(Septembre 2023) |
Accueil | Version imprimable |
Nouveau monde, vieux monde (Battaglia Comunista, TCI)
Le fait que nous vivions dans un monde en perpétuel changement semble aujourd’hui superflu à mentionner, tant il va de soi. Todo cambia [tout change], comme le chantait Mercedes Sosa, symbole de l’Argentine, en référence aux choses du monde qui passent et s’en vont.
Nous vivons à une époque où l’on s’endort le soir et où l’on se lève le lendemain matin avec un message sur WhatsApp t’annonçant : « Cher Monsieur, c’était bien de vous avoir dans notre grande et bien-aimée famille, mais les circonstances, plus fortes que nous, nous obligent, avec une grande tristesse... bref, je ne sais pas si vous comprenez, nous n’avons plus besoin de vos services. A partir d’aujourd’hui, vous êtes licencié. » Salutations et baisers. Vous voyez ? Todo cambia, todo cambiaa ? Mais pourquoi les patrons n’ont-ils pas licencié auparavant ? Bien sûr, la façon de faire a changé, mais il y a seulement dix ans, ces méthodes n’étaient pas encore utilisées. C’est aussi un signe des temps, rien qu’en respirant (si possible bien protégé), on peut sentir le changement dans l’air à chaque minute. Les révolutions industrielles/technologiques se succèdent à un rythme effréné, et à chaque tour, le chalutage emporte ses victimes. La bourgeoisie ne regarde personne en face, pas même sa mère, car il n’y qu’une seule chose devant laquelle elle s’agenouille : le profit. Todo cambia, mais pas le profit, pas l’exploitation, pas l’esclavage salarié, pas les licenciements. Todo cambia, mais, comme le disait Tomasi di Lampedusa dans Le Léopard (qui n’est pas par hasard un noble) : « Il faut tout changer pour ne rien changer. » Au contraire, tout doit être changé précisément pour maintenir le prolétariat de plus en plus soumis aux intérêts du capital. Tout changer pour que les chaînes de l’esclavage salarié soient toujours plus serrées autour du cou des masses salariées. Mais procédons dans l’ordre.
Les révolutions industrielles
Tout d’abord, nous ne voulons pas faire un traité historique sur les révolutions industrielles, surtout en ce qui concerne les siècles passés, mais simplement fixer dans la mémoire les passages les plus importants, d’un point de vue historique, de la trajectoire du capitalisme moderne.
La première révolution industrielle a commencé à faire ses premiers pas dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, presque exclusivement en Grande-Bretagne, entre les années 1760 et le début des années 1800. D’un point de vue technologique, la découverte qui a donné une formidable impulsion à la production est sans conteste la machine à vapeur. Mais les découvertes technologiques, en particulier dans le domaine du textile, ont été suivies par l’exploitation minière, la sidérurgie et l’ingénierie mécanique ; elles ont également été accompagnées d’une révolution complète dans une nouvelle organisation du travail : les premières usines et la nouvelle division du travail ont vu le jour, avec de grandes concentrations de masses de travailleurs. Pour la classe ouvrière naissante et le prolétariat, c’est le début de l’enfer moderne, de la nouvelle torture technologique si bien décrite par Engels dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre. Malgré les différences évidentes, le destin des opprimés bat toujours la même mesure.
