Révolution ou Guerre n° 10

(Semestriel - Septembre 2018)

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Sur la future Internationale (Tendance Communiste Internationaliste)

Nous reproduisons ci-après un texte de la TCI (www.leftcom.org) qui poursuit le débat interne que cette organisation a lancé depuis quelques temps maintenant sur la question du parti révolutionnaire du prolétariat [1]. À l’heure où de nouvelles forces communistes (et une nouvelle génération de militants) surgissent au niveau international, il est de la plus haute importance que l’ensemble du camp prolétarien, ou du moins ses forces les plus dynamiques, se réfère et se rassemble dans les débats et le processus de clarification politique autour des positions portées par la Gauche communiste. Comme le texte le rappelle [2], de par sa filiation historique directe avec le PC d’Italie et ce qu’il est commun d’appeler la ’Gauche Italienne’ d’une part et, d’autre part, comme principale organisation communiste internationale, la TCI exerce de fait un rôle de référent et de pôle international. Ce n’est donc pas un hasard si la dynamique internationale de surgissement de nouvelles forces révolutionnaires, particulièrement en Espagne et sur le continent américain du nord et du sud, dont le blog Nuevo Curso est à ce jour l’expression et le facteur le plus actif, s’appuie et s’affirme autour du pôle représenté par la TCI. L’initiative de Nuevo Curso pour traduire en espagnol et publier sur son blog ce texte, en est une illustration. Ainsi, ce texte devient un outil direct de référence et de discussion pour ces nouvelles forces et un moment du combat pour le regroupement des forces communistes en vue établir au mieux une véritable clarification politique et, à terme, les conditions programmatiques, théoriques et politiques les meilleures possibles du futur parti politique mondial du prolétariat. Pour notre part, nous entendons participer au maximum de nos forces à cette dynamique. Voilà pourquoi nous faisons suivre le texte de la TCI de commentaires et d’observations, en partie critiques, afin de pousser à la réflexion et à l’indispensable confrontation des approches et positions politiques diverses qui existent encore aujourd’hui.

Le GIGC août 2018.

La future Internationale (TCI)

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L’article suivant a été publié à l’origine, dans Revolutionary Perspectives #11, comme projet de discussion par le CWO. Après des discussions et des révisions, la version publiée ici a été adoptée par la Tendance Communiste Internationaliste (TCI). Comme indiqué dès l’origine, il est destiné à faire partie d’un document plus long ou d’une brochure de la TCI. Il devrait donc être lu en relation des documents antérieurs que nous avons déjà publiés sur la question du parti et de la classe qui situent la question dans un contexte plus large. Le document de Revolutionary Perspectives numéro 8 sur le rôle et la structure de l’organisation révolutionnaire sur leftcom.org, ainsi qu’un document publié ultérieurement sur notre site leftcom.org, sont particulièrement à prendre en compte. Nous espérons avec ces articles (et d’autres à suivre) stimuler une discussion parmi les nouveaux éléments qui sont récemment parvenus à la tradition des idées de la Gauche communiste, aussi bien que pour indiquer clairement à ceux avec qui nous avons discutés depuis un certain temps la base de nos perspectives sur la question critique du parti et de la classe. [introduction de la TCI]

Aujourd’hui nous sommes aux prises avec une crise profonde du capitalisme et un prolétariat si morcelé et désorganisé qu’il ne résiste que de façon sporadique au poids de la guerre, de l’austérité et de la pauvreté accrue Il peut donc sembler prématuré d’envisager un processus vers la constitution d’une future Internationale de la classe ouvrière. Toutefois, malgré cette désastreuse situation, il y existe beaucoup de nouveaux éléments dans le monde qui reconnaissent cette stagnation, sinon la faillite complète du système. Ils discutent et débattent sur les réseaux ou face à face en petits groupes éparpillés ici ou là précisément comment le prolétariat s’émancipera, s’il y parvient un jour. Ce faisant, ils tentent, comme nous, de se réapproprier l’expérience des luttes ouvrières passées. Ce qui suit est notre contribution, basée sur ce que nous considérons être les leçons historiques apprises par le prolétariat, à cette discussion nécessaire.

