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Le 25e Congrès du CCI : « destruction de l’humanité » ou guerre impérialiste généralisée ? (juillet 2023)
Le Courant Communiste International a tenu son 25e congrès dont il rend compte dans une présentation [1]. Il l’accompagne de la publication de différents rapports sur les tensions impérialistes, la crise économique et la lutte des classes, auxquels il ajoute une Actualisation de ses thèses sur la décomposition. Cette fois, il n’est aucune nouvelle remise en question ou rejet d’ordre opportuniste des positions classiques du CCI d’origine et du marxisme, comme le furent en leur temps, la substitution d’une troisième voie à l’alternative historique révolution ou guerre (15e congrès de 2003), la disparition de toute possibilité de guerre impérialiste généralisée (17e congrès de 2007) ou encore du rejet de la notion de cours historique (23e congrès de 2019), pour ne citer que les plus significatives. Hormis le rappel formel de rigueur en toute occasion contre le danger du parasitisme, il n’est aucune déclaration particulière sur le camp prolétarien.
De même, aucun véritable bilan sur les activités et la réalisation des perspectives avancées lors du précédent congrès ne nous est, une nouvelle fois, présenté. Quid des orientations avancées en 2021 ? De « la lutte contre l’opportunisme dans les organisations de la gauche communiste, en lien avec celle contre le parasitisme, [de] la défense de l’organisation contre les attaques du parasitisme et pour la rupture du cordon sanitaire dont il entoure le CCI ? » [2] De « la capacité d’analyser le monde et la situation historique (…) l’un des "fondements" de notre perspective immédiate » ? Visiblement, le soit-disant cordon sanitaire que le parasitisme, en fait notre groupe selon lui, aurait cherché à établir, c’est-à-dire l’isolement du CCI, perdure. Au point que nous sommes bien souvent obligés de lutter pour convaincre ceux, et pas seulement les jeunes militants, qui ne veulent pas en entendre parler, qu’il reste une organisation de la Gauche communiste et qu’il continue à défendre des positions de classe malgré sa dérive opportuniste et sectaire. Le GIGC, « le plus dangereux des groupes parasites », composés de « gangsters et de flics » selon le CCI, se retrouve très souvent le seul à le défendre ! Doux plaisirs qu’en ces occasions nous procure la défense des principes prolétariens.
Et qu’en est-il de sa capacité d’analyse ? Nous avions vu qu’un des objets, sinon le principal, des congrès précédents [3] était de justifier à tout prix la théorie de la décomposition en interne, vis-à-vis des doutes et de l’absence de conviction de ses propres membres sur cette théorie, qui est rejetée par l’ensemble du camp prolétarien. Une des principales implications politiques de la décomposition est la négation de toute perspective de guerre impérialiste généralisée, de Troisième guerre mondiale, comme unique voie du capital face à sa crise. Et cela avec l’argument principal que le chaos et le « chacun-pour-soi » provoqués par la décomposition annihilent toute possibilité, voire tendance, à la constitution de blocs impérialistes. [4] Mais, depuis la guerre impérialiste a éclaté en Ukraine. Elle a provoqué une polarisation impérialiste accrue et évidente pour tous, et que le dernier sommet de l’Otan à Vilnius est venu encore confirmer ; et elle marque un premier pas significatif des poussées vers la guerre impérialiste généralisée. Ces poussées se manifestent par le fait que la préparation directe et indirecte pour la guerre, le réarmement général et précipité, la mise en place d’économie de guerre, est le facteur central de la situation, celui qui détermine et dicte, tendanciellement, dorénavant toutes les politiques que chaque bourgeoisie nationale est contrainte de mettre en place, en particulier contre son propre prolétariat.
