Révolution ou Guerre n°17

(Janvier 2021)

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L’intersectionnalité : une production idéologique de la pensée dominante

Le concept d’intersectionnalité fait originellement référence au Black feminism [1] dont le terme fut forgé à la fin des années 1980 par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw. L’argumentaire qui va suivre s’adresse directement au prolétariat et à ses forces organisationnelles de la Gauche communiste. Une critique marxiste de cette idéologie s’impose dans la période où l’on voit s’intensifier notamment aux États-Unis, nous y reviendrons, une catégorisation essentialiste des luttes dont la réalité stratégique repose sur les identity politics. Notons que cette idéologie de l’intersectionnalité est une production de ces identity politics, la dimension anti-prolétarienne de cette production se traduit par une exacerbation des catégories essentialistes telles que la lutte antiraciste ou antifasciste comme un tout. Ainsi s’amorce la disqualification de la classe, en l’espèce du prolétariat, comme acteur de la lutte émancipatrice ; nous ne sommes pas là dans une simple manœuvre de substitution des intérêts de la classe mais dans une négation pure et simple de la lutte des classes comme moteur de l’histoire. Cette approche empirique reposant sur l’identitarisme représente en même temps qu’un réel danger quant à la compréhension dialectique du mouvement historique en général, un révélateur de ce que les pratiques gauchistes sont susceptibles de produire en termes de stratégie sur le terrain de la lutte des classes. Il s’agit d’identifier un rapport de domination spécifique consécutif à une condition ou un état culturel, religieux, racial, sexuel en ciblant l’interaction des différents modes de domination. Il s’agit donc d’identifier un état ou une condition particulière, comme fonction d’un identitarisme universalisable.

La centralité de cet article soulève la question de l’usage d’une notion dont le but est d’authentifier une multitude de sous-catégories réifiées. Ces sous-catégories sont critères d’une hiérarchisation dont l’effectivité tient des taximonies dominantes. Nous n’avons pas à céder ou faire une quelconque concession d’ordre académique à l’intellectualisme des agents de la domination se livrant à une étude spéculative de la notion d’intersectionnalité, nous devons en dénoncer la portée, l’incidence sur le terrain des multiples combats menés par le prolétariat.

Précédemment dans notre revue Révolution ou Guerre n° 16 [2], nous avions dénoncé la fausse polarisation racisme/antiracisme dans un article intitulé « Manifestations et campagne électorale en Amérique : La fausse opposition racisme-antiracisme et la menace qu’elle représente pour le prolétariat international ». Cet article s’inscrit dans une critique marxiste de la situation aux États-Unis, situation qui, pour le moins explosive suite à l’assassinat de Georges Floyd, a entraîné une vague de manifestations et des scènes de guérilla urbaine lourdement et sauvagement réprimées par la police. Ces manifestations et la violence qu’elle véhicule interpellent, ce n’est pas non plus un hasard si ces faits se produisent principalement aux États-Unis dans une période où le fossé entre exploiteurs et exploités est de plus en plus important. La pandémie de Covid 19 si elle favorise l’accélération de la crise systémique mondiale du capitalisme n’est pas, comme on veut nous le faire entendre la cause réelle de la crise économique et financière mondiale, cette crise systémique est celle du procès d’accumulation et des contradictions entre surproduction et distribution de plus en plus inextricables.

