutien du gouvernement Pétain-Laval. Ce parti a même fourni des ministres sous l'occupation, comme Chassaigne. Toute cette décomposition a réduit le PS presque à zéro.

La "libération" devait mettre à nu cet état. Une indication est fournie par la pauvreté des nouveaux chefs. L'exemple est donné dans le fait de voir un Daniel Mayer, un homme de 10ème ordre, occuper la place d'un Faure ou d'un Blum.

Seul l'ultra-chauvinisme des staliniens et leur parti lié à l'impérialisme russe a fait qu'en partie le PS a pu regrouper certains éléments qui, non sans être chauvins, répugnent au déchaînement hystérique des staliniens. Le PS, dont la composition est nettement petite-bourgeoise, se retrouve maintenant que l'ouragan est passé. Incapables d'affronter la moindre lutte sérieuse, ces éléments sont par contre tout à leur aise dans l'eau douce et trouble du parlementarisme qui est leur élément naturel. Même décapité de ses chefs, ce parti a gardé l'échine souple ; et son habileté dans la démagogie lui permet, face au chauvinisme sanguinaire des staliniens, de paraître comme un parti plus à gauche, plus démocrate. Son attitude démagogique qui frise parfois une attitude d'opposition au gouvernement fait qu'il se renforce et regagne du terrain aux dépens des staliniens. Le prolétariat français rencontrera encore plus d'une fois, lui barrant sa route, ce parti visqueux de la démocratie bourgeoise.

L'appendice de gauche du parti socialiste, l'ancien PSOP, est pour le moment inexistant. Tandis que "le grand chef" de ce parti, Marceau Pivert, a offert - de Mexico où il s'est réfugié le lendemain de la défaite - ses services à De Gaulle "tout comme Lénine s'est servi d'anciens officiers tsaristes" (déclaration de Pivert en 1941). Les petits chefs, les Collinet et autres Patri, enseignent le marxisme, du bureau de Londres, dans les colonnes de la "Volonté". Leur influence sur les ouvriers est à jamais finie.

Un autre groupe – qui, avec Ferrat et Rimbert, publiait "Que faire" avant la guerre – a enfin trouvé la réponse tant cherchée pendant des années. Que faire ? Mais de la Résistance voyons ; et tout en faisant mine de protester contre l'erreur de morcellement de l'Allemagne et les appétits impérialistes trop prononcés des vainqueurs, il bénit néanmoins cette guerre Sainte contre le "fascisme" allemand. Le journal hebdomadaire que ce petit groupe publie s'appelle "Liberté". La liberté et la légalité sont évidemment accordées par l'impérialisme à ceux qui le servent.

LA CGT

Ce qui est particulier à la CGT, c'est l'opposition existant entre sa base et sa nature d'une part, en tant qu'organisme unitaire économique du prolétariat, et son rôle, son orientation, sa fonction et sa direction d'autre part, nettement anti-prolétariens.

L'évolution récente du mouvement syndical pose certainement la question de savoir dans quelle mesure cette organisation exprime et peut exprimer encore des possibilités de la lutte du prolétariat pour ses revendications. Il serait trop long d'ouvrir ici aujourd'hui le débat et de tenter de donner une réponse définitive. Contentons-nous pour l'instant de souligner les caractères nouveaux de cette évolution. La nature de classe des syndicats, même les plus réformistes, était donnée :

1)°par le fait qu'ils groupent les ouvriers en tant que salariés dans le but de la défense de leurs intérêts immédiats et élémentaires face au patronat ;

2) par le caractère de formation volontaire par les ouvriers eux-mêmes, contrairement aux corporations, aux syndicats uniques fascistes qui sont une obligation imposée par l'Etat ;

3) par leur indépendance organique à l'égard du patronat et de l'Etat.

Le propre du mouvement syndical à la suite de la "Libération" consiste non pas de lutter pour une amélioration ou même pour la défense du maintien des conditions de vie des ouvriers. Les directions syndicales sont des outils, entre les mains de l'Etat, pour gêner leur défense et, en certains cas même, pour imposer leur aggravation (comme dans les journées de travail gratuit pour la reconstruction, le prélèvement imposé sur les salaires pour parrainer l'effort de guerre et, encore plus directement, dans le maintien d'un salaire inférieur dans les usines dites nationalisées et gérées par les comités syndicaux par rapport aux salaires en cours dans les usines privées de la même industrie).

D'organismes spontanés de défense des intérêts élémentaires des travailleurs, les syndicats tendent à devenir les organes imposés par l'Etat pour la mobilisation des ouvriers en vue de la poursuite de la guerre et de l'effort de guerre dans la production. Ainsi ce seront les syndicats qui assureront l'interdiction de la grève et dénonceront les ouvriers mécontents à la police en les chassant de leur lieu de travail. D'organismes crées spontanément, naturellement et volontairement par les ouvriers, les syndicats deviendront des organismes importés, imposés aux ouvriers, contrôlant (et faisant la police pour le compte de l'Etat) les ouvriers sur leur lieu d'exploitation. De l'indépendance organique, il n'est plus question.

Autrefois, dans les guerres de conquêtes coloniales, l'impérialisme faisait marcher, derrière l'armée, le missionnaire et la prostituée. Dans les guerres de "libération", la force militaire est toujours suivie du missionnaire religieux ou politique, mais la place de la prostituée est occupée par… la direction toute prête des centrales syndicales.

En France, la CGT trouve encore ce caractère accusé du fait de sa totale domination par les hommes du parti stalinien. Elle participe officiellement au bloc gouvernemental dans la "Résistance" d'abord, dans la guerre, dans l'assemblée consultative et elle va se présenter demain aux élections. La CGT est une organisation gouvernementale. Son grand nombre d'adhérents (4 millions) est dû surtout à une pression exercée sur les ouvriers sur les lieux de travail plutôt qu'à un élan des ouvriers pour se syndiquer.

La perte de l'influence de la CGT est indiscutable. On constate, ces derniers temps, une tendance très nette et accélérée des ouvriers à quitter les syndicats. Les grèves qui éclatent sont généralement faites malgré et contre la volonté des directions syndicales ; et très souvent elles sont spontanées et extra-syndicales, c'est-à-dire mettant les organisations syndicales devant le fait accompli.

Hautement significatifs sont les objectifs des mouvements. Ils portent moins sur les revendications de salaires et de conditions de travail que sur les problèmes de ravitaillement. Débordant le cadre étroit des revendications corporatives et économiques en tant que salariés, ils acquièrent un caractère social plus large, touchant toute la masse travailleuse. Telles sont les manifestations spontanées des 10.000 ouvriers à Lyon en janvier, l'action directe des mineurs de Denain et d'ailleurs, envahissant les carreaux de la mine et distribuant gratuitement les stocks de charbon, la grève spontanée, la manifestation et l'occupation, pendant des heures, de la préfecture, et bien d'autres.

Dans la région parisienne où se trouve concentrée toute la bureaucratie qui, au travers de l'ossature syndicale, contrôle mieux la masse ouvrière, cette dernière n'a toutefois pas pu empêcher l'éclatement des grèves des dockers du port de Paris, des imprimeurs, du commerce, du cinéma et certains mouvements dans la métallurgie.

Il se dessine un large courant de mécontentement parmi les ouvriers ; la CGT tente de la dévier et de la freiner par des pourparlers dans la commission gouvernementale des salaires. On doit s'attendre qu'en cas de fiasco de ces promesses gouvernementales, un accroissement du mécontentement dans les usines de la région parisienne pourra aboutir à des grèves de masses.

