Révolution ou guerre n°20

(Février 2022)

PDF - 589.1 ko

AccueilVersion imprimable de cet article Version imprimable

Renouveau des luttes prolétariennes et poussées vers la guerre impérialiste généralisée ou la question du cours historique

« La mécanique quantique nous enseigne à ne pas penser au monde en termes de choses qui sont dans tel ou tel état, mais en termes de processus. Un processus est le passage d’une interaction à une autre. Les propriétés des choses se manifestent de façon granulaire seulement au moment de l’interaction, c’est-à-dire aux bords du processus, et ne sont telles qu’en relation à d’autres choses ; elles ne peuvent pas être prévues de façon univoque, mais seulement de façon probabiliste. »

[Carlo Rovelli, physicien, spécialiste de la gravité quantique, Par-delà le visible, la réalité du mode physique et la gravité quantique, Odile Jacob sciences, 2014.]

Pour la bourgeoisie, le prolétariat n’existe pas ou n’est plus. Au mieux pour les plus « éclairés », il n’est qu’une catégorie figée et passive, un objet. Certains révolutionnaires rejoignent cette vision d’un prolétariat objet passif, d’une chose dans tel ou tel état, en proclamant sa disparition, ou son absence, ou encore en réduisant son existence à celle du parti communiste. Ce faisant, les uns par intérêt de classe, les autres par incompréhension ou découragement, ne voit pas que la lutte des classes est une donnée permanente et en mouvement de la société capitaliste, un processus, et que le prolétariat n’est qu’interaction avec la bourgeoisie et inversement. Même au plus fort des périodes de contre-révolution, la lutte entre les classes, et donc la lutte prolétarienne aussi faible et limitée soit-elle, continue d’exister et d’être un des facteurs de la situation dont le cours peut être, et doit être rajoutons-nous, prévu non de façon univoque mais seulement de façon probabiliste. Il ne s’agit donc pas d’affirmer de manière univoque que le cours des événements mène à la révolution, mais de manière probable qu’il mène au choc frontal entre les classes, que le cours est aux affrontements massifs entre les classes. Déterminer de façon probabiliste le cours historique des événements, ici vers une confrontation entre classes dans le contexte de poussées chaque fois plus fortes à la guerre impérialiste, est un des outils essentiels des révolutionnaires pour pouvoir établir orientations et mots d’ordre adaptés aux situations tant historiques qu’immédiates, tant internationales, nationales, locales ou encore particulières et à leurs différents moments.

Aujourd’hui, et malgré la persistance de la pandémie et du prétexte qu’elle fournit aux États pour renforcer les mesures de contrôle et de répression sociale au nom de la lutte contre le covid, il est indéniable qu’un renouveau de luttes ouvrières se manifeste depuis quelques mois sur tous les continents. La dynamique de luttes prolétariennes qui s’était enclenchée à l’automne 2019 [1] avait été enrayée et interrompue par l’explosion du coronavirus, les mesures de confinement généralisées et la paralysie d’une grande partie de l’appareil productif mondial. D’autant que les États capitalistes les plus riches, Europe et Amérique du nord principalement, s’étaient empressés de décider soit le maintien des salaires, soit d’accorder allocations chômage et autres, parfois de simples chèques comme aux États-Unis et au Canada, afin de prévenir toute explosion sociale généralisée que le respect des lois capitalistes, dites de « marché », aurait inévitablement et dramatiquement provoquée. Aujourd’hui, la facture - « quoiqu’il en coûte » avait dit le président français Macron – qui est présentée principalement aux prolétaires [2], ne serait-ce que sous forme de blocage des salaires et d’inflation pour l’instant, provoque les premières réactions prolétariennes. Cette facture est celle du trou béant dans les finances publiques et de l’endettement gigantesque généralisé qui vient se sur-ajouter à l’exploitation accrue du travail du fait de la baisse accélérée des taux de profit du capital productif. Elle est le signal, la première bataille d’ampleur, des confrontations massives entre les classes. Celles-ci vont décider du cours historique menant soit vers la guerre impérialiste généralisée, soit ouvrir – sans garantie de succès – la porte à la perspective révolutionnaire et communiste du prolétariat international. Telle est la prévision probable que le marxisme et les révolutionnaires, le parti, peuvent et doivent avancer aujourd’hui s’ils veulent se dresser effectivement et efficacement à l’avant-garde du combat de leur classe. Tel est le cours historique probable de la situation actuelle. Est-il vérifiable ? Est-il vérifié ?