« Cette condamnation à être enseveli vivant dans l’usine, à surveiller sans cesse l’infatigable machine, l’ouvrier sent bien que c’est la torture la plus pénible qui soit. Elle exerce d’ailleurs un effet extrêmement abrutissant tant sur l’organisme que sur les facultés mentales de l’ouvrier. » [1] La misère des « enterrés vivants », de la société stellaire, moderne et civilisée d’aujourd’hui, passe comme une furie impétueuse sur les travailleurs modernes sans laisser de trace visible, mais elle obscurcit les consciences et les cerveaux comme jamais auparavant. Une fureur silencieuse, invisible, qui balaie tout ce qui se trouve sur son chemin. Aujourd’hui encore, quoi qu’on en dise, les prolétaires qui ont la « chance » d’être exploités sont des automates au service d’automates. Le but ultime, le profit, n’a pas changé. Les sentiments, la colère, les yeux, oui les yeux de la classe ouvrière ont changé, ils se sont obscurcis et ne peuvent plus distinguer dans les patrons leur ennemi. Engels cite à nouveau un poème qui exprime avec beaucoup d’efficacité « l’opinion des ouvriers anglais » sur le système des usines : « Un cortège de prêtres [la bourgeoisie], inhumains/Assoiffés de sang, d’orgueil et de rage,/Conduisent, ô honte, sa main gigantesque/Et changent en or le sang des humains./Ils foulent aux pieds tous les droits naturels/Pour l’amour de l’or vil, leur dieu,/Et ils se rient de la douleur des femmes/Et ils raillent les larmes des hommes./A leurs oreilles, les soupirs et les cris d’agonie/Des fils du travail sont une douce mélodie,/Des squelettes de vierges et d’enfants/Emplissent les enfers du Roi-Vapeur. »
Nous avons voulu citer presque intégralement ce cri de douleur des ouvriers anglais contre la bourgeoisie, en l’occurrence contre son outil (la machine à vapeur). Mais c’est un cri de douleur qui devrait résonner dans le monde entier ; c’est un cri de douleur que les mères, les femmes et les hommes russes et ukrainiens connaissent sûrement bien. Car ces centaines de milliers de morts sur l’autel des intérêts de la bourgeoisie impérialiste de tous les acteurs de la guerre, c’est de la « Musique » aux oreilles de ces criminels, mais c’est la même qu’en 1845, la même « Musique » légitime qui est l’enfant de cette machine à vapeur, de ce métier à tisser au « bras de fer » ; c’est un cri de douleur qui devrait se transformer en rage ; c’est un cri de douleur qui devrait unir les prolétaires du monde entier contre l’ennemi commun : la bourgeoisie, le capitalisme.
Immédiatement, s’en est suivie la seconde révolution industrielle, presque sans interruption, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (vers 1860), qui s’est étendue à plusieurs pays européens. Elle s’est poursuivie jusque vers la fin de l’année 1915. Cette période est surtout marquée par l’application de l’électricité à grande échelle, avec les répercussions évidentes sur les machines électriques et donc sur la locomotion et la construction de nouvelles machines et produits ; le moteur à combustion interne est ensuite inventé, suivi de l’automobile. Cela a ouvert de nouveaux horizons dans tous les domaines, le « gigantisme industriel » avec des usines de milliers d’ouvriers s’imposant de plus en plus. Le capital financier et ce que l’on appelle la mondialisation commencèrent à faire leurs premiers pas. Les États-Unis et l’Allemagne dépassèrent la Grande-Bretagne, le commerce mondial fit des affaires comme jamais auparavant. Le « fordisme » (la mise en œuvre du taylorisme), c’est-à-dire la parcellisation du travail, la chaîne de montage (comme on le voit, même dans le choix de la chaîne, la bourgeoisie a tout de suite mis les choses au point), réduit l’homme à un singe (avec tout le respect dû au pauvre animal), répétant à l’infini la même opération pendant toute la durée du travail (un exemple clair est fourni par le chef-d’œuvre de C. Chaplin, Les temps modernes), le vidant de toute énergie psycho-physique. Mais aujourd’hui encore, dans les chaînes de montage, même avec l’aide des robots, de l’informatique et d’une nouvelle organisation du travail – pensons au just in time, d’origine japonaise, qui élimine presque totalement les stocks dans les entrepôts – le fordisme est toujours bien vivant.
La troisième révolution industrielle s’identifie, en résumé, au passage de la technologie mécanique et analogique à la technologie électronique numérique, c’est-à-dire à la technologie de l’information, qui a commencé à faire ses premiers pas dans la seconde moitié du XXe siècle. Avant de s’enfoncer dans la forêt obscure des autres révolutions, quatrième, cinquième, etc., il est intéressant de rappeler les enseignements de la Grande Encyclopédie Treccani à propos de la révolution industrielle : « La révolution industrielle fut l’expression même de cette révolution libérale (sic !) qui remplaça le roi, par la volonté de Dieu, par une nation et un État. Dans cette nation, les individus s’affirmaient de moins en moins par les droits du sang acquis de leurs ancêtres, et de plus en plus par la capacité d’accumuler suffisamment de richesses pour être cooptés dans le système de commandement de la société dans laquelle ils vivaient. » Les cerveaux produisent la merde idéologique pour maintenir les masses laborieuses assujetties, et ce faisant, ils confirment la validité du marxisme obsolète et dépassé : « Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. »
Nous quittons le monde d’hier en répétant, une fois de plus, qu’il est toujours la mère de toutes les révolutions. Nous le faisons avec une prémisse qui aurait pu facilement ouvrir nos écrits. Reprenons Marx et Engels : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner continuellement les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des rapports sociaux. Au contraire, la première condition d’existence de toutes les classes industrielles antérieures a été le maintien inchangé de l’ancien système de production. La révolution continue de la production, l’ébranlement ininterrompu de toutes les conditions sociales, l’incertitude et le mouvement éternels distinguent l’époque de la bourgeoisie de toutes les autres. » [2]
La nouvelle voie
L’époque que nous traversons nous confronte à des changements radicaux. Toutes les meilleures intelligences du monde sont aux pieds du capital dans l’espoir de le sortir de ses « impasses » et de lui donner une nouvelle vie. La « production d’idées » suit pas à pas la production matérielle dans ses changements et bouleversements constants. De droite à gauche, elle fourmille de débats sur la bonté de l’éternelle « meilleure » société, malgré tous ses défauts.