Sauf à perdre tout crédit, le CCI de la décomposition est donc bien obligé de reconnaître, de manière empirique, la réalité de la guerre impérialiste – après l’avoir niée – comme facteur de la situation tout en s’accrochant à la thèse, contre toute évidence, qu’il n’y a pas de dynamique de polarisation impérialiste. Répondant à ses membres en désaccord sur cette question [5], le 25e congrès affirme que « les conséquences du conflit en Ukraine ne mènent nullement à une "rationalisation" des tensions à travers un alignement "bipolaire" des impérialismes derrière deux "parrains" dominants, mais au contraire à l’explosion d’une multiplicité d’ambitions impérialistes, qui ne se limitent pas à celles des impérialismes majeurs, ou à l’Europe de l’Est et l’Asie Centrale, ce qui accentue le caractère chaotique et irrationnel des confrontations. »
Ce que le rapport – du congrès lui-même ! – sur les tensions impérialistes est amené à contredire. « Si la guerre [en Ukraine] a bien été initiée par la Russie, elle est la conséquence de la stratégie d’encerclement et d’étouffement de celle-ci par les États-Unis. De cette manière, ces derniers ont réussi un coup de maître dans l’intensification de leur politique agressive qui a un objectif bien plus ambitieux qu’un simple coup d’arrêt signifié aux ambitions de la Russie. » Et cette partie se conclut sur le fait que les États-Unis « ont resserré les boulons au sein de l’Otan en contraignant les pays européens à se ranger sous la bannière de l’Alliance, en particulier la France et l’Allemagne. »
Alors, tendance à la polarisation impérialiste ou non ? Irrationnelle et hors de contrôle la politique impérialiste américaine ? Ou bien, politique bien pensée et efficacement mise en pratique montrant force et unité de l’appareil d’État et de la classe capitaliste américaine ? Le problème avec la méthode soit-disant dialectique revendiquée à grand cri par le CCI est qu’elle reste encore prisonnière de l’opposition métaphysique des contraires. Elle n’a toujours pas compris, elle ne veut pas comprendre au risque d’abattre un des piliers de la théorie de la décomposition [6], que la défense par chaque capital national de ses intérêts, le chacun-pour-soi, n’est qu’un moment de la polarisation impérialiste. N’importe quel chef de gang sait qu’il doit chercher à s’allier et, si possible, avec un parrain plus fort, s’il veut défendre ses intérêts propres. Tout comme les parrains les plus forts cherchent, par l’imposition bien souvent, à s’allier des gangs plus faibles.
Ce déni de la guerre impérialiste généralisée en tant qu’un des pôles de l’alternative historique et donc en tant que facteur de la situation et de son développement concret, a pour conséquence… une tendance, revendiquée, à sous-estimer et nier la lutte des classes comme moteur de l’histoire. « La dynamique générale de la société capitaliste (...) n’est plus déterminée par le rapport de forces entre les classes. Quel que soit ce rapport de forces, la guerre mondiale n’est plus à l’ordre du jour mais le capitalisme va continuer de s’enfoncer dans la décomposition. » [7]
Ce faisant, le CCI d’aujourd’hui est incapable de comprendre les terrains et les enjeux immédiats des attaques que chaque bourgeoisie nationale a commencé à porter et va porter chaque fois plus contre chaque prolétariat. Et cela en fonction du chemin que chacune doit parcourir, aux plans économique, politique, idéologique, etc., pour se préparer à la guerre. Il en résulte, nous ne pouvons pas nous étendre ici, des considérations et des orientations abstraites et générales, in fine d’ordre économiste, qui réduisent la lutte prolétarienne au retour de « l’identité de classe » comme préalable à la lutte. Mais surtout et plus grave encore, en niant l’évolution du rapport de forces entre les classes, donc la lutte des classes, comme facteur central du développement de la société capitaliste, le CCI y substitue la lutte contre la décomposition. C’est-à-dire contre l’idée de la décomposition. Exemples : « l’efficacité actuelle du contrôle syndical repose sur les faiblesses qui découlent de la décomposition. (…) L’une des armes les plus efficaces de la classe dominante est sa capacité à retourner les effets de la décomposition. (…) Le prolétariat de la première puissance mondiale, malgré de nombreux obstacles générés par la décomposition dont les États-Unis sont devenus l’épicentre. » [8] Bref, les obstacles à la lutte prolétarienne ne sont pas les forces politiques bien réelles de l’appareil d’État bourgeois, mais les effets de la décomposition.