Si nous devons prêter une attention particulière aux événements quasi quotidiens qui émaillent la vie américaine, c’est justement parce que la situation économique de la première puissance mondiale se trouve dans un contexte de délabrement tel que seule une stratégie de préparation à la guerre généralisée, on le voit notamment dans les diverses stratégies de développement des conflits impérialistes en cours, peut au moins momentanément retarder le processus révolutionnaire et la victoire du prolétariat mondial. Ainsi, les États-Unis doivent être considérés comme le lieu d’une première bataille de l’affrontement de classes et de son développement au niveau mondial. La réponse se trouve sans doute en Europe occidentale où, malgré les attentats terroristes et les campagnes démocratiques et d’union nationale qui les accompagnent, le prolétariat souffre moins des mystifications antiracistes – ce qui n’enlève rien à la réalité et au danger du racisme sur le vieux continent – et, surtout, a l’expérience de la guerre impérialiste généralisée encore fortement présente dans les générations actuelles ainsi que l’expérience de la grève de masse. Mais qui dit cela finalement n’inspire en rien le fait que ce développement ait lieu sous condition d’un prolétariat conscient de ses intérêts, que la lutte de la classe dans son effectivité nous indique que le processus révolutionnaire est enclenché, loin de là. Les événements que nous avons pu suivre indiquent que le mouvement dans la période en cours est d’une tout autre nature. C’est précisément là qu’interviennent les identity politics dont l’intersectionnalité théorise le mouvement comme étant le résultat des contingences raciales, qui nous le savons aux États-Unis, revêtent une signification particulière, conséquence de l’histoire objective de la construction d’un ensemble d’États qui s’est fait en grande partie sur l’esclavage de la population noire.

Ce qui est en partie développé ci-dessous a pour tâche de démontrer, et en particulier aux États-Unis, en quoi et comment cette notion ne sert que les sphères de la domination, en quoi par la catégorisation elle réifie en une multitude de sous catégories en les re-naturalisant l’ensemble des spécificités, des particularismes à seule fin de détourner la lutte de la classe, le prolétariat de son véritable but, la prise du pouvoir et l’instauration de sa dictature. Ces sous-catégories réifiées incluent la classe dans l’ensemble des politics identity, elles essentialisent la classe, elles la sépare de son historicité, elles la nient et s’y opposent. Le mouvement Black Lives Matter est une illustration de cette catégorisation, des sous-catégorisations réifiées de ce qu’on appelle les taxinomies dominantes. Si la notion d’intersectionnalité peut s’avérer complexe, volontairement complexifiée par les divers agents de la domination, son approche et sa vérification sur le terrain de la réalité n’en sont pas moins transparentes. Nous avons dit qu’en tout état de cause, c’est par l’essentialisation et la re-natularisation en une multitude de catégories réifiées, qu’elles soient raciales, culturelles ou sexuelles, que la lutte de classes en tant que moteur de l’histoire est frappée de caducité. Ainsi comprenons que par exemple, l’ouvrière noire est racialement catégorisée, elle est essentiellement cela qui la caractérise, cette essentialité d’être noire ; elle est noire avant d’être ouvrière, ce statut social d’ouvrière n’étant qu’une caractéristique sociale parmi tant d’autres ne constitue pas son essentialité qui, elle (le fait d’être noire), est déterminante quant à sa place réelle dans la société. Elle subit des pressions de domination qui la détermine dans une altérité particulière. L’ouvrière blanche, sous condition de sa race (dominante) est elle-même soumise à la domination (elle est cependant considérée comme privilégiée selon certains tenants de l’intersectionnalité), au même titre que l’ouvrière noire, elle est dominée par un patron en termes de proximité, mais cette domination sous l’angle aveugle de l’idéologie de l’intersectionnalité est d’une tout autre nature et, cette autre nature, relève aussi d’une altérité qui correspond à une catégorie particulière, une sous-catégorie réifiée. On comprend bien que la vraie condition en l’occurrence celle d’être ouvrières conduit à penser la lutte de classe comme moteur de l’histoire dès lors que la classe est déterminée par le rapport d’exploitation et que cette détermination s’inscrit dans un rapport de force. La condition d’ouvrière exploitée est sous les lunettes de l’intersectionnalité extraite de sa contingence socio-économique de femme exploitée par un système de production, elle est expulsée de la classe en tant qu’actrice de celle-ci. Au-delà et conséquemment, c’est la classe elle-même qui est dé-substantialisée de la conscience qu’elle a d’elle-même, c’est le fait social qui est lui-même dé-substantialisé. Ce n’est rien d’autre qu’une opération d’atomisation du prolétariat confronté au particularisme le séparant de son devenir historique en tant que classe révolutionnaire. Cette atomisation ne relève cependant pas d’une simple entropie mais concède à l’individuation la possibilité de sa propre subjectivité, ainsi le rapport de domination ne reflète plus un rapport social à proprement parler mais se présente comme « un marché libre des identités » où seul le principe d’identité au groupe (races, homosexuels, femmes, etc.) est reconnu et se reconnaît en tant que tel.

