(Septembre 2023) |
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Sur la récente grève des dockers de Colombie-Britannique (Côte ouest du Canada)
Le 1er juillet 2023, une grève de 7 400 dockers dans la province canadienne de la Colombie-Britannique a entraîné la fermeture de plus de 30 ports. Selon le syndicat des dockers, l’ILWU [1], 99,24 % des membres avaient voté en faveur de la grève, poursuivant ainsi la tendance récente au Canada qui veut que les travailleurs syndiqués votent massivement pour la grève. Chaque jour, des marchandises d’une valeur de 800 millions de dollars canadiens [CAD] (600 millions dollars américains – USD) transitent dans ces ports. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une petite grève en termes de nombre de participants, l’effet de la grève a pris des proportions hors norme par rapport au nombre de grévistes en raison de la nature stratégique des ports.
L’ILWU avait initialement approuvé un accord imposé par le gouvernement fédéral après 13 jours de grève. Cet accord initial a été rejeté de manière retentissante par les membres du syndicat [2]. À ce stade des événements, la bourgeoisie est devenu particulièrement virulente contre les travailleurs. Des appels pour déclarer la grève illégale et imposer une loi pour le retour au travail ont été lancés. Par la suite, la grève a été brièvement reconduite après une pause d’environ deux semaines. Cette seconde période de grève a été déclarée illégale par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) au motif que le syndicat n’avait pas fourni un préavis de grève de 72 heures. L’ILWU a alors émis un préavis de grève de 72 heures, avant de l’annuler quelques heures plus tard et d’annoncer qu’il recommandait que le nouvel accord soit soumis au vote des membres. Les 27 et 28 juillet, les membres de l’ILWU ont voté pour rejeter le nouvel accord. Le lendemain, le ministre canadien du travail a annoncé qu’il avait ordonné au CCRI d’imposer un nouvel accord ou de recourir à l’arbitrage. Dans le contexte de cette menace pour imposer un contrat par le gouvernement fédéral, un nouvel accord a été conclu et 75 % des membres de l’ILWU ont voté pour l’accepter.
Comme on pouvait s’y attendre, tout au long de ce processus, on a entendu les habituelles jérémiades sur les effets de la grève sur les petites entreprises qui dépendent de la circulation des marchandises dans les ports. Cependant, l’importance de cette grève va bien au-delà de ses effets sur les petites entreprises. La toile de fond de cette grève est la polarisation impérialiste en cours, qui exige que les secteurs stratégiques de l’économie fonctionnent normalement. Le précédent ministre canadien du travail, Seamus O’Regan, a souligné l’importance des ports pour « l’intérêt national » et Chrystia Freeland, la vice-première ministre, a déclaré que l’impact économique de la grève était « intolérable ». Ce qui est intolérable pour les travailleurs, c’est l’augmentation du coût de la vie, y compris en raison de la marche à la guerre impérialiste généralisée. En outre, même si les augmentations de salaire actuelles correspondaient au taux d’inflation prévu ou le dépassaient de peu, cela serait loin d’être suffisant étant donné que le coût du logement a explosé au cours des vingt dernières années et que notre pouvoir d’achat n’a cessé de s’éroder au cours de la même période.
Cet épisode récent met également en lumière le rôle joué par le syndicat dans l’affaiblissement et l’impuissance de ce qui aurait dû être une grève efficiente, en raison de la nature stratégique des ports. L’ensemble de l’appareil d’État s’est dressé contre les travailleurs, des médias aux gouvernements provinciaux et fédéral en passant par les syndicats, qui font eux-mêmes partie intégrante de l’appareil d’État capitaliste. C’est bien le syndicat qui a manœuvré pour que les travailleurs soient contraints d’accepter un accord ou de faire face à une loi leur imposant un retour au travail et un contrat. En isolant la grève dans un seul secteur, même s’il est stratégiquement vital, le syndicat a réussi à paralyser la grève, car que peuvent faire 7 400 travailleurs face à la force combinée de l’État ? Ce n’est qu’en généralisant les grèves à tous les secteurs sur une base géographique, en organisant des piquets de grève devant les entreprises voisines et en envoyant des délégations pour inviter d’autres lieux de travail à se joindre à la grève pour des revendications communes, que les travailleurs peuvent imposer un rapport de forces qui leur soit favorable. Dans une telle situation de généralisation et de grève de masse, une loi dictant la reprise du travail serait un geste purement formel et sans effet.
Notes:
[1] . Créé en 1934, « L’International Longshore and Warehouse Union en français : « syndicat international du débardage et de l’entreposage », abrégé en ILWU, est un syndicat nord-américain défendant les intérêts des dockers et autres ouvriers et employés du secteur de la manutention portuaire. Son réseau s’étend sur la côte Ouest des États-Unis, y compris Hawaï et l’Alaska, ainsi que la Colombie-Britannique au Canada. Outre les dockers, le syndicat défend les intérêts des ouvriers et employés du secteur hôtelier hawaïen, des ouvriers de la conserve en Alaska, ceux des entrepôts logistiques de toute la côte Ouest, et les ouvriers du secteur du livre à Portland. » (Wikipedia)
[2] . Rappelons pour les lecteurs non anglophones que les dockers doivent être « syndiqués » pour pouvoir travailler, du fait du système du « closed-shop ».