Le cycle actuel d’accumulation du capital est entré dans sa spirale descendante il y a plus de 40 ans. Après le plus long boom économique de l’histoire du capitalisme (de 1948-1971), nous vivons maintenant son plus lent effondrement. Le système économique quasi stagnant a été soutenu par une intervention étatique sans précédent qui lui a permis jusqu’ici d’éviter son effondrement total. Pendant une grande partie de cette période, il a réduit le salaire moyen de la majorité des travailleurs, mais ces privations n’ont pas suffi à stimuler la reprise, encore moins pour empêcher l’accumulation massive de dettes, la création généralisée de capitaux fictifs, et l’existence de mini-booms et d’effondrements.

Il a également produit la dislocation et la désorientation de la classe qui s’oppose régulièrement au système capitaliste qui, du fait de son rôle et de sa position dans les rapports de production, est en opposition objective au système capitalisme. Beaucoup déplorent, qu’au cours de cette période, les révolutionnaires n’aient pas fait plus pour s’unir ; comme si les révolutionnaires avaient une existence indépendante du reste de la classe ouvrière. Les divisions entre les révolutionnaires, jusqu’à présent, ont été largement fonction de la faiblesse du mouvement de classe dans son ensemble. Et, cela ne s’est pas uniquement produit à notre époque mais tout au long de l’histoire de la classe ouvrière. Lorsque la classe se réforme dans de nouvelles conditions après une période de retraite, les premières réponses sont inévitablement hésitantes et diverses. Ce n’est que lorsque le mouvement commence vraiment à se généraliser et à prendre une forme de masse que les révolutionnaires ont tendance à enterrer les différences passées et à abandonner les vieilles rancœurs. Au fur et à mesure que le chemin pris par la classe ouvrière devient plus clair, l’exigence pour la création d’une organisation politique de la classe avec une claire vision du communisme devient plus forte.

Certains diront que ce n’est pas nécessaire. Ils argumenteront que le mouvement « spontané » de la classe sera suffisant pour l’emporter vers la victoire. Nous avons une grande confiance dans l’émergence d’un mouvement de fond de la classe ouvrière qui ne souhaiterait plus vivre comme auparavant et avec les anciennes conditions de vie. Le premier assaut contre le système sera inévitablement inattendu et de cette nature. Un tel mouvement peut aller loin, mais il ne résout pas la question. Les forces qui agissent contre lui n’abandonneront pas facilement. Elles chercheront tous les moyens possibles pour le faire dérailler, à la fois pour l’empêcher de renverser l’État et pour trouver une nouvelle façon d’organiser la vie économique et sociale. À un certain point, ces forces vont se masquer, adopter de fausses idéologies et tenter de le diriger sur une trajectoire cohérente pour la poursuite du système.

Nous savons tout cela par la connaissance de l’histoire. Si ces forces ne sont pas combattues politiquement par la classe ouvrière, elles feront dérailler le mouvement. Prenons deux exemples différents. Dans la révolution russe, le mouvement spontané a renversé le tsar en février, mais pendant que les ouvriers combattaient encore dans les rues, la bourgeoisie et ses alliés mettaient en place un gouvernement qui voulait voler aux soviets ouvriers les fruits de leur victoire. Mais les travailleurs n’ont pas été pris au dépourvu car ils ont de plus en plus fait confiance dans la présence organisée qui soutenait sans ambiguïté le pouvoir soviétique et l’internationalisme – le parti bolchevik. Bien qu’il s’agisse d’une infime minorité, ce dernier existait dans la classe ouvrière depuis des années avant la révolution et les deux tiers de ses membres étaient des travailleurs. Ses slogans ont aidé le mouvement à aller au-delà du système parlementaire que la classe capitaliste (aidée par les autres soi-disant partis socialistes) essayait d’imposer. En fin de compte, la classe ouvrière a fait du parti bolchevik son instrument et, après avoir acquis la majorité dans les soviets à travers le pays, il est devenu le fer de lance de l’insurrection révolutionnaire.