Le fait d’être noir, femme, homosexuel, autochtones et pourquoi pas amish est devenu identitairement et symboliquement le terrain sur lequel surfe la plupart des acteurs de révoltes sporadiques, souvent violentes et dûment réprimées par l’appareil d’État bourgeois alors que dans le même temps, décideurs, syndicats et parlementaires s’en font les porte-parole dans les termes de la lutte contre les inégalités, de la défense des femmes face aux discriminations sur leur lieu de travail, légifèrent sur la problématique du racisme et des ravages qu’ils provoquent au sein des sociétés.

Une conclusion hâtive face à un tel développement consisterait à dire que finalement c’est par la négation des particularités et des différences sociales au sein de la classe, que le prolétariat s’homogénéise, mais en réalité c’est le contraire, c’est par l’organisation du prolétariat et avec le parti qui en est la direction politique que ces contradictions ou particularités se dépassent dialectiquement par la conscience de la conscience dans la classe pour son devenir historique et universel en tant que classe émancipatrice.

Le but ici, dans le cadre restreint d’un article qui ne permet pas de développer tous les aspects évolutifs de ce que d’aucuns appellent abusivement « Théorie de l’intersectionnalité », est de démonter en quoi cette « théorie » nie purement et simplement l’affrontement de classe inéluctable défini par la théorie marxiste. Ainsi peut-on lire ou entendre que la théorie marxiste souffrirait d’insuffisance conceptuelle la limitant au déterminisme économique ce qui ne lui permet pas d’embrasser la totalité du processus historique.

Ce procès réducteur visant Marx tout particulièrement s’emploie à annihiler le marxisme en tant que théorie du prolétariat, alors que celui-ci n’a eu de cesse de démonter que bien au-delà de la fonction économique et de ses aspects techniques, c’est bien un rapport social que Marx étudie, ce rapport étant déterminé par une figure centrale du procès, production/distribution et des rapports sociaux qu’il engendre. Réduire ainsi la pensée marxiste relève au mieux de l’incurie ou d’une conception vulgaire du marxisme lorsqu’il s’agit d’individus sincères tombés sur le terrain du gauchisme, le pire étant la falsification volontaire, stratégie bien connue des forces bourgeoises gauchistes.

Mais la critique ne se limite pas en ces termes, Marx ne se serait jamais intéressé à la dimension raciale et à l’esclavage dans nos sociétés et aux clivages que cela entraîne dans la société civile, la méconnaissance volontaire ou involontaire ne suffit pas à masquer la réalité :

« … La liberté et l’esclavage forment un antagonisme. Je n’ai pas besoin de parler ni des bons ni des mauvais côtés de la liberté. Quant à l’esclavage je n’ai pas besoin de parler de ses mauvais côtés. La seule chose qu’il faut expliquer, c’est le beau côté de l’esclavage. Il ne s’agit pas de l’esclavage indirect, de l’esclavage du prolétaire ; il s’agit de l’esclavage direct, de l’esclavage des noirs dans le Surinam, au Brésil, dans les contrées méridionales de l’Amérique du Nord.