Le renouveau des luttes doit dégager la perspective prolétarienne

La liste des luttes prolétariennes récentes est longue. Selon le groupe révolutionnaire Emancipación, l’année 2021 qui avait connu presque 17 000 grèves « a vu la fin des “ grèves covid ” mais aussi l’apparition prometteuse de luttes massives dans de nombreuses régions » [3] du monde, en fait sur tous les continents. Les « grèves et luttes covid » ne répondaient pour la plupart qu’à des préoccupations sanitaires, certes légitimes, principalement aux dangers de contamination sur les lieux de travail. Elles restaient de ce fait très limitées, sans perspectives réelles de lutte massive et généralisée. Les luttes prolétariennes de ces derniers mois tendent à se situer sur un terrain de classe plus ferme, en particulier sur le terrain salarial face à une inflation croissante et, à ce titre, elles intéressent directement l’ensemble de la classe exploitée et révolutionnaire. Tout ouvrier ne peut que se reconnaître dans ces revendications et ces luttes. La presse révolutionnaire et communiste a rendu compte de cette nouvelle dynamique, l’a saluée bien sûr et l’a soutenue activement, en particulier en intervenant par tract quand l’occasion s’en présentait. Pour vérifier la réalité des faits, nous renvoyons nos lecteurs aux sites web de la Tendance communiste internationaliste, du groupe Emancipación, du PCI-Le prolétaire, ou encore – une fois n’est pas coutume – du Courant Communiste International, pour ne citer que les principaux qui ont retracé et informé sur les différentes luttes ouvrières de ces derniers temps.

Il est à noter que, tout en en soulignant leurs limites, tous les groupes s’accordent sur la nouvelle dynamique, le réveil, des luttes prolétariennes. « La grève en cours des 1400 travailleurs de Kelloggs aux États-Unis est une source continue d’inspiration pour d’autres ouvriers dans le pays comme à l’étranger qui veulent se joindre à ce qui est un réveil fragile mais significatif de notre classe. » (TCI) [4] Après ces deux ans d’extrême confusion et de déboussolement généralisé, favorisés et aggravés par les révoltes petites bourgeoises de tout ordre auxquelles nous avons pu assister, la réapparition du prolétariat comme seule force antagoniste au capital et seule en capacité d’offrir une alternative à celui-ci est en soi un fait fondamental qui change – tend à changer – la donne distribuée par le covid depuis deux ans ; c’est-à-dire ouvre une nouvelle dynamique de l’évolution du rapport de forces mondial entre les classes, entre capital et travail, entre bourgeoisie et prolétariat. L’affirmation concrète du prolétariat comme classe dans la défense de ses conditions de vie et de travail rend tout aussi concrètes, facteurs de la situation, l’affirmation et la défense des mots d’ordre historiques du mouvement communiste, la grève de masse, l’insurrection prolétarienne, la destruction de l’État bourgeois, la dictature de classe et le communisme lui-même. Ces principes du communisme portés et matérialisés par les groupes communistes, le parti en devenir, de simple objets de propagande tendent à devenir armes et mots d’ordre à l’occasion des poussées prolétariennes, même naissantes et timides, car seuls permettant de guider avec succès et efficacité l’action, les moyens et les buts des combats quotidiens. C’est là le premier enjeu de la situation actuelle.

Qu’est-ce qui définit le cours historique actuel ?