Par contre, en Pologne dans les années 1980. Ici, les ouvriers occupaient spontanément des chantiers navals et rejetaient l’autorité de l’État stalinien. L’ironie veut que dans un pays soi-disant communiste, il n’y avait pas de parti politique révolutionnaire vers lequel se tourner. Dans ce vide se sont introduits l’Église catholique et les nationalistes polonais (et derrière eux, la CIA). Ils ont orienté le mouvement des travailleurs vers la sacro-sainte « démocratie ». Bref, leur lutte est devenue victime de la rivalité inter-impérialiste.

Nous savons aussi que, au sein de la classe ouvrière, la prise de conscience de la nécessité de détruire le capitalisme s’emparera de certains (une minorité) avant les autres et que toute réunification des opposants au capitalisme restera le fait d’une minorité. La domination de la bourgeoisie sur les moyens de production (y compris des idées) signifie que l’instrument politique des travailleurs conscients au sein de la classe restera toujours minoritaire avant l’éclatement de la révolution. Plus cette minorité fournit un message politique cohérent avec une forme organisationnelle cohérente et cherche à fonctionner au sein de la classe ouvrière au sens large, plus elle peut devenir partie intégrante du mouvement vivant de la classe. Quand le mouvement doit être clair sur ses objectifs et la direction à prendre, la minorité révolutionnaire, ou en d’autres termes, le parti politique, a un rôle clé à jouer dans la lutte contre l’idéologie bourgeoise en proposant un programme à toute la classe, basé sur les leçons de l’histoire et les acquis de ses propres luttes passées.

Ces acquis ont tendance à être oubliés au fil du temps. Un des éléments clés du Manifeste communiste était

« Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points :
- dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendant de la nationalité et communs à tout le prolétariat ;
- dans les différents phases que traversent la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. »
 [3] (le gras est de nous [note de la TCI])

Dès ses débuts, le mouvement communiste moderne s’est centré sur le caractère universel et internationaliste de la classe ouvrière. Lorsque la Première Internationale fut fondée en 1864, Marx et Engels la considéraient comme leur plus grande réussite. Marx a annoncé que la classe ouvrière avait enfin un instrument indépendant de tous les partis bourgeois ; il pouvait maintenant affirmer que « l’émancipation de la classe ouvrière sera l‘œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Cependant, cette affirmation était un peu prématurée. La Première Internationale a été déchirée par des divisions entre les syndicalistes anglais, les mutualistes proudhoniens et la rivalité obscure de l’Alliance internationale pour la démocratie socialiste de Bakounine. Certains Internationalistes ont individuellement joué un rôle dans la Commune de Paris, mais à ce moment-là, l’Internationale avait pratiquement cessé d’exister en tant que véritable organisation.

Il faudra encore attendre une vingtaine d’années avant de voir apparaître sa succession, la Deuxième International. Elle reposait explicitement sur des sections nationales qui étaient beaucoup plus dominantes que le Bureau Socialiste International qui devait normalement les coordonner. Les sections rassemblaient diverses traditions du mouvement ouvrier et n’étaient pas exclusivement marxistes. En effet, l’aile marxiste du mouvement était de plus en plus marginalisée par le pouvoir croissant des syndicats sociaux-démocrates. Finalement, la Deuxième Internationale se dissout au début de la Première Guerre mondiale au sein de ses composantes nationales alors que parti après parti (à l’exception des partis russe, polonais, roumain, serbe et bulgare [4]) ils votent les crédits de guerre dans leurs nations respectives.

Malgré les efforts de réunification des socialistes contre la guerre (Zimmerwald et Kienthal), aucune nouvelle internationale n’est apparue pour remplacer la Deuxième Internationale. Ce n’est qu’avec le triomphe du prolétariat russe et la Révolution d’Octobre, première étape de la révolution mondiale, que la question d’une nouvelle internationale se posa de nouveau sérieusement. Cependant, dans l’Europe déchirée par la guerre, établir une Internationale révolutionnaire ou communiste n’était pas chose facile, et ce n’est qu’en 1919 qu’elle a tenu sa première réunion à Moscou.