L’économiste et sociologue américain Jeremy Rifkin a fait sensation avec la publication en 1995 de son livre intitulé La fin du travail. Il prédit comment, avec l’utilisation croissante des ordinateurs, de la robotique et de l’automatisation, le chômage augmente et tend à augmenter. Il démontre, données à l’appui, qu’en dépit d’une forte augmentation de la productivité du travail, le chômage continue d’augmenter : « malgré une croissance de 2,8 % de l’économie en 2002 et une croissance rapide de 4,7 % de la productivité du travail – la plus forte augmentation depuis 1950 – plus d’un million de travailleurs ont quitté le marché du travail au cours de l’année écoulée. » [3]
Rifkin (militant du mouvement pacifiste depuis les années de la guerre du Vietnam) propose ses recettes miraculeuses, qui se concluent dès le départ dans le sous-titre de son livre : le Déclin de la force globale de travail dans le monde et l’aube de l’ère post-marché. [4] C’est-à-dire que pour éviter la dystopie d’un monde barbare et criminel du fait des centaines de millions de chômeurs, de sous-prolétaires et de criminels issus de l’automatisation la plus poussée de l’histoire de l’humanité, il propose l’utopie du... bénévolat, du troisième secteur comme il l’appelle. Pour corroborer sa thèse, il fait appel à Alexis de Tocqueville et à ses associations morales : « dans les pays démocratiques, le savoir s’associer est la mère de tous les autres savoirs et de ses progrès dépendent ceux de tous les autres. » [5] Si nous avions su que les associations volontaires étaient historiquement suffisantes pour construire les phalanstères modernes de C. Fourier (toujours pour ne pas trop s’éloigner de Tocqueville), nous aurions pu nous consacrer à la construction de la communauté parfaite, sans maîtres ni capitalistes. Mais peut-être qu’aujourd’hui le moment est venu d’implorer les Musk, les Bezos, les Goldman Sachs : laissez-nous passer, nous sommes volontaires.
M. Rifkin ne semble pas être un fou, car des économistes plus ou moins radicaux, même des économistes dits « marxistes », ou d’autres messieurs, revues ou journaux se prétendant communistes, disent en fin de compte et pour l’essentiel les mêmes bêtises, et peut-être de manière plus malhonnête que lui.
Aujourd’hui, le débat porte essentiellement sur l’intelligence artificielle (IA), et surtout ses effets, que beaucoup qualifient de désastreux (peut-être) si l’on n’agit pas à temps.
Avant de se perdre dans les acronymes et les sigles (ChatGPT, LLM, BigG, Bard), il est utile de rappeler que parallèlement à la guerre qui se déroule, dont l’Ukraine est actuellement le point le plus chaud, une guerre non moins sanglante se joue sur les marchés mondiaux des puces et des semi-conducteurs, dont Taïwan est le leader mondial incontesté. À la fin de l’année dernière, Joe Biden avait édicté de sévères restrictions à l’encontre des entreprises américaines, leur interdisant « d’exporter vers la Chine des outils critiques pour la production de puces », et « les entreprises de toute nationalité seront empêchées de fournir à des entités chinoises du matériel ou des logiciels avec des composants américains. » Ces mesures tentent par tous les moyens de mettre en difficulté son plus grand rival/ennemi dans le secteur de la haute technologie et de l’intelligence artificielle. Micron Technology (une multinationale américaine opérant dans divers types de semi-conducteurs) a été « bannie par le gouvernement Xi, qui a décrété un blocus commercial. »
Le présent et le futur
Examinons maintenant de plus près ce que le présent et l’avenir réservent à la classe ouvrière. À l’horizon, nous ne voyons malheureusement que des vagues semblables à des tsunamis. Mais perçons les mystères des nouvelles technologies. Nous ne nous intéressons évidemment pas à l’aspect technique prédominant, sauf à le survoler, qui est le domaine des informaticiens de tous niveaux. Ce qui nous intéresse particulièrement, ce sont les effets à tous égards sur le prolétariat dans son ensemble.
