(Septembre 2023) |
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Scénaristes en grève d’Hollywood vs Oppenheimer et Barbie : lutte prolétarienne ou marche à la guerre généralisée
Deux films américains sont sur les écrans, Oppenheimer et Barbie. Une grève a lieu pour des augmentations de salaire depuis plusieurs mois maintenant : celle des scénaristes d’Hollywood. Ceux-là même qui écrivent pour les films. Deux films et une grève « dans l’air du temps ». Un condensé de la situation actuelle. Malgré ses problèmes de conscience pacifistes, Oppenheimer justifie dans le film la course à la bombe atomique par le fait qu’il faut arriver à la fabriquer avant les nazis. Barbie, à l’origine stéréotype de la femme « sexy » pour attirer les hommes, est devenue l’égérie du combat féministe, des identity politics et des droits LGBTQ. Ceux-là mêmes dont le Pentagone et l’Otan se font les promoteurs pour recruter soldats et « soldates » pour la guerre impérialiste qu’ils préparent (cf notre article dans ce numéro : Comment le capital utilise les politiques identitaires de gauche et les droits des LGBTQ pour sa guerre impérialiste.).
Hollywood, une fois de plus, se met au service de la propagande idéologique « démocratique » américaine pour préparer les opinions à la guerre impérialiste : Poutine et les autres leaders dits encore hier « illibéraux », aujourd’hui « dictatoriaux », sont ouvertement homophobes et machistes. Et ils n’ont pas de cas de conscience pacifiste à la Oppenheimer. Le camp à choisir pour le prolétariat des pays occidentaux n’est-il pas limpide ? Au côté de la révolutionnaire Barbie et de l’humaniste Oppenheimer, bien sûr. Et contre les méchants Ken – le compagnon de Barbie imposant le patriarcat à Barbie land – que sont Poutine et les dirigeants des pays dits « illibéraux », à commencer par la Chine bien sûr. Au passage, on oubliera que les dirigeants polonais actuels, pour ne citer qu’eux, parmi les plus « va-t-en-guerre » au sein de l’Otan, sont tout autant homophobes et sexistes que les premiers. En contre-plan, en contraste, avec la « décadence occidentale », les campagnes idéologiques russes, chinoises, etc., préparant à la guerre se font au nom des valeurs « traditionnelles », chrétiennes ou autres, « conservatrices », anti-gay et LGBTQ, ouvertement nationalistes – le pays est encerclé et menacé par l’Otan ou encore en Mer de Chine. Les vidéos machistes et « virilistes » pour recruter des soldats pour l’armée russe sont, elles-aussi, tout autant caricaturales.
Au moment même où Oppenheimer et Barbie sont sur les écrans, voilà des prolétaires de cette industrie qui présentent, très certainement sans en être individuellement conscients, la seule réponse qui puisse s’élever, ralentir, puis – nous l’espérons – s’opposer à cette course à la guerre. Les scénaristes d’Hollywood, des prolétaires ? Il est vrai qu’ils n’ont pas les mains calleuses et ne portent pas des bleus de travail. Sans doute ne souffrent-ils que de tendinites dues à l’utilisation de la souris, de mal de dos et de stress. Plus sérieusement, comme tout prolétaire, ils travaillent et produisent une plus-value au profit des capitalistes ayant investi dans l’industrie du spectacle augmentant d’autant le capital d’origine. [1] Cela n’en fera sans doute pas le cœur du prolétariat révolutionnaire de demain, mais il n’en reste pas moins qu’ils sont eux-aussi exploités comme prolétaire par le capital. Et de cela par contre, ils en sont conscients en faisant grève pour l’augmentation de leurs salaires et en s’opposant à leur capitaliste. Bref, certes timidement, ils empruntent la seule voie qui puisse répondre à l’impasse du capital et à l’issue catastrophique que la guerre impérialiste généralisée nous promet : celui de la lutte de classe, celui de la défense des intérêts de classe des prolétaires.
