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Notre politique à l’égard du camp prolétarien et de la Tendance Communiste Internationaliste
Depuis la constitution de notre groupe en 2013, beaucoup s’interroge sur notre politique vis-à-vis de la Tendance Communiste Internationaliste (TCI). Pourquoi appelons-nous au regroupement autour d’elle sans la rejoindre ? Bien souvent, derrière la question, on trouve aussi des interrogations sur notre démarche : soit elle serait comprise comme d’ordre démocratiste ou encore comme un renoncement au développement numérique de notre groupe ; soit elle ne serait qu’une manœuvre tactique souterraine pour s’attirer les bonnes grâces de la TCI. En outre, autre facteur potentiel de confusions et d’incompréhensions, viennent s’ajouter les récentes attaques que le CCI a lancées contre la TCI et nous-mêmes. Parmi celles-ci, il s’est permis de publier des petits mails qu’il avait pu échanger avec la TCI en 2019-2020 à propos du groupe espagnol Nuevo Curso. Ces mails ont été publiés sans le consentement de la TCI ce qui en dit long sur les pratiques et les buts du CCI actuel. D’autant que le correspondant de la TCI précisait que « c’est mon opinion personnelle, mais je la défendrai dans nos discussions. » [1] Ces mails reproduisaient quelques considérations négatives d’ordre psychologique sur notre groupe et ses intentions. Dans la mesure où elles sont dorénavant publiques, nous pouvons rappeler celles qui nous intéressent ici pour nos lecteurs peu au fait des vicissitudes du camp prolétarien : « La GIGC a cessé de ’flatter’ la TCI depuis quelque temps. Elle l’a remplacée par un chantage selon lequel la TCI doit ’assumer ses responsabilités’ » [2]
Avant de revenir sur notre orientation politique, il convient de rassurer tous ceux qui pourraient s’inquiéter d’une possible détérioration de nos relations de confiance avec la TCI avec cette publication – n’était-ce pas là le but du CCI ? D’abord, précisons que nous connaissions ces mails qui nous avaient aussi été envoyés à l’époque. Nous avions alors écrit un courrier à la TCI et nous avions pu clarifier ensemble sur la nécessité de distinguer entre ce qui touchait à des différences politiques et ce qui touchait à des considérations subjectives sur les supposées intentions de chacun. Nous y avions répondu publiquement, mais indirectement, dans Révolution ou guerre #16 de septembre 2020 dans un article intitulé Contre les ragots sur les réseaux sociaux et pour les débats politiques publics [3] :
« Ces pratiques et l’usage de critères psychologiques et personnalisés dans les relations politiques entre groupes communistes offrent un terrain privilégié pour les forces opportunistes et liquidationnistes tel le CCI de la Décomposition et du Parasitisme. Que celui-ci s’engouffre dans la brèche ouverte par les considérations d’ordre psychologique, non politique, terrain même de sa théorie du parasitisme, ne doit étonner personne : il l’avait annoncé lors de son dernier congrès international et nous en avions averti l’ensemble du camp (cf. RG #12). Il faut lui reconnaître cette « qualité », le CCI liquidateur est conséquent. Il poursuit avec constance son objectif de destruction du camp prolétarien. (...)
Qu’on nous lise bien et nous juge sur ce que nous écrivons.
Non, nous ne reproduisons pas les textes de Nuevo Curso [4] ou de la TCI, ou autres, par tactique opportuniste, pour les amadouer, les flatter ou gagner leur sympathie. Non, nous ne continuons pas à défendre que la TCI reste encore la seule force matérielle en situation d’exercer le rôle historique et international de pôle de regroupement afin d’exercer un chantage sur celle-ci (incroyable, non ?).
Oui, nous continuerons à débattre et à essayer de confronter les différentes positions comme nous essayons de le faire en notre propre sein. Avec ou sans les autres forces communistes. C’est une nécessité pour nous. Mais ça l’est tout autant pour les autres forces communistes quoiqu’elles puissent en penser et même si cela doit déranger le train-train quotidien et le confort des certitudes absolues. Débats et confrontations politiques sont le sang qui doit irriguer les corps politiques communistes. Au risque de la thrombose dans le cas contraire. À terme, une question de vie ou de mort donc. »
Ce point clarifié et qui devrait rassurer lecteurs, sympathisants, militants, et très certainement nos amis du CCI lui-même, sur l’état de nos relations avec la TCI, revenons sur notre politique de regroupement.
