(Semestriel - Septembre 2018) |
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Rapide bilan de la défaite des cheminots du printemps 2018 en France : l’unité syndicale n’est pas l’unité de la classe ouvrière mais sa division et sa dispersion
Nous publions ci-après le tract que nous avons diffusé à partir du 28 mars 2018 dans les manifestations et assemblées ouvrières auxquelles nous avons pu participer et intervenir [1] lors des mobilisations ouvrières de février, mars et avril 2018 en France et dont l’épicentre a été la lutte des cheminots contre la ’réforme de la SNCF’ menée par le gouvernement de Macron. Notre tract appelle à ce moment-là les prolétaires à affronter ouvertement, directement et collectivement la tactique des journées d’action et des grèves tournantes, c’est-à-dire le sabotage syndical, pour pouvoir étendre et généraliser les luttes alors même que différentes entreprises d’importance sont en conflit, voire en grève : Air France, les magasins Carrefour, les hôpitaux et particulier les maisons de retraite (EPHAD), l’usine FORD de Bordeaux, la fonction publique... L’idée en est alors répandue parmi de nombreux travailleurs et la perspective d’une lutte massive et unie de différents secteurs est une réalité, un enjeu du moment, une possibilité réelle même si réduite, que les syndicats, les médias et même Macron lui-même ’qui n’y croit pas ’, dit-il dans un interview, sont contraints de reprendre pour la travestir en ’convergence des luttes’ et la vider ainsi de tout contenu prolétarien. L’extension qui, courant mars, passait par la grève ouverte et reconductible à la SNCF (y compris si elle n’était assumée que par une minorité de dépôts et de gares), était l’unique moyen pour donner confiance et engager le plus grand nombre possible de prolétaires, cheminots compris, et de nombreux autres secteurs dans le combat commun. Et, ainsi, pour imposer à l’État le seul terrain qu’il craint et qui aurait pu au final le faire reculer : celui de l’extension ’sans contrôle’, c’est-à-dire sans contrôle syndical, du combat de classe, c’est-à-dire d’une dynamique de grève de masse.
La passivité politique des cheminots les livre au sabotage syndical
Afin d’être la plus efficace possible, notre intervention essaie aussi de prendre en compte une autre réalité qui affaiblit grandement la perspective d’extension : le fait qu’à l’annonce brutale et soudaine de l’attaque le 19 février avec la publication du rapport Spinetta qui est particulièrement provocateur vis-à-vis des cheminots, ceux-ci restent passifs et laissent ’faire les syndicats’… qui sont déjà en train de discuter avec le gouvernement. Cette situation va durer jusqu’à la journée d’action du 22 mars où sont organisées deux manifestations différentes à Paris du fait de la grève dans la fonction publique. Les syndicats SNCF, CGT en tête, n’appellent pas à la grève ’laissant les individus décider’ de leur participation à la manifestation parisienne [2]. Ils s’évitent ainsi la tenue d’assemblées générales qui auraient pu les mettre en difficulté. C’est durant cette période que l’extrême gauche et le syndicat SUD ne cessent de pousser la CGT, le principal syndicat, à organiser la grève sinon, selon eux, « la défaite sera inévitable » [3] rabattant et enfermant ainsi les cheminots les plus combatifs sur le terrain de l’unité syndicale ’qu’il faut préserver’. Alors même que c’est avec la CGT, opposée à la grève immédiate, que la défaite est inévitable ! Le 15 mars, à la stupéfaction du plus grand nombre, l’intersyndicale mise en place au nom de l’unité syndicale et sur l’autel de laquelle SUD poussera les cheminots les plus combatifs à renoncer au combat pour l’extension et l’unité ouvrière, n’appelle pas à une grève reconductible mais à une série de grèves tournantes sur plusieurs mois. Durant toute cette période, au moins jusqu’aux 3 et 4 avril (date des deux premières grèves tournantes), en laissant à l’intersyndicale l’initiative et la maîtrise des décisions, les cheminots passifs se sont livrés mains et poing liés à leur ennemi de classe. Ils lui ont laissé le temps d’organiser et d’imposer le terrain, les conditions et le moment de ’l’affrontement’, alors même que d’autres fractions du prolétariat, plus faibles et moins centrales, mais certaines déjà en lutte ouverte, étaient dans l’attente et l’espoir d’un foyer central de lutte autour duquel elles auraient pu rompre leur sentiment d’isolement et pu s’engager.
