Révolution ou guerre #26

(Janvier 2024)

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L’obstacle syndical aux États-Unis : un article du CCI que nous soutenons

Nombreux seront surpris. Nous publions ci-dessous un article récent du CCI que nous soutenons pour la critique politique qu’il porte sur l’intervention du groupe « bordiguiste », Il Partito Comunista Internazionalista. [1] Celui-ci s’est développé dernièrement aux États-Unis et y publie The Communist Party. L’écho – bien évidemment tout relatif – que rencontre ce groupe aux États-Unis peut surprendre. D’autant que « l’orthodoxie » de son bordiguisme fait que les positions politiques qu’il défend restent figées au… deuxième congrès de l’Internationale communiste. En particulier, il continue à défendre que le syndicat reste l’organe unitaire de la classe ouvrière. Il en appelle à la reconquête de la direction syndicale et au « syndicalisme rouge ». Et c’est sans doute cette position qui peut expliquer l’écho qu’il rencontre dans les forces nouvelles et inexpérimentées qui surgissent dans le pays. Le fait que l’expérience de dynamique de grève de masse par le prolétariat nord-américain reste particulièrement lointaine – les années 1930 – et limitée – essentiellement les manifestations de chômeurs –, fait que la question syndicale reste un obstacle beaucoup plus affirmé qu’en Europe ou dans le reste du monde. Ne serait-ce que parce que tout type de lutte ouvrière est inconcevable pour l’énorme majorité de travailleurs et de militants d’Amérique sans les syndicats. Par comparaison, et même si le souvenir s’en éloigne, les grèves sauvages des années 1960-1970 en Europe occidentale, particulièrement les grèves de masse française de 1968 et italienne de 1969, ou encore la grève de masse en Pologne de 1980 font partie de la tradition prolétarienne. Roosevelt et le New Deal des années 1930 sanctionnèrent l’intégration totale et définitive des syndicats américains à l’État capitaliste en vue de la préparation à la 2e guerre impérialiste mondiale et d’assurer le contrôle et la discipline du prolétariat avant, pendant et après la guerre. La reconnaissance des « droits syndicaux » dans les entreprises s’accompagna de l’adoption d’une législation anti-ouvrière répressive. Toute grève significative, et cherchant un minimum d’efficacité et de réussite, est interdite et réprimée, et si besoin un décret du gouvernement l’interdit officiellement, comme ce fut le cas lors de la mobilisation des cheminots américains de 2022.

Il est plusieurs raisons à notre publication de l’article du CCI critiquant la position et l’intervention du Partito. La première est que nous avions prévu un article de critique de l’intervention de ce groupe [2] dans les luttes ouvrières, particulièrement celle d’UPS, aux États-Unis. En lisant l’article du CCI et constatant que nous en partagions l’essentiel, il devenait inutile – et économe de nos forces – d’écrire notre propre prise de position au lieu de reproduire et soutenir celle du CCI. Ensuite, comme tout un chacun habitué à lire le CCI des années 2000, le ton et le contenu politique de cet article diffèrent considérablement des polémiques sectaires et stupides dont cette organisation gratifie d’ordinaire l’ensemble du camp prolétarien ; tout particulièrement ces derniers temps. Soutenir cette prise de position ne peut qu’encourager les forces les moins sectaires qui peuvent encore exister, voire émerger, en son sein à poursuivre dans cette voie. Enfin, le contenu politique de différents arguments est à souligner et à appuyer. Ce n’est pas seulement parce qu’ils reprennent la démarche et l’argumentation sur différents points que nous développons dans notre propre plateforme politique et dans nombre de nos prises de position. Mais surtout, parce qu’ils tendent à rompre avec l’approche et l’argumentation d’ordre conseilliste que le CCI des années 2000 a systématisés et auxquels sa plateforme ouvre la porte.