ChatGPT
Plus précisément ChatGPT (OpenAI), Chatbot Bing GPT-4. Expliquons d’abord ce qu’est un bot : un bot est un programme informatique conçu pour imiter ou remplacer les actions d’un être humain en exécutant des tâches automatisées et répétitives. Et jusqu’à présent, nous sommes encore dans l’« ancien », car ceux qui bricolent des PC auront eu des dizaines de fois à répondre à des formulaires qui contiennent une case en bas à cocher « Je ne suis pas un robot », mais après avoir tapé correctement des caractères alphanumériques délibérément déformés (aussi connu sous le nom de CAPTCHA). Le chatbot, quant à lui, représente déjà un bond en avant beaucoup plus sophistiqué : « Il s’agit essentiellement d’un logiciel qui simule et traite des conversations humaines (écrites ou parlées), permettant aux utilisateurs d’interagir avec des appareils numériques comme s’ils communiquaient avec une personne réelle. » ChatGPTest la dernière révolution dans le domaine de l’intelligence artificielle.
« Plus précisément, il s’agit d’un grand modèle de langage (LLM) conçu pour produire des textes de type humain et converser avec des personnes, d’où le ’Chat’ dans ChatGPT. GPT signifie Generative Pre-trained Transformer (transformateur génératif pré-entraîné). Les modèles GPT sont pré-entraînés par des développeurs humains et sont ensuite laissés à eux-mêmes pour apprendre et générer des quantités croissantes de connaissances, délivrant ces connaissances d’une manière acceptable pour les humains (chat). En pratique, cela signifie que vous présentez au modèle une requête ou une demande en la saisissant dans une zone de texte. L’IA traite alors cette demande et y répond sur la base des informations dont elle dispose. Elle peut accomplir de nombreuses tâches, depuis une conversation jusqu’à la rédaction d’un examen complet, en passant par la création d’un logo de marque, la composition de musique, etc. Bien plus qu’un simple moteur de recherche de type Google ou Wikipédia, affirme-t-on. Les développeurs humains s’efforcent d’accroître l’’intelligence’ des TPG. La version actuelle de GPT est la 3.5 et la 4.0 sera disponible d’ici la fin de l’année. Selon certaines rumeurs, le ChatGPT-5 pourrait atteindre une "intelligence générale artificielle" (AGI). Cela signifie qu’il pourrait réussir le test de Turing, qui détermine si un ordinateur peut communiquer d’une manière indiscernable d’un humain. » [6]
Le secteur de l’IA a déterminé, mais surtout déterminera une compétition sans merci entre les cinq plus grandes Big tech : Google, Amazon, Apple, Microsoft et Meta, dont le chiffre d’affaires est d’environ 1 470 milliards de dollars ; pour donner une idée de ce que cela représente, il suffit de penser que le PIB de l’Espagne (quatrième de l’UE), est d’environ 1 400 milliards d’euros. Malgré les dangers qui menacent l’IA : « anéantir l’humanité », Elon Musk (le fondateur de Tesla) est déjà à l’œuvre pour créer sa créature en concurrence avec ChatGPT, elle s’appellera TruthGpt. Entre-temps, pour lutter contre la domination de Google, le Chatbot Bing GPT-4, le moteur de recherche de Microsoft, est accessible à tous depuis le début du mois de mai de cette année. Mais en mai également, Google a lancé son BARD, également basé sur le LLM (Large Linguistic Model). Et pendant que les Big Techs avec leurs patrons en personne et les équipes de philosophes et d’intellectuels bien-pensants, fervents religieux du Saint Capital, pleurent sur les effets catastrophiques de l’IA, ils se jettent tous sur le nouveau filon d’or parce que le profit est le profit et que tout le reste peut aller se faire foutre : Samson et l’humanité entière peuvent bien mourir.
