(Semestriel - Septembre 2018) |
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Le surgissement de nouvelles forces communistes et le combat pour le parti international
Quoiqu’on puisse en penser à première vue d’un point de vue statique et non historique, l’existence et le développement de ce que nous appelons le Camp prolétarien international, est un élément matériel de toute situation historique. Les groupes se revendiquant de la Gauche communiste qui en constituent la principale composante, sont à la fois le produit de cette situation et un facteur actif de son développement en tant qu’expressions les plus hautes de la conscience de classe prolétarienne. Cela apparaît évident durant les quelques rares périodes révolutionnaires lorsque le parti révolutionnaire, voire les partis révolutionnaires, influence et dirige la lutte prolétarienne. Mais c’est aussi vrai lors des périodes où le prolétariat n’est pas massivement en lutte, voire en période de pleine contre-révolution, et que les révolutionnaires sont dispersés, divisés, réduits à de tout petits groupes ou cercles sans influence directe et immédiate dans la classe révolutionnaire. C’est tout aussi vrai aujourd’hui alors que le capitalisme, pris par la crise et ses propres contradictions, impose misère et sacrifices croissants et cherche à entraîner l’humanité dans la guerre impérialiste et que les prolétaires, dans leur grande masse, ne savent pas comment s’y opposer et même hésitent bien trop souvent encore à le faire.
La réalité, l’action, les forces et faiblesses des groupes communistes, du parti en devenir, sont une donnée essentielle pour comprendre l’état du monde capitaliste et le cours de la lutte des classes. Voilà pourquoi il importe de relever, de saluer et de soutenir l’émergence en cours actuellement de nouveaux groupes politiques se revendiquant de la Gauche communiste, particulièrement aux États-Unis et en Espagne. L’apport de nouvelles énergies, de sang neuf, est à saluer dans deux mesures. Premièrement, avec la crise de 2008 et la montée de la lutte de classe en Grèce et en Espagne par exemple, on aurait pu penser à un développement concomitant des groupes de la Gauche communiste, développement, il faut le préciser, en termes d’intervention et d’influence, non pas en terme numérique. Or, c’est plutôt l’inverse qui se produisit : déliquescence du Courant Communiste International, idéologie défaitiste comme quoi la Gauche communiste aurait fait faillite ayant le vent en poupe (dont la revue Controverses reste l’expression la plus achevée), etc. Dans un deuxième temps, la génération de militants des années 1960-70, génération qui a formé la base de la plupart des groupes historiques [1] de la Gauche communiste, est décimée par le fait que de nombreux militants se sont éteints, le reste étant frappé par la démoralisation politique. Bref, la mise sur pied de nouveaux groupes autour de la revue Intransigence (https://intransigence.org/) [2] et la création de groupes autour de Nuevo Curso (https://nuevocurso.org/) comme la Liga Emancipación (http://emancipacion.info/) est à saluer fraternellement. Cette dynamique fait partie du travail constant des militants communistes pour le regroupement des révolutionnaires en parti de classe.
Se réapproprier l’expérience de la Gauche communiste internationale
La tâche la plus difficile pour les nouveaux groupes communistes est la réappropriation du programme communiste. Il faut voir la réalité en face. Entre la période actuelle et la Révolution d’Octobre de 1917, il y a eu une rupture politique marquée par la plus sombre des contre-révolutions. Seuls quelques petits noyaux communistes ont été en mesure de se maintenir assurant ainsi une certaine continuité politique et programmatique jusqu’à aujourd’hui. Les jeunes générations doivent donc se baser sur cet héritage afin d’éviter de tomber dans l’écueil du modernisme, c’est-à-dire l’idéologie nihiliste qui prétend que tout a failli, y compris donc le marxisme, sauf sa propre nouvelle “théorie”. S’il est trop tôt pour se prononcer profondément sur le groupe Emancipación (Espagne) qui s’est encore peu exprimé, la revue Intransigence #2 (USA) fait belle place aux textes historiques de la Gauche communiste. En effet, y sont publiés un texte de Grandizo Munis [3] et un autre de la Fraction de Gauche du Parti Communiste d’Italie. Et c’est très bien.
D’ailleurs, les positions de base de la revue Intransigence sont des positions typiques de la Gauche communiste. Bien qu’elles soient trop sommaires, par exemple il n’est fait aucune mention du principe de dictature du prolétariat et de la destruction de l’État bourgeois, elles expriment tant bien que mal ce que nous appelons les “frontières de classe”, c’est-à-dire les positions résultantes des plus hautes expériences politiques du mouvement révolutionnaire. Cependant, ces positions doivent être des critères discriminants sinon elles ne sont qu’un vœu pieux. Par exemple, l’article publié du groupe Kontra Klasa de Croatie sur la période de transition est complètement opposé aux positions de base affichées par la revue. En effet, celui-ci sympathise avec la théorie de la communisation [4] et dans l’esprit conseilliste le plus pur, l’article complet ne parle de la transition entre capitalisme et communisme que du point de vue économique sans parler de la question centrale du pouvoir politique ! Or, cette théorie opportuniste, la communisation, est à combattre sans relâche.
Ce qui nous amène à poser la question du regroupement. Oui, il faut se regrouper, mais selon quelle méthode ? Le regroupement ne sera jamais l’addition harmonieuse des différents courants ou tendances du milieu révolutionnaire. C’est là une conception démocratique du regroupement. Au contraire, le regroupement se fera au travers d’un processus, qui d’ailleurs se déroule déjà sous nos yeux de manière embryonnaire, de confrontation politique. Par confrontation politique, nous voulons dire la lutte politique qui se trame dans le milieu révolutionnaire entre la gauche marxiste et la droite opportuniste. Cette démarcation, qui est toujours dynamique et changeante, transcende d’ailleurs les organisations formelles. Il n’y pas d’autres voies vers la constitution du parti.