Guerre impérialiste et crise capitaliste ne peuvent que s’aggraver
Car, comme la prise de position de nos camarades de la CWO-TCI le développe dans l’article qui suit, La voie vers la guerre mondiale, la guerre impérialiste ne voit pas la dynamique vers sa généralisation se ralentir. Bien au contraire. La guerre sur le sol ukrainien s’installe dans la durée. Les tensions impérialistes « s’élèvent », si l’on peut dire, toujours plus des dimensions économico-commercial et diplomatiques à la dimension militaire, celle des menaces nucléaires directes et des gesticulations et autres manœuvres militaires, souvent au plus près des frontières adverses. Au risque de provoquer un dérapage à tout moment. Tous les pays, à commencer par les grandes puissances, réarment et relancent leur « économie de guerre ». Enfin, la tendance générale à la polarisation impérialiste autour de deux axes qui s’affirmaient déjà avant la guerre en Ukraine, Chine et États Unis, subit une accélération et une clarification encore impensable jusqu’alors, comme l’illustre le renforcement et la vitalité retrouvée de l’Otan tout comme l’affirmation de l’alliance des Brics autour de la Chine – les deux s’élargissant à de nouveaux pays. Ce que d’aucuns appellent le « chaos » provoqué par la guerre en Ukraine, tel qu’on peut le voir en Afrique avec les récents coups d’État, n’est qu’un moment de la tendance – processus contradictoire et donc non linéaire – à la bipolarisation impérialiste.
Dans le même temps, la crise revient frapper l’économie mondiale avec d’autant plus de violence du fait même de la guerre impérialiste elle-même. Tous les pays et continents sont touchés plus ou moins durement. Inflation triplant (Syrie, Égypte...) parfois à trois chiffres (Argentine, Liban...), endettement généralisé, « ralentissement » de la production, formulation qui la plupart du temps signifie une « récession » (Allemagne), ou encore une « déflation », parfois augmentation massive du chômage comme en Chine [2], menaces de crises et banqueroutes financières, hausse des taux d’intérêt des banques centrales américaine et européenne, chute et dévaluation du rouble russe, du peso argentin, de la livre libanaise… plongent des milliards d’individus dans la misère et la pauvreté absolue.
Crise et guerre se nourrissent l’une l’autre, avons-nous déjà affirmé dans ces pages. Plus important encore, crise et guerre se présentent aujourd’hui en même temps. Cette caractéristique de la situation historique est un élément qui « affaiblit historiquement » la classe capitaliste en vue des inévitables confrontations entre les classes que la crise et la guerre imposent. Il lui est plus difficile d’entraîner les populations, et au premier chef le prolétariat international, dans les sacrifices pour la guerre au nom d’une supposée prospérité à venir. Comme ce fut en partie le cas dans les années 1930 par exemple : la préparation de la guerre permit de réduire, au moins momentanément, le chômage de masse et de laisser accroire que la victoire militaire augurerait d’une amélioration des conditions de vie. De même, il lui est plus difficile de jouer sur les aspirations à la paix pour faire accepter les sacrifices économiques, comme lors des deux après-guerres de 1918-19 et 1945. Que la bourgeoisie ne puisse pas, ou très difficilement, faire miroiter soit une prospérité à venir soit le maintien de la paix, diminue d’autant sa capacité à maîtriser l’ampleur des confrontations massives à venir entre les classes.
Précisons aussitôt pour ceux qui ne comprendraient pas bien notre propos et les perspectives que nous mettons en avant : affirmer que le capital se trouve « historiquement affaibli » idéologiquement, ne signifie pas que la lutte prolétarienne est et va être un « long fleuve tranquille » ou une « voie royale ». La guerre impérialiste en Ukraine montre à la fois l’impuissance immédiate des prolétariats ukrainien et russe et du prolétariat international comme un tout pour s’y opposer. La faiblesse des réactions prolétariennes au niveau international ne leur permet pas non plus d’imposer un rapport de force minimal qui imposerait au capital des reculs, ne serait-ce que momentanés et limités, de ses attaques économiques. Mais il n’en reste pas moins que le prolétariat international tend, et seulement tend, à s’élever pour la défense de ses conditions de vie et de travail, contre l’inflation et pour l’augmentation des salaires en particulier.
Illégalité et répression des grèves et luttes ouvrières...