Les effets sur l’emploi des technologies actuelles de la robotique, de l’automatisation, de l’organisation du travail – voir aussi le smart working qui se fait à la maison –, se font déjà sentir : « selon le site web Layoffs.fyi, qui recense les suppressions d’emplois dans l’ensemble de l’industrie, quelque 152 000 employés seront licenciés par plus de 1 000 entreprises d’ici à 2022. Un autre rapport de la société Challenger, Gray and Christmas, qui suit le marché du travail depuis près de 30 ans, indique que le pic le plus important de licenciements dans le secteur technologique s’est produit en novembre, avec près de 53 000 suppressions d’emplois. Il s’agit du total mensuel le plus élevé pour ce secteur depuis 2000, année où l’entreprise a commencé à suivre en détail l’évolution de l’industrie technologique. Il s’agit également du nombre de licenciements le plus élevé d’une année sur l’autre pour ce secteur depuis 2002. » [7] Amazon, Twitter, Meta, tous ont procédé à des dizaines de milliers de licenciements au cours du second semestre 2022. Nous ne parlons que du secteur technologique, et les prévisions pour 2023 ne sont pas différentes.
« Le niveau d’utilisation de la robotique a presque doublé dans les principales économies capitalistes au cours de la dernière décennie. Le Japon et la Corée ont le plus grand nombre de robots par employé de production, plus de 300 pour 10 000 employés, suivis par l’Allemagne avec plus de 250 pour 10 000 employés. Les États-Unis ont moins de la moitié du nombre de robots par 10 000 employés que le Japon et la République de Corée. Le taux d’adoption des robots a augmenté au cours de cette période de 40 % au Brésil, de 210 % en Chine, de 11 % en Allemagne, de 57 % en République de Corée et de 41 % aux États-Unis. » [8] C’est l’avenir et ce qui nous attend : « L’intelligence artificielle pourrait remplacer l’équivalent de 300 millions d’emplois à temps plein. C’est l’un des points saillants du rapport de Goldman Sachs, qui indique qu’environ deux tiers des professions sont exposées dans une certaine mesure à l’IA. Certains plus, d’autres moins. En fait, un quart des emplois aux États-Unis et en Europe sont susceptibles d’être totalement remplacés. Selon le rapport, toute personne qui perd 50 % ou plus de sa charge de travail quotidienne à cause d’un robot restera au chômage. » [9]
L’avenir ? Sera-t-il plus ou moins lointain ? Difficile à dire. En tant que marxistes, nous n’avons pas l’habitude de raisonner avec une boule de cristal, nous laissons cela aux magiciens, aux prêtres et aux bonimenteurs. Nous pouvons seulement dire que la « théorie de la compensation » aura tendance à « compenser » de moins en moins, c’est-à-dire que les travailleurs qui sont « libérés » dans un secteur trouveront de plus en plus difficilement un emploi dans d’autres secteurs ou branches de production. Mais de cette théorie marxienne, nous arrivons à sa loi la plus importante : la baisse tendancielle du taux de profit, précisément comme conséquence d’une composition organique différente du capital total. Roberts et d’autres « marxistes », tout en s’efforçant de comprendre (?), continuent d’utiliser les catégories capitalistes, même dans le langage : « Les robots et l’IA intensifieront la contradiction, dans le cadre du capitalisme, entre la volonté des capitalistes d’accroître la productivité du travail par la "mécanisation" (robots) et la tendance à la baisse de la profitabilité de cet investissement pour les propriétaires du capital qui en résulte. Il s’agit de la loi la plus importante de Marx en matière d’économie politique. » (Ibidem) Outre le fait que son explication est quelque peu vague, le fait qu’un « marxiste » transforme la tendance à la baisse du taux de profit en une tendance à la baisse de la profitabilité est tout à fait révélateur. Dans son article comme dans ses posts, il ne parle jamais de profit mais toujours de profitabilité. Mais il poursuit son récit en citant un autre sympathisant « marxiste », John Lanchester : « Il me semble que la seule façon pour ce monde de fonctionner est d’avoir des formes alternatives de propriété. La raison, la seule raison, de penser que ce monde meilleur est possible est que l’avenir dystopique du capitalisme plus les robots peut s’avérer trop sombre pour être politiquement viable. Ce futur alternatif serait le genre de monde dont rêvait William Morris, plein d’humains engagés dans un travail utile [meaningful] et rémunéré de manière raisonnable. » Il serait intéressant de savoir ce qu’il entend par formes alternatives de propriété. Mais celles-ci existent déjà et s’appellent la propriété privée : c’est la forme et la base sur laquelle repose l’édifice social actuel : l’État capitaliste. Ensuite, on arrive dans les bas-fonds de la bourgeoisie éclairée, avec un « travail utile et rémunéré de manière raisonnable. » Qu’est-ce que cela signifie être payé raisonnablement ? L’argent, l’une des catégories fondamentales du système capitaliste, continuera donc à circuler dans un monde céleste ? Et c’est là que Mark Zuckerberg pourrait venir à la rescousse avec son « Metaverse » et nous plonger dans un monde virtuel, où, à la place de la cocaïne, il y aura des lunettes qui nous maintiendront toujours suspendus dans le vide, planant de façon éthérée dans le monde céleste des anges. Une fois, les lunettes enlevées, on se retrouve dans l’habituelle porcherie bourgeoise.