Comment se formèrent les partis prolétariens du passé
L’histoire du mouvement ouvrier nous enseigne que les partis politiques du prolétariat ne se forment pas à partir d’un seul courant ou organisation qui croîtrait progressivement jusqu’à devenir le parti. Elle nous enseigne que sa formation se fait par un regroupement de plusieurs courants et groupes autour d’un pôle particulier qui joue le rôle de facteur actif, central et déterminant dans ce processus et ce combat politiques. Il ne s’agit pas d’un processus qui se voudrait « démocratique », « fédérateur » ou encore « égalitaire » entre courants politiques. Il s’agit d’un processus et d’un combat qui expriment à la fois l’hétérogénéité de la conscience de classe dans le prolétariat lui-même, et dont les différents courants, cercles, groupes, organisations, partis politiques prolétariens sont des expressions ; et la dynamique d’homogénéisation de cette conscience au fur et à mesure que le prolétariat s’unifie dans la lutte contre le capital, et dont les courants, groupes, partis politiques communistes sont les principaux facteurs et vecteurs. La 1er Internationale se forme autour du pôle représenté par Marx et Engels ; la seconde autour de la sociale-démocratie allemande ; la troisième autour du parti bolchevique.
Il en va de même pour les partis au plan national. Si nous prenons l’exemple de la formation des partis communistes, le parti communiste de Russie se fonde, officiellement en 1918, autour de la fraction bolchevique et intègre d’autres courants, celui de Trostky en particulier. Le parti allemand se constitue autour de la Ligue Spartacus de Rosa Luxemburg et Karl Liebneckt et intègre d’autres courants tels les Gauches de Brême et autres. Le parti italien se constitue autour de la Fraction abstentionniste réunie autour de la figure de Bordiga et intègre différents courants dont les Ordinivistes de Gramsci. Nous constatons ce phénomène se reproduire pratiquement dans tous les procès qui mènent à la constitution des partis communistes adhérant à l’Internationale de 1919 à 1921. Comme on le voit dans le cas allemand, mais aussi dans les cas français ou autres, ce n’est pas toujours le courant le plus à gauche, le plus clair, qui constitue l’axe autour duquel le parti se forme. Sans en faire un schéma absolu, il est fort probable que la constitution du parti mondial du prolétariat de demain parcourra le même chemin. Rien de matériel n’indique dans la situation d’aujourd’hui des forces révolutionnaires qu’il puisse en aller autrement, contrairement à la position classique du « bordiguisme » qui pense qu’il est déjà le parti de demain et se refuse à envisager toute participation des autres courants à sa formation.
Le camp prolétarien après 1968
Dans les années 1970, le Parti communiste international « bordiguiste » et le Courant Communiste International représentaient les deux principaux pôles de regroupement international. Et cela tant par leurs positions programmatiques et politiques, par leur présence internationale croissante, leur dynamisme militant, et par leur revendication des fractions de la Gauche communiste issues de l’Internationale communiste. Le fait que ces deux organisations se soient alors développées en nombre de militants et de sections territoriales sur plusieurs continents était la manifestation de l’attrait politique et historique que ces deux courants exerçaient sur les forces révolutionnaires émergentes. La régularité et le sérieux de la revue Programme communiste du PCI servit de référence et d’outil de formation pour nombre de militants, y compris d’autres courants. Il en fut de même, peut-être à un degré moindre, pour la Revue internationale du CCI. Le Partito Comunista Internazionalista publiant Battaglia comunista et Prometeo n’était alors qu’une organisation quasi inconnue hors d’Italie. Ce ne fut véritablement qu’avec la tenue des conférences de la Gauche communiste à la fin des années 1970, puis à partir de son regroupement avec la Communist Workers Organization dans le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) en 1983, que le courant « daméniste », du nom de son membre le plus connu, Onorato Damen, devint à son tour un véritable pôle de regroupement international.