Notre intervention par tract est en retard
Pour notre part, nous sommes aussi en retard. Notre tract aurait dû être réalisé plus tôt – au moins pour la journée du 22 mars. Certes, quand nous le publions et commençons à le diffuser le 28 mars, il est encore possible que les orientations de classe que nous mettons en avant soit reprises par les cheminots, voire par d’autres secteurs : l’extension et l’ouverture d’une dynamique vers une lutte unie restent une possibilité. Mais celle-ci s’amenuise de jour en jour jusqu’à disparaître définitivement au lendemain des premières grèves tournantes, les 3 et 4 avril : l’absence d’assemblée reconduisant la grève en opposition aux mots d’ordre syndicaux signe l’incapacité des cheminots à rompre avec la dynamique imposée par l’intersyndicale et l’ensemble des forces de l’État. Selon nous, à partir de ce moment, les prolétaires ont abandonné toute possibilité de disputer, ne serait-ce qu’à minima, l’initiative à la bourgeoisie. Elle pourra ainsi amener les cheminots à l’épuisement jusqu’aux dernières journées de grève de juillet et imposer un échec supplémentaire, après ’la loi travail’ de 2016 (cf. le bilan que nous en faisions dans Révolution ou Guerre #6 [4]) et celui de l’automne 2017 (la ’réforme’ du contrat de travail menée, déjà, par Macron).
Après le 4 avril, l’impasse et la défaite assurée
Après les 3 et 4 avril [5], seul un fait ’contingent’ ou extérieur aux événements eux-mêmes – peu probable en cette occasion – aurait pu briser cette dynamique d’enfermement et d’isolement : par exemple, l’explosion d’un conflit dans un autre secteur – comme autour de l’usine FORD à Bordeaux –, voire une bavure policière. Il n’en fut rien : l’État prit bien garde à ce que sa police contrôle les manifestations et les affrontements avec les black blocs, ou lors des évacuations policières des universités occupées, sans qu’il n’y ait de victimes significatives ; comme lors des affrontements violents du 1er mai à Paris sur le pont d’Austerlitz. Politiquement, il tenta et réussit sans difficulté à occuper tout l’espace ’social’ afin de contrer toute éventualité de conflit nouveau : suite au 1er mai, les anciens de Nuit debout de 2016 se réveillèrent pour appeler ’à faire la fête à Macron’ le 5 mai dans une manifestation à Paris. Ils y furent rejoints par leurs acolytes de la France Insoumise de Mélenchon. De même que le syndicat SUD, organisant des ’assemblées inter-gares’ prit bien soin de maintenir enfermés les plus combatifs des cheminots dans l’impasse de la grève sans issue et de veiller à ce que tous restent sur le terrain syndicaliste, de l’intersyndicale et de l’unité syndicale : « nous appelons l’ensemble des fédérations [syndicales] cheminotes à durcir la grève et proposer la reconduction du mouvement dès le 24 Mai par période de 24h décidée dans les AG » (motion adoptée par l’assemblée intergares parisiennes le 14 mai [6]).