Signalons encore une tendance, encore très faible mais existante dans certaines usines, à la formation des comités d'usine. ces comités d'usine, tout en étant liés partiellement aux syndicats, sont toutefois quelque chose de plus large que la cadre des organisations syndicales. Ils groupent tous les ouvriers, tous les ouvriers sur la base de l'usine, c'est-à-dire sur une base non professionnelle ou syndicale mais locale. Rien ne permet de prévoir si cette forme a des chances immédiates d'élargissement. Mais, dès maintenant, la plus grande attention doit être portée à cette nouvelle forme de comités d'usine et l'on doit y participer activement là où ils surgissent. Dans des circonstances favorables, ces comités peuvent rapidement se développer en un véritable réseau présentant un type nouveau de conseils d'usine.

Devant le mécontentement grandissant, subissant sa pression et craignant de voir les masses et leurs actions échapper à son contrôle, la CGT s'oriente vers un tournant à "gauche". Déjà le mot-d'ordre initial de "travailler d'abord, revendiquer ensuite" est visiblement mis de côté, la direction de la CGT multiplie maintenant des meetings et, dans les colonnes du "Peuple", commence à parler des revendications.

Il suffit de lire les articles précédant le CCN pour s'attendre à ce qu'il sorte de ces assises une position en quelque sorte revendicative. Il va de soi qu'aucune confiance ne peut être faite à la sincérité des dirigeants de la CGT. Ce tournant à gauche ne serait qu'une manœuvre tendant à rattraper le contrôle sur les masses qui échappent à la direction et aussi une manœuvre ayant en vue l'ouverture de la campagne électorales pour les élections municipales.

Dénoncer la politique de la direction de la CGT, dénoncer surtout ses manœuvres de gauche en vue de mieux torpiller les mouvements de la masse ouvrière est une tache urgente et de chaque instant des militants révolutionnaires.

 

LE MARAIS DU CENTRE

Un certain nombre de groupes et de mouvements ont surgi avec des plates-formes plus ou moins confuses. Ce processus de formation relève d'un côté du fait de la position chauvine nette, de la participation à outrance des partis socialiste et stalinien et de la CGT à la guerre impérialiste, produisant une rupture d'avec certains éléments évoluant sur la gauche, et de l'autre côté du fait de la disparition de groupements - comme le PSOP, Les Amis des Syndicats de Belin, La Révolution Prolétarienne, etc. - qui canalisaient autrefois une partie de ces éléments.

De même que, sur le terrain social, un classe, la petite-bourgeoisie, trouve sa place entre les classes fondamentales de la société, de même, sur le terrain politique, cette classe hétérogène trouve son expression dans l'existence des organisations hésitantes, constamment ballottées entre les partis de la bourgeoisie et du prolétariat.

Stationnaires et piétinant sur place dans les époques calmes, ces groupes sont particulièrement troublés et agités dès que la situation a perdu sa stabilité. N'ayant pas une position achevée propre, ces groupes sont destinés, dans une situation bouleversée, à évoluer à un rythme accéléré dans des sens opposés ; les une vers les positions capitalistes, les autres vers celles du prolétariat. Il ne suffit pas de porter un jugement d'ensemble sur ce qu'on appelle le marais ou le centre, il faut encore suivre chaque groupe séparément dans son évolution et son orientation.

1° – CETES (Comité d'Etudes Techniques, économiques et Sociales)

Ce groupe a été constitué depuis la "Libération" par l'ancien groupe de La Démocratie ouvrière (DO) qui dirigeait la Fédération des Techniciens avec des éléments de L'Abondance, des éléments dirigeants de la Confédération Générale de l'Agriculture et une partie d'anarchistes. La Démocratie ouvrière est une branche cadette de l'anarcho-syndicalisme. Sortant du sein du parti communiste, ce groupe, se réclamant du marxisme, concevait même la nécessité d'un regroupement de l'avant-garde en une tendance politique mais dirigée, dans son action envers la classe, au travers du mouvement syndical. Le syndicat devenait l'unique organe guidant la lutte du prolétariat vers son aboutissement historique : la révolution. Le groupement politique du prolétariat, n'ayant pas un rôle propre à jouer, est réduit à la fonction de conseiller et d'éducateur politique du mouvement syndical. Négation de la nécessité d'une lutte politique du prolétariat et d'une organisation politique de la classe, la Démocratie ouvrière apparaît comme une idéologie syndicaliste, apparentée à la fois à l'économie russe et à l'anarcho-syndicalisme français, du syndicalisme suffisant à tout.

Mais la reconnaissance de la nécessité d'un groupement politique influençant de l'intérieur le mouvement syndical ne s'est pas traduit logiquement par la réclamation de droit de fraction et de tendance à l'intérieur du mouvement syndical. Au contraire, la DO est un adversaire acharné du principe de fraction politique dans les syndicats. Cela ne l'a jamais empêché, comme tout opportuniste, de construire sa propre fraction, d'agir fractionnellement et d'une façon manœuvrière, tout en condamnant publiquement, par principe, le droit d'existence des fractions.

Sa position la plus nette est son anti-stalinisme. Tout en s'opposant et en dénonçant la politique syndicale de collaboration de classes, de l'union sacrée et de la guerre impérialiste, ce groupe - dont des militants sont à la direction de la Fédération des Techniciens – n'a jamais osé affronter les foudres des réformistes et des staliniens dans les assises et congrès de la CGT. Ce sont des syndicalistes révolutionnaires "honteux" qui, depuis que les grèves de 1936 ont fait d'eux des dirigeants d'une grande fédération, n'ont jamais cessé d'évoluer de plus en plus vers le réformisme. Ils étaient les propagateurs zélés du plan de la CGT avant la guerre. Rien d'étonnant qu'ils se soient mis en ménage avec l'Abondance de Duboin, cette caricature réformiste aux lieux communs en guise de "trouvaille économique géniale".

Tel que, le mouvement du CETES groupe plusieurs centaines de membres dans la région parisienne. Il tient des conférences privées une fois par mois, dont l'auditoire se compose, dans sa grande majorité, d'employés et de techniciens. Dans une certaine mesure, ce groupement canalise et exprime une opposition timide à la guerre impérialiste et est pour la reprise de l'action directe revendicative des masses. Ce même esprit se retrouve dans sa publication mensuelle "Nos cahiers".

La dissolution de la Fédération des Techniciens et l'intégration des syndicats au sein de leur fédération ouvrière d'industrie respective, décision prise par le Comité Confédéral portera un coup à l'influence des CETES. Part ailleurs, ce groupement est destiné à évoluer de plus en plus de l'action directe de lutte de classe vers un réformisme le plus plat.

Son orientation lui destine d'occuper dans les mouvements ouvriers la place laissée vacante par Belin et Cie

2° – La minorité syndicaliste

Un mouvement bien plus caractéristique de mécontentement des ouvriers contre la politique de collaboration de la direction de la CGT est celui de la minorité syndicaliste.

Au commencement de l'année 1945, plusieurs vieux militants de la CGT et de la CGTSR se sont réunis pour donner naissance à ce groupement ; et le premier acte de cette minorité fut une lettre adressée à la Conférence syndicale de Londres dans laquelle ils critiquent sévèrement cette Conférence, sans toutefois la dénoncer nettement, comme une machination des impérialismes alliés.

La minorité syndicale est en quelque sorte une reproduction de l'ancien groupement minoritaire qui existait dans la CGT avant 1939, connu sous le nom de "Cercle lutte de classe", sans toutefois reproduire exactement la même composition. Avant 1939, le "Cercle lutte de classe" groupait les différents éléments oppositionnels de gauche de l'ancienne CGTU, plus des militants du Syndicat de l'enseignement - qui fut toujours à l'extrême gauche dans la CGTU et qui gardait des traditions révolutionnaires de la lutte contre la guerre qu'il a mené en 1914-18. La plupart des militants du "Cercle lutte de classe" furent des anciens membres du Parti Communiste, qui l'ont quitté ou furent exclus parce que s'opposant à la politique opportuniste et nationaliste triomphant dans le PC. Le caractère du Cercle fut nettement politique, en opposition au groupe de "La Révolution prolétarienne" de Monatte, Lauzon et Chambelland qui représentait et continuait la tendance du syndicalisme pur, anti-politique et anti-communiste.

