Révolution ou guerre n°23

(Janvier 2023)

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À bas la démocratie bourgeoise ! Réflexions sur les élections américaines de « mi-mandat » présidentiel

Cette prise de position fut rédigée avant que les résultats définitifs des élections de « midterm » soient entièrement connus ; en particulier que soit complètement assuré le contrôle du parti démocrate sur le Sénat. Tout comme lors de l’élection de Biden, et la défaite de Trump, la bourgeoisie américaine et l’ensemble de son appareil d’État ont fait la preuve de leur maîtrise du jeu électoral en permettant au gouvernement Biden d’avoir les mains libres pour poursuivre au mieux la politique impérialiste américaine, à l’offensive tant en Europe que dans le Pacifique vis-à-vis de la Chine. Pour réussir à mobiliser les électeurs et obtenir ces résultats, l’utilisation des mystifications d’ordre « démocratique », et en particulier des idéologies gauchistes identitaire et féministe, a été une fois de plus essentielle.

À bas la démocratie bourgeoise ! Réflexions sur les élections américaines de « mi-mandat » présidentiel

Une autre élection, une autre victoire bourgeoise. Il semble que, malgré une économie vacillante, le parti démocrate au pouvoir maintiendra son emprise sur le Sénat et gagnera de nombreux gouverneurs dans les différents États, laissant le parti républicain n’obtenir, au mieux, qu’une faible majorité à la Chambre des représentants. [1] Avec cette élection, les démocrates pourront désormais persister dans leur soutien à la poursuite de la guerre impérialiste en Ukraine. Alors que la guerre commence à s’installer dans une impasse sanglante, la poursuite de l’aide militaire des États-Unis, qui se chiffre en milliards de dollars, est plus nécessaire que jamais pour les impérialistes, et le maintien du pouvoir démocrate contribue à faciliter ce flux d’armes. [2] Bien entendu, une victoire des Républicains n’aurait pas constitué une victoire contre l’impérialisme, car elle n’aurait eu pour effet que de retourner la machine de guerre américaine contre la Chine. [3] En outre, les résultats de ces élections de mi-mandat ont permis au président Biden et au Congrès d’invoquer le Railway Labor Act de 1926 afin d’empêcher les cheminots de faire grève, en particulier pour pouvoir avoir droit à des congés maladie. [4]

Si plusieurs facteurs ont joué dans ces résultats, l’impopularité de Donald Trump, l’incapacité des Républicains à lier la peur du crime à un programme électoral, la dépendance des Républicains à l’égard des retraités à la démographie déclinante, l’explication la plus essentielle est la récente décision Dobbs de la Cour suprême, rendant les gouverneurs des États décisionnaires pour déterminer les lois sur l’avortement. Alors que le parti démocrate présente aujourd’hui l’électoralisme comme une arme nécessaire dans la guerre pour la « libération des femmes », ce n’est rien d’autre qu’une supercherie bourgeoise visant à mobiliser les électeurs pour qu’ils soutiennent l’État capitaliste. [5] Comme l’observe Kollontai dans son livre de 1909, Les bases sociales de la question féminine :

« Le monde des femmes est divisé, tout comme celui des hommes, en deux camps ; les intérêts et les aspirations d’un groupe de femmes les rapprochent de la classe bourgeoise, tandis que l’autre groupe a des relations étroites avec le prolétariat, et ses exigences d’émancipation représentent une solution intégrale à la question féminine. Donc, quoique les deux camps partagent le slogan général de la ‘libération de la femme’, leurs objectifs et leurs intérêts sont différents. Chaque groupe prend inconsciemment comme point de départ les intérêts de sa propre classe, ce qui donne une empreinte de classe spécifique aux objectifs et tâches qu’ils se fixent. » [6]

Ce n’est pas nouveau que la bourgeoisie utilise la cause de la « libération des femmes ». Pendant la Première Guerre mondiale, les féministes bourgeoises soutenaient l’effort de guerre de leurs différentes nations en mobilisant les femmes pour travailler dans les usines et maintenir le soutien sur le front intérieur. Des suffragettes telles qu’Emmeline et Christabel Pankhurst non seulement appelaient à la fin de l’action militante, mais également à soutenir le « mouvement des plumes blanches », qui utilisait les idées patriarcales sur l’honneur et la lâcheté pour faire honte à celles qui ne s’engageaient pas dans la boucherie. [7] Il ne s’agit pas de suggérer que ces personnalités « échouèrent » à être de véritables féministes, mais plutôt que les réalités du travail dans les limites de la société bourgeoise ne peuvent pas conduire à l’abolition des relations sociales bourgeoises. Comme l’indique la plate-forme politique du GIGC :

« S’il est vrai que la révolution prolétarienne engendrera de nouveaux rapports dans tous les domaines de la vie sociale, il est erroné de croire que l’on peut y contribuer en organisant des luttes spécifiques sur des problèmes parcellaires tels le racisme, la condition féminine, la pollution, la sexualité et autres aspects de la vie quotidienne. Par leur contenu même, les luttes parcellaires, loin de renforcer la nécessaire autonomie de la classe ouvrière, tendent au contraire à la diluer dans la confusion de catégories particulières (races, sexes, jeunes, etc.) totalement impuissantes devant l’histoire. »

En fin de compte, le mouvement féministe pendant la Première Guerre mondiale n’a servi qu’à faire avancer la cause de la bourgeoisie, et non la libération des femmes au-delà de celles du camp de la bourgeoisie.

Tout comme la mobilisation bourgeoise de la Première Guerre mondiale nous renseigne sur les pièges à vouloir répondre à la « question des femmes » sur le terrain bourgeois, la Révolution russe nous en dit long sur les avantages de répondre à cette question sur le terrain du prolétariat. Bien que le gouvernement provisoire [le gouvernement bourgeois de février jusqu’à l’insurrection prolétarienne d’octobre 1917] ait accordé le suffrage universel, la Révolution d’Octobre essaya de changer le tissu social qui soutenait l’ordre patriarcal. Non seulement les femmes se sont retrouvées à occuper des rôles importants au sein de l’Armée rouge et de la Tchéka, mais elles provoquèrent également une révolution sexuelle dans laquelle le mariage fut sécularisé, l’avortement légal et la procédure de divorce facilitée. Comme l’a fait valoir Kollontai, les travailleuses n’étaient pas des actrices passives dans ces événements, comme elles l’avaient été auparavant lors des révolutions bourgeoises, mais des participantes actives. En défaisant la morale bourgeoise, les bolcheviks espéraient voir l’émergence d’une « femme nouvelle », libérée de toutes les normes et superstitions patriarcales. [8] De tels changements ne pouvaient pas se produire au coup par coup, mais seulement dans le cadre d’un mouvement révolutionnaire plus large dirigé par le parti communiste. Malheureusement, ces changements s’inversèrent avec la révolution elle-même pendant la contre-révolution stalinienne.

Ces leçons sont doublement applicables à ceux qui vivent sous le capitalisme d’État d’aujourd’hui. Au lieu de voter pour le pouvoir bourgeois aux États-Unis, un pouvoir qui continue à soutenir la guerre en Ukraine, augmente les tensions en Asie de l’Est et impose l’austérité dans le pays, dans l’espoir que les gouverneurs locaux puissent protéger l’accès à l’avortement, les travailleurs doivent frapper au cœur des relations sociales, le capitalisme lui-même.

À bas la bourgeoisie ! À bas le capitalisme ! Pas de guerre sauf la guerre de classe ! Voilà les réponses prolétariennes qui correspondent au moment actuel aux États-Unis.

Frederick, Novembre 2022

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