L’explosion du PCI « bordiguiste » lors de sa crise interne de 1982 en de multiples petits groupes, chacun se revendiquant comme le parti, et l’inadaptation de ses positions programmatiques à la période – soutien aux luttes de libération nationale, reconquête des syndicats et, surtout, le parti substitut à la classe (pour faire simple ici) – fait que ce courant est encore aujourd’hui incapable, sans doute pour toujours, de jouer un quelconque rôle de référence et de regroupement international [5]. Si jusqu’à la fin des années 1980-début 1990, le CCI représentait encore un pôle, le principal alors, jusqu’à intégrer encore des dizaines de militants et constituer de nouvelles sections au Mexique et en Suisse, l’adoption de la théorie de la décomposition et du parasitisme et ses crises internes de 1995 et 2001 firent que cette organisation s’engagea dans une dynamique inverse d’ordre sectaire visant, au nom de la lutte contre le parasitisme, à détruire les autres composantes du camp prolétarien, surtout celles vues comme « rivales ». Et cela au point d’adopter une résolution lors de 16e congrès en 2005 appelant à la destruction du BIPR ! [6]
Situation du camp prolétarien en 2013
Lorsque le GIGC s’est constitué, force nous fut de relever que seul le BIPR, devenu ensuite la TCI, était encore en capacité d’exercer effectivement ce rôle de pôle de référence et de regroupement international. Qu’est-ce qui nous permet de définir qu’un courant ou une organisation peut être, et doit assumer d’être, un pôle ? On ne peut réduire les critères à la seule extension et influence internationales, ni même au nombre de membres. Certes, la capacité militante internationale est sans nul doute un élément – pas toujours lié au nombre de membres par ailleurs, mais c’est là une autre question. Le nombre est surtout la résultante d’autres facteurs qui permettent ce développement militant et numérique ; en particulier la clarté et la cohérence des positions programmatiques et politiques tout comme des orientations générales ; et le lien avec les organisations du passé qui favorise la clarté et la cohérence politiques et vient asseoir « l’autorité politique » du groupe ou de l’organisation.
Il en résultait pour nous que « seule la TCI pouvait (...) constituer ce pôle de référence historique, politique et organisationnelle autour duquel le reste du camp, du parti en devenir, peut et devrait se réunir. (...) Cette place, lui est octroyée par l’histoire, à la fois par le lien organique direct – certes aujourd’hui ténu – avec le Parti communiste d’Italie depuis sa fondation et par l’état des autres courants de la Gauche communiste. Pour notre part, nous n’avons ni ce lien organique, ni le corpus programmatique, ni donc la légitimité et l’autorité politiques, encore moins l’organisation matérielle – dont le nombre de militants n’est qu’un aspect – pour pouvoir prétendre à un tel rôle. Le revendiquer aujourd’hui serait une erreur politique qui ne pourrait que diviser encore plus ce camp, handicaper son regroupement et son unité en procès, et désorienter les nouvelles générations et groupes. » [7]
C’est sur cette approche et compréhension du camp prolétarien et du processus politique menant à la constitution du parti que nous avons dès 2013 élaborer notre orientation vis-à-vis du camp prolétarien. Le fait que la TCI n’ait pas la même conception que nous sur le processus et le combat pour le regroupement et la formation du parti, qu’elle rejetait notre compréhension de son rôle particulier comme pôle de regroupement, fit qu’elle n’assuma pas toujours comme nous le souhaitions la tâche que l’histoire lui donne. Voilà pourquoi, nous avons en plusieurs occasions souligné, et même critiqué, ce qui nous apparaissait comme une insuffisance, voire des erreurs, de sa part. Nous ne pouvons pas revenir ici sur la validité ou non de nos critiques d’alors. Pour autant qu’elles fussent valables, elles n’enlevaient rien à ces moments-là à la place historique que cette organisation occupait alors, quelle que en fut alors la compréhension de ses membres. [8]
La guerre en Ukraine et la… polarisation du camp prolétarien
La guerre en Ukraine, premier pas significatif du capital vers la guerre impérialiste généralisée, n’a pas seulement provoqué et accéléré les dynamiques de polarisation impérialiste, mais aussi… les dynamiques de polarisation en cours au sein du camp prolétarien entre les forces pro-parti qui toutes reconnaissent la réalité et l’actualité de l’alternative historique révolution prolétarienne internationale ou guerre impérialiste généralisée et celles, anti-parti, qui tendent à l’ignorer, voire à rejeter toute poussée vers la guerre et toute dynamique de bipolarisation impérialiste. Le CCI en est l’expression la plus caricaturale. En ce moment charnière, la TCI a su se hisser à la hauteur de sa tâche comme pôle de regroupement en reconnaissant clairement que la dynamique vers la guerre généralisée devenait un facteur central de la situation et axant ses orientations sur cette question ; par exemple, en appelant à la constitution des comités NWBCW au niveau international.