La nouvelle Internationale promettait beaucoup. Sous l’influence de la Révolution russe, les partis communistes commencèrent à apparaître à travers le monde en s’affiliant à l’Internationale sur la base de ses 21 conditions. Cependant ces partis étaient en grande partie nouveaux et souvent dotés de jeunes chefs très certainement en admiration devant les accomplissements des camarades russes. En conséquence, le parti russe a dominé l’Internationale dès le début (tout comme le Parti social-démocrate allemand était considéré comme « le Parti » [Trotsky] de la Deuxième Internationale). Cela allait avoir des conséquences désastreuses pour la Troisième Internationale et ses partis la constituant.

Alors que la révolution en Russie laissait tomber ses promesses initiales - principalement parce que de nouvelles révolutions, surtout en Europe, n’avaient pas éclaté pour lui venir en aide - le Parti communiste russe voyait de plus en plus l’Internationale comme un instrument de soutien pour la Russie. C’est-à-dire le soutien du nouvel d’État russe ambivalent et ambigu qui se confondait avec la révolution russe. Mais le soutien à un État dont la priorité était de plus en plus de survivre dans l’ordre mondial capitaliste (en voie de stabilisateur) signifiait de plus en plus l’abandon du projet de la révolution mondiale. La révolution mondiale était le seul événement qui aurait pu raviver le potentiel révolutionnaire en Russie. En 1921, l’Internationale adopta la politique d’aller « aux masses », ce qui signifiait en pratique essayer de faire un front commun avec les différents partis sociaux-démocrates de la Deuxième Internationale ainsi remis en scelle. Ils avaient été le dernier rempart du capitalisme contre la révolution ouvrière dans tous les pays (notamment en Allemagne où ils étaient complices du meurtre de Luxemburg et de Liebknecht et de centaines de travailleurs communistes). Un an plus tard, le Komintern transformait le mot d’ordre d’« aller aux masses » dans la variante politique du « front uni » qui exigeait que les nouveaux et jeunes partis communistes recherchent l’alliance avec ceux dont ils venaient de séparer de quelques mois auparavant. La Troisième Internationale est ainsi devenue l’outil de la nouvelle classe montante en Russie et a cessé d’être l’outil de la révolution internationale.

Que démontre l’expérience de la dernière vague révolutionnaire ? De par sa nature même, la lutte de la classe ouvrière pour vaincre le capitalisme sera très différente de celle de la bourgeoisie dans sa lutte contre le féodalisme. La bourgeoisie a développé sa propre forme de propriété sous la féodalité et a ainsi construit sa richesse et son pouvoir dans l’ancien régime avant de le remplacer. La révolution du prolétariat est différente. Nous n’avons aucune propriété à défendre. Notre force vient de notre capacité d’action collective et commune. La révolution prolétarienne ne peut pas se faire par la simple poursuite d’intérêts immédiats. La révolution prolétarienne doit être une révolution consciente. Cependant, dans des conditions capitalistes, certains travailleurs reconnaîtront avant d’autres la nécessité de renverser le système. Il est naturel que cette minorité forme une organisation politique exprimant son objectif conscient de créer une nouvelle société.

Sous la social-démocratie, la classe ouvrière était organisée dans des partis nationaux qui reconnaissaient leur appartenance à la Deuxième Internationale. Mais cette Internationale n’était qu’une simple boîte aux lettres plutôt qu’une direction coordonnée du prolétariat international. En tout cas, elle a construit un mouvement de masse totalement dédié au réformisme. Les révolutionnaires étaient largement marginalisés comme l’a montré le résultat d’août 1914. Cela a laissé la classe ouvrière révolutionnaire sans Internationale jusqu’à la suite de la révolution russe. La Troisième Internationale est arrivée trop tard pour agir comme elle était censée être - l’avant-garde de la révolution mondiale. Étant donné l’énorme prestige pour la classe ouvrière qui avait réussi à renverser sa classe dirigeante et à devenir ainsi le phare de la révolution mondiale, il n’était pas anormal que le parti russe exerce une influence considérable sur l’Internationale. Mais au moment où la Révolution russe s’est repliée sur elle-même, l’Internationale a très rapidement abandonné la révolution mondiale en faveur d’une politique de défense de l’État russe désormais séparé de son assise, la classe à l’origine de la révolution. L’imposition de la politique de ’bolchevisation’ dans les nouveaux partis les a dépourvus des vrais révolutionnaires et a fait de l’Internationale une autre agence de l’URSS dans sa lutte pour une place parmi le ’concert des nations’.

