Révolution ou Guerre n°17

(Janvier 2021)

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Sur les thèses de la Gauche communiste de France sur la nature de l’État

(Correspondance)

À propos des thèses de la Gauche Communiste de France (GCF) sur la nature de l’État et la révolution prolétarienne (Internationalisme #9, 1946)

Nous continuons ici le débat que nous avons ouvert dans nos colonnes sur la période de transition entre capitalisme et communisme en publiant le courrier d’un camarade. Celui-ci critique les thèses de la Gauche communiste de France (GCF) qui ont servi de base à la position développée et adoptée dans les années 1970 par le CCI. Depuis son courrier initial, le camarade nous a envoyé un appendice que nous rajoutons après sa lettre. Nous faisons précéder les commentaires de notre correspondant par un extrait des thèses – que nous n’avons pas pu republier in extenso ici faute de place – afin que le lecteur puisse comprendre où se situe la critique. Nous l’encourageons à lire l’ensemble des thèses qui sont disponibles en français et anglais, en particulier sur le site du CCI [1]. Enfin, nous faisons suivre le tout d’une rapide présentation de l’état de nos discussions internes sur la question en relevant que la contribution du camarade a permis de polariser deux positions divergentes sur la question.

Extraits des thèses adoptées par la Gauche communiste de France

Thèse 1 : L’État apparaît dans l’histoire sur la base de l’existence des intérêts antagoniques divisant la société humaine. II est le produit, le résultat des rapports antagoniques économiques. Tout en jouant un rôle en tant que facteur réagissant au cours de l’histoire, il est avant tout un objet directement déterminé par le processus économique et au cours de celui-ci. En apparence placé au dessus des classes, il est en réalité l’expression juridique de la domination économique, la superstructure, le revêtement politique du règne économique d’une classe donnée dans la société. (…) Ainsi, l’État remplit une fonction importante dans la société assurant la sécurité, l’ordre indispensable à la continuation de la production, mais il ne peut le faire que par son caractère essentiellement conservatif. Au cours de l’histoire, l’État apparaît comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, il est une entrave à laquelle s’heurtent constamment l’évolution et le développement des forces productives.

Thèse 4 : (…) Face au prolétariat et à sa mission historique d’instauration de la société socialiste, l’État se présente comme le Goliath historique. De par sa nature, il présente toute l’histoire passée de l’humanité, toutes les classes exploiteuses, toutes les forces réactionnaires. Sa nature étant comme nous l’avons démontré conservatisme, violence, bureaucratisme, maintien des privilèges et exploitation économique, il incarne le principe d’oppression irréductiblement opposé au principe de libération, incarné par le prolétariat et le socialisme.

Thèse 6 : (…) L’État, principe de domination et d’oppression économique de classe, ne peut être conquis dans le sens classique par le prolétariat. Au contraire, les premiers pas vers son émancipation consistent dans la destruction révolutionnaire de cet État. N’ayant aucune assise économique, aucune propriété, le prolétariat puise sa force dans la conscience qu’il acquiert des lois historiques, objectives du processus économique. Sa force est exclusivement sa conscience et son organisation. Le parti de classe cristallisant la conscience de la classe, présente la condition indispensable pour l’accomplissement de la mission historique au même titre que ses organisations unitaires de lutte représentent sa capacité matérielle et pratique de l’action. (…).

Thèse 7 : (…) La phase transitoire exprime sa filiation économique avec l’ère historique présocialiste, en ce sens qu’elle ne peut satisfaire tous les besoins de la société et contient la nécessité de la poursuite de l’accumulation. Toute politique qui misera sur la plus haute accumulation en vue de l’élargissement de la production n’exprimera pas une tendance prolétarienne, mais ne serait que la suite d’une économie capitaliste. Tandis que la politique économique du prolétariat s’exprimera par l’accumulation nécessaire, compatible et conditionnée avec l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, avec l’augmentation relative et progressive du “capital variable”.

Après sa victoire sur la bourgeoisie, le prolétariat, d’une part, devient la classe dominante politiquement, qui à travers son parti de classe assure pendant toute la phase transitoire la dictature de sa classe en vue d’acheminer la société vers le socialisme et, d’autre part, conserve sa position de classe dans la production ayant des intérêts économiques particuliers immédiats à défendre et à faire prévaloir au travers de ses organisations économiques propres, les syndicats et ses moyens de lutte : la grève durant toute la phase transitoire.