Il est encore trop tôt pour faire un bilan de l’appel de la TCI à ces comités, d’autant qu’il s’inscrit pour toute la période qui vient. Il n’en reste pas moins que l’autorité politique et l’existence organisationnelle internationale de la TCI explique en grande partie l’écho que son appel a reçu au niveau international. Il n’aurait pas pu être de la même ampleur et n’aurait pas rencontré le même succès si un groupe comme le nôtre, ou d’autres, avait été seul à le faire. Cela est venu renforcer notre conviction politique sur la place centrale que la TCI occupe au sein du camp prolétarien aujourd’hui.
Divergence avec la TCI sur la conception du regroupement
Mais qu’entendons-nous par regroupement ? Pour nous, déjà en 2013 et encore aujourd’hui, « parler de processus de regroupement autour du pôle historique et international représenté par la TCI ne veut donc pas dire qu’il faut réduire ce processus à une adhésion pure et simple à la TCI. Si c’est le cas, tant mieux ! Mais ce n’est pas toujours possible, ni même souhaitable en soi, en particulier lorsque subsistent un certain nombre de divergences politiques non clarifiées, c’est-à-dire pour le moins non ‘identifiées’. Un processus de regroupement, du point de vue communiste, présente diverses dimensions dont l’adhésion et le regroupement organisationnel ne sont qu’une expression parmi d’autres ; et bien souvent elles ne sont que la finalité, la dernière étape, le résultat, des autres dimensions. Parmi celles-ci, existe celle, fondamentale, spécialement aujourd’hui, de mener au niveau international des débats autour des positions de ce pôle et de chercher à le renforcer en l’appuyant autant que faire se peut, tant dans son renforcement politique et organisationnel que dans son intervention internationale dans la classe ouvrière et au sein du milieu, ou du camp, révolutionnaire. » [9]
Ici, il convient de mentionner les deux principales divergences que nous avons avec la TCI et qui peuvent sembler incompatibles avec, du moins rendre difficile, notre regroupement formel en son sein aujourd’hui [10] : nos méthodes d’analyse de la lutte des classes et l’intervention des révolutionnaires qui en découle, même si elles tendent à converger du fait de la situation historique [11] ; et la conception du processus de formation des groupes communistes, au final du parti.
Pour la TCI, « la formation de la nouvelle Internationale coïncide avec le développement des forces politiques réelles qui émergent, se coordonnent et mûrissent à l’intérieur de la lutte théorique et politique dans différents pays. » [12] En conséquence, elle estime que « le BIPR [la TCI] n’a pas l’intention d’accélérer artificiellement les rythmes de la fusion internationale des forces révolutionnaires, s’en tenant aux rythmes ’naturels’ de la croissance politique des avant-gardes politiques des divers pays. » [13] Ce faisant, la réalité du fonctionnement et de l’intervention de la TCI aux plans national et local laisse une certaine « liberté » ou « autonomie » aux groupes territoriaux « affiliés », respectant ainsi les rythmes naturels de la croissance politique selon les pays, pour reprendre sa formule. Le risque en est que chaque groupe affilié fasse ce qu’il veut dans son coin sans que le reste de l’organisation le sache et le contrôle : « toute cette affaire et nos discussions avec divers camarades au Canada ont révélé que le GIO, pendant la plus grande partie de son histoire (il s’est affilié à notre tendance en 2001), n’a jamais été une organisation coordonnée, mais un groupe d’individus ayant chacun leur propre conception de notre plate-forme. » [14] (nous soulignons)
Pour notre part, nous considérons que la prochaine Internationale, le parti mondial du prolétariat, devra se constituer immédiatement comme un parti international centralisé, sans phase particulière de développement national ou local – cette dernière ne pouvant et devant se réaliser qu’à partir de la dimension internationale et centralisée. En conséquence, le GIGC fonctionne et intervient d’ores et déjà comme un groupe international centralisé, y compris dans les situations nationales ou locales. Ce faisant, toutes les parties du GIGC – aussi modeste soit sa réalité d’aujourd’hui – se considèrent comme des expressions du prolétariat international, et non d’expériences locales ou nationales. Leur rythme naturel doit être – c’est un combat politique contre le localisme et l’immédiatisme – déterminé par le programme et l’organisation internationale, elle-même expression historique du prolétariat international. Elles fonctionnent et interviennent comme délégation du tout et sous sa direction organisationnelle et politique. Et ses militants doivent se considérer avant tout comme des militants aux responsabilités internationales. Ils ne s’intègrent pas à un groupe local ou national, mais au GIGC comme un tout. Cette centralisation effective nous oblige à adopter d’ores et déjà une véritable méthode de parti dans nos interventions et dans notre fonctionnement interne.