Mais encore faut-il saisir la dynamique réelle et ses potentialités, générales comme particulières, locales ou temporelles, pour définir orientations et mots d’ordre plus immédiats de chaque moment et situation des luttes ouvrières. Ce serait une erreur, nous semble-t-il, de ne voir dans le renouveau actuel que la simple réaction – mécanique – à la crise et aux attaques que le capital est contraint de mener contre la classe exploitée afin de maintenir coûte que coûte un minimum ses profits et la poursuite de l’accumulation capitaliste. L’erreur ne serait que peu de choses si elle ne risquait d’avoir des conséquences quant à la compréhension du cours réel de l’affrontement entre les classes et donc dans la capacité, qui échoit aux groupes communistes, au parti demain, de s’orienter dans la tourmente qui vient.

On ne peut comprendre aujourd’hui toute la signification, toute l’ampleur, des politiques adoptées par les différentes bourgeoisies vis-à-vis de la crise et du prolétariat sans prendre en compte les tendances profondes du capital à la guerre impérialiste généralisée. Les pressions vers celle-ci sur la bourgeoisie se font tout aussi pressantes que celles directement dues à la crise l’obligeant à attaquer toujours plus le prolétariat. Le cours historique actuel est déterminé, et sera déterminé pour toute la période de confrontation massive entre les classes qui s’ouvre, par le rapport entre le prolétariat et la guerre en tant que perspective probable, c’est-à-dire par l’alternative révolution prolétarienne ou guerre impérialiste généralisée.

Cet impératif – du fait de la crise – de la guerre impérialiste généralisée pour la classe dominante détermine chaque fois plus le contenu et la violence de ses attaques contre le prolétariat et donc les termes et terrain de l’affrontement. Comme le déclare parfaitement la plateforme – actualisée en 2020 – de la Tendance Communiste Internationaliste, « une fois encore, l’alternative entre guerre impérialiste et révolution prolétarienne est à l’ordre du jour de l’histoire et impose aux révolutionnaires partout
dans le monde la nécessité de resserrer leurs rangs. A l’époque du capital monopoliste mondial, aucun pays ne peut échapper aux forces qui conduisent le capitalisme à la guerre. La tendance inéluctable du capitalisme à se diriger vers la guerre se matérialise aujourd’hui par l’attaque généralisée contre les conditions de vie et de travail du prolétariat. »

Ce n’est donc pas seulement la crise en soi qui détermine le contenu et l’ampleur des attaques auxquelles le prolétariat doit répondre, mais aussi le devenir de la guerre généralisée. Voilà pourquoi toute lutte ouvrière se trouve opposée à l’ensemble de l’appareil d’État, organe de la dictature de classe réunissant l’ensemble des fractions bourgeoises, toutes unies contre le prolétariat. Voilà pourquoi toute lutte ouvrière un tant soit peu conséquente est-elle présentée comme le fait d’irresponsables ou très souvent maintenant de terroristes, tels les métallurgistes « criminels » de Cadix lors de leur grève de novembre dernier. Toute revendication salariale ou autre visant à desserrer l’étreinte de l’exploitation capitaliste du travail ne limite pas seulement le profit de tel ou tel capitaliste, ni même seulement la compétitivité du capital national sur le marché mondial, mais aussi entrave de fait – tend à entraver – la préparation industrielle, économique, sociale, politique et idéologique de chaque capital national en vue de sa participation à la guerre généralisée, seul moyen pour lui in fine de « défendre son bout de gras », seul moyen de maintenir la tête hors de l’eau dans la catastrophe généralisée. Ainsi, pour la bourgeoisie, toute lutte ouvrière a minima conséquente, c’est-à-dire s’attachant à défendre les besoins et nécessités ouvrières sans aucune considération économique bourgeoise, est irresponsable, égoïste, anti-nationale ou anti-patriotique. Nous ne la démentirons pas : toute grève aujourd’hui devient de fait une expression, un germe, du défaitisme révolutionnaire et de l’internationalisme prolétarien.