Thèse 8 : (…) Le prolétariat doit avant tout veiller à l’indépendance de ses organismes de classe qui lui sont propres et empêcher leur altération en les exposant à des tâches et à des fonctions étrangères à leur nature. Le parti représentant la conscience de la mission historique de la classe et du but final à atteindre exercera la dictature au nom du prolétariat ; le syndicat, organisation unitaire de la classe exprimant sa position économique et ses intérêts immédiats qu’il est appelé à défendre ne peuvent s’identifier à l’État, ni s’intégrer à ce dernier.

Thèse 9 : L’État, dans la mesure ou il est reconstitué après la révolution, exprime l’immaturité des conditions de la société socialiste, Il est la superstructure politique d’une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l’État est un instrument de violence inévitable -pour le prolétariat- dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s’identifier et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il (l’état) est un fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe. (Engels, préface à la “Guerre civile en France”)

(…) La dictature du prolétariat exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classes hostiles, et d’assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l’institution de 1’État. L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion de “l’État ouvrier’, de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la Dictature du prolétariat avec l’utilisation, par le prolétariat, de l’instrument de coercition qu’est l’État.

Correspondance et commentaires critiques sur les Thèses de la GCF

Au GIGC,

Chers camarades,

Les commentaires qui suivent vise à continuer notre discussion à propos du rôle de l’Etat au cours de la période de transition et de la transformation stalinienne de l’Etat en URSS, à partir de quelques réflexions personnelles occasionnées par la lecture du texte ’La nature de l’Etat et la révolution prolétarienne’ parue dans Internationalisme numéro 9 (avril 1946).

Afin que le fil de ma pensée vous soit transparent, je tiens à préciser dès à présent que les thèses qui y sont énoncées présentaient, selon ce que j’ai pu en comprendre, une déviation anarchiste faisant son chemin au travers d’idées et de citations tirées du corpus marxiste.

C’est une loi historique du mouvement ouvrier et communiste que chaque crise opportuniste au sein de ses organisations politiques suscite des querelles théoriques entre ses militants s’essayant à retrouver le droit fil du programme historique du prolétariat. Mais la résolution de telles crises ne se fait pas par le chemin le plus direct et le plus simple. A l’époque de la Deuxième Internationale, le conformisme de la pratique légale et réformiste des groupes parlementaires socialistes, admise par le courant bernsteinien comme étant la ’voie parlementaire au socialisme’, avait reçu pour réponse un anticonformisme de façade antipolitique porteur tout autant d’un danger opportuniste. L’opportunisme de droite et l’opportuniste de gauche révélèrent leur gémellité en se tenant bras dessus bras dessous lors de l’Union sacrée de 1914.

La chose s’est répétée au temps où l’opportunisme centriste fût à la tête de la Troisième Internationale, si ce n’est que cette crise différa de la précédente de par son ampleur et sa profondeur, tant en ce qui concerne les résultats politiques du mouvement ouvrier préparé à être jeté dans la guerre impérialiste que pour la confusion théorique régnante autour de la nature du régime soviétique. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, c’est toute une propagande démocratico-humaniste et antitotalitaire qui s’est vue être diffusée par les organes de la bourgeoisie occidentale et qui réussit à pénétrer des groupes se revendiquant de la révolution prolétarienne. A vrai dire, ces théories trouvaient pour une grande part leurs prémisses dans les jugements émis par la petite-bourgeoisie intellectuelle d’Europe occidentale, dont les plus éminents représentants étaient à l’époque Kautsky, Adler et Bauer, au sujet de la révolution d’Octobre 1917, déjà trop ’autoritaire’ à leurs yeux. Contre les exactions et les crimes du stalinisme, son emploi des méthodes terroristes et ses volte-face diplomatiques sans queue ni tête, on remit au goût du jour l’opposition de la Démocratie et de la Dictature, voire même de la douce et libre Société Civile contre le Monstre-Etat, toujours à l’affût de violer les droits imprescriptibles de cette première.