Pour autant, il convient de prendre en compte les arguments et la vision de la TCI. Nous ne les rejetons pas d’un revers de main. Si sa conception peut ouvrir la porte à des positions confuses, voire à des concessions au gauchisme en certaines occasions, elle peut aussi permettre le respect des processus de clarification politique et leur maturation. À condition cependant d’assumer les divergences ou différences en organisant leur confrontation en interne et publiquement. Quant à notre vision centralisatrice « d’entrée », si mal comprise ou « appliquée de manière dogmatique », elle peut mener à vouloir imposer l’unité politique par décret, voire par discipline, sans laisser les questions se clarifier et la maturation des positions s’accomplir dans les différentes parties de l’organisation. Et ainsi « créer » une unité politique superficielle ou artificielle, de façade, qui s’effilochera, voire explosera, au moindre coup de vent de l’histoire.
Pour ceux qui s’interrogent, les conditions pour un regroupement aujourd’hui signifierait que la TCI puisse accepter en son sein des militants qui interviennent sur toutes les questions internationales et nationales et débattent – critiquent éventuellement – telle ou telle intervention locale ou nationale. En particulier sur … l’analyse des situations et sur les interventions dans les luttes ouvrières. Pour l’heure, nous entendons nous considérer comme une organisation-sœur – une sorte de fraction ou tendance puisque nous partageons le même corpus programmatique et les mêmes frontières de classe – de la TCI qui, tout en soutenant les positions communes et en développant ses positions propres, n’hésite pas à débattre les divergences politiques en essayant que ce soit le plus positif possible pour la TCI, nous-mêmes et l’ensemble du camp.
Notre orientation pratique et la divergence
Face aux incompréhensions et désaccords que la TCI exprimait sur notre politique d’une part et, d’autre part, face aux relations délétères et d’hostilité que le groupe affilié à la TCI au Canada à l’époque développaient envers notre groupe dès sa constitution [15], nous lui avions dès 2014 précisé nos orientations vis-à-vis d’elle dans un courrier :
« Dans la mesure où nous considérons que la TCI reste le ’seul pôle de regroupement international’, dans la mesure où si le GIGC entend regrouper autour de lui, il continue à penser qu’il serait contre-productif (anti-regroupement pour reprendre votre expression) à ce jour de vouloir aspirer à être un autre pôle international, nous ferons tout ce qui nous semble nécessaire pour à la fois rassembler autour de la TCI, comme pôle, ou axe si vous préférez, et pour aussi essayer de convaincre celle-ci d’assumer cette tâche malgré elle si l’on peut dire. Conséquences :
nous continuerons à soutenir la TCI lorsqu’elle développera des prises de position et des interventions justes (par exemple en reprenant ses articles, ou tracts, sur notre site web, voire dans des diffusions, ou bien encore en appuyant et l’aidant lorsqu’elle voudra développer une intervention tel les réunions publiques en France ou au Canada, voire dans tout autre pays où le GIGC pourrait se développer et intervenir) ;
nous développerons un peu plus qu’auparavant (que les fractions [16]) nos critiques fraternelles – c’est-à-dire en soulignant nos points fondamentaux d’accord – sur des questions théoriques, politiques et même ’organisationnelles’, avec lesquelles nous sommes en désaccord comme nous avons commencé à le faire dans le numéro 2 de la revue avec notre introduction au texte sur l’anarchisme à propos de l’article de la CWO ;
enfin, nous critiquerons fermement et publiquement, en fonction de nos orientations et priorités générales d’intervention, les positions et les ’aventures’ de type gauchiste que la TCI (ou certaines de ses parties) peuvent développer parfois, en particulier le GIO... » (lettre à la TCI du 14 octobre 2014)
Le lecteur habitué à nous lire ou qui jette un œil aux sommaires des 25 numéros de la revue ne pourra que constater la constance de cet effort et de notre politique depuis notre constitution. On peut ne pas être d’accord avec elle. On peut estimer qu’elle a été mal appliquée en telle ou telle occasion. Mais on ne peut pas dire qu’elle fut aléatoire et sujette à des retournements manœuvriers ou d’ordre immédiatiste – bien au contraire –, même lorsque les faits et les événements pouvaient sembler nous contredire.