L'éclatement de la guerre devait marquer l'effondrement et la disparition de ces deux minorités syndicales sans laisser aucune trace. Mais, tandis que les militants du "Cercle lutte de classe" devaient se maintenir au travers des courants politiques dont ils faisaient partie, la dislocation du groupe de "La Révolution prolétarienne" devait être totale et signifier la faillite définitive du syndicalisme pur.

C'est encore une des caractéristiques de la profonde différence d'époque entre celle de la guerre 1914-18 et celle de la guerre 1939-45. Alors, face à l'opportunisme et au parlementarisme du parti socialiste, un groupement tel le syndicalisme révolutionnaire représentait une profonde réaction prolétarienne, élémentaire et confuse certes, mais indiscutablement révolutionnaire. C'est uniquement ce groupe qui, en 1914, relève en France le drapeau de l'internationalisme et de la lutte contre la guerre. C'est ce groupe - qui publie "La Vie Ouvrière" – qui polarise les premières manifestations prolétariennes contre la guerre ; et lui, qui fut toujours l'adversaire le plus acharné de toute organisation politique indépendante de la classe, deviendra le partisan le plus enthousiaste, le groupe ouvrier le plus assidu de la reprise des relations internationales des socialistes des différents pays restés fidèles à la lutte de classe. Tandis qu'il faudra attendre jusqu'à la fin de la guerre, jusqu'à l'éclatement de la révolution russe pour voir se former une aile gauche révolutionnaire dans le parti socialiste, le groupe syndicaliste révolutionnaire de Monatte et Rosmer, qui prendra immédiatement position contre la guerre, établira des contacts et une collaboration étroite avec les internationalistes russes, avec Trotsky et la rédaction de Natché Slovo (organe des internationalistes russes paru à Paris durant la guerre 1914-18) et participera, au travers de Merheim et Bourderon, à la conférence de Zimmerwald. C'est encore eux, ces syndicalistes, qui seront les premiers représentants du prolétariat français, en la personne de Rosmer, au 1er congrès constitutif de l'Internationale Communiste en 1919 et les éléments fondateurs du Parti Communiste de France. Mais, dès ce moment, le rôle historique du groupe des syndicalistes révolutionnaires sera épuisé. Pendant les années d'ascension du capitalisme français et d'épanouissement de sa politique de conquêtes coloniales, se produisit une profonde corruption de l'organisation politique qui devait finalement l'emporter ; la réaction prolétarienne à cette corruption devait se cristalliser, dans le moment historique d'alors, à l'intérieur de l'organisation unitaire et de résistance de la classe ouvrière, les syndicats, autour de la lutte intransigeante contre le patronat et contre l'ordre social dirigée et inspirée par les syndicalistes révolutionnaires.

Si le syndicalisme révolutionnaire – qui fut la rançon de l'opportunisme dominant le parti politique – devait en tant que plate-forme et théorie manifester toute son inconsistance et son insuffisance, ne pouvant servir de base programmatique à l'émancipation sociale, il n'est pas moins vrai qu'il rassemble les énergies révolutionnaires et les éléments les plus sains de la classe ouvrière en France, opposant une plus grande résistance à la corruption de la bourgeoisie.

Les syndicalistes révolutionnaires d'avant 1914 n'apportaient, par leur plate-forme, aucune solution positive, aucune réponse permettant au prolétariat d'avancer vers la prise du pouvoir ; ce chemin fut donné uniquement par les bolcheviks au travers du travail de fraction en vue de la construction du parti politique de la classe. Cependant leur mérite historique fut d'être une digue de résistance à la corruption parlementaire et opportuniste qui emportait, morceau par morceau, les partis socialistes, et ils purent offrir cette résistance grâce à leur farouche raccrochement à la lutte revendicative, économique, élémentaire de la classe et à la méthode de l'action directe.

Avec la fin de la guerre et l'ouverture du cours révolutionnaire, la plate-forme du syndicalisme révolutionnaire dépassée par les objectifs immédiats de la lutte, posant le problème de la conquête révolutionnaire du pouvoir, devait perdre même son caractère de résistance contre l'opportunisme. Dans l'étape historique plus avancée qui s'ouvre après 1918, la lutte entre bourgeoisie et prolétariat se manifeste essentiellement sur le terrain politique, autour de l'Etat capitaliste et du parti communiste. Le syndicalisme en opposition à la lutte politique de la classe ne peut plus garder comme avant sa qualification révolutionnaire et, de résistance à l'opportunisme, il devient la plate-forme des éléments retardataires et réactionnaires.

Le sens de son orientation – de l'opportunisme vers la révolution – se renverse et il deviendra le canal qui conduit du communisme à l'opportunisme. Telle sera désormais la place qu'occupera, dans le prolétariat, le syndicalisme révolutionnaire exprimé par la revue "La Révolution Prolétarienne".

Ce sont là les raisons historiques qui font que ce groupement, qui a lutté contre la guerre impérialiste en 1914-18, sera complètement liquidé dès l'ouverture de la nouvelle guerre en 1939 et dont les militants se retrouveront individuellement dans diverses minorités syndicales après avoir plus ou moins activement participé à des groupes de la Résistance.

La nouvelle minorité syndicale d'aujourd'hui est un composé d'éléments et tendances de l'ancien "Cercle lutte de classe", de "La Révolution Prolétarienne" et des anarchistes syndicalistes de l'ancienne CGTSR qui, elle aussi, s'est liquidée pendant la guerre.

L'expérience du mouvement syndical en France depuis la dégénérescence de l'IC est pleine de ces tentatives de formation de minorités syndicales qui, toutes, devaient conduire, non à des redressements de la ligne politique des organisations syndicales, même pas seulement à créer un front de résistance susceptible d'endiguer la mainmise du capitalisme sur les syndicats, mais à une aggravation de la confusion dans les cerveaux des ouvriers et à leur propre discrédit.

La politique syndicale, l'orientation syndicale et les méthodes d'action sont fonction de la position générale qu'on a sur la situation générale, sur les perspectives, sur la lutte de classe, le but de cette lutte et la voie à emprunter. En un mot, la politique syndicale relève du programme et de la doctrine dont se réclame chaque courant idéologique qui participe et agit à l'intérieur des syndicats. Autant de courants, autant d'orientations et de politiques syndicales. Et ce n'est qu'au travers de leurs confrontations ouvertes, par le canal de leur fraction dans les syndicats, que les ouvriers peuvent prendre pleinement conscience et choisir librement l'orientation syndicale la plus apte à la défense de leurs intérêts immédiats.

Tout autre est la voie des minorités syndicales. Confondant dans un bloc permanent des tendances et des courants aussi variés qu'opposés, allant des syndicalistes purs, des anarchistes, des anarchistes syndicalistes, des syndicalistes révolutionnaires, aux trotskistes et autres éléments oppositionnels, fondant tous ces programmes pour extraire un programme commun, on ne permet pas l'édification d'une politique syndicale nécessaire aux ouvriers dans leur lutte contre le capitalisme mais on crée un programme de confusion, de compromis et d'éclectisme. D'autre part, les divers courants composant cette minorité, au lieu de parvenir, au travers de la confrontation et l'expérimentation, à vérifier leur propre position, perpétuent dans la confusion leur existence où la discussion fait place à la petite manœuvre et à l'intrigue pour imposer ses vues à l'ensemble de l'organisation. La minorité syndicale paraît ainsi groupée, non pour faire triompher une politique propre qu'elle ne peut avoir, mais pour combattre une politique. C'est cette position négative qui est le seul lien, le seul trait d'union et qui constitue la base commune de ces genres de minorités vagues et confuses.

