Révolution ou Guerre n°9

(Semestriel - Février 2018)

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Par quoi remplacer la machine d’État démolie ?

(Lénine, l’État et la révolution, 1917).

(…) Réprimer la bourgeoisie et briser sa résistance n’en reste pas moins une nécessité. Cela était particulièrement indispensable pour la Commune, et l’une des causes de sa défaite est qu’elle ne s’est pas acquitté de cette tâche avec suffisamment de résolution. Mais ici l’organisme de répression était déjà la majorité de la population et non la minorité, comme cela a toujours été le cas, aussi bien en régime d’esclavage ou de servage qu’en cette époque d’esclavage salarié. Or, du moment que c’est la majorité du peuple qui opprime elle-même ses oppresseurs, il n’est plus besoin d’une ’force spéciale’ de répression ! C’est en ce sens que l’État commence à dépérir. Au lieu des institutions spéciales d’une minorité privilégiée (fonctionnaires privilégiés, chefs de l’armée permanente), la majorité elle-même peut s’acquitter directement de cette tâche ; et plus les fonctions du pouvoir de l’État sont exercées par l’ensemble du peuple, moins ce pouvoir devient nécessaire.

Particulièrement remarquable à cet égard, est une des mesures prises par la Commune, et que Marx a soulignée : suppression de tous frais de représentation, suppression des privilèges pécuniers des fonctionnaires, réduction de tous les traitements des fonctionnaires au niveau du "salaire de l’ouvrier". C’est ici justement qu’apparaît avec le plus de relief le tournant de la démocratie bourgeoise à la démocratie prolétarienne, de la démocratie des oppresseurs à la démocratie des classes opprimées, de l’État en tant que "force spéciale" destinée à mater une classe déterminée, à la répression des oppresseurs par la force générale de la majorité du peuple, des ouvriers et des paysans. Et c’est précisément sur ce point, particulièrement évident, – sur la question de l’État, peut-être la plus importante – que les enseignements de Marx sont le plus oubliés ! Les commentaires des vulgarisateurs - ils sont innombrables - n’en disent mot. Il est ’d’usage’ de se taire là-dessus comme sur une ’naïveté’ qui a fait son temps, exactement comme les chrétiens qui, une fois leur culte devenu religion d’État, ont "oublié" les "naïvetés" du christianisme primitif et son esprit révolutionnaire démocratique.

La réduction du traitement des hauts fonctionnaires de l’État semble être "simplement" la revendication d’un démocratisme naïf, primitif. L’un des "fondateurs" de l’opportunisme moderne, l’ex-social-démocrate Ed. Bernstein, s’est exercé maintes fois à répéter les plates railleries bourgeoises contre le démocratisme "primitif". Comme tous les opportunistes, comme les kautskistes de nos jours, il n’a pas du tout compris, premièrement, que le passage du capitalisme au socialisme est impossible sans un certain "retour" au démocratisme "primitif" (sinon, comment faire remplir les fonctions de l’État par la majorité, et puis par la totalité de la population ?) ; en second lieu, que le "démocratisme primitif" sur la base du capitalisme et de la culture capitaliste n’est pas le démocratisme primitif des époques anciennes ou précapitalistes. La culture capitaliste a créé la grande production, les usines, les chemins de fer, la poste, le téléphone, etc. Et, sur cette base, l’immense majorité des fonctions du vieux "pouvoir d’État" se sont tellement simplifiées, et peuvent être réduites à des opérations si simples d’enregistrement, d’inscription, de contrôle, qu’elles pourront être parfaitement accomplies moyennant le “ salaire normal d’un ouvrier ” ; de sorte que l’on peut (et que l’on doit) enlever à ces fonctions tout caractère privilégié, "hiérarchique".

Éligibilité absolue, révocabilité à tout moment de tous les fonctionnaires sans exception, réduction de leurs traitements au niveau du "salaire normal d’un ouvrier", ces mesures démocratiques simples et "allant de soi", qui solidarisent pleinement les intérêts des ouvriers et de la majorité des paysans, servent en même temps de passerelle conduisant du capitalisme au socialisme. Ces mesures concernent la réorganisation de l’État, réorganisation purement politique de la société ; mais elles ne prennent pas naturellement tout leur sens et toute leur valeur qu’au cas où l’’expropriation des expropriateurs’ est réalisée ou préparée, c’est-à-dire au cas où la propriété privée capitaliste des moyens de production devient propriété sociale.

« La Commune, écrivait Marx [dans La guerre civile en France], a réalisé le gouvernement à bon marché, ce mot d’ordre de toutes les révolutions bourgeoises en abolissant ces deux rubriques de dépenses les plus importantes : l’armée permanente et la bureaucratie. »

(Lénine, L’État et la révolution, Éditions sociales, 1946).

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