La leçon est claire. En prévision de n’importe quel éclatement révolutionnaire, il doit y avoir une sorte d’Internationale. Ce « ne peut pas être une fédération de partis plus ou moins indépendants avec des politiques différentes basées sur des revendications propres à chaque situation nationale. Il est donc plus correct de parler d’un parti international. La nature, la structure et les statuts de ce Parti prolétarien international doivent façonner de manière homogène chaque section nationale. Sa plate-forme politique doit être le patrimoine commun, développé de manière homogène par toutes les sections et tous les militants. » (M. Stefanini, La Nouvelle Internationale sera le Parti International du prolétariat, Prometeo, VI série, n. 1, 2000 et Internationaliste numéro 20, 2001).

Ici, l’homogénéité ne signifie pas une identité totale d’accord sur chaque question mais indique un accord sur une plate-forme commune et en définitive un programme commun. Cela ne peut être clarifié que par la discussion la plus large possible au sein de l’Internationale. Le Parti International (et quel que soit son nom) doit avoir une unité d’action centralisée pour vaincre l’ennemi de classe, mais une unité significative n’est pas atteinte sans le dialogue constant entre ses membres. Le parti bolchevik, contrairement à la mythologie stalinienne, était plein de débats contradictoires et, malgré toutes les différences, cela n’a pas empêché ses différentes sections de démontrer leur capacité d’initiative et de devenir l’outil que la classe ouvrière a saisi et transformé en fer de lance de la révolution. Au contraire, c’est le lien direct et concret, que la masse de ses membres avait au sein de la classe ouvrière, qui lui a permis de stimuler autant de débats au sein du parti et qu’il a pu en dernier ressort devenir l’instrument du mouvement ouvrier au sens large, en 1917. Les membres de la future Internationale ne peuvent donc contribuer au mouvement réel d’émancipation que s’ils ont des liens directs avec la classe dans son ensemble. Les communistes doivent gagner le droit d’être écoutés.

Les militants de cette Internationale participeront et tenteront de guider toute révolution future en encourager l’autonomie des luttes ouvrières par l’établissement d’organes de la classe. Ils participeront à tous les niveaux autant que possible mais l’Internationale ne sera pas un gouvernement de remplacement. Sa tâche reste la diffusion de la révolution mondiale. Cela signifie que même si ses militants peuvent accepter d’être délégués par les organes de toute la classe, partout où l’Internationale est présente, cette dernière ne dirige aucun domaine tout en continuant à donner son avis politique. Comme l’écrivait Onorato Damen dans la Plate-forme du Parti communiste internationaliste de 1952.

« Il n’y a pas de possibilité d’émancipation de la classe ouvrière, ni de construction d’un nouvel ordre social si cette possibilité ne ressort pas de la lutte des classes ... A aucun moment et pour aucune raison le prolétariat n’abandonne son rôle combatif, [le prolétariat est toujours objectivement antagoniste au capitalisme]. Il ne délègue pas à d’autres sa mission historique, et ne lui confère pas [une carte blanche générale à priori], pas même à son parti politique. » (les crochets sont rajoutés par nous pour mieux coller à l’italien [5]).

C’est notre vision de la forme de la future internationale mais d’où partons-nous aujourd’hui ? Après quarante ans de restructuration, la fragmentation de la classe actuellement se reflète dans la dispersion des énergies révolutionnaires. Certains ont été découragés par les divisions qui règnent parmi les révolutionnaires qu’ils accusent de défendre leur propre chapelle. Cependant, ces différences étaient bien réelles et basées sur les divers efforts qui ont été faits pour faire face à la contre-révolutionnaire et à l’échec de la vague révolutionnaire de l’après Première Guerre mondiale. Au fil du temps, certaines différences ont été reconnues comme moins importantes qu’elles ne paraissaient autrefois, mais le retour à une reprise révolutionnaire de la classe ouvrière est long. Cela ne devrait pas être considéré comme un facteur négatif, mais comme une partie nécessaire au processus de développement de la conscience de classe. En cours de route, d’importants débats ont été et sont toujours nécessaires. Sans un débat approfondit pour clarifier les problèmes, le prolétariat ne sera jamais en mesure d’avoir un programme solide sur lequel se battre pour la prochaine grande offensive contre le capitalisme.