La révolution russe a montré un fait historique nouveau, celui d’un Etat érigé par une classe ouvrière devenue classe dominante dans un pays, passé ensuite du côté des forces bourgeoises et impérialistes. Il faut avant tout éviter, lorsqu’on veut élucider de tels problèmes et trouver les causes du processus historique, de tomber dans les réflexes intellectuels ’infantile de gauche’ abordant les problèmes pratiques avec trop de formalisme : une telle méthode a aboutit à des condamnations du rôle des chefs ’en général’, du parti ’en général’, avec comme prétexte qu’il a existé des chefs médiocres ou qu’un parti ouvrier se soit rallié aux intérêts de la bourgeoisie, et que la conclusion à en tirer était de déclarer ces formes ’pourries’, ’corrompues’ ou encore ’dépassées’. En réalité, partis, chefs et masses entretiennent des relations dont les qualités, le contenu, ne leur sont pas intrinsèques, mais avant tout fonction des conditions environnantes et des dynamiques sociales à l’œuvre dans leur milieu historique ; c’est en ces termes que Lénine posa l’explication de l’opportunisme des dirigeants de la Deuxième Internationale, en le raccrochant à l’expansion coloniale du capitalisme ouvrant une période de rapports relativement ’pacifiques’ entre le prolétariat européen et la classe capitaliste, incitant l’aristocratie ouvrière à trouver des terrains d’entente et de collaboration avec cette dernière. La trahison n’est pas un phénomène réductible à la morale ou à la psychologie de son auteur personnel, mais un fait social.

C’est dans un esprit tout autre qu’Internationalisme me semble avoir posé la question de l’Etat, et de ses rapports vis-à-vis du Parti et de la Classe, bien qu’il prétende tirer les enseignements de l’ ’expérience russe’, et amène des considérations qui s’éloigne du marxisme.

Dès le §1, l’Etat est déclaré être ’un facteur CONSERVATEUR ET REACTIONNAIRE de premier ordre’ dont la raison d’être est ’exclusivement, dans sa fonction, de codifier, de légaliser un état économique déjà existant’, fonction qu’il assume en tant qu’arme de la classe dominante pour défendre ses intérêts. Remarquez que, à partir de cette définition classique de l’Etat comme instrument d’oppression de la classe dominante sur la classe dominée, insistant sur la structure sociale de classe sous-jacente à son existence, on ajoute de manière a priori une autre détermination qui désigne cette fois-ci une direction, un sens au regard du développement des forces productives de l’histoire.

Faudrait-il alors conclure que l’Etat jacobin fut réactionnaire en confisquant les biens de l’Eglise, de même que le fut l’Etat de l’Union dans sa guerre contre les Etats confédérés esclavagistes ? Que penser alors des jugements d’Engels sur la politique d’unification nationale que Bismarck (le JUNKER Bismarck) mena, certes ’par le haut’, mais qui n’en fut pas moins révolutionnaire ? L’Etat sanctionne et codifie des rapports économiques qui lui sont préexistants, mais son action ne se limite pas à cette sphère : il est également un agent économique et impacte par son activité les conditions économiques. Les guerres menés par les Etats capitalistes occasionnent des destructions matérielles et humaines qui ne sont pas sans influence sur le processus économique (dévalorisation du capital, désorganisation, etc.) ; l’Etat décide de l’impôt, des transferts de plus-value entre classes possédantes, peut se faire propriétaire et investir du capital dans des entreprises, etc. Mais je tiens ici à ajouter expressément, car vous pourriez être amené à voir là une position qui nous ramènerait à la façon de Dühring d’envisager le rôle de la violence dans l’histoire de l’humanité, que cela n’implique nullement une quelconque autonomie de l’Etat par rapport à la base économique ! Il est bien évidemment hors de son pouvoir, juridique ou physique, de créer ou d’inventer les lois de l’infrastructure économique auxquelles il est également soumis comme le sont les individus, les catégories, les partis ou les classes. Seulement, considérez comme le fait Internationalisme que l’Etat se contenterait d’appliquer un ’tampon’ sur des relations économiques et sociales et de les valider ainsi est réducteur.

Ainsi, le caractère conservateur, réactionnaire ou révolutionnaire de l’Etat dépend de sa façon d’utiliser la force de ses appareils de coercition physiques ou idéologiques aux rapports sociaux ambiants. Retirer a priori tout potentiel révolutionnaire à cette superstructure, c’est aboutir à des contradictions pratiques concernant le processus de la révolution prolétarienne.