La presse internationale ne s’attarde pas trop sur les manifestations, « émeutes et révoltes de la faim » qui se multiplient, essentiellement face à l’explosion de l’inflation, en Argentine, au Liban, en Tunisie, Iran, Syrie, etc., pour ne citer que quelques pays. Nous n’oublierons pas les affrontements soudains et fréquents qui surgissent régulièrement en Chine, quand il ne s’agit pas tout simplement de grèves ouvrières. Même si certaines de ces « révoltes » n’ont pas toujours de dimension directement prolétarienne et, donc, ne présentent que peu de perspectives en soi, d’autres interpellent directement ou indirectement le prolétariat comme tel, en tant que classe, afin qu’il leur donne une direction et une perspective. C’est le cas, par exemple, en Argentine, en Iran ou encore plus en Chine ; et même en… France (cf. la prise de position du PCI-Le prolétaire sur les émeutes des banlieues françaises que nous reproduisons dans ce numéro.)
Nous attirerons l’attention des sceptiques quant aux perspectives que nous avançons sur cette réalité, encore une fois en mouvement, des luttes et mobilisations ouvrières. Parfois massives, elles se sont exprimées sur tous les continents et particulièrement au cœur des puissances historiques du capitalisme. Même si défaites, les mobilisations contre l’inflation et pour l’augmentation des salaires en Grande Bretagne, initiées par une vague de grèves sauvages au printemps et été 2022, ou encore la mobilisation de millions de prolétaires en France contre la énième « réforme » des retraites les six premiers mois de 2023, sont des expressions particulières de cette tendance internationale à ne pas accepter toujours plus les sacrifices économiques sur l’autel de la défense du capital national et, maintenant, du développement d’une « économie de guerre » nationale. La même dynamique, certes timide, s’est fait jour en Allemagne, en Italie, et autres pays d’Europe occidentale.
Elle s’est aussi fait jour et cherche à s’affirmer aux États Unis et au Canada. Le mécontentement et la combativité ouvrière contraignent les syndicats à organiser des votes, légalement obligatoires, pour décider de telle ou telle grève dans les grands secteurs, comme les chemins de fer, les ports ou encore l’automobile. Et bien souvent, les votes recueillis sont largement en faveur de la grève [3]. Alors s’ouvre le processus légal de négociation qui impose un délai, souvent de plusieurs semaines, avant que la grève ait le droit de commencer. Cela laisse largement le temps aux syndicats et entreprises, sous l’œil vigilant du gouvernement et de l’État de « négocier » et de casser la dynamique de combativité et de saboter la lutte. Et, dans les cas où la combativité reste forte et la grève finalement débute, alors le gouvernement la déclare illégale, car mettant en péril l’intérêt national, comme ce fut le cas dans la mobilisation des cheminots américains, en septembre 2022, ou des dockers canadiens, cet été (cf. article qui suit dans ce numéro : Sur la récente grève des dockers de Colombie-Britannique - Côte ouest du Canada.)
Le « droit de grève » dans la plupart des pays « démocratiques » occidentaux se résume au droit de faire grève à condition que celle-ci soit impuissante et inefficace. L’extension et le développement de la grève de masse sont de fait illégaux et sujet à la répression. Le « droit syndical », en particulier l’obligation de poser des préavis de grève, participe de saboter et étouffer, grâce aux tactiques syndicales des journées d’action en particulier, le développement de grèves en masse ; celles-là même qui cherchent à être efficaces en imposant un rapport de force à la bourgeoisie. Et si la situation leur échappe, la répression managériale dans l’entreprise et surtout policière dans la rue et à la porte des usines vient faire respecter l’interdiction de fait de toute tentative de grève massive.
… imposent la grève de masse illégale comme nécessité
Chaque prolétaire doit en être conscient : toute lutte conséquente, cherchant l’efficacité, ne peut que s’affronter à tout l’appareil d’État, syndicats, carcan législatif et répression. Cela en dit long sur la réalité de la démocratie bourgeoise. Formellement, tout citoyen sociologiquement prolétaire a les mêmes droits démocratiques qu’Elon Musk et autres. Nous savons tous que ce n’est que « théoriquement ». Mais le prolétariat en tant que classe, et le prolétaire comme prolétaire, n’ont pas de « droits ». Dès qu’ils luttent, il se retrouvent fondamentalement dans la même situation que leurs frères de classe de Russie, de Chine et autres pays dits « non démocratiques » : la grève de masse y est interdite et réprimée. Plus ou moins selon les pays et les situations, mais toujours violemment. Ce n’est sans doute pas la seule raison des difficultés des luttes prolétariennes aujourd’hui, de leur hésitation et « timidité » face au niveau et à la gravité des attaques. Mais, nous ne doutons pas qu’elle l’explique en grande partie. Pour chaque prolétaire ou groupe de prolétaires, entrer en grève ouverte, c’est-à-dire illégale, est aussi une prise de risque individuel.