Pour notre part, après les 3 et 4 avril, conscients que la fenêtre donnant sur une extension se ferme sans doute définitivement, nous pensons que les orientations d’action de notre tract ’d’agitation’ ne sont plus adaptées – même si nous pouvons encore le diffuser d’un point de vue ’propagandiste’. Nous cherchons l’émergence de minorités de travailleurs en rupture avec la dynamique du mouvement imposée par les syndicats et désireux de la combattre sous une forme qui ne peut qu’être collective et minoritaire, de type comité de lutte ou assemblée ’interprofessionnelle’. À notre connaissance, il n’en est apparue aucune sinon… celles, formelles, mises en place par les trotskistes dans les universités entre étudiants et les syndicalistes de SUD qui déboucha sur l’Intergares dont l’objet était de rabattre toute volonté combative sur le terrain syndicaliste. Si notre prévision selon laquelle toute dynamique d’extension s’est éteinte au lendemain des 3 et 4 avril s’est vérifiée, il est clair qu’au moment où l’Intergares appelle à « durcir la grève », la CGT et SUD n’essaient plus alors qu’à entraîner le maximum de cheminots restés combatifs dans la défaite, l’épuisement, l’écœurement et le découragement les plus profonds. Aurions-nous eu des forces numériques un peu plus conséquentes que nous aurions certainement produit un deuxième tract tirant les leçons du mouvement et avertissant contre le jusqu’au-boutisme de la CGT et de SUD dans les grèves tournantes – au final, il y eut 36 jours de grève [7] – afin précisément de limiter autant que faire se pouvait l’ampleur de l’échec en favorisant le partage des leçons de cet épisode de lutte avec le plus grand nombre.
Finalement, le 14 juin, la loi est adoptée au Parlement et les grèves tournantes, avec de moins en moins de participants, continuèrent jusqu’à juillet dans… l’indifférence générale croissante et avec des cheminots isolés, divisés entre grévistes et non grévistes, épuisés, désespérés et asphyxiés par les retenues sur salaire du fait des 36 jours de grève.
Macron et la fin du fétiche des grèves générales de 1968 et 1995
La bourgeoisie française vient de remporter une série de victoires importantes contre le prolétariat en France tant au plan de son exploitation économique qu’au plan politique depuis le printemps 2016 et la ’loi travail El Khomri’ [8]. Il est possible – nous livrons ces éléments pour réflexion – que la défaite des cheminots marque la fin d’une particularité de la lutte ouvrière en France. La bourgeoisie européenne, intéressée à l’élimination de tout mauvais exemple prolétarien, ne s’y trompe pas. Dès le 24 avril, le journal espagnol de droite El Mundo titrait que « Macron veut enterrer mai 68 et l’automne 95 » en relevant qu’en France, « reste le mythe de la révolution dans la rue. Mais cela, Macron va l’enterrer ». Outre une relative ’mise à niveau’ du prix de la force de travail, c’est-à-dire de l’exploitation des prolétaires, au niveau des principaux rivaux européens, la bourgeoisie française vient donc ainsi de remporter une victoire politique contre le prolétariat [9]. Sans doute la tactique des journées d’action syndicale menée systématiquement depuis 2003, et basée précisément sur la mystification des grèves générales de 1968 et 1995, en particulier présentées comme ayant résulté de l’unité syndicale, est-elle maintenant usée jusqu’à la corde – ne serait-ce que parce qu’elle n’a débouché que sur des reculs et des échecs cuisants malgré des mobilisations massives successives depuis 2003 comptant parfois jusqu’à des millions de manifestants et de grévistes. En outre, les formes modernes de la production capitaliste ont liquidé la plupart des grandes usines ou secteurs, sur lequel se fonde le fétiche gauchiste et anarchiste de la grève générale, au bénéfice de petites unités de production dans lesquelles le ’management’ est omniprésent tant au plan idéologique que politique – interdisant les assemblées, voire y intervenant directement s’il ne peut les empêcher. Du coup, toute initiative de lutte ou de grève s’en retrouve beaucoup plus difficile. Mais de manière contradictoire, du fait même de ces conditions ’modernes’ d’exploitation du travail, la nécessité de l’extension immédiate au-delà de l’entreprise et en grande partie sur une base géographique – et non corporatiste – n’en devient que plus aiguë et vitale ; et cela contrairement aux grandes usines d’antan ou de secteurs vitaux comme les cheminots qui pouvaient croire, à tort, qu’à eux-seuls, ils pouvaient faire plier la direction et le gouvernement. Cette mystification corporatiste portée et alimentée par les syndicats ne peut que perdre de sa puissance aussi du fait des conditions modernes de l’exploitation capitaliste.