Comment avons-nous développé cette orientation ?
Nous n’avons eu de cesse de reproduire les prises de position de la TCI avec lesquelles nous étions d’accord, tracts, déclarations, articles, au point de choisir de soutenir et d’appuyer telle ou telle prise de position au lieu de publier « notre propre » article ou tract alors que nous aurions défendu fondamentalement la même position. Et nous avons réussi à établir une relation de confiance et de soutien mutuel, y compris concret, en particulier au Canada et en France. Pour ce qui est de la deuxième orientation, nous avons à plusieurs reprises soulevé des points de débat et de clarification à partir de différences d’analyse ou autres. Plusieurs débats exposant les positions respectives ont ainsi pu être menés portant sur la question du parti, des « groupes intermédiaires », sur l’intervention des révolutionnaires, sur la période de transition, sur la méthode d’analyse de la situation et du cours de la lutte des classes... [17]
Beaucoup pensent que ces débats ne servent à rien s’ils ne se concluent pas immédiatement par une adhésion à une des deux thèses. Quelle erreur. En guise d’exemple, prenons le débat sur la méthode d’analyse de la situation et du cours historique, concept et notion que la TCI rejette et critique comme étant idéaliste. On peut se référer à Révolution ou guerre #11 et 21-22. Ce débat renvoie à la fois à la méthode d’analyse mais aussi à la question du parti, de sa responsabilité en tant qu’avant-garde politique du prolétariat et donc aussi à son intervention dans les luttes prolétariennes. En nous permettant de mieux saisir la critique et les arguments de la TCI, il nous a permis de préciser et même clarifier notre propre méthode et quelques points particuliers sur la question – en particulier à veiller à ne pas tomber dans toute forme d’idéalisme ou encore de dogmatisme sur cette question. Ces débats permirent aussi de préciser que la guerre impérialiste généralisée n’était pas la simple addition des guerres impérialistes locales que certains textes de la TCI tendaient à ne pas distinguer. Depuis cette question a été tranchée et clarifiée par la guerre en Ukraine et le pas vers la guerre généralisée qu’elle exprime, jusqu’à faire que les positions de nos deux organisations sur la situation historique actuelle, sur l’alternative historique qui se présente et sur comment elle se présente, soient très proches, sinon similaires.