Sans doute, est-ce ce qui explique l’absence de traduction, à ce jour, en français et en espagnol en particulier, de cet article rédigé par un membre anglosaxon. Nous l’avons donc traduit nous-mêmes. Pour aider le lecteur et les militants à s’arrêter sur les points présentant un intérêt de débat et un enjeu en terme d’intervention dans les luttes ouvrières, nous introduisons dans le corps même de l’article du CCI nos commentaires de soutien ou de critique. Ils sont mis entre parenthèse et soulignés en gras.

17 décembre 2023

Une intervention opportuniste dans les luttes ouvrières aux États-Unis
(Courant Communiste International)

Depuis l’été 2022, l’intervention des révolutionnaires dans la lutte de la classe ouvrière est devenue une perspective plus concrète car, après trois ou quatre décennies de recul profond de la combativité et de la conscience de la classe, le prolétariat a finalement relevé la tête. Cette résurgence des luttes, qui a commencé avec « l’été du mécontentement » au Royaume-Uni, a été suivie par des grèves, des manifestations et des protestations ouvrières dans divers autres pays, y compris les États-Unis. [3]

Le Parti communiste international, qui publie Il Partito Comunista, l’une des organisations de la Gauche communiste, a rendu compte de son intervention dans certaines des luttes ouvrières de l’année écoulée aux États-Unis, parmi lesquelles une grève de 600 travailleurs municipaux à la station d’épuration de Portland (Oregon), qui a débuté le vendredi 3 février 2023. Cette grève a été accueillie par des expressions de solidarité de la part d’autres travailleurs municipaux, dont certains ont également rejoint les piquets de grève. Au cours de cette grève, Il Partito a publié un article et distribué trois tracts dans lesquels il dénonce le capitalisme comme un système d’exploitation dictatorial et tire la leçon suivante : « ce n’est qu’en s’unissant par-delà les secteurs et les frontières que la classe ouvrière peut véritablement lutter pour mettre fin à la condition d’exploitation qui est la sienne sous le capitalisme. » [4]

Dans les conditions actuelles de reprise internationale et historique des luttes après des décennies de désorientation et de dispersion, s’engager dans la lutte est déjà en soi une victoire. Voilà pourquoi il est important de signaler que, comme l’a fait Il Partito, les travailleurs municipaux de Portland ont été en mesure de développer leur unité et leur solidarité face aux intimidations, à leur criminalisation et aux menaces de la bourgeoisie.

Mais les révolutionnaires ne peuvent s’arrêter là. Dans leurs interventions dans la presse, les tracts ou autres, ils doivent proposer des perspectives concrètes telles que l’appel aux travailleurs à étendre la lutte au-delà de leur propre secteur, en envoyant des délégations sur d’autres lieux de travail et dans d’autres bureaux. Comme le souligne l’un de nos récents articles, dès aujourd’hui les travailleurs doivent « lutter tous ensemble, en réagissant de façon unitaire et en évitant de s’enfermer dans des luttes locales, au sein de son entreprise ou de son secteur. »

[C’est juste. Si cela correspondait aux interventions à venir du CCI, alors il s’agirait d’une rupture avec celles qui ont prévalu depuis maintenant plus de vingt ans. Celles-ci consistent à faire de la récupération de l’identité de classe la pré-condition à tout développement significatif des luttes ouvrières : « retrouver (…) l’identité de classe [est] la base de toute solidarité de classe et ce sera la base pour que, dans le futur, les luttes puissent s’élever à un niveau supérieur à travers leur extension et leur unification ». [5] ]

Mais pour ce faire, pour renforcer la lutte, la question principale que les révolutionnaires doivent poser clairement aux travailleurs est de savoir qui est du côté des travailleurs et qui est contre eux. Et sur cette question, le PCI diffuse un brouillard mystificateur.