Le prolétariat en France vient donc de subir plusieurs échecs politiques et reculs de ses conditions de travail et de vie. Pour autant, nous ne pensons pas que ces échecs représentent une quelconque défaite ’historique’ au niveau français ; et encore moins au niveau international. Selon nous, et sans pouvoir développer ici, ces reculs significatifs ne représentent pas une véritable rupture dans le développement de la lutte des classes internationale affaiblissant de manière significative le prolétariat mondial. La lutte des classes en France, sous l’impulsion de la bourgeoisie et tout particulièrement du gouvernement Macron qui a déjà annoncé une énième réforme des retraites à venir, ne peut que s’accentuer tout comme dans tous les autres pays du fait de la crise du capital et de ses poussées à la guerre impérialiste généralisée.
Pour les prolétaires et les communistes, tant le déroulement et l’impuissance de la lutte des cheminots que les implications politiques plus larges que nous pouvons entrevoir suite aux derniers épisodes de luttes en France, soulignent combien les hésitations, voire la passivité, des prolétaires face aux combat politiques que la classe ennemie leur impose dans les luttes, dans les grèves, dans les assemblées, voire pour tenir des assemblées, sont lourdes de conséquences. Les uns et les autres ne peuvent faire l’économie de se confronter à toutes les forces politiques, particulièrement de gauche, syndicales, politiques, médiatiques, policières, etc. de l’appareil d’État bourgeois. Et en premier lieu aux syndicats dans les luttes immédiates. La lutte de classe prolétarienne ’économique’, parce qu’elle s’affronte inévitablement à l’État quels que soient le niveau et le degré du combat et parce qu’elle porte en elle la perspective révolutionnaire de l’insurrection ouvrière et de la dictature du prolétariat, est une lutte essentiellement politique. Voilà pourquoi notre tract se termine par un appel au regroupement et l’organisation des prolétaires et des révolutionnaires. Voilà pourquoi aussi, nous considérons que l’indifférentisme politique qu’il soit d’ordre économiste, anarchiste – y compris radical de type black bloc – ou encore d’ordre conseilliste, est à combattre résolument tant par les ouvriers en prenant directement en main le combat politique dans leur lutte que par les groupes communistes dans leur intervention générale.
"Jusqu’au-boutisme" et sabotage gauchiste
(photo reprise du site de Révolution permanente
Crédit photo : Sébastien Le Zoréole)
« Mais pour gagner, les cheminots vont devoir durcir le mouvement et ça ils en ont bien conscience ». "Durcir" le mouvement ? Dénoncer et s’affronter à la tactique syndicale de grève perlée ? Non… plus "radical" encore : changer le calendrier des jours de grève ! « La rencontre intergares a voté comme dans plusieurs AG, dont Paris Nord, de décaler les jours de grève perlée du week-end du 2 et 3 juin au 4 et 5 » ! (le site trotskiste de Révolution permanente, tendance du NPA, 29/5/2018).