Enfin, et heureusement, nous n’avons eu que peu d’occasions ces dernières années de critiquer des prises de position faisant des concessions au gauchisme. Seule la prise de position et l’intervention du groupe nord-américain, tout juste constitué – l’IWG –, lors des manifestations faisant suite au meurtre de G. Floyd nous avaient particulièrement inquiétés au point de faire l’objet d’une prise de position critique dans RG#18, Quel avenir pour la revue 1919 de la TCI en Amérique du nord ? Publication de la Gauche communiste ou cheval de Troie du gauchisme ? [18] Depuis, cette revue n’a plus présenté de telles erreurs d’ordre gauchiste et nous l’avons signalé dans RG#23 dans notre article de salut à Bilan et perspectives. [19]
Comme on le voit donc, il n’y a rien de surprenant, ni que nous n’ayons pas annoncé à l’avance dans notre orientation et dans sa déclinaison selon les moments et les situations. De plus, rien n’est venu démontrer l’inanité de la première, ni l’inefficacité de la seconde. Et la situation ouverte avec la guerre en Ukraine, la marche vers la guerre à laquelle seul le prolétariat peut s’opposer en détruisant le capital, n’a pas rendu obsolètes conception et orientation. Bien au contraire. En conséquence, que nul ne soit étonné ou surpris de notre politique et de son application tant vis-à-vis de la TCI que du camp prolétarien comme un tout – que nous ne pouvons pas aborder ici. Aucune manœuvre tactique, flatterie, chantage, ou autre dans notre politique vis-à-vis de la TCI et, plus largement, du camp prolétarien. Et autant prévenir de nouveau : tant que la situation historique et celle du camp resteront fondamentalement déterminées par le cours actuel et que la conformation de ce dernier restera la même, nous n’entendons pas en changer et continuerons à essayer de la mettre en place et à la développer au mieux.
Le camp prolétarien en tant que lieu privilégié du combat pour le parti
Si le combat pour le parti politique du prolétariat est au centre de ses activités et interventions, le GIGC n’est pas le parti. Il n’est qu’une composante parmi d’autres du camp prolétarien au sein duquel les forces appelées à le former vont se définir, se dégager et se sélectionner non pas sur la base de leur croissance numérique en soi, mais sur la base de leurs programmes, positions politiques et capacités d’intervention effectives dans les luttes prolétariennes. Appartiennent de fait à ce camp, les forces et courants politiques qui se revendiquent toujours des principes de l’Internationalisme prolétarien – « les ouvriers n’ont pas de patrie » – et de la dictature du prolétariat – « le renversement violent de tout l’ordre social passé »1 – et ne les ayant pas trahi dans le passé ; qui prônent l’indépendance et l’opposition de classe du prolétariat face au capital et à ses forces politiques ; rejettent tout soutien quelconque à telle ou telle fraction bourgeoise – y inclus de gauche –, tout frontisme anti-fasciste ou autre, toute forme de nationalisme, tout caractère soi-disant socialiste de l’ex-URSS stalinienne ; et qui reconnaissent que, bien plus que la Commune de Paris en 1871, la Révolution russe de 1917 fut la première véritable expérience d’exercice de la dictature du prolétariat à valeur universelle.
Cet espace politique prolétarien est, de fait, le lieu privilégié de la confrontation et de la clarification politiques entre forces et courants politiques de la classe, condition préalable et indispensable à l’élaboration et l’adoption des principes et positions, du programme et de la plateforme, du parti. Constitué de groupes, cercles et organisations aux positions et traditions politiques différentes, sa dynamique est définie principalement par l’évolution du rapport de forces, l’opposition et la confrontation, entre ce que Lénine définissait comme les forces pro-parti et anti-parti. Avec l’intervention dans les luttes ouvrières, le camp prolétarien est l’autre champ privilégié de l’intervention et du combat que le GIGC développe en vue du regroupement des forces militantes et de la formation du parti. »
Notes:
[1] . Dans cet échange de mails entre le CCI et la TCI (https://fr.internationalism.org/content/11176/gaizka-et-tci-aventurier-doit-il-etre-denonce-publiquement), tout lecteur attentif (et qui aurait le désir de suivre tout cela de très près, quelqu’un faisant œuvre d’historien des aléas de la Gauche communiste) relèvera comment le CCI exerce de fait une pression constante et progressive pour que la TCI dénonce le GIGC...
[2] . (idem.)
[4] . Pour juger de notre politique à l’égard du groupe Nuevo Curso, nous invitons le lecteur à se référer aussi à notre critique de sa position et de celle Munis dont il se revendique, sur la guerre d’Espagne (RG #15, http://www.igcl.org/Espagne-1936-peut-il-y-avoir-une) et sur notre dernière prise de position sur l’évolution récente de ce groupe, La fuite erratique dans l’activisme du groupe Emancipación (Nuevo Curso), dans RG #24 (http://www.igcl.org/La-fuite-erratique-dans-l)
[5] . Le développement relatif d’ Il partito comunista - The Communist Party [le nom de ses publications], le PCI dit « florentin », aux États-Unis ces dernières années ne nous semble pas modifier profondément ce constat et cette tendance. Nous ne pouvons pas développer ici.
