Révolution ou guerre n°28

(septembre 2024)

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Capacité politique et force idéologique des bourgeoisies occidentales

La campagne présidentielle aux États-Unis

Il est fréquent dans les milieux dits révolutionnaires, en particulier anarchisants et radicaux, de se limiter à la simple dénonciation du « cirque électoral » à l’occasion de chaque élection, en particulier dans les pays occidentaux à tradition démocratique. Une sorte d’indifférentisme politique s’exprime alors à l’égard du moment et des enjeux politiques que les campagnes peuvent, en certaines occasions, représenter pour la bourgeoisie elle-même et pour le prolétariat. Le fait de défendre que le prolétariat n’a plus aucun intérêt à participer aux élections et qu’au contraire, la participation représente un piège pour celui-ci, n’enlève rien à la nécessité de saisir la signification politique de ces moments. Les élections de juillet dernier en Grande-Bretagne et en France qui ont vu de nouvelles majorités parlementaires et des nouveaux gouvernements, les élections régionales en Allemagne de l’Est d’une part, et la campagne présidentielle en cours aux États-Unis ne sont pas seulement des moments de mystification démocratique vis-à-vis des prolétaires, en particulier par la polarisation faite pour ou contre le « populisme ». Elles ont aussi permis, ou vont permettre, de trancher des débats propres à chaque bourgeoisie nationale, en particulier dans le choix de stratégies impérialistes, d’orientation de l’appareil productif national et dans les « tactiques » pour imposer les sacrifices au prolétariat. Et dans le choix du personnel politique, voire de la personne, qui est la mieux en capacité de porter ces politiques.

L’article qui suit sur la campagne présidentielle américaine s’essaie à présenter les enjeux qui se cachent derrière l’opposition démocrates-républicains aujourd’hui, entre la candidature de Kamala Harris et celle de Trump. Et il souligne comment l’utilisation du raciste et populiste Trump va permettre de nouveau de favoriser une participation électorale massive comme ce fut le cas en 2020, lors de la campagne idéologique et politique à l’occasion des manifestations et émeutes qui suivirent le meurtre de G. Floyd. Ensuite, nous revenons sur la situation politique « d’instabilité gouvernementale » qui semble s’ouvrir en France et qui fut provoquée par la dissolution du parlement par le président Macron en juin dernier.

Les enjeux politiques de l’élection présidentielle américaine

La tentative d’assassinat de Donald Trump n’était peut-être pas un attentat à but politique, mais elle a eu des implications politiques. La fusillade a d’abord permis à l’ancien président de se présenter simultanément comme une force d’« unité » et comme un martyr persécuté par la gauche. Elle l’a peut-être aussi encouragé à choisir J.D. Vance comme colistier à la vice-présidence. Pour la politique américaine, il s’agit d’un choix curieux, car M. Vance n’est pas originaire d’un « swing-state » [1] et n’attire pas non plus les groupes démographiques que le parti républicain tente de séduire, tels que les Latinos ou les femmes des banlieues. Il semble que Trump ne pensait pas pouvoir perdre et a donc choisi le candidat qui serait le mieux placé pour porter le flambeau du « MAGAisme ». En combinant les thèmes du populisme économique et du conservatisme social, Vance a réuni les nouveaux électeurs que Trump amène au parti républicain avec les électeurs évangéliques traditionnels et les jeunes conservateurs qui s’intéressent de plus en plus à la guerre culturelle. [2]

Le retrait de la candidature de Joe Biden en faveur de sa vice-présidente, Kamala Harris, a éloigné le spectre d’un raz-de-marée de Trump. Bien qu’il serait exagéré de suggérer que Kamala soit la favorite, le fait que cette élection soit incertaine alors que la plupart des Américains sont mécontents à propos de l’économie indique que l’aile démocrate du capital américain peut encore se maintenir au pouvoir. [3] Du soutien rapide des principaux dirigeants démocrates, y compris de ses dirigeants les plus à gauche [4], et des médias libéraux, en passant par l’oubli des dissensions concernant le massacre des Palestiniens, le parti démocrate n’a jamais été aussi uni. Les Bidenomics se poursuivent avec leurs appels aux syndicats et leurs promesses de faire en sorte que l’Amérique dispose de la « force la plus meurtrière au monde », comme l’a affirmé Kamala Harris. Sans surprise, de nombreux anciens républicains se rallient à la vision impérialiste de Mme Harris. Plusieurs d’entre eux ont appelé Condoleezza Rice à soutenir Harris après son article dans Foreign Affairs sur les dangers supposés de l’« isolationnisme » trumpien. [5] Dick Cheney, l’un des cerveaux de l’invasion américaine de l’Irak, soutient Harris au nom de la « défense de la Constitution ».