Grève à la SNCF, luttes et conflits dans tous les secteurs, manifestations des étudiants et des retraités : Pour une riposte prolétaire efficace et puissante, généralisation et unification de la lutte contre le capitalisme français ! (Tract du GIGC, 28 mars 2018)
Après la manifestation du 22 mars, les cheminots seront en grève tournante à partir du mardi 3 avril. Ils feront grève tous les 5 jours et le planning est déjà établi jusqu’en… juin. Une fois de plus, la tactique syndicale des journées d’action qui a systématiquement mené à la déroute en 2003, en 2007, 2010 et 2016, est resservie avec la variante que les travailleurs feront une grève tournante ! Si ce scénario et ce planning ne sont pas remis en cause par les assemblées générales et par les grévistes, non seulement les cheminots vont à la défaite mais, en plus, les autres luttes ou foyers de conflits sociaux ne pourront se reconnaître et s’unir autour des premiers pour imposer un véritable rapport de force au gouvernement et au capital français. Pourtant le mécontentement ouvrier s’exprime un peu partout : dans la santé, les services publics, Air France, mais aussi dans le privé, les menaces de licenciements à Ford et dans de nombreuses autres entreprises de par le pays, ou encore parmi les retraités et les étudiants de faculté – bien souvent enfants de prolétaires et futurs prolétaires pour la plupart. Avec les journées d’action syndicales, toutes ces luttes resteront isolées et seront alors à leur tour défaites. Alors que leur extension et unification serait le meilleur moyen de faire reculer le gouvernement et l’État sur toutes ces attaques.
Il est clair pour tout le monde que l’attaque contre les cheminots est une attaque, économique et politique, contre tous les travailleurs de ce pays. Après les attaques de 2016 contre les contrats de travail, la bourgeoisie française vise bien sûr à imposer de nouveaux sacrifices aux cheminots eux-mêmes et poursuivre son offensive contre toute la classe ouvrière.
Au fil du temps et des luttes, les cheminots nous ont été présentés comme le dernier bastion de la classe ouvrière résistant en France. À tort ou à raison, le mythe est là et le gouvernement Macron et, derrière lui, tout l’appareil de l’État capitaliste français, veut l’abattre. La bourgeoisie française veut aussi ranger définitivement le souvenir des grandes grèves, 1995 ou encore 1968, et la menace qu’elles représentent pour elle, dans le tiroir de l’histoire passée. L’heure n’est plus aux hésitations face au prolétariat si le capital français veut rattraper son “ retard ” sur ses concurrents :
« La France n’aura aucune capacité motrice si elle ne porte pas un discours clair et un regard lucide sur le monde. Mais elle ne ne l’aura pas non plus si elle ne renforce pas son économie et sa société. C’est pourquoi j’ai demandé au gouvernement d’enclencher les réformes fondamentales qui sont indispensables pour la France. Notre crédibilité, notre efficacité, notre force sont en jeu. Mais la force de quelques-uns ne peut se nourrir longtemps de la faiblesse des autres. L’Allemagne qui s’est reformée il y a une quinzaine d’années, constate aujourd’hui que cette situation n’est pas viable. Mon souhait est donc que nous puissions construire une force commune » (Emmanuel Macron, interview à des journaux européens du 21 juin 2017).
Le discours est clair. Il faut abaisser encore plus les conditions de vie et de travail – ce qu’ils appellent les réformes – du prolétariat pour que le capitalisme français puisse jouer un rôle sur l’arène impérialiste mondiale et guerrière au côté de l’Allemagne et face aux grands rivaux américain, chinois et russe. Non seulement le prolétariat doit payer pour la crise économique du capitalisme mais aussi, et de plus en plus, pour la guerre impérialiste à laquelle la première, la crise, mène inexorablement. Or il est le seul à pouvoir s’opposer à cette dynamique infernale… en refusant les sacrifices par la lutte et en offrant une autre perspective historique et révolutionnaire, celle d’une société communiste sans misère et sans guerre – et dont il convient de rappeler que le stalinisme fut en URSS et dans le monde le principal et sanglant fossoyeur.
S’opposer par la grève et l’extension à l’enfermement et l’isolement syndical
La tactique que les syndicats ont mis en place isole d’avance le combat des travailleurs de la SNCF dans la corporation et dans un planning de journées de grève qui ne peut que les enfermer encore plus dans une grève sans autre perspective que de la faire durer “jusqu’au bout ”… ce qui, très rapidement, provoquera la division au sein même des grévistes entre ceux qui voudront et pourront faire grève et ceux qui ne le pourront pas, ou moins, et qui se décourageront.