L’esclavage direct est le pivot de notre industrialisme actuel aussi bien que les machines, le crédit, etc. Sans esclavage vous n’avez pas de coton, sans coton vous n’avez pas d’industrie moderne. C’est l’esclavage qui a donné de la valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce du monde, c’est le commerce du monde qui est la condition nécessaire de la grande industrie mécanique. Aussi avant la traite des nègres, les colonies ne donnaient à l’ancien monde que très peu de produits et ne changeaient pas visiblement la face du monde. Ainsi l’esclavage est une catégorie économique de la plus haute importance… » (Karl Marx, Lettre de Marx à P. Annenkov, 1846) [3]

Dans cette lettre à Annenkov, Marx relie bien le phénomène racial et esclavagiste au développement du capitalisme. C’est aussi Marx qui, s’adressant à Abraham Lincoln au nom de l’AIT (Ire Internationale) en 1864, félicite le peuple américain pour cette réélection dont le « cri de guerre » est « mort à l’esclavage » :

« Tant que les travailleurs, le véritable pouvoir politique du Nord permirent à l’esclavage de souiller leur propre République ; tant qu’ils se glorifièrent de jouir — par rapport aux Noirs qui avaient un maître et étaient vendus sans être consultés — du privilège d’être libres et de se vendre eux-mêmes et de choisir leur patron, ils furent incapables de combattre pour la véritable émancipation du travail ou d’appuyer la lutte émancipatrice de leurs frères européens. » (À Abraham Lincoln, président des États-Unis, Conseil central de l’Association internationale des travailleurs, 30 décembre 1864) [4]

Notons que dans cette lettre, Marx félicite le peuple américain qui vient de réélire un président (Abraham Lincoln) dont le programme repose sur une politique abolitionniste dénonçant la traite des noirs et l’esclavage dont ils sont victimes. Il ne s’agit pas d’une lettre protocolaire, diplomatique consacrant la personne de Lincoln pour sa réélection, mais d’un message qui s’adresse entièrement au peuple américain ou plus précisément aux travailleurs, à la classe ouvrière en la plaçant face à son devenir historique. Notons par ailleurs que Marx ne limite pas le terme d’esclave à une simple occurrence sémantique qui qualifierait uniquement la condition des noirs mais souligne la différence entre l’esclavage direct de l’esclave noir qui n’a pas la possibilité de vendre sa force de travail puisqu’il est sous la férule d’un maître propriétaire, et l’esclavage indirect du prolétaire qui a la possibilité de vendre sa force de travail, ce qui fait de lui un esclave salarié. Dans les deux cas l’esclavage est posé comme condition de l’exploité noir ou blanc. Il faut bien comprendre que chez Marx le particularisme de la condition des noirs s’inscrit dans le mouvement général de l’exploitation capitaliste, que le colonialisme et l’impérialisme sont inhérents au développement du système lui-même. Ces deux conditions différenciées, esclavage direct et esclavage indirect, sont les deux termes d’un même processus. La dialectique procède donc d’un dépassement de ces deux conditions contradictoires (identification de deux termes dont les négativités sont elles-mêmes différenciées, l’esclave direct est absolument contraint et totalement réduit à l’état de marchandise, le prolétaire, quelle que soit sa couleur de peau, a la possibilité de se monnayer et de tirer subsistance pour uniquement reproduire sa force de travail, c’est le salaire), par le dépassement de ces contradictions dans le procès du système capitaliste, nous déduisons que si forme différenciée il y a, il n’en demeure pas moins que la centralité du procès en question nous renvoie à l’exploitation exercée par la classe dominante contingentée par le procès d’accumulation, la réalisation exponentielle de profits. Cela dépasse de loin pour ne pas dire invalide la segmentation qu’induit l’intersectionnalité quant à une hiérarchisation des critères et ou facteurs de domination.

Dans L’Idéologie allemande [5], Marx nous dit : « À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. »

Les Identity politics sont à l’origine de ce tripatouillage a-historique de la pensée dominante armée de sa « théorie de l’intersectionnalité », la classe devient une identité parmi tant d’autres, en ce sens elle n’est plus différenciée que par sa nature entièrement subjectivée sur le marché des idées. Réduite ainsi à une sous-catégorie, la classe est niée en tant que dynamique émancipatrice, elle est reléguée à une simple collection de groupes inertes qui ont tout lieu de s’affronter comme s’affrontent sur le marché les différents consortiums économiques en compétition. Ainsi la pensée dominante déplace le caractère global de la domination de classe selon le procès classe contre classe qui réfère au marxisme sur le terrain de l’empirisme sociologique qui sépare l’identité du mouvement qui l’a produite.