Internationalisme écrit ensuite que le socialisme [plus exactement, il s’agirait plutôt de dire le communisme intégral, le socialisme désignant la phase de transition où persiste l’existence des classes, des divisions nationales, etc.] s’oppose irréductiblement à l’Etat qui « reste une institution étrangère et hostile au socialisme » [2] [au communisme intégral]. Qu’est-ce qu’on cherche exactement à dire par là ? Que l’Etat ne saurait exister au sein de la phase supérieure communiste ? C’est une certitude théorique, une évidence pour les marxistes jamais remises en cause. Ou bien alors que l’usage de l’Etat irait à l’encontre du but, qui est d’atteindre la phase supérieure ? Alors dans ce cas-là, on commettrait l’erreur idéaliste de l’Anarchisme de fonder les critères de la praxis de classe sur des conditions imaginaires ou idéales et non sur les conditions réelles et présentes. C’est confondre la représentation mentale du but avec l’ordre réel dans lequel nous vivons.

En considérant l’Etat comme une machine uniquement réactionnaire, défendant un ’ordre’ et cherchant à conserver des rapports sociaux déjà existants, alors sa nécessité pour le prolétariat devient illogique : car la dictature du prolétariat a pour tâche de détruire les anciens rapports de production bourgeois et parallèlement de construire les nouveaux rapports communistes, car nous n’avons sous la main, à l’instant de la révolution, que les prémisses, les conditions préalables du mode de production communiste. L’Etat joue le rôle de pôle centralisateur dans cette œuvre de transformation économique.

Internationalisme, pour se prémunir du danger de l’Etat, ne propose comme garde-fou que le b.a.-ba de la Commune, repris par Engels puis Lénine : fonctionnaires recevant une paie du même tenant que celle d’un ouvrier, participation large des masses à l’administration, etc. Ce sont des mesures à prendre pour édifier le nouvel Etat et marque le premier pas de l’absorption de celui-ci dans la Société. C’est sur ce modèle que les Soviets en Russie furent formés. Mais le problème ne vient pas de la forme d’organisation, et aucune précaution de cet ordre ne représente une garantie en soi  ! La fameuse ’expérience russe’ est ici totalement évacuée : on n’étudie pas l’évolution de l’organisme étatique au sein de son milieu réel. Or quel est le processus majeur qui l’affectait ? L’énergie révolutionnaire dégagée par l’explosion d’Octobre, ne parvenant pas à s’étendre en Europe occidentale du fait de l’échec de la Révolution allemande, meurt lentement d’asphyxie dans un pays arriéré, entourée d’une formation économique marchande et petite-bourgeoise ; le capitalisme mondial se stabilise et reprend des forces ; le prolétariat russe, pliant sous les contradictions économiques, perd la puissance sociale qui retombe dans les mains d’une autre classe ; le cours historique de la Russie prend un autre tournant, dont le stalinisme est la manifestation politique. (Il a beaucoup été question, dans le feu des événements comme après, de la ’bureaucratisation’ de l’Etat. Or, si je ne m’abuse, Lénine identifiait la cause de ce phénomène dans l’éparpillement de l’économie russe, et non dans le caractère brutal de Staline ou dans un vice organisationnel !).
Et cette analyse (tirée à grands traits) respecte parfaitement les codes du marxisme : le facteur économique, les forces productives, décident en dernière instance.

Pour terminer, en ce qui concerne l’évolution interne de la Troisième Internationale, et d’évaluer dans quelle mesure sa politique a pu participer à l’échec révolutionnaire, je pense à mon avis qu’il faut y voir, à une échelle très générale, un facteur secondaire. Le recul marqué entre les principes affichés à sa création et sa tactique de Front Unique, Gouvernement Ouvrier, Socialisme dans un seul pays, etc. menée par après sont plus les marques laissés par la tendance générale au reflux de la révolution que la cause de l’insuccès de la révolution européenne. Il serait sans doute contraire aux conceptions de la Gauche communiste d’Italie de voir dans des mauvaises tactiques la raison de l’échec d’une révolution, ce qui signifierait dans le cas inverse qu’une bonne tactique aurait pu entraîner un revirement de situation ! Les critiques de la tactique de l’I.C. doivent rentrer dans le cadre uniquement du problème de la sauvegarde et du maintien d’un Parti révolutionnaire quand le cours historique lui est défavorable, et savoir comment il peut éviter de devenir une organisation politique opportuniste.