La tactique syndicale des journées d’action est à rejeter. Elle impose des revendications et des combats corporatistes et isolés. Pire même, en imposant les préavis légaux pour faire grève et en n’appelant plus aux assemblées générales dans bien des dépôts SNCF - sur ce point DRH, “ management ” et syndicats œuvrent de concert dans toutes les entreprises –, les journées d’action syndicales font de la grève une décision purement individuelle et non collective ce qui affaiblit d’autant la volonté de combat et le sentiment de solidarité ouvrière, chaque ouvrier étant renvoyé à sa conscience ou volonté “ individuelle ”, y compris maintenant à la SNCF en faisant une déclaration individuelle préalable.
Que faire face à l’impasse syndicale ?
Comment déborder les mots d’ordre syndicaux ? Lors de la grève à la SNCF de décembre 1986-janvier 1987, et alors que la CGT avait mis en place des piquets de… travail pour empêcher le déclenchement de la grève le vendredi 19 décembre 1986, les cheminots avaient imposé leur assemblées générales (AG) et s’étaient mis en grève contre la CGT et les autres syndicats. C’est cette voie-là qu’il faut reprendre. Imposer les AG pour décider de la grève même si les syndicats s’y refusent, en est le moyen. Reconduire la grève dans les dépôts SNCF et dans les assemblées après le 3 avril en est certainement un premier pas.
Mais s’il est nécessaire, il est aussi insuffisant. L’objet de la grève ne doit pas être en soi le simple blocage de l’économie – le capital sait s’organiser pour y faire face et contourner les points de blocages – mais l’extension de celle-ci aux autres secteurs et entreprises. Pour cela, il convient d’avancer des revendications les plus unitaires possibles que les autres travailleurs puissent reprendre pour leur propre compte.
Quelques propositions parmi d’autres (et à discuter, voire à décliner, selon les situations locales particulières) : les travailleurs de la société de nettoyage des gares ONET sont en grève. Il faut avancer qu’ils aient les mêmes conditions de travail et de salaire que les cheminots – voire, selon la force de la grève, exiger la fin des sous-traitants et leur embauche par la SNCF. Face aux menaces de licenciements à Ford Bordeaux, maintien des salaires et du contrat de travail jusqu’à la fin de leur chômage, voire embauche dans des services publics. Ou encore, puisque la retraite des cheminots va être de nouveau attaquée, avancer la revendication de la mise à niveau de toutes les retraites, publiques-privées, sur celle des cheminots ou plus largement des transports publics. Ou bien encore, dans la foulée des revendications à Air France, augmentation des salaires et des retraites pour tous… Tout ce qui va dans le sens de l’unité est à reprendre. Tout ce qui va dans le sens de l’isolement est à rejeter.
De même, les AG doivent chercher les liens et l’extension de la lutte autour d’elle, géographiquement, par leur ouverture aux autres travailleurs en lutte ou bien encore par l’envoi de délégations massives aux autres secteurs et entreprises, voire dans les quartiers dits populaires. L’extension de la grève ne doit pas se réduire à l’extension à la SNCF d’autant que les principaux syndicats opposés à la grève réussiront à la bloquer dans les dépôts les moins combatifs tout en épuisant les grévistes sous le prétexte qu’il faut d’abord mettre en grève toute la SNCF avant d’étendre. Elle doit se faire sur une base géographique, par quartier, ville ou région et, par contre-coup, c’est son succès qui convaincra les moins combatifs de la SNCF de rejoindre le combat. Outre les entreprises et secteurs en lutte, c’est aussi le moyen pour entraîner les quartiers et les jeunes, et moins jeunes générations, dans le combat de classe contre le capitalisme et ainsi leur offrir une véritable solidarité, dans la lutte, et une perspective de lutte de classe. La perspective du combat de classe contre le capitalisme est le seul remède contre le désespoir et les impasses sociales.