[Si la deuxième phrase est juste, la première l’est moins. Dans la réalité de la lutte des classes et de l’intervention des révolutionnaires, cette proposition consistant à éclairer les masses sur la nature des syndicats et des forces de gauche, comme question principale, revient à en faire la pré-condition au renforcement de la lutte. C’est en contradiction avec la proposition précédente que nous avons saluée : avancer des orientations et des mots d’ordre, les plus précis possible, concrets en vue du développement, de l’extension et de la généralisation de toute lutte. Ce n’est pas en dénonçant en soi les syndicats que ces orientations pourront se concrétiser et être mises en pratique par les travailleurs. Par contre, c’est le combat et les positionnements pour ou contre leur réalisation qui pousseront les prolétaires à prendre en main le combat politique contre les diverses manœuvres et opérations de sabotage syndical et ainsi à rejeter syndicats et le syndicalisme en tant qu’idéologie et pratique. Et c’est en cela sur le terrain concret – c’est-à-dire politique – de la confrontation de classe que le parti communiste, aujourd’hui les groupes communistes, la direction politique, sont essentiels.]

Opportunisme sur la question syndicale…

Pour la Gauche communiste, le syndicalisme en tant que tel, et donc non seulement la direction syndicale mais aussi les structures de base des syndicats, sont devenus une arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Le syndicalisme, qui est par définition une idéologie qui maintient la lutte dans les limites des lois économiques du capitalisme, est devenu anachronique au siècle des guerres et des révolutions, comme l’ont clairement démontré les révolutionnaires de la Première Guerre mondiale et la vague révolutionnaire qui a débuté en 1917. Les nouvelles conditions de l’époque actuelle exigent que les luttes dépassent la particularité du lieu de travail, de la région et de la nation et prennent un caractère massif et politique. Alors que les syndicats ne sont plus d’aucune utilité pour les luttes des travailleurs, ils ont été récupérés par la bourgeoisie et utilisés pour contrer la tendance à l’extension et à l’auto-organisation des luttes. Dans une telle période, défendre la méthode de lutte syndicaliste comme un authentique moyen de promouvoir la combativité de la classe ouvrière n’est rien d’autre qu’une concession à l’idéologie bourgeoise, une forme d’opportunisme.

[Notons au passage le sérieux et l’esprit de la polémique qui permet d’aborder et confronter les questions théorico-politiques et ainsi d’éclairer tout lecteur et militant sur l’opposition des positions politiques de fond.

Il faut souligner l’importance de ce point et, surtout, de l’argumentaire de l’article. Nous l’appuyons et encourageons ceux qui le partagent au sein du CCI à le développer et à assumer le combat politique interne qu’il ne manquera pas de soulever. En effet, en défendant que le syndicalisme « est devenu anachronique au siècle des guerres et des révolutions », l’article touche à la raison historique fondamentale, la période de révolution ou guerre, le facteur guerre impérialiste généralisée nécessitant le développement universel du capitalisme d’État, qui détermina depuis lors « les nouvelles conditions de l’époque actuelle » pour la lutte des classes. Nous renvoyons à notre plateforme sur ce point. Ce faisant, l’article dépasse les limites d’ordre conseilliste de la plateforme du CCI qui explique la mort des syndicats et des organisations de masse prolétariennes pour la classe révolutionnaire – et leur intégration à l’État bourgeois – par la simple explication d’ordre économiste : « le capitalisme cesse d’être en mesure d’accorder des réformes et des améliorations en faveur de la classe ouvrière... » [6]

Face au problème des formes d’organisation nécessaires à la défense des conditions de vie de la classe ouvrière, qu’il s’agisse de syndicats de classe, de réseaux ou de coordinations, Il Partito défend une position opportuniste qu’il justifie de la manière suivante : il reconnaît que, « depuis la fin du XIXe siècle, la soumission progressive des syndicats à l’idéologie bourgeoise, à la nation et aux États capitalistes » [7] a été une tendance réelle. Mais il n’explique pas comment il est possible que tous les syndicats aient été intégrés à l’État bourgeois au cours des premières décennies du 20e siècle. Pour Il Partito, il s’agit d’une pure coïncidence, puisqu’il n’affirme pas que les conditions objectives ont fondamentalement changé depuis lors. En revanche, il affirme que les attaques économiques contre les travailleurs « conduiront à la renaissance de nouveaux syndicats libérés du conditionnement bourgeois » et « dirigés par le parti communiste ». Ces syndicats seront même « un instrument puissant et indispensable pour le renversement révolutionnaire du pouvoir bourgeois. »
 [8]