Il est donc crucial de relier la matérialisation effective, et en devenir, de la polarisation impérialiste avec les conditions et potentialités des luttes ouvrières et d’en déduire, prédire, anticiper, les dynamiques particulières. Si l’on retient comme probable la configuration impérialiste telle qu’elle semble se dessiner actuellement, celle d’une polarisation autour des États-Unis d’un côté et la Chine de l’autre, au détriment d’une autre telle une polarisation Europe-Amérique par exemple [5], alors le rôle et la responsabilité des prolétariats de Chine et d’Europe vis-à-vis du prolétariat international comme un tout et face à la marche à la guerre différeront. De même, les thèmes idéologiques pour entraîner le prolétariat américain, essentiellement d’ordre démocratique, n’auront pas le même effet s’il s’agit de mobiliser contre la Chine ou contre l’Europe. En Europe, le prolétariat qui a la plus grande expérience historique de lutte, de la guerre généralisée et des pièges de la démocratie bourgeoise, ne pourra pas intervenir directement sur les deux principaux protagonistes impérialistes. Pourra-t-il, du fait de son expérience historique, dégager la voie révolutionnaire et présenter la perspective du communisme au prolétariat international ? En Amérique, l’expérience contre la guerre est moindre – les deux premières guerres mondiales ne touchèrent pas le pays – et les illusions démocratiques sans doute plus ancrées, mais le prolétariat américain est au cœur de la situation historique car directement opposé à la bourgeoisie la plus puissante et celle qui est la plus va-t-en guerre. Quelle que soit la configuration impérialiste finale et le cours de la lutte des classes, son rôle sera central et, sans doute, fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre de l’alternative historique. En Chine, on peut supposer que le prolétariat détient encore moins d’expérience bien qu’il soit massivement concentré dans de grandes usines. Pourra-t-il opposer la guerre de classe à la guerre impérialiste à l’exemple de ce que le prolétariat pût accomplir en Russie en 1917 et ainsi se faire le déclencheur d’une vague révolutionnaire internationale ?

Il ne s’agit pas non plus de sous-estimer l’importance et l’absolue nécessité que les prolétariats des pays et continents plus périphériques qu’ils soient « riches » – l’Australie ou la Nouvelle Zélande par exemple – ou « pauvres » comme en Afrique ou en Asie, s’engagent dans le combat pour le communisme et rejoignent l’ensemble du prolétariat international. Ni d’exclure de manière absolue la possibilité que l’un ou l’autre puisse momentanément se porter à sa tête. Cependant, leur action vis-à-vis de la guerre impérialiste généralisée sera elle-aussi, et de fait, périphérique. Souligner ces différences de situations entre fractions du prolétariat mondial ne doivent pas nous faire oublier que l’action des unes et des autres intervient, influence, inspire, quand elle ne guide pas les autres fractions du prolétariat mondial. Au final, il n’est qu’une lutte de classe internationale et un prolétariat universel.

Gréves de masse et confrontations massives entre les classes verront leur dynamique être influencées tant par l’évolution de la crise économique elle-même que par l’évolution de la polarisation impérialiste tout comme elles influeront sous une forme ou une autre sur la dynamique vers la guerre. De fait, une course de vitesse est engagée entre les deux, révolution ou guerre, sachant que la bourgeoisie ne pourra faire l’économie d’affronter frontalement et brutalement le prolétariat afin de lui imposer défaites politique, idéologique et physique sanglante.