En même temps, les liens ténus entre les révolutionnaires et l’ensemble de la classe doivent être approfondis et renforcés. Chaque organisation politique locale doit déterminer les moyens pour demeurer en contact avec des sections plus larges de travailleurs qui ne se considèrent peut-être pas comme révolutionnaires mais qui savent qu’ils cherchent toutefois à combattre la misère engendrée par le capitalisme. Dans le boom économique d’après-guerre, à la lumière de leur compréhension du fait que les syndicats sont hostiles à l’organisation de la résistance anticapitaliste, une stratégie clé mise en avant par le Parti communiste internationaliste (PCInt-publiant Battaglia comunista) a été la mise en place de groupes d’usines qui incluaient des membres et des non-membres du parti, dans plusieurs lieux de travail (y compris à la FIAT). Cependant avec le déclin des énormes concentrations industrielles, des « groupes territoriaux » pouvant parfois inclure, à la fois des groupes militants issus de lieux de travail locaux, et à la fois des groupes de militants luttant sur d’autres questions (par exemple la guerre, le logement ou l’emploi) ont été mis en place. Il importe, ici, que l’organisation politique soit toujours présente dans les lieux où la masse de la classe elle-même se manifeste. Les groupes internationalistes ne sont pas des créations spontanées de la classe, mais plutôt des outils politiques adoptés par le parti pour s’enraciner dans la vie de la classe au sein de laquelle il agit comme guide et intervient partout où il le peut. Le parti n’est pas une entité qui se forme à la dernière minute ou qui n’apparaît qu’au moment de l’éclatement de la lutte. Il doit faire partie au quotidien de la vie de la classe sans succomber au cancer du réformisme pour obtenir des gains artificiels et à court terme.

Actuellement, la présence des révolutionnaires dans la classe est très embryonnaire, mais à mesure que la crise s’aggrave, de plus en plus de travailleurs réalisent qu’il n’y a pas de solutions capitalistes à leurs problèmes. La possibilité de travailler plus largement se présentera à nouveau aux révolutionnaires. Une fois que la classe ouvrière commencera à bouger, le mouvement pratique aura tendance à adopter le programme qui répond le mieux à ses besoins réels. Cependant cela ne signifie pas que les révolutionnaires attendent les bras croisés dans l’attente du grand soir. Il n’y aura pas de grand soir à moins que ceux qui sont déjà communistes ne luttent pour cette perspective aussi largement que possible dans les organisations de combat que la classe ouvrière elle-même se crée.

L’Internationale (ou du moins son large noyau) doit exister avant l’éclatement de la crise révolutionnaire. Elle est ’restreinte’ en ce sens que sa plate-forme et son programme sont basés uniquement sur les leçons révolutionnaires de la lutte des classes antérieure. Dans ce cadre, tout débat est possible et le parti est organisé selon des principes du centralisme démocratique (c’est-à-dire que toutes les questions sont finalement votées par ses membres). En même temps, le parti permettra également l’existence de différentes tendances sur des questions qui n’ont pas déjà été réglées ou lorsque de nouveaux aspects du programme se posent. Elles doivent avoir le plein droit de débattre et de publier leurs opinions minoritaires, car il y aura beaucoup de nouveaux défis sur la voie de la révolution. Il y a de surcroît beaucoup de problèmes auxquels l’histoire n’a pas encore répondu. La santé de l’organisation dépend directement de l’échange énergique d’opinions. En fin de compte, de tels échanges devraient aboutir en une politique commune, mais si un débat demande un vote, la minorité doit accepter le verdict de la majorité pour ne pas saper l’unité d’action des organisations. C’est la seule voie saine dans laquelle le parti peut se développer s’il veut agir en tant que force centralisée lorsque la situation de la révolution mondiale l’exigera.