[Commentaire totalement secondaire sur la première partie de ce paragraphe : un débat pourrait avoir lieu sur l’intégration définitive et intégrale des syndicats comme organes de l’État capitaliste en tant que résultat final du processus – et du combat politique entre les classes. Le processus s’est ouvert avec la 1ere Guerre mondiale, pour les besoins de celle-ci. Mais quand s’est-il définitivement terminé ? Les années 1920 ? 1930 avec les politiques de New Deal-Front Populaire et fascistes dans la préparation à la 2e Guerre mondiale ? Ou encore lors de la reconstitution des syndicats en 1945 ? Même si secondaire, cette question renvoie aux expériences historiques des fractions de gauche de l’Internationale communiste et à la revendication – ou fil – historique des groupes communistes d’aujourd’hui. Grossièrement et pour expliciter : gauche germano-hollandaise ou gauche d’Italie, ou bien les deux à la fois et en « synthèse » ?]

En d’autres termes : après la trahison des anciens syndicats, de nouveaux syndicats ouvriers apparaîtront et, dans la bonne tradition bordiguiste, on suppose que, dirigés par un véritable parti révolutionnaire, ils rempliront un rôle révolutionnaire. Mais ici, il faut réveiller Il Partito de son rêve, car les conditions de la lutte de la classe ouvrière ont complètement changé depuis le début du 20ème siècle. Cela signifie que la lutte ne peut plus « se préparer d’avance sur le plan organisationnel. (…) La lutte prolétarienne tend à dépasser le cadre strictement économique pour devenir sociale, s’affrontant directement à l’Etat, se politisant et exigeant la participation massive de la classe. (…) Le succès des grèves ne dépend pas des fonds financiers recueillis par les ouvriers mais bien fondamentalement de leur capacité d’élargissement. » [9]

[Nous sommes totalement en accord avec ce passage d’un texte de 1980. En particulier, avec l’insistance sur « l’affrontement direct à l’État » même si nous n’utiliserions pas la formule « se politisant ». Depuis sa constitution, le GIGC défend cette approche et cette position qu’il a inclues dans sa propre plateforme.]

Et à cause de ce nouveau contenu, les syndicats ne répondent plus aux besoins de la lutte prolétarienne, et même le fait d’être dirigés par un parti révolutionnaire n’y changerait rien. [Remarque secondaire : l’argument est en soi curieux et même contradictoire : comment un organe de l’État bourgeois pourrait-il être dirigé par un parti révolutionnaire, c’est-à-dire prolétarien ? C’est plutôt cet argument qu’il aurait fallu avancer…] La volonté d’Il Partito de défendre l’existence d’organes permanents de lutte, aussi bien dans les périodes de lutte ouverte que dans les périodes d’absence de lutte, conduira inévitablement à l’échec. Une renaissance des syndicats en tant que véritables organisations de la classe ouvrière n’est possible que dans l’imagination du Partito, pour qui le rôle du parti dans la lutte n’est pas seulement décisif, mais semble même capable d’invoquer le pouvoir surnaturel d’adapter les syndicats aux besoins réels de la lutte des travailleurs.

… conduit les travailleurs dans une impasse

Le premier tract distribué lors d’une manifestation le samedi 28 janvier s’intitulait « Travailleurs municipaux de Portland : Lutter pour la liberté de faire grève », une « liberté » attaquée par la proclamation de l’état d’urgence par la municipalité.