Dans la situation présente et devant le mécontentement grandissant des ouvriers à la politique des staliniens et des socialistes qui sont les maîtres de la CGT, cette minorité syndicale est appelée à un certain développement dans la mesure où elle exprime son opposition à la direction. Le journal qu'elle publie illégalement, "La bataille syndicaliste", trouve un écho favorable parmi les ouvriers. Les positions essentielles défendues dans le journal sont : contre la guerre, pour l'internationalisme, pour une action revendicative, contre l'existence des fractions dans les syndicats. Le journal se réclame aussi d'une position apolitique des syndicats sur la base de la Charte d'Amiens de 1907. Dans la question de Comité de gestion dans les usines, tout en étant contre, il préconise de laisser faire l'expérience.

La formation de la minorité syndicale exprime à la fois une manifestation du mécontentement des ouvriers se détachant des agents ouverts du capitalisme dans les rangs du prolétariat, les partis communistes et socialistes, et en même temps l'extrême confusion qui règne dans les cerveaux des ouvriers, à laquelle cette minorité, par son activité, va apporter sa contribution.

3° - La Fédération Syndicaliste Française et la Jeunesse Syndicaliste Révolutionnaire

Nous avons déjà dit plus haut que, parmi les organisations qui se sont écroulées pendant la guerre, se trouve la CGTSR (Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire).

Au lendemain de la guerre 1914-18, l'opposition révolutionnaire à l'intérieur de la CGT – contre la politique de trahison de la clique de Jouhaux et Cie qui pratiqua l'union sacrée la plus abjecte pendant les 4 années de guerre et qui poursuivait cette politique de collaboration et de trahison – se développait et grandissait de jour en jour.

Syndicats et fédérations passèrent les uns après les autres entre les mains de l'opposition. Devant l'éventualité de perdre la direction de la CGT, les réformistes et la clique bureaucratique de Jouhaux poussèrent à la provocation de la scission de la CGT. L'opposition révolutionnaire, stimulée par l'IC qui se trouvait dans la période de pleine montée de la vague révolutionnaire en Europe, a commis cette grave erreur de ne pas éviter la scission syndicale recherchée par la bureaucratie réformiste. L'opposition est tombée dans le panneau de la provocation et a accepté la scission. La CGTU, groupant la majorité des syndicats ouvriers, était née. Dans son sein, se retrouvèrent les 3 courants anti-réformistes : les syndicalistes révolutionnaires, les anarchistes syndicalistes et les communistes.

La fraction communiste qui dirigeait la CGTU a commis plusieurs fautes. L'erreur fondamentale du parti communiste résidait dans la reproduction servile, dans le décalquage mécanique de tout ce qui se passait en Russie et dans l'inféodation bureaucratique du mouvement syndical au parti communiste. Tout en condamnant la scission syndicale, le parti communiste et l'IC n'avaient pas réellement une position précise et une attitude nette contre la scission. A ce sujet il faudrait réexaminer non seulement toute l'expérience de l'ISR mais le principe même de sa fondation. Plusieurs erreurs de taille ont été commises à ce sujet. D'abord l'entrecroisement permanent entre les 2 Internationales dont les délégués siégeaient d'une façon permanente et de droit dans les 2 centrales Internationales et réciproquement. Ce principe de la réciprocité subordonnait en fait l'Internationale Syndicale Rouge à l'IC. Ensuite il est difficile de concevoir une politique anti-scissionniste à l'intérieur des mouvements syndicaux nationaux tout en maintenant la scission sur le plan international. Cette position contradictoire devait entretenir une équivoque qui ne pouvait être favorable qu'à la bureaucratie réformiste de l'Internationale syndicale d'Amsterdam.

Lorsque, après les événements de Cronstadt et de Makhno, la lutte entre les anarchistes et le parti communiste s'est faite âpre en Russie, la répercussion de cette lutte devait se faire sentir d'une façon extrêmement violente au sein de la CGTU. Nous avons déjà dit que les communistes ne sont jamais parvenus à faire comprendre aux ouvriers le crime contre le mouvement ouvrier qu'est la scission syndicale. Ils n'étaient pas tellement convaincus de cela eux-mêmes. Et il n'est pas étonnant dans ces conditions que les anarchistes syndicalistes, qui étaient une minorité, aient pu provoquer une nouvelle scission dans la CGTU et créer une 3ème confédération syndicale en France, la CGTSR.

En France, cette nouvelle confédération groupait de plus large masses que dans quelques centres, notamment la corporation du bâtiment surtout dans la région lyonnaise, de Saint-Étienne, dans la région de Toulouse et dans les régions limitrophes de la frontière espagnole où prédominait l'influence de la CNT espagnole.

Sur le plan international la CGTSR faisait partie de l'AIT (Association Internationale des Travailleurs) qui groupait quelques organisations ouvrières anarchistes dont la cheville ouvrière était la CNT, la plus forte organisation syndicale en Espagne.

L'unité syndicale réalisée entre la CGT et la CGTU, l'afflux d'adhérents à la nouvelle CGT au travers de la vague de grèves de 1936, portait un coup terrible à cette petite organisation syndicale qui se trouvait être submergée par les événements et ne pouvait pas jouer un rôle dans le vaste mouvement de grèves. Mais le coup de grâce leur vint de l'extérieur, de la CNT qui en coulant devait la faire couler et la noyer.

Les événements de 1936 en Espagne – la participation de la CNT au gouvernement capitaliste, trahissant ainsi sa propre plate-forme anti-étatique, le massacre des ouvriers de Barcelone par le gouvernement républicain-anarchiste-stalinien, la victoire finale de Franco – devaient jeter le discrédit sur le programme et l'idéologie anarchistes, provoquer des troubles et des discussions dans leurs rangs.

Les anarchistes, se raccrochant à "l'anti-fascisme" et aux blocs "anti-fascistes", se trouvaient en bien mauvaise posture devant les autres "anti-fascistes", autrement plus rusés et plus démagogues qu'eux, qu'étaient les staliniens. Dans la concurrence à l'anti-fascisme, les anarchistes étaient battus d'avance. Dorénavant, la CGTSR végètera sans force et sans âme. La guerre de 1939, qui sera le summum, le point culminant de l'anti-fascisme, sera aussi le tombeau sans honneur de la CGTSR.

Quelques militants de l'ancienne CGTSR groupés autour de leur ancien secrétaire général, Besnard, tentent à nouveau, non pas de ressusciter la CGTSR mais de former un courant anarcho-syndicaliste dans la CGT, la FSF qui se réclame toujours de l'AIT. Leur plate-forme est l'indépendance du syndicat à l'égard des partis politiques et de l'Etat, l'action directe pour la défense des revendications ouvrières et la lutte contre la "Synarchie" qu'ils ont découverte pour rajeunir et introduire quelque chose de nouveau dans leur plate-forme qui est un peu vieillie.

Il est évident que ce groupe, par lui-même, par sa plate-forme, n'offre aucune possibilité réelle de reprise de la lutte révolutionnaire. Le seul intérêt qu'il présente c'est qu'il est une manifestation du mécontentement qui règne dans certains milieux ouvriers se détournant de la politique officielle de la CGT, politique de collaboration de classe et de trahison.

Ce groupe publie un journal illégal imprimé, "L'Action", et ses membres militent dans la minorité syndicaliste. Parallèlement et en étroite collaboration avec la FSF, existe un petit groupe de jeunes ouvriers qui est un peu l'organisation de la jeunesse de la FSF. C'est la JSR ! Dans le premier tract, ce groupe proclame la lutte contre la guerre, contre le militarisme, contre l'Etat capitaliste et pour la révolution prolétarienne. Très vague quant à sa plate-forme, à la façon propre aux anarchistes, ce groupe semble toutefois exprimer une volonté d'action révolutionnaire. "Le cri des jeunes" qu'il annonce nous permettra de mieux juger de son orientation et de son évolution.

4° – Le mouvement libertaire

Il n'est pas nécessaire de présenter aux camarades ce qu'est le mouvement anarchiste. Nous avons examiné tout à l'heure l'une de ses branches, les anarchistes syndicalistes, et ce qu'il est advenu de sa centrale syndicale.

