Révolution ou Guerre n°12

Numéro spécial : Sur le camp prolétarien et son devenir - juillet 2019

PDF - 381.4 ko

AccueilVersion imprimable de cet article Version imprimable

La bataille pour la reconfiguration du camp prolétarien est lancée

Ce numéro de la revue est un numéro spécial entièrement dédié à la situation du camp prolétarien, c’est-à-dire des forces politiques révolutionnaires qui se revendiquent de la Gauche communiste internationale. Nous reprendrons le fil normal de notre revue et de sa fréquence dès octobre avec un sommaire plus équilibré qui essaiera de répondre à la fois à la situation et aux questions auxquelles se trouve confronté le prolétariat international dans ses luttes et aux débats politiques et théoriques au sein de ce camp qui constitue, en fait, le parti communiste mondial en devenir.

La bataille pour la reconfiguration du camp prolétarien, du parti en devenir , est lancée

Pourquoi dédier tout un numéro de notre revue à l’état des forces communistes dont l’influence et l’impact sur la situation immédiate semblent si faibles ? D’une part, parce qu’en tant qu’expressions les plus hautes de la conscience de classe [1], les groupes de la Gauche communiste internationale sont un élément, produit et facteur, de la situation mondiale, de l’évolution du rapport de forces entre les classes. Que leur influence directe sur les luttes prolétariennes et la situation soit plus ou moins importante, souvent insignifiante à première vue, ne change rien au fait qu’ils sont une expression de la réalité de ce rapport de forces. D’autre part, parce qu’après des décennies de conformation (relativement) stable, une reconfiguration du camp prolétarien est en cours avec l’émergence d’une nouvelle génération et de nouvelles forces communistes et l’épuisement relatif de la vieille génération et des groupes politiques qui s’étaient développés après 1968.

La situation historique actuelle, depuis la crise de 2008 et l’exacerbation des contradictions capitalistes à tous les niveaux, en premier lieu au plan des rivalités impérialistes et des antagonismes de classe, exerce aussi une pression croissante sur ce milieu, en particulier sur ses forces les plus dynamiques, celles partidistes qui s’inscrivent dans le combat historique pour le parti et l’exercice politique de la dictature du prolétariat. Elle exige de ces forces plus et mieux. Elle les met face à leurs responsabilités. Elle en souligne les faiblesses et manques. Et elle favorise l’émergence de nouvelles forces et énergies révolutionnaires qui cherchent et trouvent dans la Gauche communiste une cohérence théorique et politique et un cadre programmatique pour leur engagement. C’est ainsi qu’a surgi Nuevo Curso [2] en Espagne, défendant avec brio les positions de classe, débordant de dynamisme – son blog publie pratiquement une prise de position par jour –, avec une démarche politique certes particulière. Dans sa foulée, animés et encouragés par son dynamisme, en particulier en Espagne et sur le continent américain, sud et nord, de jeunes militants et groupes ont commencé à discuter et à se regrouper. Une véritable dynamique de discussion et de regroupement s’est alors développée tout spécialement autour de groupes, parmi d’autres, comme le Workers Workers Offensive [3] et le Gulf Coast Communist Fraction [4]. C’est tout naturellement que cette nouvelle génération de militants sans expérience s’est tournée vers la Gauche communiste internationale, et tout particulièrement vers sa principale organisation, la Tendance Communiste Internationaliste (et à un degré moindre vers notre propre groupe). D’autres jeunes camarades des États-Unis se sont aussi rapprochés du courant dit ’bordiguiste’ en rejoignant un de ses groupes. Mais à leur tour, en tant qu’expressions particulières du développement de la situation, ces nouvelles forces interpellent et questionnent les groupes et courants historiques du camp prolétarien en les mettant directement et concrètement devant leur responsabilité et en les mettant à l’épreuve.

Au sein de ce camp prolétarien, le courant dit ’bordiguiste’ est dispersé en une multitude de petits groupes depuis l’explosion du Parti communiste international-Programme communiste au début des années 1980. Les raisons fondamentales de celle-ci, au-delà des aléas de la crise organisationnelle d’alors, étaient dues à l’inadaptation de ses positions politiques de base - soutien aux luttes de libération nationale, défense du syndicat rouge... Le Courant Communiste International est entré, de manière ouverte depuis au moins 2001, dans un processus opportuniste qui révise une à une ses positions de base et le marxisme. Ces deux courants sont aujourd’hui incapables, pour des raisons de nature différente, de répondre aux questionnements, besoins et exigences légitimes des jeunes générations – c’est surtout vrai pour le CCI. Si des groupes s’inspirant plus de la tradition de la Gauche dite ’hollandaise’ – ils ne sont pas toujours conseillistes – avaient pu survivre, voire surgir, après la fin des années 1960, ils ont aujourd’hui disparu et, de fait, leur cadre programmatique ne leur permettait pas de pouvoir servir de pôle autour duquel de nouvelles forces et, plus largement, le camp comme un tout pouvait s’articuler, voire même se regrouper.

À ce jour, seule la TCI pouvait, et peut toujours, constituer ce pôle de référence historique, politique et organisationnelle autour duquel le reste du camp, du parti en devenir, peut et devrait se réunir. Ce point – que nous ne cessons de défendre depuis notre constitution – est d’autant plus difficile à faire prévaloir et comprendre que la TCI elle-même hésite fortement à assumer ce rôle et parfois même y tourne le dos. Pourtant, ce rôle, cette place, lui est octroyé par l’histoire, à la fois par le lien organique direct – certes aujourd’hui ténu – avec le Parti communiste d’Italie depuis sa fondation et par l’état des autres courants de la Gauche communiste. Pour notre part, nous n’avons ni ce lien organique, ni le corpus programmatique, ni donc la légitimité et l’autorité politiques, encore moins l’organisation matérielle – dont le nombre de militants n’est qu’un aspect – pour pouvoir prétendre à un tel rôle [5]. Le revendiquer aujourd’hui serait une erreur politique qui ne pourrait que diviser encore plus ce camp, handicaper son regroupement et son unité en procès, et désorienter les nouvelles générations et groupes.