Luttes ouvrières aux États-Unis et leur rapport à la guerre

Aussi limitées furent les luttes et grèves de l’automne dernier aux États-Unis, qu’elles se soient développées dans la première puissance impérialiste, de plus celle-là même qui pousse le plus à la polarisation impérialiste et à la guerre, est déjà en soi une première réponse du prolétariat et, de fait, une entrave, un frein à la marche à la guerre, certes encore largement insignifiant en l’état mais significatif si considéré en mouvement, comme processus. Les grèves d’octobre 2021 des 10 000 ouvriers du fabriquant de matériel agricole John Deere et des employés de Kelloggs, cette dernière longue de deux mois, tout comme la lutte des « plus de 24 000 infirmières et autres travailleurs de la santé en Californie et dans l’Oregon » [6] en sont les expressions les plus claires. Le fait qu’elles aient dénoncé les accords d’entreprise signés par les syndicats et qu’elles aient affirmé des revendications unitaires, intégrant travailleurs fixes en CDI – pour reprendre les catégories française officielle du travail – et transitoires en CDD, voire intérim, dans les mêmes revendications, réunissant dans la grève y compris les CDI bien que “ bénéficiant ” du contrat signé par les syndicats n’exprime pas seulement une solidarité, certes élémentaire, mais surtout une volonté et détermination de lutte dans la défense des intérêts de classe contraires aux intérêts du capital et de la nation américaine. Tout aussi important est le fait qu’elles viennent démentir une Amérique qui serait divisée entre racistes fascisants pro-Trump d’une part et anti-racistes pro-démocratie adeptes des théories identitaires et racialistes, sachant que certains syndicats, dans l’éducation en particulier, n’avaient pas hésité à avancer des revendications spécifiques selon les travailleurs en fonction de leur couleur de peau et de leur origine. En ce sens, elles sont aussi un démenti et la réponse prolétarienne à toute la campagne idéologique et politique qui avait été massivement matraquée en 2019 après l’assassinat par la police de G. Floyd et qui s’était terminée par une participation électorale massive inégalée.

Que le prolétariat américain puisse se dégager, essentiellement par ses luttes, de l’emprise de l’idéologie démocratique et nationaliste, de celle du « rêve américain » et du « self-made man » sera crucial pour retenir le bras armé et sanglant de l’impérialisme américain que ce soit contre un autre impérialisme ou encore contre toute insurrection prolétarienne victorieuse dans une autre partie du monde. La bourgeoisie américaine, moins que les autres encore, n’hésitera pas à lancer missiles et bombes atomiques sur tout pays ou groupe de pays dans lesquels le prolétariat aura pris le pouvoir. Voilà pourquoi nous disons que le prolétariat d’Amérique du nord sera au cœur de la situation historique : soit il donnera le signal de l’insurrection ouvrière généralisée par son action propre [7] ; soit dans le cas où un ou d’autres prolétariats prendraient l’initiative de l’insurrection et exerceraient la dictature de classe dans d’autres régions, il sera alors en première ligne pour paralyser le principal bras armé de la contre-révolution internationale. D’ores et déjà, les luttes prolétariennes dans le pays, encore une fois aussi limitées soit-elles, interpellent le prolétariat international et donnent l’exemple à suivre. Tout comme elle donne le signal à la bourgeoisie américaine qu’il faudra qu’elle compte avec lui ; c’est-à-dire qu’elle affronte et lui inflige une défaite minimale pour avoir les mains suffisamment libres pour ses desseins impérialistes guerriers. Le prolétariat d’Amérique n’est pas un objet passif en tel ou tel état mais sujet de l’histoire du fait de son interaction, de la lutte des classes, et de son opposition à sa propre bourgeoisie. Les confrontations massives entre les classes passeront aussi, et nous l’espérons surtout, par les États-Unis.