Nous allons maintenant en quelques mots tracer l'évolution de l'ensemble de ce mouvement et la place qu'il occupe actuellement.

Avant 1939, le mouvement anarchiste était scindé en UA (Union Anarchiste) et FAF (Fédération Anarchiste Française), sans compter les groupes des anarchistes individualistes qui publiaient "En dehors" et la CGTSR qui groupait la syndicalistes anarchistes. Les événements d'Espagne de 1936-38 devaient encore provoquer des scissions entre les participationnistes et les orthodoxes anti-gouvernementaux. La guerre de 1939 a liquidé et dispersé tous ces groupements.

Les uns allaient participer à la guerre, suivant en cela la tradition de leurs aînés, Kropotkine et Sébastien Faure, qui ont accepté déjà la guerre de 1914-18 au nom de la lutte contre le militarisme prussien. Le militarisme prussien serait remplacé en 1939 par le fascisme hitlérien et la guerre impérialiste sera acceptée comme guerre de libération anti-fasciste. D'autres, comme Bernard, se retrouveront, on ne sait pas bien comment, autour du berceau de la "Charte du travail" à l'époque Pétain-Belin. D'autres encore se glorifieront d'une participation au maquis et à la Résistance.

Durant la guerre, aucune publication, aucune activité exprimant une position officielle des anarchistes ne sera faite. L'organisation aura sauté en l'air et chaque membre, en digne anarchiste, agira dans des sens opposés selon ce que lui dictera sa "conscience" personnelle.

Ce n'est qu'après la libération, en septembre ou octobre 1944, que se tiendra dans une ville du Midi de la France un congrès anarchiste, groupant tous les vestiges, tous les morceaux, résidus des anciens courants. Les anciennes divergences et divisions seront proclamées dépassées et sans intérêt. Des questions surgiront bien autour de l'attitude à prendre envers les militants qui ont participé à tel ou tel autre mouvement durant la guerre. Typiquement caractéristique aux anarchistes, ce n'est pas envers les mouvements même qu'on allait prendre une position nette, mais envers les militants qui ont participé à ces mouvements. Finalement on se rappellera juste à propos que le mouvement anarchiste est essentiellement libertaire, c'est-à-dire "libre" de tout principe, où chaque membre est "libre" d'agir comme il l'entend, n'étant responsable que devant sa conscience, et on passera à l'ordre du jour.

Du congrès ne sortira aucune ligne générale, aucune ligne politique. Sa seule œuvre sera de déclarer liquidé tout autonomisme des différents courants et groupes antérieurs, et de proclamer l'existence d'un mouvement libertaire unifié et unique.

Le mouvement libertaire d'aujourd'hui sera donc un agglomérat de toutes sortes de tendances, y compris les anarchistes individualistes.

Ce mouvement publie un journal imprimé mensuel, semi-légal, "Le Libertaire". Le gouvernement français semble le laisser faire, ne voulant pas, devant un certain mécontentement qui règne parmi les ouvriers, par une interdiction, énerver encore plus les ouvriers. Mais la raison majeure de cette indifférence du gouvernement doit être recherchée dans le contenu même du "Libertaire". L'absence d'une ligne politique se traduit par la présence dans le même journal d'une série d'articles, différant dans le ton et dans la position envers les événements. D'une façon générale, si "Le Libertaire" exprime son opposition à la guerre, ce n'est nullement en partant d'une position de classe. La guerre est considérée, dans ce journal, comme un cataclysme social dont les ouvriers, par leur passivité, sont les complices.. Plus sentimental que politique, le journal ne voit de solution qu'en mettant son espoir dans l'éducation, dans la morale individuelle des ouvriers qui leur fera abhorrer la guerre. "Le Libertaire" répugne à la guerre mais d'un point de vue pacifiste et moral. Il dénoncera la guerre en général mais ne luttera pas contre la guerre concrète, réelle, existante. Aucun appel, aucune propagande aux ouvriers leur indiquant que seule leur action peut arrêter la guerre impérialiste. Aucun appel à l'action de classe défaitiste, contre la guerre impérialiste et contre la production de guerre. On se contentera simplement de maudire la guerre en général.

Sur le 2ème point central du moment, sur la fraternisation prolétarienne contre la guerre et contre le massacre du prolétariat allemand en révolte par les armées impérialistes, "Le Libertaire" est encore plus circonspect. Aucun appel à la solidarité et à la fraternisation avec les ouvriers et les soldats allemands. "Le Libertaire" se contentera de se demander dans quelle mesure le prolétariat allemand est coupable de l'agression hitlérienne et il conclura qu'il est trop tôt pour se prononcer là-dessus, l'après-guerre devant apporter une documentation qui lui permettra de définir exactement le degré de culpabilité du prolétariat allemand dans la guerre.

Comme on le voit, le gouvernement de De Gaulle serait vraiment maladroit de provoquer un énervement en prenant des mesures répressives contre un tel journal bien que, par ailleurs, ce même journal peut lui décerner de méchantes critiques et des flèches épointées. Pour être complet, il faut ajouter que "Le Libertaire" publie des appels de la SIA (Secours International Antifasciste), organisation inspirée par les anarchistes où l'antifascisme est synonyme de chauvinisme. "Le Libertaire" ne se gênera pas d'ailleurs de rappeler ses martyrs de la Résistance lesquels, s'ils ne sont pas très nombreux, peuvent tout de même servir à la rigueur comme enseigne et carte de visite.

Sur la plan syndical, l'activité des anarchistes est des plus confuses. Fidèles à la "liberté" qui leur est propre, une partie s'en désintéresse totalement, tandis que l'autre partie se divise en ceux qui participent dans le CETES réformiste et d'autre qui, au travers de la FSF, avec Besnard, participent à la minorité syndicaliste.

Le mouvement anarchiste représente-t-il vraiment un courant unitaire ? L'unité réalisée au congrès repose-t-elle, exprime-t-elle réellement une orientation unique ? Cette unité persistera-t-elle ? Rien de moins certain. Il est trop tôt encore peut-être pour dire jusqu'où et quand cette unité persistera ; mais nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que cette unité - qui ne repose que sur la confusion – va à la première occasion, devant le premier problème qu'on ne pourra contourner, se briser et laisser apparaître l'opposition entre les éléments sincèrement révolutionnaires et le reste du mouvement naviguant dans les nuages de l'idéologie anarchiste et la pratique opportuniste.

5° – Le trotskisme

Le trotskisme présente cette particularité qui, comme le caméléon, a la propriété de changer facilement de couleur. Nous le trouvons tantôt comme Ligue, tantôt comme Opposition, comme POI, comme Bolchéviks-Léninistes de la SFIO (c'était vraiment drôle, les bolcheviks de la SFIO !!!), comme PCI, comme ISR, comme PSOP et de nouveau PCI, la Seule voie et Octobre. En un mot, ils ont monopolisé à leur usage personnel tout le vocabulaire en changeant très fréquemment de nom (Dieu seul sait pourquoi !) mais ils sont restés toujours identiques à eux-mêmes : scission-unification-rescission sur la base de la confusion commune.

Pendant la guerre et l'occupation, les divers groupes qui se réclament du trotskisme et de la 4ème Internationale (sic!) défendaient au fond une et même position fondamentale avec de légères variantes. La position centrale envers la guerre impérialiste était formulée à peu près en ces termes : défaitisme révolutionnaire intégral dans les pays fascistes (c'est-à-dire chez l'ennemi de sa bourgeoisie nationale), opposition politique dans les pays démocratiques et défense nationale dans la "patrie soviétique" considérée comme faisant une guerre défensive de la révolution.