Appendice

Je me propose ici de présenter quelques commentaires sur la réflexion portée par Internationalisme (#9) sur laquelle certaines scories issues de systèmes d’idées étrangers à la conception du monde marxiste se sont déposées, de les exposer et de les éliminer, et ce afin que la question de l’Etat de la période de transition ne repose pas sur des prémisses théoriques erronées.

1. Considérer que l’Etat, de par sa fonction de maintien de l’ordre, serait antithétique à tout changements et transformations, témoigne d’une perte de sens dialectique dans l’intelligibilité des choses. Suivant le mode métaphysique de penser, selon lequel le point de départ est idées, mots, définitions et procède par a priori sur la base de ces matériaux, ordre et changement s’opposent, sont extérieurs l’un à l’autre, l’un exclut forcément l’autre. La méthode dialectique traite des choses réelles, des rapports réels entre les choses et abandonne le soporifique mouvement de pendule qui fait passer la réflexion de A à sa négation B, et de la négation de B revient en A.

Un Maistre ou d’autres peuvent sans doute s’illusionner et penser l’Ordre comme une puissance stoïque investie d’un Principe éternel et surnaturel (Dieu, la Tradition, etc.) capable de conserver le monde dans une immuabilité, une incorruptibilité où ’tout n’est qu’ordre et beauté’. L’analyse marxiste a cependant retiré à l’Etat les oripeaux sacrés que revêtaient sa mécanique froide, et a réduit sa nature a des données matérielles, humaines et historiques.

2. L’attribution d’un caractère absolument conservateur et réactionnaire à l’Etat n’est rien d’autre qu’une expression profane de ce même fond métaphysique et religieux, le vocabulaire politique se substituant ici au vocabulaire moral. Si l’Etat est une « entrave à laquelle se heurte constamment l’évolution et le développement des forces productives », il reste à expliquer ce grand mystère de l’apparition de l’Etat à un stade donné de leur développement... qui n’a nullement cessé depuis !

Le côté philosophique de cette thèse défendue par Internationalisme, et qui jure avec le contenu matérialiste de son analyse générale, fait clairement fausse route et s’éloigne de la juste compréhension du rôle des superstructures étatiques dans l’histoire.

3. De la définition de l’Etat faisant office d’instrument d’oppression d’une classe dominante sur une classe dominée (nous donnant ainsi l’essence de l’Etat et la structure sociale qui le fonde) ne peut être déduit a priori son caractère réactionnaire, détermination qui se rapporte à une direction et un sens au regard d’une évolution déterminée de l’infrastructure économique. Cette détermination est relative à l’application de la force d’Etat sur les rapports sociaux ambiants, selon qu’elle s’oriente vers la conservation ou la destruction de formes périmées ; et inversement : agit pour étouffer ou au contraire pour affermir des formes nouvelles.

4. L’antithèse de l’ordre et du changement se trouve ainsi n’être qu’un simple jeu creux sur les mots et les contradictions apparentes, et dénué de fond conceptuel. L’association d’idées « Etat = ordre = conservation » se limite à une appréciation phénoménale et non-objective. La société communiste connaîtra l’ordre et l’organisation harmonieuse de ses forces productives, cependant que l’Etat y aura disparu ; a contrario, la société bourgeoise connaît l’Etat, mais son système de production est anarchique et antagonique. Ce qui démontre ainsi que ces liaisons établies dans la pensée n’ont aucun fondement réel.

Dans la réalité donc, nous n’avons pas affaire à de telles entités, mais à des facteurs matériels déterminés s’affectant les uns les autres sur un mode tout aussi déterminé, mesurables et évaluables. Et en scrutant le fond des choses, le socialisme scientifique parvient à des conclusions « paradoxales » telles que « le communisme sortira des entrailles du capitalisme », bien que tout oppose ces deux types économiques, et dont le semblant de paradoxe s’écroule une fois étudié et compris le processus de la formation capitaliste. Dans ce même ordre d’idée, l’ambiguïté de l’assertion « La nature de l’Etat reste étrangère et opposée au socialisme » est levée et il n’est plus inconcevable qu’un nouvel Etat post-révolutionnaire puisse être un agent positif de la construction d’une société sans Etat.