Le tableau de la politique étrangère de Donald Trump se précise un peu plus avec le choix de J.D. Vance. Ce dernier a vivement dénoncé le soutien américain à l’Ukraine et les « parasites » de l’Otan dans son discours lors de la Convention nationale républicaine. L’approche « la paix par la force » de Trump n’est peut-être pas entièrement une bonne nouvelle pour la politique étrangère russe. En incitant les membres de l’OTAN à payer davantage pour leur défense, les menaces de M. Trump ne peuvent que renforcer la militarisation de l’Occident dans son ensemble. Elles pourraient peut-être assurer une victoire russe en Ukraine, mais au-delà de ce conflit, une présidence Trump ne pourrait pas ignorer les intérêts impérialistes américains. La menace de Trump de faire payer davantage Taïwan peut également avoir le même effet. Si les discours insipides de Kamala tentent de militariser le monde par le biais des évocations traditionnelles de l’impérialiste américaine de la démocratie et de la diplomatie, les divagations de Trump sur la construction d’un Dôme de fer pour les États-Unis pendant le débat et son obsession de la force sont le signe d’une politique impérialiste alternative. Cela ne veut pas dire que Trump n’a pas eu d’effet sur la politique étrangère, en effet son insistance sur l’autosuffisance du complexe militaro-industriel américain semble avoir été l’inspirateur de la mise en place des Bidenomics. Une réélection de Trump ne briserait pas la trajectoire actuelle de l’impérialisme américain, même s’il est actuellement dirigé par un président démocrate.

« L’histoire se répète. D’abord comme une tragédie, ensuite comme une farce. » La citation de Marx résume parfaitement l’état de l’élection américaine. Trump et Kamala Harris sont déjà en poste, mais les deux promettent à l’électorat qu’un second mandat leur permettra d’apporter la paix et la prospérité qu’ils n’ont pas réussi à fournir dans un premier temps. Ce serait presque amusant s’il n’y avait pas le coût humain. Par exemple, il est difficile d’imaginer que la situation à Gaza s’améliore dans les circonstances actuelles. Benjamin Netanyahu est fortement incité à poursuivre la guerre afin de maintenir son emprise sur le pays, et ni les démocrates ni les républicains n’ont intérêt à dénoncer la campagne destructrice de Tsahal. Il convient de considérer qu’en dépit de ces résultats barbares, les travailleurs américains participeront encore plus nombreux à ces élections en raison de ces événements. La tentative d’assassinat de Donald Trump a renforcé la polarisation sur cette élection et la nomination de Kamala Harris a dynamisé le parti démocrate.

Alors que l’on aurait pu initialement soupçonner une faible participation à cette élection suite à la performance médiocre de Biden lors du débat présidentiel, cela ne peut plus être envisagé. L’utilisation de la menace populiste trumpienne, l’anti-trumpisme, la « défense de la démocratie contre l’autocrate », nous autorise déjà à affirmer que, sauf événement fortuit, en particulier une explosion soudaine de luttes ouvrières significatives, la participation électorale sera massive. La bourgeoisie remportera là un succès face au prolétariat. Il est hautement probable que la mystification démocratique sortira renforcée en cette occasion.

Frederick Geyer, 14 septembre 2024

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Notes:

[1. Les quelques États « clé » qui font la différence du fait du système électoral américain. C’est ainsi que l’élection présidentielle peut se jouer et basculer sur quelques dizaines de milliers de vote choisissant un candidat ou l’autre. Inutile de préciser que cela facilite la maîtrise du jeu électoral pour le choix final de tel ou tel président.

[2. Le supposé assassin semble avoir les motivations d’un tireur scolaire typique plutôt que celles d’un idéologue. https://abcnews.go.com/US/fbi-assassination-attempt-trump-motive-investigation-phone-suspect/story?id=112057259, la question de savoir si le nihilisme de ces tireurs, essentiellement masculins, constitue une forme d’idéologie politique est peut-être plus vaste, mais il serait insensé de prétendre que cette affaire a été motivée par de forts sentiments antifascistes ou par un soutien aux démocrates ; https://abcnews.go.com/Politics/trump-give-rnc-keynote-hell-stress-unity-after/story?id=112037786 ; https://x.com/MiraLazine/status/1812928817507283223, En qualifiant les Proud Boys de « plus radicaux que Maga », M. Vance semble suggérer que l’approche laxiste de M. Trump en matière d’avortement et de politique LGBTQ dérange les jeunes conservateurs.

[4. Bernie Sanders et Alexandra Ocasio Cortez par exemple.

[5https://www.foreignaffairs.com/united-states/perils-isolationism-condoleezza-rice. Républicaine, Condoleezza Rice fut conseillère à la sécurité nationale, puis secrétaire d’État dans les gouvernements Bush de 2001 à 2009.