En somme, l’intersectionnalité est une pure négation du matérialisme historique.

La classe, le prolétariat dans sa lutte pour l’émancipation humaine, c’est-à-dire le communisme, parvenue à un certain niveau de conscience se dote de son organisation, le parti communiste mondial dont l’avant-garde est inséparable du mouvement historique qui le produit. Que le chemin vers la révolution sociale et le socialisme soit tortueux, que nous subissions les revers de la complexité de la période, que nos défaites nous renvoient à chaque fois à la compréhension dialectique des conditions objectives, voilà la tâche du prolétariat, voilà la tâche de sa direction politique, voilà la tâche du parti communiste. Lors du VIIe congrès du parti communiste, Lénine se prononce sur la révision du programme et le changement de dénomination du parti. Il ne s’agit pas ici de comparer ce qui ne l’est pas, mais de mettre en avant une invariance du marxisme face à ce concept ou théorie de l’intersectionnalité, face aux multiples tentatives notamment au cours du XXe siècle mais aussi en ce début de XXIe siècle de réduire la pensée de Marx à une conception économiciste du développement historique, là où finalement nous pouvons constater une économie de la pensée généralement promue par ce qu’il est convenu d’appeler les sciences humaines. Ce texte de Lénine tombe à propos, le lecteur en jugera par lui-même :

« Les choses se sont passées et se passent effectivement ainsi, car la production marchande a donné naissance au capitalisme, lequel a conduit à l’impérialisme. C’est la perspective générale de l’histoire universelle, et il convient de ne pas oublier les bases du socialisme. Quelles que puissent être les péripéties ultérieures de la lutte, si nombreux que puissent être les zigzags que nous aurons à parcourir (et il y en aura beaucoup : nous voyons par expérience quels détours gigantesques fait l’histoire d’une révolution, et seulement chez nous pour le moment ; les événements seront autrement rapides et complexes, leur rythme sera autrement vertigineux, leurs tournants seront autrement compliqués lorsque la révolution deviendra européenne), il faut, pour ne pas nous perdre dans ces zigzags et ces détours de l’histoire, pour conserver la perspective générale, pour apercevoir le fil directeur qui traverse tant le développement capitaliste que la route vers le socialisme, route qui nous apparaît naturellement comme droite, et que nous devons nous représenter comme telle afin d’en voir le commencement, la suite et la fin, - alors qu’en réalité elle ne sera jamais droite mais d’une complexité invraisemblable,- il faut, pour ne pas nous perdre dans les détours, pour ne pas être désorientés dans les périodes de recul, de retraite, de défaites momentanées, quand l’histoire ou l’ennemi nous rejetterait en arrière, il importe à mon avis, et ce sera la seule attitude théoriquement juste, de ne pas abandonner notre ancien programme fondamental. » (Lénine) [6].

L’intersectionnalité sous sa couverture théorique comme théorie critique des différents facteurs de dominations et d’interactions repérables au sein de la société civile et jusque dans les institutions de l’appareil d’État bourgeois est devenue une « science » au mépris du mouvement réel qui produit la totalité et définit le rapport de domination comme étant le facteur historique de la domination de classe, lequel nous renvoie dialectiquement et historiquement au développement de la lutte des classes. Nous voilà confrontés à ce que la pensée dominante est capable de produire afin d’endiguer, de nier ce que le développement économique capitalistique est dans sa réalité. Encore une fois Marx n’a pas écrit une théorie économique qui se contenterait de mettre en évidence les mécanismes de l’exploitation, il a étudié la théorie de l’économie bourgeoise dans les termes d’une critique politique de l’économie, ce faisant il a mis en évidence que le rapport production-distribution, loin d’être un simple rapport mécanique est un rapport social déterminé par le mode de production capitaliste, qu’il n’y a pas un « au-delà » de ce rapport mais que celui-ci est immanent au mode de production lui-même. Face au matérialisme historique qui est l’essence même de la théorie marxiste, théorie qui cible les contradictions inhérentes au rapport capital/travail, la pensée dominante toute vêtue de la chasuble démocratique et au travers de ces pseudos sciences dites humaines réduit la totalité à une somme toujours extensive de spécialités, et qui dit spécialité dit spécialiste. Ainsi dans sa forme institutionnelle, l’intersectionnalité est devenu l’argument phare des économistes, des sociologues voire de certains philosophes et notamment quant à la théorie du genre. Mais une spécialisation des particularités, genre, féminisme, et depuis un certain temps antifascime et antiracisme, (comprenons que la liste ne peut-être qu’évolutive) n’est autre qu’un déni politiquement assumé du concept d’aliénation défini par Marx, concept qu’il relie au développement du mode de production capitaliste.