[6] . « Il faut que l’organisation soit la plus claire et homogène sur le but de notre politique vis-à-vis du BIPR : ce qui importe est de discréditer le BIPR … qu’il disparaisse sur le plan politique. Si cette politique aboutit à sa disparition physique, c’est tant mieux (…) il faut utiliser les difficultés du forum du BIPR pour le discréditer (…) si on dit que le milieu politique prolétarien a une attitude destructrice vers les nouveaux éléments, notre attitude doit être différente, il faut les mettre hors d’état de nuire… » Ce document ne fut jamais rendu public, et pour cause ! Il fut remis à la Fraction Internationale de la Gauche Communiste (ex-FICCI) qui la publia dans son Bulletin communiste international #6 : http://fractioncommuniste.org/fra/bci06/bci06_3.php.
[7] . Révolution ou guerre #12, 2019, La bataille pour la reconfiguration du camp prolétarien est lancée (http://www.igcl.org/Ce-numero-de-la-revue-est-un)
[8] . Nous renvoyons le lecteur intéressé à l’éditorial de notre revue 12 (cf. note précédente) pour une présentation rapide de notre principal critique d’alors.
[9] . RG #1, Correspondance sur le regroupement des révolutionnaires (http://www.igcl.org/Correspondance)
[10] . Comme nous le précisons dans l’article précédent sur Les dix ans d’existence du GIGC, la plateforme que nous avons adoptée n’est pas en contradiction avec celle de la TCI – contrairement à celle du CCI. Nous pensons que la nôtre est plus cohérente et plus précise dans la présentation et la compréhension des frontières de classe et qu’elle est plus adaptée et répond mieux aux enjeux historiques de la période actuelle des années 2020. Il en résulte que, selon nous, les deux plateformes ne seraient pas en soi un obstacle au regroupement formel dans les rangs de la TCI si la situation l’exigeait et si les conditions le permettaient.
[11] . cf. par exemple dans RG #24 le débat que nous avons ouvert avec la TCI et Bilan et perspectives, aujourd’hui Groupe révolutionnaire internationaliste, sur l’analyse des luttes ouvrières en France et en Grande Bretagne et sur l’intervention des communistes : http://www.igcl.org/2e-tract-de-Bilan-et-Perspectives et http://www.igcl.org/Suite-de-la-correspondance-avec-B.
[12] . Nous soulignons. La vision n’est pas toujours claire dans ses rangs au point que la traduction française de ce texte défend que “la nouvelle Internationale ne devra pas non plus longtemps rester une Fédération de partis” comme si elle devait passer par une étape fédérative. Les autres versions rejettent explicitement cette vision : Vers la nouvelle Internationale (https://www.leftcom.org/fr/articles/2000-10-01/vers-la-nouvelle-internationale), texte que l’on peut qualifier de « programmatique » de la TCI (https://www.leftcom.org/fr/articles/2000-10-01/vers-la-nouvelle-internationale).
[13] . Idem.
[14] . Déclaration de la TCI sur la dissolution du GIO, son ancien groupe au Canada, 2016, (https://www.leftcom.org/en/articles/2017-01-06/ict-statement-on-the-dissolution-of-the-gio-canada)
[15] . En plus de développer une hostilité ouverte à notre égard, certains membres du premier GIO ont développé des pratiques douteuses et des positions souvent confuses et parfois gauchistes.
[16] . « Les fractions », c’est-à-dire la Fraction interne du CCI (FICCI) et à la Fraction internationale de la Gauche communiste (FIGC), celle-ci ayant pris le relai de la première en 2010. Son site reste toujours ouvert afin de laisser à disposition les 60 numéros de son Bulletin communiste pour tous ceux qui auraient besoin de s’y référer : http://fractioncommuniste.org/.
[17] . Dans les numéros 7, 8, 9, 10, 11 17, 21, 22 et 24.