Révolution ou guerre n°6

(Semestriel - Septembre 2016)

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Correspondance

La correspondance avec un camarade d’Amérique du Nord qui suit, nous semble intéressante pour deux raisons principales. D’abord, elle révèle les différences entre les pays à tradition syndicale de type ’anglo-saxon’ où, encore aujourd’hui, une grande partie des ouvriers, surtout des entreprises les plus importantes, est obligée d’être syndiquée à la différence des pays à tradition ’latine’ comme en France ou en Italie. Dans ces pays, le fait de ne pas être membre du syndicat ne change rien ni au contrat d’embauche et aux conditions de travail, ni à la possibilité d’être gréviste et de participer aux luttes. Cette différence a souvent provoqué des incompréhensions politiques entre groupes communistes sur l’attitude à tenir vis-à-vis des ’réunions’ syndicales ou sur ce que représentent réellement les assemblées générales (AG) qu’elles soient appelées ou non par les syndicats. L’autre raison est que cette correspondance pose la question du rapport entre la dimension économique et la dimension politique des luttes ouvrières qui est une question à débattre et à clarifier au sein du camp prolétarien.

Courrier d’un sympathisant :

J’ai pris connaissance dans vos bilans de la lutte ouvrière mondiale que vous mentionniez les grèves des syndicats. Est ce que c’est vraiment juste d’associer les grèves d’initiative syndicale à la lutte ouvrière elle même ? Est- ce que cela ne porterait pas à confusion ? Par exemple, le syndicat des patrons pour lesquels je travaille prévoit d’entré en négociation pour la reconduite des convention dans le secteur de l’hôtellerie et fort probablement selon eux qu’il y aura grève car les négociations selon leurs prédictions s’annoncent tendues. Dans cette situation il s’agit nullement de mon initiative ni de celles de mes collègues de travail, nous ne sommes pas en lutte, nous obéissons et c’est à peu près tout. Si on ne prend que les luttes d’initiative ouvrière seulement, je suis pas mal sure qu’il n’y en aurait pas autant dans votre bilan des luttes dans le monde, non ? Ma question serait : peut- on vraiment considérer les luttes d’initiatives syndicales et leur contingents d’ouvriers opportunistes comme étant une expression de la lutte des classes avec le petit mot qui change tout : Aujourd’hui ? Et si oui, pourquoi ?…

YS.

Notre réponse :

Cher camarade YS, nous apprécions ton commentaire critique sur les articles Luttes ouvrières dans le monde de notre revue. Au premier abord, une lutte en dehors du cadre syndical n’est pas automatiquement politique ou révolutionnaire. Elle peut comme c’est le cas des nombreuses grèves en Chine, être seulement une lutte économique, lutte qui reflète les conditions de détériorations de la vie des prolétaires en milieu de travail en ce sens elle est nécessaire mais elle ne remet pas en cause le capitalisme lui-même.

Tu as raison de dire qu’il y a des grèves qui sont à l’initiative des syndicats. Ces grèves sont la plupart d’une journée étalées sur plusieurs semaines ou même des mois. Elles visent à empêcher une grève générale, à diviser les prolétaires par secteur, par région, par pays et par syndicat. Les syndicats montrent ainsi qu’ils sont des organisations de défense du capitalisme et de sabotages des luttes.

Alors pourquoi mentionnons-nous les « grèves de syndicats » dans le monde ? Les syndicats pour garder un minimum de crédibilité sont obligés d’accepter sous la pression de leurs membres certaines revendications de leurs membres ainsi que les moyens d’actions pouvant aller jusqu’à des grèves. Par la suite ils mettront de l’avant les compromis lors des négociations et le sabotage de la lutte. Comme le dit l’introduction d’un des articles sur les Luttes ouvrières dans le monde : « La combativité et la colère continuent à s’exprimer dans tous les pays, sur tous les continents. Mais, pour autant, elles ne réussissent pas à faire reculer les attaques. Parce que la classe ouvrière reste, en général, derrière les mots d’ordre et revendications syndicales et de gauche, c’est-à-dire des mots d’ordre et des revendications contraignant et limitant la lutte au cadre étatique et à l’idéologie capitaliste. Parce qu’elle n’assume pas, à ce jour, le combat contre les sabotages et le dévoiement de ses luttes et contre ces forces qui les mettent en place. Parce qu’elle n’arrive pas à se hisser au niveau du combat politique conscient, c’est-à-dire jusqu’à l’affrontement politique contre toutes les forces de l’appareil d’État bourgeois, particulièrement contre celles qui se ’situent sur le terrain ouvrier’, syndicats, officiels ou ’radicaux de base’, aux forces politiques de gauche et gauchistes ; y compris ceux qui se cachent derrière l’apolitisme et les mystifications démocratiques diverses et variées.  » 

Si nous cherchons la grève idéale ou la lutte idéale en dehors du cadre syndical, nous ne mentionnerons rien. Les luttes actuelles reflètent le niveau de conscience de la classe ouvrière. Ce niveau de conscience se développe au cours des luttes, quelles soient économiques et/ou contrôlées par les syndicats. « Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l’une sur l’autre c’est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution  » (Rosa Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicat, 1906).

Ce qui veut aussi dire que la conscience des ouvriers évolue au cours du mouvement de revendications. Taire ces revendications, ce serait de l’idéalisme, ce serait censurer la combativité et la colère du prolétariat à l’échelle mondiale. Ce serait croire que le niveau de conscience se développe par des prêchi-prêcha. « Mais admettre que l’ensemble ou même la majorité de la classe ouvrière, compte tenu de la domination du capital, peut acquérir une conscience communiste avant la prise du pouvoir et l’instauration de la dictature du prolétariat, c’est tout simplement de l’idéalisme.  » (Marxisme et conscience de classe, http://www.leftcom.org/fr/articles/2002-02-01/marxisme-et-conscience-de-classe)

Fraternellement, Normand

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