Malheureusement, au lieu d’encourager le développement d’un milieu ouvert aux débats et à la confrontation politiques, la politique de regroupement de la TCI en Amérique du nord s’est très vite réduite et centrée sur les seuls éléments qu’elle a jugé pouvoir intégrer rapidement dans ses rangs. Cette politique fut même revendiquée dans un article de la CWO en novembre 2018, c’est-à-dire au plus fort des débats qui parcourait ce nouveau milieu :

« Tout autour du monde, il est clair que toute une nouvelle génération arrive aux positions de la Gauche communiste et pose de nouveaux défis aux organisations comme la TCI. Établir une position révolutionnaire claire en appliquant le marxisme à la réalité contemporaine est notre point de départ mais nous ne pouvons nous limiter à cela. Comme O. Damen le disait, la politique révolutionnaire ne peut se restreindre à celle d’une machine à écrire’. Ce n’est pas le moment des fractions ou des cercles de discussion. C’est le moment de former partout des noyaux de révolutionnaires et de les faire converger dans la création d’un parti international et internationaliste en préparation des inévitables conflits de classe du future » (The Significance of the German Revolution [6], nous soulignons).

Ce faisant, elle a coupé court au processus ouvert de débat et de clarification politiques qui aurait dû se développer. Et elle a abandonné les camarades et cercles qui semblaient ne pas partager toutes ses positions, provoquant en retour un rejet de leur part de la TCI elle-même que nous avons aujourd’hui le plus grand mal à combattre. La nature a horreur du vide. C’est dans cet espace libéré par la TCI et que personne ne pouvait occuper à sa place, pas même nous, que les principales forces anti-partidistes du moment, celles qui prônent la lutte contre la décomposition et le parasitisme, le CCI et son satellite en parasitisme, Internationalist Voice, se sont dépêchées de s’engouffrer afin de polluer la réflexion et le travail de réappropriation de ces jeunes camarades au moyen du poison destructeur, destructeur des groupes communistes et des convictions politiques des militants, de la théorie du parasitisme.

Nous nous trouvons donc à un moment décisif du combat historique pour le parti, certes à un stade peu avancé de son processus, dont l’issue peut ouvrir la voie à l’établissement d’un camp prolétarien dynamique et renouvelé tendant vers son unité ou bien à une rechute dans la division et le sectarisme. C’est précisément à ce moment crucial que Nuevo Curso-Emancipación a célébré son 1er Congrès alors même que notre groupe tenait sa 2e Réunion générale. Nous publions des extraits du rapport d’activités que nous avons adopté et que nous avons conçu autant comme un rapport d’activités du GIGC que du camp prolétarien comme tout. En particulier, il essaie d’avertir l’ensemble des forces partidistes, anciennes et nouvelles, nous-mêmes bien sûr mais aussi et surtout la TCI, contre le danger de l’esprit de cercle, en particulier tel qu’il s’exprime aujourd’hui à travers les réseaux sociaux et Internet, qui entrave le développement du parti en devenir. Le 1er congrès d’Emancipación marque sa constitution en groupe politique à part entière – ce qui est positif et que nous saluons – mais aussi l’adoption d’une position, sans doute prématurée, qui revendique une continuité historique avec la... 4e Internationale ! Dans le même temps, le GCCF a adopté de nouveaux Points d’unité, publiés ici, suite au débat auquel nous avons participé [7] sur leur première plateforme - et cela malgré le fait qu’il ait été la principale cible de l’offensive sur le parasitisme du CCI.

Enfin, et dans la mesure où le combat pour le parti et le regroupement est aussi un combat contre l’opportunisme, nous publions un courrier à Internationalist Voice exigeant que ce groupe clarifie son attitude dans le camp prolétarien et notre prise de position sur le 23e Congrès du CCI. Nous l’accompagnons d’un texte de la Fraction interne du CCI de 2005 publié dans son bulletin n°30 qui critique la théorie de la décomposition et expose le lien entre celle-ci et la soi-disant lutte contre le clanisme et le parasitisme.

Aux nouvelles forces : le camp prolétarien est aussi un champ d’affrontement entre des forces opposées du fait de la pénétration constante de l’opportunisme politique. À tous : les forces en présence, une gauche encore hésitante et qui se cherche et une droite opportuniste et sectaire tenante de la lutte contre les parasites, sont identifiées. Nul ne pourra échapper à la bataille qui est lancée. Autant l’aborder avec détermination et décision.

Le GIGC, juillet 2019.

Accueil


Notes:

[1. Nous ne pouvons pas expliciter ce point ici qui renvoie au rapport entre la conscience de classe et le parti d’une part et l’étendue de cette conscience dans la classe prolétarienne (cf. par exemple http://www.igcl.org/Sur-la-conscience-de-classe et http://www.igcl.org/Sur-la-Conscience-de-classe-2e-266)

[5. Il en va de même pour d’autres groupes ou cercles, tels Robin Goodfellow ou A Free Retriever Digest, aux positions et origines différentes qui se revendiquent de la Gauche communiste et qui, de fait et selon nous, participent activement ’à leur manière’ et positivement au combat historique pour le parti.

[7. Lettre du GIGC (en anglais), octobre 2018.