Se regrouper pour le combat pour l’extension et l’unification
Enfin, partout où c’est possible, il convient que les travailleurs les plus combatifs et les plus convaincus de ces orientations, du besoin de lutter contre l’isolement et les pièges syndicaux, se regroupent en comités de lutte ou “ assemblées interpro ” – peu importe le nom – afin de s’organiser et d’intervenir collectivement partout où ils le peuvent pour assumer ce combat à la fois pour l’extension et l’unification et contre leur sabotage par les syndicaux. Car, le combat pour l’extension et l’unification ne pourra faire l’économie de cet affrontement politique contre les organes particuliers, car agissant directement en milieu ouvrier, de l’État capitaliste que sont les syndicaux et les partis de gauche.
Dès le 3, dans tous les dépôts SNCF, assemblées générales pour imposer la grève reconductible !
Dans les entreprises, les quartiers et les villes, extension et unification de la grève, des manifestations et du combat de classe !
Dans les entreprises, les quartiers et les villes, regroupement et organisation des travailleurs les plus combatifs désireux de combattre pour l’extension et l’unification de la lutte !
Notes:
[1] . La faiblesse numérique de nos capacités d’intervention limite inévitablement l’impact ’immédiat’ de notre intervention sur des luttes d’ampleur, ici d’ampleur nationale. Il n’en reste pas moins que nous sommes convaincus que l’expression et la diffusion, aussi réduite soit-elle, d’orientations politiques pour la lutte participent de ces luttes en en constituant une force matérielle, parmi d’autres, à la condition de correspondre aux enjeux et aux nécessités immédiates.
[2] . Seuls sont déposés des préavis de grève afin de permettre aux individus cheminots de décider seul de leur participation à la manifestation grâce à la grève légale. Par ailleurs, ce jour-là, deux manifestations sont donc censées se rejoindre à la Bastille. Les syndicats veulent éviter à tout prix toute expression, aussi limitée et faible eut-elle pu être à ce moment, d’extension et de lutte générale de tous les secteurs. Les deux manifestations ne se rejoindront pas finalement place de la Bastille en fin d’après-midi ’grâce’ aux... black blocs qui, en tête du cortège cheminot, cherchent l’affrontement avec la police pourtant bien discrète ce jour-là et bloquent la manifestation à maintes reprises, en particulier boulevard Beaumarchais.
[3] . Le groupe trotskiste Révolution permanente cité par le blog Matière et révolution. Pour un historique plus détaillé du mouvement de 2018, le lecteur peut se référer à l’article du blog : https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4926.
[5] . Ne pouvant publier la version anglaise du tract que nous entendions faire connaître aux lecteurs ’non français’ que le 10 avril, nous avons accompagné sa publication sur notre site web d’une courte actualisation, uniquement en anglais, qui essayait de prendre en compte l’impuissance ouvrière à remettre en cause la grève tournante après les journées du 3 et 4 avril auquel le lecteur peut se référer : http://igcl.org/For-an-Efficient-and-Powerful.
[6] . http://www.revolutionpermanente.fr/En-inter-gares-les-cheminots-appellent-les-federations-a-durcir-la-greve.
[7] . Bien sûr, les militants communistes qui auraient pu être cheminots auraient continué la grève, en déclinant et adaptant l’intervention du groupe politique comme un tout selon les moments et les lieux, jusqu’à ce que la grève se termine sur leur lieu de travail. C’est évident mais cela va mieux en le disant vu certaines confusions d’ordre petite-bourgeoises (un ’sauve-qui-peut’ individualiste face à la défaite à venir), qui peuvent circuler dans les rangs de certains cercles ou groupes de la Gauche communiste, comme par exemple le CCI en certaines occasions.
[8] . cf. Révolution ou guerre #6.
[9] . En lien avec le fétiche de la grève générale, de 68 et de 95, dans l’imaginaire collective – qui peut aussi représenter une force matérielle dans la lutte des classes –, entretenu à dessein par les syndicats et les médias, les cheminots avaient pris la place de la forteresse ouvrière de l’usine Renault Billancourt dans la proche banlieue parisienne fermée en 1992. ’Quand Billancourt éternue, la France s’enrhume’ était-il dit…