C’est probablement ici la faiblesse principale de la revue #2 d’Intransigence : il n’y aucune prise de position, ni débat ou confrontation politique, des différents textes publiés. Pourtant quatre groupes différents y participent. On peut logiquement penser qu’ils n’ont pas tous les mêmes positions sur tous les aspects de la lutte de classes. Pourquoi ne pas utiliser la revue comme un outil pour débattre et discuter pour ainsi entamer un processus véritable d’homogénéisation autour d’un courant ou d’un autre de la Gauche ? Le regroupement n’est pas comme un centre commercial où chacun ouvre sa petite boutique pour y vendre sa petite marchandise.
Les groupes communistes : expressions d’un prolétariat local ou bien expressions du prolétariat international ?
De même, le regroupement des révolutionnaires doit se faire directement sur le terrain international selon le principe centraliste de l’internationalisme. Nous trouvons donc réducteur qu’Intransigence se place formellement que sur le terrain nord-américain. La revue a “spontanément” un caractère international dans la mesure où un groupe croate y participe, mettant ainsi en contradiction la prétention du regroupement seulement en sol américain. Cette question nous paraît être une des difficultés principales auxquelles se trouvent confrontés les nouveaux groupes. Est-ce que les groupes communistes, y compris ceux d’aujourd’hui, et le parti doivent considérer et aborder les situations et les problèmes, généraux et particuliers, à partir du local ou à partir de l’international ?
Qu’ils soient d’entrée un groupe avec une existence matérielle physique internationale, dans plusieurs pays et continents, ou seulement dans une seule ville isolée, ne change pas la problématique politique et la démarche avec laquelle les communistes doivent aborder le problème. Pour répondre à cette question qui touche à la dimension espace, il faut adopter la même méthode que pour la dimension temps : un groupe communiste, a fortiori le parti, doit considérer les situations et les problèmes qui se présentent non pas à partir du point de vue immédiat mais historique, c’est-à-dire à partir du devenir révolutionnaire et communiste du prolétariat international. Il doit aussi aborder et considérer son activité et son intervention tout comme les situations à partir du point de vue international. Les références et les appels à l’internationalisme, certes indispensables, ne suffisent pas et ne restent que des vœux pieux, des abstractions, s’ils ne sont pas alimentés par la vision et une démarche internationale permanente et par la perspective historique de l’insurrection prolétarienne et de la dictature du prolétariat. Ces considérations ont des implications politiques concrètes de tout ordre, y compris dans l’intervention dans les luttes ouvrières immédiates et locales.
De même, les groupes communistes et le parti s’adressent toujours au prolétariat international même lorsqu’ils interviennent dans une lutte spécifique et locale avec des orientations et des mots d’ordre particuliers. Parce qu’armés du programme communiste, et donc ayant en permanence en considération le caractère historique et international de la lutte prolétarienne, ils sont les plus capables, et souvent les seuls, pour précisément pouvoir avancer les orientations et les mots d’ordre les plus efficaces selon les moments et les limites de chaque lutte ouvrière, ’de la plus petite à la plus grande’. Ainsi, tout groupe communiste doit immédiatement se considérer comme une expression du prolétariat international quels que soient les endroits, les lieux, d’où ses membres surgissent et où il peut intervenir directement et physiquement - avec évidemment une responsabilité particulière dans ces endroits. Tout nouveau groupe doit ’tendre’ – ce n’est pas un ’absolu’ que l’on puisse décréter mais un processus d’homogénéité et d’unité politiques autour du programme communiste pour lequel il convient de lutter – à se former et agir comme un groupe international centralisé. Encore une fois, il ne s’agit pas là de pures abstractions, ni même de ’préférences’ en soi d’ordre éthique ou encore de dogmes qui se limiteraient au seul terrain de la forme organisationnelle à adopter, mais du choix de la démarche politique générale et de la méthode d’analyse et d’intervention à utiliser et développer en chaque moment et... lieu, voire de terrain ou sujet de lutte, où l’on peut intervenir. Y compris donc dans le combat pour le parti et sa construction.
Notes:
[1] Pour simplifier, le Parti Communiste International (communément appelé ’bordiguiste’), la Tendance Communiste Internationale et le Courant Communiste International.
[2] Workers Offensive (/www.workersoffensive.org) que nous avions salué dans le numéro précédent de cette revue, le Gulf Coast Communist Fraction (https://gulfcoastcommunistfraction.wordpress.com/) sur lequel nous prendrons position dans la prochaine revue, le groupe américain de la TCI, l’IWG et un nouveau groupe canadien, proche de la TCI semble-t-il, le Klasbatalo Collective.
[3] Il semble y avoir un regain d’intérêt dans le milieu révolutionnaire pour Grandizo Munis et son courant politique, le Fomento Obrero Revolucionario, qui n’a malheureusement plus d’expression formelle. Bien que nous ne nous revendiquons pas “directement” de ce courant, celui-ci se place du point de vue historique résolument au sein de la Gauche communiste.
[4] Théorie ultra-gauche qui prône le passage directe du capitalisme au communisme, évitant ainsi de parler de la question essentielle du pouvoir et de l’État, bref, une version moderne et académique de l’anarchisme.