En 2003, lors de son 15e congrès, gagné définitivement par l’opportunisme, le CCI avait liquidé la position sur l’alternative historique révolution ou guerre au profit d’une troisième voie, thèse classique de l’opportunisme. [9] Depuis, et sans doute face aux – à nos – critiques, il a dû abandonner toute référence à cette troisième voie qui sentait trop bon, et trop ouvertement, l’opportunisme et le révisionnisme. Mais, cela ne signifie pas qu’il a stoppé sa chute dans ces derniers. Certes, il a rétabli une alternative historique qui peut sembler sans danger au lecteur et militant non averti ou peu rigoureux. Destruction de l’humanité ou guerre impérialiste généralisée, n’est-ce pas la même chose ? Eh bien non. Du point de vue de la lutte prolétarienne, de ses différents enjeux et batailles, de ses terrains et de ses tempo, la destruction de l’humanité n’est qu’une idée, un postulat qui n’a rien de matériel – précisons : de politiquement et historiquement matériel. La marche à la guerre généralisée impose directement et concrètement encore plus de sacrifices pour sa préparation et la mise en place d’économies de guerre. Et elle contraint la bourgeoisie, force matérielle agissant sur le terrain tout aussi matériel de la lutte entre classes, à s’attaquer au prolétariat en fonction non seulement de la défense économique de son capital national, mais aussi de cette préparation à la guerre.
Le retour formel à une « alternative » n’est en rien un pas en avant pour le CCI. Mais l’expression réaffirmée de la démarche idéaliste et du cours opportuniste et révisionniste de cette organisation.
Notes:
[1] . https://fr.internationalism.org/content/11030/revolution-communiste-ou-destruction-lhumanite-responsabilite-cruciale-des. Le lecteur désireux de lire les presque 80 à 90 pages de tous ces documents pourra les trouver sur le site du CCI.
[2] . Bilan du précédent congrès : https://fr.internationalism.org/content/10639/comprendre-situation-historique-et-preparer-lavenir
[3] . cf. nos différentes prises de position dans cette revue, par exemple La barque de la décomposition prend l’eau (RG #20 : http://www.igcl.org/24e-congres-du-CCI-la-barque-de-la)
[4] . Le CCI d’aujourd’hui ne se soucie guère du fait que les blocs comme tels ne se constituèrent qu’à la veille, une semaine avant, du déclenchement de la 2e Guerre mondiale, le Pacte Ribbentrop-Molotov d’août 1939.
[5] . cf. l’article qui suit dans ce numéro, le dilemme politique des minoritaires : être conséquents et s’attaquer au dogme de la décomposition.
[6] . Le CCI le reconnaît lui-même : envisager qu’il puisse exister une dynamique vers la guerre mondiale « impliquerait que l’une des prémisses clés de la décomposition – l’incapacité de la bourgeoisie à offrir une perspective à l’humanité, aussi barbare soit-elle – ait été retirée de l’équation. » (Réponse à Steinklopfer mis en ligne début septembre) Une fois de plus : si la réalité ne correspond pas au dogme, il faut nier la réalité. La supprimer plutôt, non ?
[7] . Résolution sur la situation internationale du 23e congrès du CCI, 2019, https://fr.internationalism.org/content/9922/resolution-situation-internationale-2019-conflits-imperialistes-vie-bourgeoisie-crise
[8] . Résolution sur la situation internationale du 25e congrès du CCI, https://fr.internationalism.org/content/11019/resolution-situation-internationale
[9] . A l’époque de la 2e internationale, la 3e voie était celle de la réforme et du passage pacifique et graduel au socialisme.