Nous ne nous arrêterons pas sur cet Internationalisme un peu particulier qui change de fond en comble selon le pays où le prolétaire se trouve et où il se fait massacrer par et pour les intérêts de sa bourgeoisie et du capitalisme mondial. Nous ne nous arrêterons pas davantage sur la 2ème position centrale des trotskistes, toujours avec des variantes, consistant à lutter pour la libération nationale contre l'envahisseur étranger. Identifiant les pays occupés aux pays coloniaux, c'est au nom du léninisme qu'on déclare que la lutte pour la libération nationale contenait un ferment révolutionnaire. La libération nationale devait servir de hors-d'œuvre, de mise en appétit pour la révolution prolétarienne. En attendant ce plat consistant qui est toujours à venir, on s'est gavé de hors-d'œuvre. Pas étonnant qu'on puisse lire dans la littérature trotskiste des appels à "la défense de notre empire colonial". C'était un peu trop épicé peut-être mais qui ne mettait pas moins en appétit. Et les trotskistes, plus que les anarchistes, ont des martyrs de la Résistance et de la libération nationale à citer. C'est leur honneur et nous le leur laissons entièrement. En 1944, nous avons assisté à une dernière (jusqu'à présent) unification de trois groupes qui a donné naissance au PCI - qui publie, comme organe central, "La Vérité".

Après les démarches et l'échec pour faire de "La Vérité" ("premier journal illégal paru dans la clandestinité" comme ils aiment à le rappeler) un journal légal, elle paraît assez régulièrement imprimée illégalement.

La position fondamentale des trotskistes n'a pas changé depuis la libération. La "Libération" nationale, qui n'a plus de raison d'être, fait place à l'épuration des vichyssois et des collaborateurs. Enfourchant le dada en vogue que le capitalisme jette aux ouvriers pour les détourner de la lutte de classe, les trotskistes se trouvent immédiatement à leur aise. Ils vont montrer comment on démasque la félonie de la bourgeoisie. Soufflant plus fort que tout le monde dans la trompette de l'épuration, ils vont, en faisant un tapage du diable, dénoncer l'Etat capitaliste, tel patron coupable d'avoir manqué à son devoir de bon patriote et exiger, pour lèse patrie, sa punition de la part de l'Etat capitaliste.

Le gouvernement De Gaulle décrète la création du Comité de gestion mixte dans les usines. Les trotskistes, immédiatement mis en joie, n'en demandent pas plus. Peu leur importe la signification de ces comités de gestion, destinés à faire des délégués ouvriers les gendarmes bénévoles du patron pour obliger les ouvriers à travailler plus et mieux, à ne pas se soustraire un instant à leur devoir de salariés-esclaves afin de produire une masse plus grande de plus-value pour leur maître, le patron capitaliste. Tout cela ne préoccupe pas notre trotskisme et, si cela le préoccupe, c'est en 2ème lieu. Pour l'instant, ce qui compte c'est la possibilité de s'agiter et de faire un peu de bruit. Et voilà les trotskistes pour les comités de gestion. D'ailleurs se rappellent juste à propos les trotskistes : Lénine n'était-il pas pour le contrôle ouvrier de la production en 1917 ? Il n'en faut pas plus pour rester un bolchevik-léniniste et être pour les comités de gestion.

Soucieux de reproduire un cliché des événements russes en 1917 – et comme le fameux singe qui met les lunettes de son maître croit pouvoir lire – les trotskistes endossent sans discernement les lunettes des bolcheviks.

L'aventure veut que ces lunettes soient sans verres et ils ne voient et ne comprennent rien à la situation. Ainsi traduisent-ils le mot-d'ordre de Lénine "Tout le pouvoir aux soviets" en un français trotskiste qui devient "Thorez, Blum et Jouhaux au pouvoir". C'est la grande trouvaille du PCI d'avoir lancé comme mot-d'ordre "Gouvernement ouvrier du PCF, SFIO et CGT".

Sur le terrain international, le PCI est un peu plus embarrassé. Il devient vraiment difficile de parler d'un "Etat ouvrier" en voie de dégénérescence en Russie quand cet Etat poursuit férocement une politique une politique impérialiste et annexionniste en Europe et en Asie. La défense de l'URSS et de l'armée rouge de la révolution est quelque peu choquant quand cette armée est la plus sûre et la plus terrible arme de massacre des révoltes ouvrières en Allemagne. Aussi le bureau européen de la 4ème Internationale a estimé nécessaire de mettre en sourdine ce mot-d'ordre de défense de l'URSS et de mettre plus l'accent sur celui de la lutte contre le stalinisme. Hier on reprochait au stalinisme de défendre trop mal la Russie, patrie de la révolution ; maintenant on reproche au stalinisme de défendre trop bien les intérêts de l'Etat russe. Pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas donné une défaite de l'Etat russe ?! Sa victoire met vraiment trop nos pauvres trotskistes dans l'embarras.

Le PCI est aussi embarrassé devant les événements en Allemagne. Comment parler de révoltes des ouvriers et des soldats allemands sans mettre immédiatement en évidence le rôle de la Russie et de l'armée rouge ? Aussi le PCI, qui ne rate pas une occasion pour faire du bruit, est sur les événements en Allemagne plus que réservé.

Il ne serait pas sans intérêt de comparer l'attitude du PCI devant les événements d'Allemagne et devant ceux de Grèce. On ne manquera pas de constater une différence très édifiante. Si, pour les événements en Allemagne, ils observent une réserve qui les faisait passer presque pour des sages, il en est tout autrement en ce qui concerne les événements en Grèce. Là on se rattrapera et d'autant plus volontiers que les intérêts de l'Etat russe ne sont pas tout à fait étrangers à ces événements et que ces intérêts se trouvent coïncider avec les groupes de la résistance en révolte.

Alors que les trotskistes n'ont pas vu la révolte du prolétariat italien contre la guerre en 1943, occupés qu'ils étaient avec la libération nationale et la défense de notre empire colonial, alors qu'ils ne parleront pas trop des révoltes du prolétariat allemand pour ne pas être trop gênés dans leur défense de "l'Etat ouvrier" en Russie, ils découvriront par contre "la première révolution populaire (?)" issue de la guerre… en Grèce. Le massacre du prolétariat et de la population pauvre de la Grèce – dont le mécontentement, dû à la situation de famine, a été dévié, canalisé dans une insurrection nationale au bénéfice d'une fraction de la bourgeoisie et des intérêts impérialistes russes – sera présenté par les trotskistes comme la révolution prolétarienne. Dans des tracts et réunions, le PCI appellera les ouvriers de France à se solidariser avec cette "révolution" et ne demandera rien moins que l'envoi d'armes pour soutenir cette "insurrection".

Comme pour l'Espagne de 1936-38, les trotskistes voleront à l'aide des "républicains antifascistes", au nom de quoi le capitalisme décimera le prolétariat. Et, tout comme pour l'Espagne, ils se trouveront pour cette œuvre en compagnie de toutes les forces "démocratiques" de la bourgeoisie et de tous les traîtres socialistes et staliniens.

Le PCI a-t-il une certaine influence parmi les ouvriers ? Et, dans le cas affirmatif, à quoi, à quelle cause attribuer cette influence ?

Il est nécessaire de se rappeler que le parti stalinien est devenu un parti gouvernemental et le plus hystériquement chauvin. Les ouvriers dégoûtés de la démagogie chauvine trouvent dans le PCI une expression d'opposition. Les partis centristes et gauche-socialistes, comme les maximalistes en Italie, le SAP en Allemagne, le PSOP en France, ont disparus et se sont fondus à nouveau, pendant la guerre, dans les partis socialistes, pour la défense de la patrie et de l'union sacrée au nom de l'antifascisme. La place de ces partis du Centre va dorénavant être occupée par le trotskisme. C'est en cela que réside la fonction et l'influence que peut exercé le trotskisme.