Dynamique internationale des luttes ouvrières

Le renouveau de la combativité ouvrière est international et parcourt tous les continents. Dans les pays sans tradition démocratique et où les syndicats apparaissent ouvertement pour ce qu’ils sont partout, à savoir les organes de l’État capitaliste, les prolétaires n’ont d’autres choix que de se lancer avec audace dans la lutte et de tenter de l’étendre au plus vite avant que la répression ne puisse s’exercer sur eux. Ce sont de véritables exemples de grève de masse en acte que les prolétaires d’Iran, l’été dernier, ou encore du Kazakhstan, début janvier, ont su déclencher. Les revendications sont toujours les mêmes, augmentation des salaires pour faire face aux hausses des prix. Dans les pays à tradition démocratique et où les syndicats se présentent comme indépendants du pouvoir, comme en Europe en particulier, les grèves qui ont éclaté et éclatent se situent sur le même type de revendications. Si les syndicats gardent le contrôle sur celles-là et réussissent encore à saboter l’extension et la généralisation, la dynamique de la grève de masse est bien présente. La grève des métallurgistes de Cadix en Espagne illustre au mieux la combativité retrouvée et cette dynamique. En cela, elle ne diffère pas fondamentalement des luttes aux États-Unis ou encore en Iran ou ailleurs. Nous nous autorisons la reproduction du récit que le groupe espagnol Barbaria [8] a fait de la grève de Cadix qui recoupe ce que les autres groupes, Emancipación et le CCI qui ont pu suivre de près cette lutte, ont aussi relaté.

« Cela signifie que toute mobilisation sera démantelée si elle ne suit pas les principes qui ont marqué les succès de notre mouvement (il faut souligner qu’il y en a eu aussi), qui ne sont autres que l’internationalisme et l’indépendance de notre classe, qui dans une grève se concrétise d’une part en l’étendant à d’autres secteurs – et non pas en l’isolant à un seul – une tendance qui s’est vue dans la grève de Cadix, qui avait une tendance marquée à dépasser le cadre de l’usine, s’étendant à l’environnement urbain de Cadix et de San Fernando par le biais de manifestations et d’assemblées de quartier, et d’autre part en remettant tout le pouvoir de décider de la grève à l’assemblée formée par les travailleurs eux-mêmes, et non à des syndicats qui leur sont étrangers et dont les intérêts sont différents, voire opposés, à ceux de notre classe. »

Il convient de relever plusieurs caractéristiques communes qui sont apparues dans les luttes, que ce soit aux États-Unis, en Espagne (Cadix) ou ailleurs comme en Iran. La plupart tendent à s’opposer aux syndicats, en particulier aux accords que ceux-ci signent avec les directions, à imposer la grève malgré eux, à rejeter toute division entre prolétaires, en particulier entre ceux à contrat fixe et ceux à contrat précaire [9], et enfin à rechercher – même si trop timidement encore – l’extension de leur combat aux autres secteurs.

La dynamique de renouveau des luttes est donc bien présente. Elle présage des affrontements de plus en plus massifs ; et brutaux du fait de la répression étatique qui devient systématique et généralisée. En ce sens, les mesures de contrôle de la population prises à l’occasion de la pandémie viennent à la fois renforcer les mesures de surveillance et de répression mais aussi prépare, habitue, l’opinion publique à celle-ci. La bourgeoisie aussi se prépare à l’affrontement.

Combattre pour la direction politique des luttes

Pour autant, l’obstacle premier, principal, que rencontrent les prolétaires en lutte se trouve être les syndicats, que ce soit les grandes centrales syndicales ou le syndicalisme de base, comme ont su le dénoncer concrètement et justement l’ensemble des groupes révolutionnaires mentionnés ci-dessus. Ce serait une erreur de n’y opposer que l’auto-organisation en soi, en particulier la tenue d’Assemblées générales, comme antidote ou garantie contre les sabotages divers et variés du syndicalisme et des gauchistes. Si l’on peut relever certaines formules ouvrant la porte à ce que nous appelons fétichisme de l’auto-organisation et que nous critiquons car mettant celle-ci comme préalable à la lutte – tel « la capacité de faire avancer les luttes dépendra chaque fois plus des formes d’organisation de départ » [10] –, il importe d’appuyer l’orientation politique qui fait des organisations dont se dotent les prolétaires en lutte des organes de telle ou telle tâche et orientation.