« Pourquoi luttons-nous donc pour la dictature politique du prolétariat si le pouvoir politique est économiquement impuissant ? » (Lettre d’Engels à Schmidt, 27 octobre 1890).

Jr, août et novembre 2020

Prémisses d’un débat contradictoire interne au GIGC sur la période de transition

À ce jour, le GIGC n’a pas adopté de position particulière sur les débats historiques autour de cette question au sein de la Gauche communiste. Les articles que nous avons publiés dans notre revue n’étaient que des contributions ouvrant la réflexion et la discussion en notre sein et que nous jugions utile de rendre publiques. Si elles tendaient à s’inscrire en référence à la position de la GCF et du CCI, elles essayaient surtout de se distinguer de la démarche d’ordre conseilliste qui peut accompagner, ou fonder – selon les camarades –, son rejet de la notion d’État prolétarien et de l’identification du prolétariat à l’État de la période de transition.

La publication de la critique [3] de 1979 du PCint-Battaglia comunista de la position du CCI, notre débat public avec le camarade Fredo Corvo [4] et, aujourd’hui, les discussions avec les contacts et sympathisants, ont permis de développer notre réflexion commune et deux positions se sont clairement polarisées à partir de la correspondance du camarade Jr.

L’une se prononce en désaccord avec la position du camarade : « il prend appui sur l’expérience historique de l’État bourgeois, par exemple de Bismarck, pour argumenter sur l’État prolétarien. Or il y a une différence fondamentale entre la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne. La place et la condition du prolétariat n’est pas la même que celle de la bourgeoisie dans leurs processus révolutionnaires respectifs – le prolétariat restant toujours classe exploitée. Il dit que l’État est un facteur économique. C’est à prendre avec prudence et précaution. L’État a principalement des fonction “ négatives ” telle la répression alors que les fonctions “ positives ” ne sont pas le fait de l’État de la période de transition mais du prolétariat lui-même. C’est celui-ci qui porte et met en avant grâce à son parti le communisme. La critique qu’il porte aux thèses de la GCF (et du CCI) selon laquelle il s’agit de thèses anarchistes est facile et oublie le souci principal de la GCF et du CCI » (PV d’une réunion interne), à savoir que le prolétariat, même dans la période de transition, et alors même qu’il exerce sa dictature de classe, reste classe exploitée, faisant qu’il ne peut s’identifier totalement à l’État. L’autre est « d’accord avec Jr quand il dit que la notion d’un État intrinsèquement conservateur est une déviation anarchiste/conseilliste. (…) L’argument [distinguant] la dictature du prolétariat et le demi-État, qui a une fonction de répression mais que le prolétariat contrôle toujours sans que l’État soit un État ouvrier, est que cette double nature de la période de transition serait l’ABC du marxisme. Cependant, cette double nature est déterminée par les progrès réalisés vers l’abolition des classes et l’inclusion de l’humanité tout entière dans la production socialisée. Elle n’implique pas deux entités distinctes qui coexistent simultanément.(…) La critique de la CWO concernant la position du CCI (cf. l’article sur les 45 ans de la CWO [5]) sur cette question est en fait correcte ».

La divergence est nette et nous impose de développer au mieux un débat interne sur la période de transition auquel nous invitons toutes les autres forces de la Gauche communiste, groupes et sympathisants, à participer. Toute contribution ou critique est et sera la bienvenue. Dans la mesure de nos capacités, nous essaierons d’en rendre compte publiquement. Le cadre de ce débat ? « Le prolétariat a besoin de l’État (…), mais [les opportunistes] “ oublient ” d’ajouter, premièrement, que d’après Marx, il ne faut au prolétariat qu’un État en voie d’extinction, c’est-à-dire constitué de telle sorte qu’il commence immédiatement à s’éteindre et ne puisse que s’éteindre. Deuxièmement, que les travailleurs ont besoin d’un “ État ” qui soit le “ le prolétariat organisé en classe dominante ” » (Lénine, l’État et la révolution, 1917).

Le GIGC, novembre 2020

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