A ce propose et en passant, il serait peut-être intéressant de jeter un coup d'œil rapide sur ce que sont devenus certains groupes et hommes politiques qui cherchaient, avant la guerre, à former un parti ouvrier de "gauche" en France. Le PSOP s'est complètement disloqué et son chef M.Pivert, parti de bonne heure au Mexique, a offert, dans une lettre publique, ses services à De Gaulle, rappelant que Lénine lui aussi s'est servi d'un ancien officier tsariste. Il semble que De Gaulle n'a guère apprécié cette offre et s'est bien passé des services de Marceau Pivert, ce qui n'empêcha nullement ce dernier d'être un fidèle et farouche résistant au… Mexique. Collinet, Patri, Stribe et autres anciens oppositionnels de gauche et lieutenants de M. Pivert sont aujourd'hui des grandes figures de "ceux de la Résistance" et occupent des hauts postes de rédacteurs de "La Volonté", hebdomadaire de "gauche" de la Résistance. Le petit groupe d'autres oppositionnels de gauche qui, avec Rimbert et Ferrat, publiaient avant 1939 la revue "Que Faire ?" ont enfin trouvé la réponse tant d'années cherchée par eux : dans la Résistance. Rimbert ne se demande plus que faire ; aujourd'hui il donne des conseils, tantôt aux alliés tantôt à De Gaulle, sur le meilleur moyen de régler le problème allemand, d'organiser une paix équitable et définitive, et encore bien d'autres choses fort intéressantes.

Ainsi voyons-nous le trotskisme répondre à un besoin qui s'est fait réellement sentir. Il fallait combler un vide, il fallait que quelqu'un occupât la place du centrisme restée vacante ; cette place est occupée de droit par le trotskisme.

Dans la conjoncture politique présente, on doit s'attendre même à une certaine progression du PCI?

Avec l'accroissement des mouvements révolutionnaires du prolétariat, le souffle purificateur de la Révolution, en emportant tout l'édifice capitaliste, balaiera aussi ces résidus parmi lesquels se trouvent également les trotskistes.

6° – Union Communiste Internationaliste

L'UCI est un petit groupe qu'il ne faut pas confondre avec l'ancienne Union Communiste qui publiait, avant 1939, "L'Internationale" et qui s'est dissoute depuis.

Ce petit groupe s'est formé pendant la guerre sous le nom de "Groupe Révolution Prolétarienne" (GRP) et publiait un journal ronéoté "Le Réveil prolétarien". Sincère et confus, ce groupe s'est déclaré contre la guerre mais, en même temps, il a pris position pour l'insurrection nationale en août 1944.

Depuis la Libération, le GRP devenu l'UCI publie le journal "La Flamme" dans lequel il déclare chercher à construire un programme en prenant "ce qu'il y a de bon dans tous les programmes". L'éclectisme et la confusion sont ainsi hissés à la hauteur d'un programme et c'est tout ce qu'apporte de propre l'UCI dans le mouvement ouvrier.

 

DANS LE CAMP DU PROLETARIAT

1° – "Front ouvrier"

Après la libération, un groupe de militants ouvriers de Lyon – sans distinction bien précise de tendance mais nettement opposé à la guerre impérialiste et pour l'action directe de défense des intérêts ouvriers – a fait paraître un journal légal imprimé (Front ouvrier).

Laissant encore à désirer sur bien des points et notamment sur sa position équivoque et confuse sur l'épuration, ce journal est une expression certaine de réaction de classe des ouvriers lyonnais.

Il est symptomatique que la réaction ouvrière soit bien plus marquée et se fasse sentir davantage dans la région lyonnaise que dans d'autres régions en France. Cela est dû à la situation particulièrement mauvaise du ravitaillement mais peut-être aussi au fait que la pression des staliniens pèse moins lourdement sur les ouvriers de Lyon que sur ceux de Paris où se trouve concentré tout l'appareil politique et bureaucratique de la bourgeoisie et de ses laquais.

Les ouvriers de Lyon se trouvent, à ce jour, à la tête du combat de classe du prolétariat français. Les manifestations spontanées du mois de janvier des ouvriers de Lyon indiquent la voie à suivre aux ouvriers des autres régions qui ne tarderont pas à reprendre leur action de classe généralisée.

2° – Les Communistes Révolutionnaires

Un groupe de militants, rompant avec l'organisation trotskiste en 1944, se constituait sous le nom de CR et publie un journal d'agitation, "Le Pouvoir ouvrier", et une revue, "Communisme".

La rupture avec le trotskisme portait sur deux points capitaux : la lutte contre la guerre impérialiste par le défaitisme révolutionnaire dans tous les pays et la considération de l'Etat russe comme un Etat capitaliste impliquant la dénonciation de la défense de l'URSS comme position antiprolétarienne.

Cette rupture plaçait les CR dans le camp du prolétariat comme une organisation prolétarienne révolutionnaire. Mais cela ne signifiait nullement que les CR présentaient une plate-forme programmatique susceptible d'être une contribution positive dans l'édification du programme et du Parti de la classe.

En effet, la rupture avec le trotskisme – tout en continuant à se revendiquer en bloc du bolchévisme-léninisme – laisse de côté tout le travail critique indispensable des expériences de la lutte du prolétariat entre les deux guerres, ne porte aucune réponse théorique aux problèmes qui se sont posés devant le prolétariat et dont la non-solution se concluait par toute la série de défaites de la 1ère vague de la révolution au lendemain de 1918 ; et plus particulièrement les problèmes de la tactique en correspondance avec la notion de la nature du parti et ceux des problèmes soulevés par le nouveau type d'Etat après la victoire de la Révolution d'Octobre ayant trait au rapport de cet Etat avec les autres Etats capitalistes, aux questions de la gestion économique après la révolution et à la violence exercée par cet Etat dans la classe, à l'intérieur du prolétariat.

Toute une série de positions données par la 3ème Internationale s'est avérée, au feu de l'expérience vivante de la lutte, ou incomplète, inachevée ou fondamentalement erronée ; telles les questions de la formation du Parti, le Front unique, le Parti de masse, les mots d'ordre démocratiques, la question nationale et coloniale, etc. La construction du nouveau parti du prolétariat et la victoire du prolétariat dans la prochaine crise révolutionnaire sont directement rattachées et conditionnées par l'effort de l'avant-garde et par sa capacité théorique de donner, pour le compte du prolétariat, la réponse marxiste à cet ensemble de problèmes.

Ce travail gigantesque, auquel la Fraction Italienne et la Gauche Communiste se sont attaqués depuis plus de 20 ans, n'a pas encore été abordé par le groupe CR qui, jusqu'à présent, s'est contenté de répéter fidèlement l'acquis des bolcheviks et de l'IC, y compris l'acquis des erreurs passées.

La notion de la fraction - organisme de continuité de la vie de la classe et de filiation historique entre deux périodes de la lutte émancipatrice de la classe – reste une notion complètement étrangère au CR et sur laquelle il continue à répéter les lieux communs de toujours des trotskistes. Mais cela ne l'empêche pas de reprocher violemment à la Fraction Italienne de n'avoir pas quitté le parti et l'IC en… 1921 ou 1923, considérée par le CR à posteriori comme date de démarcation historique à partir desquelles l'IC aurait passé définitivement dans le camp du capitalisme.

Dans l'activité politique du CR, nous constatons avec regret la persistance des méthodes en honneur chez les trotskistes, remplaçant le travail de l'élaboration théorique par le plus grand tapage extérieur, la discussion et la confrontation politiques par les méthodes et la pratique de la déformation de la pensée de l'adversaire et du noyautage.

Ne nous perdons pas dans les reproches, sachant bien qu'on ne passe pas impunément des années chez les trotskistes sans contracter leurs tares. Nous sommes convaincus que les militants du CR, indiscutablement éléments révolutionnaires sains et sincères, ne parviendront à faire œuvre utile pour la cause du prolétariat que dans la mesure même où ils se débarrasseront au plus vite de ces tares et du verbalisme du trotskisme qu'ils gardent encore.