« La grève des métallurgistes de Cadix nous montre que nous devons lutter de manière différente. Et cela signifie, dès aujourd’hui, prendre le contrôle des assemblées monopolisées par les syndicats et le faire pour étendre les luttes, les ouvrir à tous et avancer des revendications communes qui dépassent toutes les divisions de secteur, de région ou type de contrat [fixe ou précaire, CDI ou CDD, ou encore intérim]. » [11]

Or, pour réaliser cette orientation d’extension et de généralisation, que ce soit au moyen d’assemblées, de délégations massives, de piquets de grève, de manifestations de rue, etc., encore faut-il que les prolétaires en lutte assument la confrontation inévitable avec les syndicats et les gauchistes. Il s’agit là d’un combat politique contre les forces de l’État en milieu ouvrier sans lequel ni extension, ni généralisation, et donc ni recul de la bourgeoisie sur telle ou telle revendication, n’est possible. Il appartient donc aux prolétaires les plus combatifs et les plus conscients de prendre en charge cet affrontement pour la direction et l’orientation de chaque lutte ouvrière au dépens des syndicats et du gauchisme. Et quand c’est possible, de s’y préparer en se regroupant en comité de lutte ou autre.

Mais disputer la direction aux syndicats pour contrer leur sabotage ne se résume pas à un simple « ouvriers de base » contre « bureaucrates » et appareil syndical. Encore faut-il opposer à ces derniers des orientations et des mots d’ordre, y compris parfois des revendications, qui correspondent à chaque situation et moment, à chaque bataille ou enjeu particulier. Bref, s’inscrire dans le processus réel, en être un facteur actif et non fonder son positionnement sur tel ou tel état des différents éléments en soi en oubliant qu’ils sont en interaction. La direction politique des luttes ne se décrète pas. Elle se dispute et se gagne, ou non, dans la capacité des prolétaires les plus combatifs à dégager et imposer les voies concrètes pour le développement et la généralisation de leur combat. Et cela y compris dans les luttes les plus isolées et les plus immédiates. C’est là où la fonction des organisations ou groupes politiques communistes, qu’ils puissent disposer ou non de militant sur place, est non seulement essentielle mais même cruciale. Tout comme sera celle du parti de demain.

Dotés des principes du communisme et armés de la compréhension que le cours de l’histoire mène à des affrontements de classe pour résoudre l’alternative révolution prolétarienne ou guerre impérialiste généralisé, ils sont les mieux, sinon les seuls, en mesure d’évaluer les rapports de forces particuliers et généraux et leur dynamique et, ainsi, d’avancer les orientations et les mots d’ordre correspondant aux besoins de chaque moment des luttes. Ce faisant, ils font la preuve de l’efficacité quotidienne et historique des principes du communisme, de sa théorie du matérialisme historique, et donc du parti, à défaut des groupes communistes, qui matérialisent programme, principes et méthode. Ce faisant, le parti, aujourd’hui les forces du parti en devenir, assume et finit par gagner la direction politique effective du prolétariat.

Elle est la condition sine qua non, mais non la garantie absolue, de la capacité insurrectionnelle victorieuse du prolétariat et de l’exercice de la dictature de classe pour en finir avec le capital, la misère et la guerre. De manière plus immédiate, c’est-à-dire aujourd’hui dans la dynamique de renouveau des luttes ouvrières, le combat pour la direction politique effective des combats prolétariens reste encore à l’état embryonnaire, largement en devenir, malgré les efforts de l’ensemble des groupes révolutionnaires. Pour autant, nous sommes convaincus qu’il existe déjà aujourd’hui un lien – que nous oserons qualifier de dialectique – entre la dynamique même des luttes qui surgissent et l’intervention et propagande des avants-gardes politiques du prolétariat. Et ce n’est pas tant en soi le degré atteint par la crise économique qui renforce ce lien – historiquement nombreux sont les cas où crise économique et développement de luttes ouvrières ne correspondent pas – mais bel et bien les poussées à la guerre impérialiste généralisée qui en est la raison fondamentale, historique. Ce lien dynamique entre les deux a pour contenu, réalité, la défense et la mise en pratique du principe de l’internationalisme prolétarien étendue jusqu’au principe de la dictature du prolétariat comme disait Lénine. Car c’est dans le rapport, réel, concret, en procès, du prolétariat international à la perspective de la guerre généralisée, au travers de ses luttes, et par l’intervention active et décidée des groupes et militants communistes d’aujourd’hui dans ces combats, que le parti pourra, au prix d’efforts et de combats tout aussi acharnés, se constituer et guider la classe révolutionnaire jusqu’à l’insurrection, la dictature du prolétariat et, à la fin, au communisme.