Face à cela, ne pas rester isolé et étendre aussi vite que possible toute grève ou lutte est donc la priorité des priorités. La grève de masse, telle que Rosa Luxemburg sut la reconnaître et la décrire, celle-là même que Lénine et le parti bolchevique surent diriger avec brio de février à octobre 1917, est plus que jamais une nécessité à la fois pour imposer les revendications et développer le combat, mais aussi pour paralyser toute forme de répression.
Encourager les prolétaires à « prendre de vitesse » la bourgeoisie et son appareil d’État, en premier lieu ses syndicats, les pousser à imposer d’autres terrains, de revendications et d’affrontements en particulier, que ceux choisis par l’État capitaliste, doivent être un souci et un but permanents de la part des groupes communistes, et demain du parti ; et cela dans tous les pays quelle que soit leur régime politique. C’est ainsi que les communistes révolutionnaires se hissent au premier rang du combat de classe et peuvent réussir à « diriger politiquement » le prolétariat dans son ensemble. Cela ne se décrète pas bien sûr. Cela se gagne et se vérifie dans les combats. Dans la réalité des luttes prolétariennes elles-mêmes. Malgré d’innombrables difficultés et limites, les groupes communistes disposent d’une boussole leur indiquant le nord : les contradictions du capitalisme dont la crise et la guerre sont les expressions, les produits et les facteurs principaux, ne peuvent mener qu’à des confrontations massives entre les classes, à une lutte des classes exacerbée. Et la grève de masse qui leur appartiendra de diriger jusqu’à l’insurrection et la destruction de tout État capitaliste sur la planète est l’arme qui est adaptée aux conditions imposées par le totalitarisme d’État, au capitalisme d’État, que sa forme soit « démocratique » ou « non démocratique ».
En ce sens aussi, « les prolétaires n’ont pas de patrie » et doivent refuser de se laisser enrôler dans la défense d’un camp contre un autre dans la guerre impérialiste ; qu’il soit « démocratique » ou non. Et cela, quel que soit ce que Barbie et Oppenheimer, ou les Rambo russes ou chinois de l’autre, visent à nous inculquer.
Notes:
[1] . « N’est censé productif que le travailleur qui rend une plus-value au capitaliste ou dont le travail féconde le capital. Un maître d’école, par exemple, est un travailleur productif, non pas parce qu’il forme l’esprit de ses élèves, mais parce qu’il rapporte des pièces de cent sous à son patron. Que celui-ci ait placé son capital dans une fabrique de leçons au lieu de le placer dans une fabrique de saucissons, c’est son affaire. » (K. Marx, Le Capital, livre un, chap. XVI, Éditions sociales.)
[2] . La Chine « a sombré dans la déflation. Les indicateurs clés, notamment la production industrielle, les investissements et les ventes au détail, sont ressortis bien en deçà des attentes. » (The Guardian, Éditorial du 21 août 2023)
[3] . C’est à 97 % en faveur de la grève que les travailleurs ont répondu au vote organisé par le syndicat de l’automobile UAW aux États-Unis et 98,6 % au Canada organisé par le syndicat Unifor. La grève pour General Motor, Ford et Stellantis (ex-Chrysler, Peugeot, etc.) devrait se déclencher après le 14 septembre… si aucun accord n’est trouvé entre les patrons de l’automobile et les syndicats. À l’heure où nous écrivons, le 9 septembre, nous ne savons pas si les syndicats réussiront au préalable à imposer un accord aux ouvriers et ainsi éviter la grève… comme ce fut le cas chez UPS où le syndicat des « teamsters » imposa au dernier moment un accord évitant ainsi la grève pourtant largement votée.