Avec la revendication de la « liberté de grève », ce tract met d’emblée les travailleurs sur une fausse piste. Au 19ème siècle, lorsque les syndicats étaient encore des organisations unitaires de la classe ouvrière dont le rôle était d’améliorer les conditions de travail et de vie au sein du capitalisme, une telle revendication était sans aucun doute valable. Mais aujourd’hui, alors que les syndicats font partie de l’État capitaliste, les travailleurs n’ont rien à gagner à soutenir une campagne de défense du droit de grève. Car une telle lutte est en réalité une lutte pour les droits du syndicat à contrôler les luttes des travailleurs. La classe ouvrière n’a pas besoin de se battre pour la légalisation de ses propres grèves, car dans les conditions du capitalisme d’État totalitaire, toute grève susceptible de créer un véritable rapport de force contre la bourgeoisie est par définition illégale. L’objectif de cette campagne pour la liberté de grève est principalement de garantir que les luttes restent confinées dans les étroites limites légales de la politique bourgeoise et du contrôle syndical. Lorsque la bourgeoisie accorde le droit de grève, son but est uniquement de réduire la lutte des travailleurs à une protestation inefficace afin de faire pression sur l’un des « partenaires de négociation ».

[Exactement. Nous avons particulièrement développé ce point dans l’éditorial de notre dernier numéro de notre revue. [10] ]

Après la grève des travailleurs municipaux de Portland, les camarades d’Il Partito, au printemps de cette année, « ont mis en place, avec d’autres militants syndicaux, une coordination qu’ils ont appelée le Class Struggle Action Network (CSAN), visant à unir les luttes des travailleurs. » [11] Ce CSAN est intervenu par exemple dans la grève des infirmières à la fin du mois de juin. Mais quelle est la nature réelle du CSAN ? Quelle pourrait être la perspective d’un tel réseau, « destiné à unir les luttes des travailleurs » ?

Ce CSAN n’est pas né en réaction à un besoin particulier des travailleurs de prendre la lutte en main, d’envoyer des délégations massives à d’autres travailleurs, d’organiser des assemblées générales ouvertes à tous les travailleurs ou de tirer des leçons pour préparer de nouvelles luttes. Non, rien de tout cela, le Réseau a été créé complètement en dehors de la dynamique concrète de la lutte par les camarades d’Il Partito « inspirés par les mêmes principes et méthodes sur lesquels le Coordinamento Lavoratorie Lavoratrici Autoconvocati s’est formé en Italie » [12] au milieu des années 1980. Et sur le site web de ce Réseau [13] on peut lire, non par hasard, un article d’Il Partito, qui précise que l’objectif est de travailler à « la renaissance du syndicat de classe. »

[Il n’y pas la place et il serait abusif de critiquer cet article pour ne pas avoir développé sur la position historique du CCI sur les comités de lutte. En ce sens, si la critique ici émise contre l’initiative du Partito est en partie valable, elle laisse d’autres parties de la question dans l’obscurité qui demanderaient plus d’explication. Par exemple, est-ce qu’une organisation communiste peut être à l’initiative de comités de lutte ?]

Comme nous l’avons dit plus haut, les syndicats sont aujourd’hui des instruments de l’État bourgeois et toute renaissance en tant qu’organisations de la classe ouvrière est impossible. Ainsi, la politique d’Il Partito ne peut qu’enfermer les travailleurs combatifs dans une lutte totalement vaine et décourageante. Dans ce contexte, le CSAN subira le même sort que tout organe créé artificiellement : soit rester un appendice d’Il Partito [14], soit devenir une expression radicale du syndicalisme bourgeois. Mais le plus probable est qu’il disparaîtra après qu’Il Partito aura tenté de le maintenir artificiellement en vie. Il pourra alors enterrer cet enfant mort-né en silence, sans avoir besoin de tirer d’autres leçons de cette expérience.

Dans la grève des travailleurs municipaux, « les camarades ont participé aux piquets de grève, aidant les travailleurs à les renforcer. » [15] Le rapport de l’intervention dans la grève des infirmières ne parle que de l’intervention du CSAN organisant « des participants pour la solidarité sur les piquets de grève ». Cela donne l’impression qu’il n’y a pas eu d’intervention d’Il Partito, distinct et séparé du Réseau. Ainsi, les camarades d’Il Partito ont participé à titre individuel aux piquets de grève en février et en juin. Mais pourquoi ? Parce que les travailleurs ne peuvent pas assumer cette tâche ? Ou bien les camarades participaient-ils en tant que délégués d’autres lieux de travail ? La réponse à ces questions ne figure pas dans les articles d’Il Partito. Fondamentalement, derrière son intervention, il faut souligner une grande ambiguïté sur le rôle de l’avant-garde révolutionnaire de la classe.