Mais revenons au "véritable marxiste", Roberts : « En effet, le plus grand obstacle à un monde de surabondance est le capital lui-même. Bien avant que nous n’atteignions la "singularité" (si nous y arrivons un jour) et que le travail humain ne soit totalement remplacé, le capitalisme connaîtra une série de crises économiques d’origine humaine de plus en plus profondes. » Mais comment s’en prend-il au capitalisme, « le plus grand obstacle », et ensuite ? C’est l’homme qui provoque les crises : l’ouvrier métallurgiste à 1000 euros par mois, le chômeur à zéro euro, la femme de ménage, l’éboueur, Musk, Soros, tous ensemble passionnément. Ullallà ! Mais ce n’est pas fini, car à la fin, servie sur un plateau d’or, arrive la solution du puzzle qui nous a tant fait souffrir. La voici : « Une société de surabondance où le travail humain est réduit au minimum et où la pauvreté est éliminée ne se produira que si la propriété des moyens de production passe d’un contrôle privé (oligarchie capitaliste) à une propriété commune (socialisme démocratique). C’est le choix entre l’utopie et la dystopie. » (ibidem) Demain matin, dans un an, rien ne presse, allons voir les capitalistes bourgeois et disons-leur, chapeau à la main, comme il convient aux gens polis, excusez-moi messieurs de vous écarter, car nous avons décidé d’instaurer le socialisme démocratique, si vous êtes d’accord.
La réalité est tout autre, laissons ces marxistes du jour de l’an à leur sort, à leurs bons vœux. Ennemis du prolétariat au même titre que les « vrais » ennemis.
Les premiers, si bien accompagnés de faux « communistes », sont du côté opposé de la barricade, toujours prêts à tendre l’autre joue, toujours prêts à raisonner pour « remettre les choses en place ». Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire où la bourgeoisie abandonne volontairement son pouvoir. Ce sont des criminels qui ne dédaignent pas une seule minute de jeter des millions de prolétaires à la rue, de rire au nez des affamés, d’envoyer des tonnes de marchandises à la casse pour ne pas faire baisser les prix, de dépenser des milliers de milliards en armements, d’envoyer des millions de prolétaires à l’abattoir, comme ils l’ont toujours fait. Et quand nous disons « criminels », ce n’est pas pour être grandiloquents, c’est parce que nous avons toujours devant les yeux les enfants, les femmes, les vieillards, les hommes qui meurent chaque jour pour les intérêts immondes de ceux qui devraient disparaître de la surface non pas de la terre, mais de l’univers. Parce que nous n’acceptons pas que cela devienne une normalité quotidienne, comme boire un verre d’eau. Ces criminels sont la bourgeoisie capitaliste. Leurs intérêts sont inconciliables avec ceux de la grande majorité de la société. L’émancipation du prolétariat, sa libération de l’esclavage du travail salarié, de l’esclavage en général, passe par la destruction violente de l’organisation sociale capitaliste et de son État. Mais pour y parvenir, le prolétariat doit s’organiser comme « un seul homme », et pour cela il doit construire, dans l’abnégation et le sacrifice, son principal instrument, le Parti International, pour le conduire vers le seul rêve qui vaille : une société sans classes et sans maîtres, la future société communiste.
Notes:
[1] . Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, https://www.marxists.org/francais/engels/works/1845/03/fe_18450315_6.htm
[2] . Traduit directement de la citation reproduite en italien dans l’article.
[3] . idem.
[4] . The End of Work : The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the Post-Market Era.
[5] . Traduit directement de la citation reproduite en italien.
[6] . Michael Roberts, https://thenextrecession.wordpress.com/2023/04/08/ai-gpt-a-game-changer/, traduit par nos soins de l’anglais.
[8] . Micheal Roberts : https://thenextrecession.wordpress.com/2015/09/24/robots-and-ai-utopia-or-dystopia-part-three/
[9] . forbes.it