Révolution ou guerre n°28

(septembre 2024)

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Dissolution du parlement français et instabilité gouvernementale : expressions et facteurs d’affaiblissement de l’impérialisme français

En dissolvant le Parlement suite aux élections européennes du 9 juin le président français Macron a surpris tout le monde, en particulier au sein des forces politiques de l’appareil d’État et de ses propres partisans. Mais surtout, il a commis une erreur politique. Rien ne l’obligeait à cette dissolution. Piètre stratège politique, son calcul n’était certainement pas que les partis de gauche, divisés entre socialistes « modérés » et France insoumise « radicaux », s’uniraient immédiatement pour présenter des candidatures uniques dans toutes les circonscriptions. Pourtant, il ne pouvait en aller autrement sauf à risquer une disparition quasi complète d’élus de gauche du fait du système électoral à la majorité – et non à la proportionnelle. [1]

Sans doute l’espoir de Macron était-il d’obtenir un report des électeurs de gauche au second tour en faveur de son parti face au danger de l’extrême droite et réussir ainsi à gagner une majorité absolue – qu’il n’avait pas – au parlement. Mais, au-delà de son petit calcul, le risque était alors que le premier tour et surtout le second tour des élections voient une chute du taux de participation électorale dans une situation de colère et de désespoir social. Une telle situation présentait toute une série d’incertitudes tant pour la « légitimité » et l’autorité du gouvernement à venir que dans le cas d’une éventuelle explosion de luttes ouvrières. Les forces de gauche se seraient alors retrouvées fortement affaiblies pour les contrôler.

En s’unissant dès le soir de la dissolution dans un « Nouveau Front Populaire » et en présentant un programme de gauche – abolition de la réforme des retraites, augmentations des salaires, etc. –, la gauche française a permis de limiter les conséquences de l’acte insensé de Macron. Ce faisant et en focalisant sur le danger d’une majorité d’extrême-droite du Rassemblement national de Marine Le Pen et en appelant au « front républicain », la participation électorale est passée de 47 % en 2022 à 67 % ! En l’absence de gauche unie, il est fort probable que le parti d’extrême droite aurait obtenu une majorité absolue et aurait constitué le gouvernement. Au risque pour le coup, d’affaiblir encore plus la réalisation des orientations immédiates de politique impérialiste et anti-ouvrière du capitalisme français dans la période historique actuelle. Et surtout de dégarnir encore plus le terrain social.

Aujourd’hui, Macron a fini par nommer un premier ministre de droite, dont le parti Les Républicains n’a eu que 6.5 % des voix au premier tour et uniquement parce que le Rassemblement national de Le Pen a laissé entendre qu’il pourrait ne pas le censurer à l’assemblée nationale dès le premier jour. La bourgeoisie est certainement rentrée dans une période de relative instabilité gouvernementale. Plus grave, sa capacité et son crédit international s’en trouvent affaiblis alors que, sous l’impulsion de Macron, elle avait su reprendre ces derniers mois un peu d’espace et d’initiative face à la guerre en Ukraine et vis-à-vis de ses rivaux européens et américain.

Pour autant, ce qui nous est présenté comme une crise politique de la bourgeoisie française n’est au mieux qu’une difficulté politique face à un personnel qui se révèle aujourd’hui inadapté. Du point de vue du prolétariat, parler de crise politique signifierait que le prolétariat est un acteur direct de la situation, ce qui est loin d’être le cas. Enfin, du fait qu’une grande partie de la classe ouvrière vote RN, l’expression de cette crise serait la montée irrésistible du vote Rassemblement national et le danger du « populisme. » Or, il y a toujours eu une partie significative de la classe ouvrière qui a voté pour une droite « dure » depuis la Seconde guerre mondiale. Le parti gaulliste, tout comme le parti républicain aux États-Unis, recueillait autour de 30 % des votes ouvriers dans les années 1960. Qu’en l’absence de luttes massives et de perspectives prolétariennes, c’est-à-dire révolutionnaires, un tiers des individus prolétaires les moins « conscients », isolés et sans espoir, enclins à tomber dans la politique du bouc-émissaire de l’immigré et dans le racisme, votent pour un parti de droite au discours à la fois « ferme » et en partie de gauche – le RN proclamant qu’il annulera la réforme des retraites s’il parvenait au pouvoir – ne peut pas étonner. Et ne change rien aux enjeux et perspectives de la lutte des classes en soi, sinon que la polarisation anti-Le Pen détourne le prolétariat du terrain de la lutte collective sur le terrain politique bourgeois.

Que dans la situation historique actuelle, du fait de l’acuité de l’impasse historique du capitalisme, les contradictions du capital explosent à tous niveaux, y compris politique, ne doit pas nous étonner non plus. Encore moins nous laisser accroire que le pouvoir de la bourgeoisie et du capital s’en trouve affaibli, voire en crise. La question n’est pas que les contradictions se manifestent. Mais, est-ce que la bourgeoisie arrive, ou pas, à maîtriser ces contradictions diverses et à « surfer » sur celles-ci ?

Macron vient de se révéler comme un piteux surfeur. Mais l’ensemble de la bourgeoisie française est loin d’’avoir perdu le contrôle de la situation. C’est ce que prouve le niveau de la participation électorale. Ou encore l’occupation du terrain « social » et de la rue par la gauche, les gauchistes et les syndicats, ne serait-ce que par l’organisation de manifestations pour « faire respecter le résultat des élections et exiger un gouvernement de gauche. » L’évident refus de la France insoumise pour que la gauche « unie » accède au gouvernement s’explique aussi par la nécessité de garder une force de gauche, plus ou moins « radicale », qui puisse occuper le terrain social, de la rue, des luttes ouvrières. Et cela alors que le nouveau premier ministre Michel Barnier annonce une politique d’austérité pour réduire le déficit et la dette devenus abyssaux. Sans toucher à l’explosion de 40 % du budget de la défense bien sûr.

Quelle que soit la longévité du nouveau gouvernement – toujours à venir au moment où nous écrivons –, la nouvelle configuration politique assure à la bourgeoisie française la stabilité de ses politiques impérialiste et nationale, même si elles ont été un peu affaiblies par l’initiative malheureuse de Macron. Que les prolétaires ne s’y trompent pas : le dispositif anti-ouvrier jouant des fausses oppositions, Le Pen-anti Le Pen, droite-gauche, gauche modérée-gauche radicale, gauchiste reste en place. Et des attaques plus importantes sur leurs conditions de vie et de travail sont à venir, quel que soit le gouvernement. Qu’il soit de gauche, du centre, de droite ou « populiste », il entendra leur faire payer la facture de la défense du capitalisme français et de la préparation de la guerre.

RL, 15 septembre 2024

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Notes:

[1. Par exemple, le Parti communiste français qui ne recueille plus que 2 % des voix aux différentes élections, présidentielle, européenne, etc., réussit à maintenir un groupe parlementaire avec neuf députés au parlement. Sans union de la gauche, il disparaîtrait et affaiblirait encore plus la capacité de ce qui resterait du PC à jouer un rôle de saboteur dans les mobilisations ouvrières.