Le renouveau des luttes actuelles, outre d’exprimer l’inévitable défense des conditions de vie et de travail des prolétaires qui se détériorent de façon accélérée, est la première expression de cette perspective. Il permet de vérifier que le cours historique est bien vers des affrontements massifs entre classes.

RL, 31 janvier 2022

Accueil


Notes:

[1. Dont le point le plus haut avait été les deux mois de grève dans différents secteurs, principalement les transports, en France en décembre 2019 et janvier 2020 (cf. Revolution ou guerre #14 et les communiqués, par exemple le 2e communiqué, que nous avons publiés alors et RG #19 sur l’intervention des groupes communistes dans les grèves de 2019 en France).

[2. Mais aussi en partie à des couches importantes de la petite-bourgeoisie projetées dans la misère.

[4. Tract du 5 décembre 2021 diffusé par le IWG, groupe affilié à la TCI aux États-Unis, http://www.leftcom.org/en/articles/2021-12-05/striking-kellogg-s-workers-don-t-settle-for-crumbs.

[5. Celle-là même qui avait semblé émerger lors de la guerre d’Irak de 2003 et qui avait vu l’Allemagne et la France polariser autour d’elles l’opposition en particulier de la Russie et de la Chine à l’aventure américaine qui était, elle, soutenue par les pays anglo-saxons,

[6.TCI, États-Unis : ’Striketober’, vague de grève inédite, http://www.leftcom.org/fr/articles/2021-11-25/%C3%A9tats-unis-striketober-vague-de-gr%C3%A8ve-in%C3%A9dite

[7. Ce qui, sans l’exclure de manière absolue, nous semble aujourd’hui peu probable pour des raisons que nous ne pouvons développer ici. Sur cette question, nous renvoyons le lecteur à la critique de la théorie du maillon faible développée en particulier par le CCI dans les années 1970 et 1980. Par exemple, il peut se réfèrer au débat interne qui est rapportée dans la Revue Internationale 57, 1984 (https://fr.internationalism.org/rinte37/debat.htm)

[8. http://barbaria.net/2021/12/11/la-huelga-de-cadiz-y-las-flores-en-la-guadana/. Barbaria est un groupe révolutionnaire en Espagne qui est apparu en 2018. Son site web publie quelques pages en français auxquelles le lecteur no-hispanophone peut se référer au besoin.

[9. Que ce soit à John Deere ou Kelloggs aux États-Unis ou à Cadix, les prolétaires à contrat ou statut fixe n’ont pas hésité à lutter aux côtés de précaires, y compris lorsque l’accord signé par les syndicats ne les affectaient pas directement. Ce phénomène s’était déjà manifesté lors des grèves de l’automne-hiver 2019 en France : une grande partie des grévistes des chemins de fer ou des transports urbains, comme à Paris, n’étaient pas directement touchés par la « réforme » sur les retraites. Cela ne les avait pas empêché, bien au contraire, de faire grève durant deux mois.

[10. Emancipation, From the “Covid strikes” to confrontation with unions, (https://en.communia.blog/from-the-covid-strikes-to-confrontation-with-unions/)

[11. Emancipación, Metalworkers strike in Cadix (https://en.communia.blog/metalworkers-strike-in-cadiz/)