(Septembre 2023) |
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Russie, révolution et contre-révolution 1905-1924 du point de vue de la Gauche communiste
Nous attirons l’attention de tous nos lecteurs et des militants révolutionnaires, en particulier ceux qui peuvent lire l’anglais, sur la publication du livre Russia, Revolution and Counter-Revolution 1905-1924 qui a pour sous-titre A View from the Communist Left. Nous encourageons fortement tous ceux qui lisent cette langue à se le procurer auprès de Prometheus Publication en s’adressant à la Tendance Communiste Internationaliste à uk@leftcom.org. Le livre est publié sous le nom de Jock Dominie qui est aussi connu comme membre de la TCI.
Se basant sur un travail très sérieux rassemblant la plupart des études historiques et témoignages de militants révolutionnaires, le livre nous fournit une vision homogène de l’ensemble du processus historique et des problématiques auxquelles le prolétariat et son parti, le parti bolchevique, furent confrontés. Rien que pour cela, nous encourageons chaudement les jeunes, et moins jeunes, générations de révolutionnaires à en faire un ouvrage de référence leur permettant de se réapproprier l’essentiel de l’expérience révolutionnaire d’alors. Mais surtout, il fournit la position générale de la Gauche communiste sur la Révolution Russe. Elle est d’autant plus importante à fournir qu’elle se différencie des autres courants politiques, passés à la bourgeoisie – comme les staliniens trotskistes et anarchistes –, ou non comme le conseillisme, sur la base des deux principes fondamentaux du mouvement ouvrier : l’internationalisme prolétarien et celui de la dictature du prolétariat. Il en résulte que seule la Gauche communiste d’aujourd’hui défend que la Révolution Russe fut une révolution prolétarienne. Voilà pourquoi l’introduction a raison de nous rappeler que « toute compréhension de l’expérience révolutionnaire doit prendre la Révolution Russe comme point de départ. » Voilà comment est présenté le livre :
Ce travail se divise en deux parties. La première démontre que, dans sa forme historiquement découverte de gouvernement, les soviets, la Révolution Russe a fourni une avancée toujours valable pour la classe ouvrière internationale. Nous démontrons aussi comment, malgré les inévitables erreurs subjectives (tant mises en avant par notre ennemi de classe), le parti bolchevique devint une arme véritablement révolutionnaire du prolétariat russe. Et en passant, nous réfutons la mystification selon laquelle la Révolution d’Octobre fut un coup d’État planifié avec soin par une bande de conspirateurs professionnels et démontrons le caractère profondément de masse d’Octobre 1917.
La seconde moitié analyse comment la révolution qui avait commencé avec une telle promesse d’émancipation de la classe ouvrière a pu petit à petit glisser vers la création d’un État à parti unique. Le déclin de l’initiative ouvrière commença comme résultat du cataclysme économique et social qui amena la classe ouvrière à abandonner les usines par centaines de milliers et qui fut exacerbé par la guerre civile. »
Ce faisant, le livre expose les difficultés et contradictions rencontrées par le prolétariat en Russie, du fait de son isolement international. Et il présente les questions politiques auxquelles la seule force organisée qui restait dans un pays dévasté, le parti bolchevique, du fait de l’affaiblissement progressif de la mobilisation des grandes masses du prolétariat, essayait de répondre afin de maintenir tant bien que mal en vie la dictature du prolétariat dans l’attente de l’extension internationale de la révolution. Une de ces réponses fut précisément de prendre en charge responsabilités et tâches que l’ensemble du prolétariat, affamé et épuisé, pouvait de moins en moins assurer ce qui l’amena à se substituer à celui-ci. En cela, le livre a raison de rappeler que « la relation parti-classe n’a jamais été clairement définie [et que le processus amenant le parti à exercer seul le pouvoir] tout comme pour les autres aspects de la Révolution d’octobre, fut dicté plus par les circonstances que par une position pré-établie. » (p. 207-208) Outre l’analyse des événements dans le cadre des principes essentiels du mouvement prolétarien, l’ouvrage du camarade a en plus le grand mérite de se refuser à donner des réponses tranchées et définitives sur tout un tas de