Sans une compréhension commune des lignes d’action générales (même s’il n’y a pas d’accord total), aucune politique significative ne sera menée. En même temps, la discussion et le débat préparent chaque membre du parti à agir de manière autonome en tant que révolutionnaire lorsque la situation locale immédiate l’exige. Il n’y a pas de mécanisme statutaire qui puisse l’assurer. Elle réside dans la préparation et la conscience de tous les membres et cela ne peut se faire que par l’intermédiaire d’un parti qui possède une culture d’éducation et de discussion animée.

Bien que nous ayons adopté ces principes dans nos statuts, la Tendance Communiste Internationaliste, comme nous l’avons répété maintes fois, n’est pas ce parti, ni même le seul noyau d’un futur parti, puisque les conditions pour cela n’existent pas encore. Cependant, nous ne sommes pas apparus de nulle part. Nous appartenons à la tradition de la Gauche Communiste d’Italie qui a fondé le Parti communiste d’Italie, section de la Troisième Internationale, en 1921. Lorsque nos prédécesseurs ont été alors retirés de la direction de ce parti au cours du processus de ’bolchevisation’ (en réalité l’antithèse de tout ce qui était révolutionnaire dans le bolchevisme) ils continuèrent à se battre pour l’internationalisme et la politique révolutionnaire dans les usines de France et de Belgique ainsi que dans les prisons de l’Italie fasciste. En 1943, c’est de la réunion de ces deux courants que la Gauche communiste s’est rassemblée à nouveau au sein du Parti communiste internationaliste en Italie. Elle a maintenu et même développé la politique révolutionnaire malgré les tentatives d’anéantissement par les sbires de Staline. Elle a survécu à l’après-guerre jusqu’à agir comme un point de focalisation pour l’établissement de la Tendance Communiste Internationaliste. Le Parti communiste internationaliste tente depuis longtemps de trouver un terrain d’entente avec d’autres groupements et tendances. Même si cela n’a pas souvent débouché sur un accord, la porte du dialogue est toujours restée ouverte. C’est dans cette tradition que la Tendance Communiste Internationaliste (TCI) opère aujourd’hui.

En raison de cet héritage politique, la TCI est une composante du futur parti car elles espèrent garder vivantes les leçons des luttes de la classe ouvrière du passé pour les nouvelles générations. C’est ainsi qu’elles éviteront de passer par toutes les erreurs passées de la classe ouvrière et comprendront ce qu’il reste à accomplir. En même temps, nous reconnaissons que la situation de la classe ouvrière aujourd’hui est différente de celle du passé comme elle le sera à l’avenir. C’est pourquoi nous sommes ouverts à de nouvelles réflexions face aux problèmes que la future vague révolutionnaire posera à toute minorité politique de la classe.

Néanmoins la TCI ne se considère pas comme un simple centre de discussion, mais comme l’un des noyaux du futur parti international, c’est la raison pour laquelle elle regarde de près d’autres expériences qui peuvent contribuer à sa construction. L’adhésion de la TCI à une plate-forme politique commune et claire, sa recherche constante de rester en lien avec l’ensemble de la classe et de s’enraciner dans les limites des conditions objectives et subjectives existantes, définissent son travail vers la création du parti.

Dans notre lutte pour le communisme, nous avons constamment soulevé la question de l’Internationale ou du Parti International. Si la classe ouvrière mondiale ne forge cet outil politique comme produit et facteur du développement de sa conscience révolutionnaire, elle fera face à encore plus de défaites à l’avenir. Nous espérons sincèrement nous engager avec de nouveaux groupes qui prennent conscience de la nécessité de renverser le système en lui donnant une boussole politique. Dans le même temps, nous cherchons à dialoguer avec les groupes existants, à coopérer activement là où c’est possible, à accepter les d’accords là où ils sont nécessaires ; et finalement à s’unir à mesure que l’histoire avance inexorablement et qu’un véritable mouvement de classe se développe.

Tendance communiste internationaliste (Juin 2018)

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Notes:

[2. « En raison de cet héritage politique, la TCI est une composante du futur parti car elle espère garder vivante les leçons des luttes de la classe ouvrière du passé pour les nouvelles générations » (TCI, Sur la future Internationale).

[4. Pour les partis des États engagés dans la guerre impérialiste.

[5. Note de la traduction réalisée par la TCI.