Le CR lutte certes contre la guerre impérialiste, contre le mensonge de "l'Etat ouvrier" en Russie, dénonce tous les partis et groupes traîtres à la classe ouvrière, appelle à la solidarité internationale et à la fraternisation de tous les ouvriers, à la solidarité avec le prolétariat allemand en révolte, fait de l'agitation pour la reprise de la lutte de classe en France contre la trahison et la collaboration de la bureaucratie dirigeante de la CGT inféodée à l'Etat capitaliste français ; c'est là une œuvre révolutionnaire mais insuffisante. Une organisation communiste ne peut se borner à cela pour justifier son existence indépendante. Elle ne peut le faire en se référant à son activité d'agitation mais doit le prouver par sa plateforme, par son travail théorique tendant à résoudre les problèmes qui se sont posés et se posent aujourd'hui au prolétariat, et dont la solution est la condition de regroupement de la classe sur des positions plus avancées.

C'est seulement en abordant ce travail que les CR prouveront que leur existence en tant qu'organisation n'est pas une chose fortuite et qu'ils représentèrent un moment une expression réelle de la vie de la classe. Nous espérons et souhaitons que les CR comprendront leur devoir et s'attèleront au plus tôt à ce travail constructif et fécond.

3° – Les Communistes révolutionnaires dissidents

L'histoire du trotskisme est une histoire de scissions et d'unifications. Nous disons cela non pas parce que nous rejetons a priori toute scission et toute unification, par principe. Les scissions peuvent être à un certain moment la seule mesure qui s'impose pour sauvegarder au prolétariat son organisme de classe, son organisation politique. Pour que des scissions ainsi comprises aient lieu, cela ne peut et ne doit, en aucune façon, dépendre de la volonté et des caprices des personnalités mais exprimer une nécessité politique, se manifestant par des divergences programmatiques principielles parvenues à leur pleine maturation, en correspondance avec la situation objective. Unification et scission ne peuvent être examinées en soi mais se relient à la conception générale qu'on a sur la nature du parti.

Ceux pour qui la construction du parti est un acte de volonté et non en correspondance avec le processus de la formation historique de la classe, ceux-là opèreront des unifications et des scissions qui seront tout ce que l'on veut mais qui n'exprimeront pas un instant la vie de la classe, parce que se situant hors du processus réel. Aussi ces scissions et ces unifications se produiront dans la pleine nuit politique et n'apporterons aucun élément, aucun acquis, aucune expérience susceptibles d'être utilisés dans la lutte de classe et dans l'élaboration du programme de cette lutte.

La méconnaissance de la notion, de la nature du parti devait amener les CR – à peine sortis du trotskisme et avant même d'affronter sérieusement l'étude théorique critique de leur propre expérience qu'ils venaient de faire – à recourir, dans l'obscurité politique totale, à une scission et à la formation d'un groupe CR dissident.

La grande confusion qui règne est la punition inévitable et méritée des CR. Nous avons donc 2 organisations qui s'intitulent CR et qui publient 2 organes s'appelant tous deux "Pouvoir Ouvrier" et dont on discerne très difficilement les positions politiques qui les divisent et justifieraient cette division. Les injures et les anathèmes proférés par les CR officiels contre les dissidents ne sont nullement faits pour dissiper la confusion et ne font qu'introduire une atmosphère irrespirable où les termes forts (charlatans, usurpateurs, etc.) tiennent lieu de termes politiques.

Notre critique politique faite au CR officiel semble s'appliquer également aux dissidents dont nous n'avons pu encore discerner une différence politique substantielle. Nous ajouterons toutefois que, si nous ne comprenons pas les raisons politiques de leur scission avec l'organisation officielle, nous réprouvons encore plus catégoriquement leur façon d'agir et leur entêtement à perpétuer la confusion en gardant et le titre de CR et le titre de l'organe "Le Pouvoir Ouvrier".

4° - La Gauche Communiste de France

Je ne dirai que quelques mots sur la GCF. Vous avez pu – au travers de la critique faite au long de mon exposé des différents courants agissant dans le prolétariat en France – vous faire une idée sur les positions défendues par notre fraction.

L'objet de cette conférence n'est pas un exposé détaillé de nos positions, mais de donner un aperçu sur le mouvement ouvrier français et les groupes qui s'y rattachent. En ce qui concerne plus particulièrement notre plateforme et nos positions, les camarades les trouveront dans notre matériel politique, dans nos publications.

Nous rappellerons seulement que la Gauche Communiste est un courant idéologique international dont les bases fondamentales s'inspirent de l'œuvre politique et de l'apport historique de la fraction de gauche qui a donné naissance au PC d'Italie et qui, du vivant de Lénine, s'est distinguée en tant que courant de gauche dans la vie de l'IC.

Le travail critique et théorique de la Fraction Italienne durant ces 25 années est considérable et porte sur tous les problèmes qui se sont posés au prolétariat international durant cette période riche en espoirs, en luttes, en expériences et en défaites.

S'inspirant de ce travail fécond et sur la base de ses positions programmatiques s'est fondée en 1937 la Fraction belge de la GC. En mai 1942, en pleine guerre impérialiste, un groupe de militants français ont publié une "Déclaration de principes" et ont crée un noyau qui s'est donné comme tâche la formation d'une Fraction française de la Gauche Communiste.

En décembre 1944, une conférence constitutive proclama la fondation de la fraction sous le nom de Gauche Communiste de France. Depuis, notre effort porte, à la fois et d'une façon indissociable, dans la participation à la lutta quotidienne du prolétariat français, lutte dans laquelle nous nous efforçons de faire pénétrer les solutions historiques de classe, et dans l'élaboration théorique de fondement du programme qui, avec la maturation des situations objectives, constituera la base du Parti de demain et de la Révolution prolétarienne.

 

CONCLUSION

L'examen des différents groupes et courants qui s'agitent au sein de la classe ouvrière en France fait ressortir cette première constatation, que la vague de chauvinisme – qui a noyé en août 1944 toute manifestation ouvrière – tend à décroître et que l'influence des partis chauvins diminue.

Le mécontentement des ouvriers dû à la pénurie du ravitaillement, à la poursuite de la guerre impérialiste, à l'aggravation des conditions de vie des ouvriers, ira grandissant.

Hier, le capitalisme français trouvait dans l'occupation allemande un moyen de dévier les ouvriers, de leur action de classe vers la lutte contre l'envahisseur. Ce tampon n'existe plus et le capitalisme ne peut plus rejeter sur les pilleurs étrangers le rationnement de famine octroyé aux ouvriers. Les bobards sur les vichyssois, sur la 5ème colonne s'usent chaque jour un peu plus. Les ouvriers perdent, dans la dure réalité, les illusions sur la reconstruction nationale et les réformes de structure. La tendance vers la gauche, c'est-à-dire la tendance vers la reprise de la lutte par des moyens de classe, ira en s'accélérant.

Avec le développement des mouvements révolutionnaires du prolétariat allemand, se produit un réveil de la lutte du prolétariat des autres pays et de France. Cette lutte - tout en gardant à certains moments et par endroits un caractère syndical, c'est-à-dire une lutte pour les revendications sur les lieux de travail, pour l'augmentation du salaire et la diminution de la journée de travail – s'élargira et dépassera par son contenu les cadres et la plateforme strictement syndicale pour poser des revendications plus larges à caractère social général, pour le ravitaillement, pour les vêtements, pour des habitations pour les chômeurs, pour la solidarité internationale, contre la poursuite de la boucherie impérialiste.

Dans l'orientation et la généralisation de la lutte, le prolétariat trouvera face à lui non plus le patronat mais se heurtera directement à l'Etat capitaliste.

La perspective internationale est le rebondissement, la recrudescence de la lutte sociale. Dans cette perspective générale, le prolétariat français reprendra sa place dans la lutte internationale des prolétaires de tous les pays, pour le triomphe de la Révolution Communiste mondiale.


[Fraction interne du CCI]