Dans sa version gauchiste, qui n’est autre que le laboratoire d’étude des différentes revendications et/ou autres contestations, dénonciations, nous trouvons la mouvance anticapitaliste, dont les actions mémorables nous renvoient notamment à leurs interventions lors des successifs sommets européens. Ce terme d’anticapitalisme qualifie le pôle de rassemblement des gauchistes anarchistes, trotskystes et autres décroissants écolos, bref le bras « armé » de la gauche bourgeoise. Mais au-delà même de l’insistance sémantique à disqualifier pour le nier le corpus linguistique marxiste (classe ouvrière, prolétariat, dictature du prolétariat, le parti communiste et sa direction politique, l’interdépendance du parti et des soviets ou conseils), c’est bien de la négation de la classe en tant que moteur de l’histoire dont il est question. Nous devrions ici nous intéresser à un développement de ce que représentent le mouvementisme et la spécificité des luttes, antiracistes, antifas, féministes, écologistes, des identity politics qui sont le terrain parcellaire dans lequel s’inscrit la dynamique mouvementiste. Nous craignons d’aborder ici un sujet dont l’importance nécessite un autre article visant à démontrer que ces différentes figures du gauchisme, référant à l’expérimentation des luttes contraintes par le démocratisme sur le mode horizontal articulé autour d’un discours emphatique et inconséquent sur la démocratie directe, sont les instruments de la pensée dominante et de sa gauche bourgeoise. En outre, nous ne pouvons nous épargner l’analyse qui conduit à considérer le parti comme étant l’antidote de ces groupements identitaires hétérogènes en contradiction avec le but historique du prolétariat : la prise du pouvoir et l’exercice de sa dictature. C’est au sein du parti que se résolvent les contradictions nées des particularismes, le parti ne nie pas les particularités, il les historicise en dépassant les contradictions dialectiquement par la confrontation et la clarification politique, c’est-à-dire qu’il éveille au sein même de la classe la conscience historique de son devenir en tant que classe.

« Il est élémentaire — ou plutôt il l’était auparavant — d’affirmer qu’avant d’entamer une bataille de classe, il est nécessaire d’établir des objectifs que l’on s’assigne, les moyens à employer, les forces de classe qui peuvent intervenir favorablement. Il n’y a rien de “théorique” dans ces considérations, et par là nous entendons qu’elles ne s’exposent pas à la critique facile de tous ces éléments blasés de “théories”, dont la règle consiste, au-delà de toute clarté théorique, à tripatouiller dans des mouvements avec n’importe qui, sur la base de n’importe quel programme, pourvu que subsiste “l’action”. Nous sommes évidemment de ceux qui pensent que l’action ne découle pas des “coups de gueule” ou de bonnes volontés individuelles, mais des situations elles-mêmes. En outre, pour l’action, le travail théorique est indispensable afin de préserver la classe ouvrière de nouvelles défaites. Et on doit bien saisir la signification du mépris affecté par tant de militants pour le travail théorique, car il s’agit toujours, en réalité, d’introduire, en catimini, à la place des positions prolétariennes, les conceptions principielles de l’ennemi : de la social-démocratie, au sein des milieux révolutionnaires tout en proclamant l’action à tout prix pour une “course” de vitesse avec le fascisme. » (Revue Bilan, L’antifascisme, formule de confusion, mai 1934) [7]