La responsabilité des révolutionnaires

En premier lieu, la tâche de l’organisation politique de la classe n’est pas d’aider la classe à renforcer le piquet de grève, à collecter de l’argent pour soutenir financièrement une grève ou à accomplir d’autres tâches pratiques pour les travailleurs en grève. Les travailleurs sont tout à fait capables de faire ces choses par eux-mêmes, sans que personne ne les remplace. Une organisation communiste a une autre tâche, qui n’est ni technique, ni matérielle, mais essentiellement politique. La lutte de la classe ouvrière doit être renforcée par l’intervention politique organisée de l’organisation révolutionnaire.

[Exact. Il est difficile de connaître la réalité immédiate-physique de l’intervention du Partito dans ces luttes aux États-Unis. Son site présente différents tracts, dont un s’adressant aux travailleurs de l’UPS [16] ] et l’article éditorial de son journal semble aussi être un tract. Nous pouvons en conclure que ces deux tracts ont été diffusés et donc que le Partito est intervenu en tant que tel, du moins lors de la grève d’UPS. En fut-il de même pour la grève à Portland ? Toujours est-il que la critique du CCI sur « l’aide fournie aux travailleurs sur les piquets de grève » est juste en soi. Là n’est pas la fonction spécifique des organisations communistes. S’il importe qu’elles se mobilisent, ou mobilisent leurs membres locaux et ceux du lieu de travail, pour intervenir à tous les rassemblements regroupant les prolétaires en lutte, y compris donc aux piquets de grève, c’est avant tout pour avancer les orientations et mots d’ordre permettant l’extension et la généralisation du combat contre leur sabotage par les syndicats. Car elles seules sont en capacité de le faire.]

Conformément à cette orientation, celle d’être un facteur politique actif dans le développement de la conscience et de l’action autonome de la classe ouvrière, les organisations communistes doivent mettre en avant une analyse des conditions de la lutte des classes, avec lucidité et une méthode claire, tout en étant capables de dénoncer et de combattre ces ennemis de la classe ouvrière que sont les syndicats. Il Partito, qui justifie de manière irresponsable la possibilité de réhabiliter le syndicalisme ou de lutter à travers les syndicats, malgré des décennies de limitation et de sabotage des luttes par ces organes, ne peut ainsi qu’affaiblir le combat de classe des travailleurs. Non seulement cet opportunisme sème la confusion, mais il ne peut que conduire les travailleurs dans une impasse.

CCI, Dennis, 15 novembre 2023

[Pour être complet avec l’intervention d’Il Partito, il convient néanmoins de relever une orientation générale que nous partageons dans les conditions prévalant aux États-Unis aujourd’hui : « Bien sûr, nous comprenons que les conditions en Amérique sont telles qu’il est courant qu’une grève soit conditionnée par un vote. Dans le système actuel, le vote a lieu en ligne, où l’électeur reste anonyme et isolé. Organisez-vous avec vos collègues, exigez qu’une discussion ouverte ait lieu sur le lieu de travail et que le vote ait lieu dans des assemblées de travailleurs. » [17]

[Du fait des conditions particulièrement répressives et syndicalistes qui s’imposent sur le prolétariat en Amérique du nord, le combat pour imposer les votes en assemblées est sans doute essentiel pour que les travailleurs puissent décider eux-mêmes et collectivement de la grève ou non. Le Partito a raison de mettre en avant cette orientation, à condition qu’elle ne tombe pas dans un « fétichisme de l’auto-organisation ». Elle demande donc à être avancée concrètement selon les moments et les lieux.]