questions d’ordre « tactique » qui se posèrent alors et que nous pouvons toujours considérées comme « ouvertes ». « Contrairement aux trotskistes (toujours à la recherche de fournir la ‘direction juste’ pour les travailleurs, nous ne cherchons pas une répétition précise ou à défendre une simple ‘formule’ pour rencontrer le succès. » (p. 220) Il en est plusieurs que la lecture du livre nous rappellent ou encore éveillent. Ainsi, du point de vue militant, il pousse à la réflexion, au débat et à la confrontation politique sur des questions qu’on aurait tort de croire qu’elles n’appartiennent qu’au passé même si nous savons « que les conditions qui ont produit cette révolution ne se répéteront pas. » (p. 5)
Nous ne pouvons pas les traiter ici, ni même les mentionner toutes. Mais, ces questions font partie à la fois de la réflexion que tout groupe communiste doit mener sur l’expérience russe et des débats, voire même des confrontations politiques, que le camp prolétarien d’aujourd’hui devrait assumer. Bien souvent, ces questions et divergences d’appréciation traversent les groupes communistes eux-mêmes – y compris le nôtre bien sûr. C’est normal et inévitable, sauf à décréter une unanimité de façade face à une réalité historique complexe et extrêmement mouvante propre aux périodes révolutionnaires. Même si la plupart de ces questionnements ne posent pas des questions de principe, ni d’enjeu politique immédiat, il n’en reste pas moins qu’ils peuvent cacher des approches et des méthodes politiques différentes. Or, il conviendrait de les confronter ouvertement avant même qu’elles viennent à se poser, ou reposer, de manière urgente et dramatique au cours même des événements, des confrontations de classe et au cœur de la tourmente historique qui vient.
Nous aurions beaucoup de choses à dire, parfois critiques. Elles portent sur des questions secondaires. Parmi celles-ci, nous serions plus critiques vis-à-vis de la « Fraction Boukharine » de 1918 que le livre, même s’il reconnaît que ce fut Lénine qui eut raison à propos de la signature du traité de Brest-Litvosk. De même, il conviendrait de discuter la tendance à situer le début de la contre-révolution à 1921, après le dramatique et sanglant épisode de Cronstadt. Si tel était le cas, il conviendrait de s’interroger sur la validité de certaines des orientations politiques que la Gauche d’Italie, dont nous nous – la TCI comme nous – revendiquons, adopta, mis en avant et défendit au sein même de l’Internationale communiste. [1] De même, si nous nous reconnaissons dans l’exposition et l’analyse des différents moments que connut la Révolution en Russie et les difficultés provoquées principalement par l’isolement international, nous serions plus mesurés quant aux critiques adressées au parti bolchevique et à Lénine en particulier qui apparaissent ici et là. Par exemple, la formule « Lénine a créé les conditions pour la montée de Staline » (p. 216) qui suit un passage critiquant la montée de la « discipline en soi » au sein du parti, nous semble, en soi fausse, dans le contexte du livre pour le moins confuse et trop rapide – elle mériterait d’être argumentée –, et en contradiction avec la démarche et la thèse générale du livre expliquant l’échec final.
Ces observations n’enlèvent rien, tout au contraire, à notre invitation et encouragement à se procurer le livre et à en faire un document de réappropriation et de travail pour renforcer les forces appelées à constituer le parti de demain. Revoir les difficultés telles qu’elles se posèrent et examiner les réponses fournies par le parti bolchevique et, plus largement, l’Internationale communiste, non pas à partir de positions supposément établies d’aujourd’hui, de manière dogmatique et a-historique, mais dans le cours même des événements, voilà la méthode que présente et nous offre le livre. Étudier les positionnements des uns et des autres à l’occasion des différentes barricades que les antagonismes de classe, aiguisés par la situation révolutionnaire et le drame historique, dressèrent tout au long de la période est la méthode que nous devons utiliser… si les maigres forces communistes d’aujourd’hui veulent se préparer au mieux aux défis qui les attendent. Rien que pour cela, il faut se procurer le livre.
Notes:
[1] . Nous renvoyons nos lecteurs à notre introduction au texte de Prometeo des années 1946-47 qui est reproduit page suivante.