L’intersectionnalité institutionnelle

Peut-on dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu ? Nous pensons que l’anticapitalisme dans la forme telle que développée plus haut est le laboratoire expérimental de l’institution, de l’État. Au-delà même de la récupération qui en est faite dans le cadre du parlementarisme et de ses alliés de la gauche du capital, nous assistons à une volonté toujours plus pressante de la domination à vouloir parachever cette notion d’intersectionnalité, n’hésitant pas à en formuler le contenu scientifique. La domination se réinvente elle-même en la circonstance en une multiplicité des interactions soumises aux séparations catégorielles et se donne pour mission (au sens théologique du terme) d’en contraindre les effets. Ainsi, spécialistes et autres éminents penseurs serviles sont à la tâche, il ne s’agit aucunement de trancher sur ce qu’est la domination de classe mais d’étudier méthodiquement « intersectionnellement » les processus croisés de domination, leurs interactions. Reposant sur une étude des faits, des événements et des mouvements sociaux en général la pseudo science de l’intersectionnalité annonce un retour de la théologie et de la métaphysique comme seule réponse aux contingences réelles ; le démocratisme et la sanctification des inégalités en est l’absolution. Une nouvelle religion est née, l’intersectionnalité.

Conclusion

Ce sont les événements aux États-Unis et l’émergence de Black Lives Matter qui nous ont amenés à nous interroger sur ce concept ou notion d’intersectionnalité. Nous considérons que la dynamique enclenchée en Amérique du Nord suite à l’assassinat de Georges Floyd et les événements qui ont eu lieu, manifestations violentes suivies d’une répression instaurant un climat de guerre civile, mérite toute notre attention. Quant à l’histoire qui ne se répète pas, elle peut cependant balbutier et son écho immédiat soulève la problématique de l’antiracisme et de l’antifascisme qui n’est rien d’autre que le résultat de la fausse conscience quant aux intérêts immédiats du prolétariat. Et bien au-delà d’une fausse conscience telle que le prolétariat pourrait se l’approprier, elle est inscrite dans les gènes de la bourgeoisie qui, stratégiquement, prépare la guerre généralisée. L’intersectionnalité, au service de la bourgeoisie et de ses représentants de la gauche bourgeoise produit idéologique de la bourgeoisie, en tant qu’outil de persuasion constitue une véritable offensive contre la conscience de classe par l’atomisation du prolétariat. Ses ramifications en Europe sont multiples en l’espèce du féminisme, de l’écologisme, de l’antiracisme et de l’antifascisme. Le mouvementisme anticapitaliste est le moule dans lequel se forme la catégorisation des luttes, les hiérarchisant selon des critères de dominations que nous pourrions qualifier de transversales. C’est un coup porté contre le prolétariat et l’inéluctable nécessité du rassemblement international de ses forces pour mener le seul combat dont il est le sujet historique, celui de la lutte pour le communisme. L’intersectionnalité est aussi une puissance spirituelle par l’identification socio-empirique qu’elle fait des différents groupes présents dans la société civile, elle procède d’une désubstantialisation politique de la classe au profit d’une saisie purement identitaire de celle-ci, elle nie a fortiori le rapport dialectique entre domination et lutte de la classe émancipatrice, elle contingente les conditions objectives à la seule apparence de leur manifestation chosifiant ainsi le mouvement dynamique de l’émancipation en le reléguant au démocratisme et au crétinisme parlementaire dont parlait Marx.

Notre volonté est la suivante : rassembler la classe sous la direction politique du parti communiste, il en va de notre tâche principielle de stratégiquement expliquer le programme communiste.


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Notes:

[1. fr.m.wikipedia.org Black feminism, mouvement féministe afro-américain.

[5. L’Idéologie allemande, L’Idéologie en général et spécialement l’idéologie allemande, K. Marx, Éditions Sociales, p. 75, 1976.

[6. VIIe Congrès du Parti communiste russe, œuvres complètes t. 27, pp. 83-116 et 125-139. Paris-Moscou).