Extrait de la plateforme du GIGC sur la question syndicale

Pour autant, les révolutionnaires ne doivent pas rester indifférents aux manœuvres et actions des syndicats dans l’attente d’hypothétiques mouvements prolétariens spontanément débarrassés de leur présence. Lorsque ceux-ci sont appelés, de fait contraints, de par leur fonction anti-prolétarienne en milieu ouvrier à occuper le terrain des luttes prolétariennes, à prendre des initiatives et à appeler les prolétaires à y participer, assemblées, grèves, manifestations, afin de garder un minimum de crédibilité à leurs yeux ou bien encore pour prévenir et anticiper sur toute dynamique réelle d’extension et d’unité dans la lutte, le parti et ses membres ne doivent pas déserter le terrain imposé, les assemblées, grèves, manifestations, etc. du fait qu’elles seraient appelées par les syndicats. Bien au contraire, ils doivent saisir ces occasions de regroupement ouvrier pour combattre les orientations, les sabotages, et les impasses syndicalistes en y opposant les mots d’ordre et revendications favorisant le développement du combat de classe et en cherchant à regrouper autour d’eux les prolétaires les plus combatifs. Le parti doit se porter au premier rang du combat politique quotidien que le prolétariat comme un tout doit prendre en charge dans ses luttes contre les forces bourgeoises, syndicalistes et de gauche principalement. »


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Notes:

[3. Nous avons enlevé les notes de l’article du CCI, dont celle qui se trouve à cet endroit du texte, qui renvoyaient à des textes de celui-ci. Nous avons maintenu les notes indiquant la source des citations faites par l’article. Nos propres notes sont elles-aussi entre parenthèses et en gras.

[4. ICP Intervention in the Portland City Workers’ Strike (https://www.international-communist-party.org/English/TheCPart/TCP_051.htm)

[5Parmi tant d’articles et tracts du CCI, cf. Révolution internationale #345, Face à l’aggravation des attaques capitalistes, la classe ouvrière reprend le chemin de la lutte. (https://fr.internationalism.org/ri345/greve_Grande_Bretagne.htm) Pour une critique plus large de la position du CCI sur cette question, nous renvoyons nos lecteurs en particulier à notre prise de position sur la polémique du CCI sur l’intervention du PCI-Le Prolétaire lors de la mobilisation massive en France de l’automne-hiver 2019 dans RG #19 : http://www.igcl.org/Retour-sur-la-polemique-du-CCI.

[6. [Plateforme du CCI, point 7 sur les syndicats, cf. notre critique de la plateforme du CCI dans RG #18.]

[7. Questions from the USA on the SI Cobas and the Trade Unions https://www.international-communist-party.org/English/TheCPart/TCP_004.htm

[8. idem.

[9. CCI, La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme, Revue Internationale #23, 1980 (https://fr.internationalism.org/rinte23/proletariat.htm)

[10« Le « droit de grève » dans la plupart des pays « démocratiques » occidentaux se résume au droit de faire grève à condition que celle-ci soit impuissante et inefficace. L’extension et le développement de la grève de masse sont de fait illégaux et sujet à la répression. (…) Face à cela, ne pas rester isolé et étendre aussi vite que possible toute grève ou lutte est donc la priorité des priorités. La grève de masse, telle que Rosa Luxemburg sut la reconnaître et la décrire, celle-là même que Lénine et le parti bolchevique surent diriger avec brio de février à octobre 1917, est plus que jamais une nécessité à la fois pour imposer les revendications et développer le combat, mais aussi pour paralyser toute forme de répression. » (RG #25, Scénaristes d’Hollywood vs Oppenheimer et Barbie (http://www.igcl.org/Scenaristes-en-greve-d-Hollywood)

[11. En italien, A Portland, in Oregon : Una Rete per la Lotta di Classe (https://www.international-communist-party.org/Partito/Parti422.htm#Portlandrete)

[12. idem.

[14. Le premier bulletin d’information "Class Unionist" de la CSAN du mois d’octobre fait déjà état de « la réunion mensuelle de septembre du CSAN Organizing Collective [qui] fonctionnera sur un modèle du centralisme démocratique. »

[15. ICP intervention in the Portland City Workers’ Strike, op.cit.