(Semestriel - Février 2017) |
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Sur la Conscience de classe (2e partie)
Les brochures de la CWO et du CCI
Nous publions la deuxième partie de la contribution sur la conscience de classe publiée dans le numéro précédent. Lors de sa conférence (juillet 2016), notre groupe s’était formellement prononcé sur cette première partie et l’avait adoptée. Nous n’avons pas eu le temps de nous prononcer formellement sur cette deuxième partie. Néanmoins, l’ensemble des membres du GIGC est en accord avec l’orientation générale qui s’en dégage : en particulier avec l’évaluation générale sur les brochures de la CWO et du CCI. La première ferme la porte au danger du conseillisme lorsque la deuxième l’ouvre. La première œuvre au développement du combat politique de classe et à la lutte pour la formation du parti ; la seconde, celle du CCI, tend à tourner le dos au combat politique de classe et à fuir la lutte pour le parti.
Les brochures de la CWO et du CCI
Dans la première partie de cette contribution sur la conscience de classe, nous avons montré la continuité du marxisme sous forme d’une chronologie de l’expérience acquise du mouvement révolutionnaire et communiste. [1] Nous en venons maintenant à discuter les expressions contemporaines du marxisme, c’est-à-dire la gauche communiste actuelle.
Nous passerons donc au crible deux brochures qui portent sur la question de la conscience : la première, Organisation communiste et conscience de classe [2] du Courant Communiste International et la deuxième, Class Consciousness and revolutionnary organisation [3] de la Communist Workers’ Organisation, affilié anglais de la Tendance Communiste Internationaliste. Le choix de ses deux brochures est avant tout un choix politique. Nous considérons en effet ces deux courant politiques historiques, le courant GCF-CCI et le courant-TCI-Battaglia comunista (Partito Comunista Internazionalista), comme aujourd’hui les expressions les plus achevées et avancées du programme communiste. Évidemment, ces deux courants ne sont pas identiques, mais malgré les divergences et les nuances, ils partagent un patrimoine politique commun que nous discuterons ici. Notre choix implique malheureusement de mettre de côté pour la discussion actuelle d’autres courants importants au sein de la gauche communiste, par exemple les courants se réclamant du bordiguisme ou du conseillisme.
Il ne faut cependant pas voir le prochain texte comme une critique complète des deux brochures. En effet, nous laisserons de côté plusieurs éléments des deux brochures qui ont déjà été traités dans la première partie de notre texte sur la conscience. Nous éviterons ainsi les répétitions. Une emphase sera par contre mise sur un sujet que nous avions délibérément gardé pour cette deuxième partie. Il s’agit de la révolution russe et du rôle du parti dans la révolution.
Le Courant Communiste International
Si le CCI au moment de la parution de sa brochure sur la conscience de classe (1979) pouvait être considéré comme une des expressions les plus clairs du programme communiste, c’en est absolument plus le cas aujourd’hui. Nous invitons les lecteurs à se référer à nos précédentes revues pour s’informer du tournant dégénérescent qu’à pris le CCI à partir des années 2000.
Cela signifie que le CCI, dont l’organisation existe encore formellement, n’est plus en mesure de porter les positions politiques qu’il a jadis représenté. La dégénérescence de son organisation formelle fait en sorte que les positions historiques portées par la GCF et le CCI sont aujourd’hui portées par des militants hors ou exclus du CCI. Par exemple, certains des militants de notre organisation se revendiquent de ce courant historique de manière critique.
Conseillisme et auto-organisation
La faiblesse principale qui traverse la brochure du CCI est qu’elle semble être le résultat d’un compromis au sein de l’organisation entre des tendances divergentes. En effet, comme le CCI était lui-même le résultat d’un regroupement entre la tendance historique GCF-Révolution Internationale partitiste et différents groupes post-68 d’origine plus ou moins conseilliste mais ayant néanmoins accepté la plate-forme de RI, cela ne pouvait que s’exprimer de manière contradictoire dans la presse du CCI. Ainsi dans la brochure, le bon se mélange avec le moins bon de manière assez éclectique. Comme expression la plus caricaturale de cette tradition conseilliste qui perdure dans la brochure, figure la revendication de l’auto-organisation. À plusieurs reprise, le CCI vante l’auto-organisation des masses. Implicitement, cela signifie que les masses doivent s’organiser « par elle-même », c’est-à-dire sans l’aide d’une organisation politique qui leur serait extérieure. Donc, sous couvert d’un terme qui se veut politique, on réintroduit la fausse séparation entre la classe et son parti, celui-ci étant considéré au mieux comme extérieur à la classe, au pire simplement comme bourgeois. Pour nous, le parti est la partie la plus politisée de la classe, toute organisation de la classe sera une sorte d’« auto-organisation ». Ainsi, nous rejetons le terme flou d’auto-organisation car il mène au rejet du parti et est donc d’ordre conseilliste .
Autre exemple de ces confusions, le CCI cite une des thèses de la 3e Conférence de l’AAUD : « L’organisation des conseils permettra donc la libération progressive du joug capitaliste et, en particulier, du joug de la sphère idéologique bourgeoise. C’est dans son sein que se matérialise l’évolution progressive de la conscience de soi du prolétariat, la volonté de transplanter dans la réalité la conscience de classe des prolétaires et de lui donner une expression concrète et réelle. » [4] Voilà ici exprimé clairement les confusions qui seront à la base de la tradition conseilliste. On y mélange les organes révolutionnaires plus étroits où la conscience de classe est la plus avancée avec les organes politiques de la classe dans son ensemble, les conseils. Prétendre que les conseils ouvriers, par définition hétérogènes, peuvent être le centre du développement de la conscience de classe est très dangereux du point de vue politique comme l’ont démontré, par exemple, les événements en Allemagne en 1918 où les conseils sont resté majoritairement social-démocrates, c’est-à-dire avec une direction contre-révolutionnaire. Au contraire, l’organe qui a comme tâche d’être le centre de gravité de la conscience de classe est le parti de classe. Les organes unitaires de la classe, organes de lutte bien sûr, ont pour finalité de regrouper l’ensemble des ouvriers la classe en lutte quelles que soient leurs “ opinions politiques ” et leur niveau individuel de conscience de classe. On peut presque dire, en simplifiant, que le premier critère est “ sociologique ”. Le fait que les conseils ouvriers soient des organes visant à regrouper, à unir, l’ensemble de la classe pour l’insurrection ouvrière et l’exercice de la dictature de classe, n’enlève rien à ce caractère “ unitaire ” ni à leur fonction politique, organe de l’insurrection, organe de la dictature. Et l’autre organisation distincte est l’organisation politique dont le premier critère est l’adhésion au programme communiste et la volonté d’engagement militant – indépendamment de la situation sociologique de chaque membre.
Le CCI donne même dans l’anarchisme. En effet, la brochure prétend que le parti peut devenir un frein à la lutte de classe. S’il est vrai qu’un parti qui trahit son programme devient un frein à la lutte de classe, voilà que le CCI affirme qu’il pourrait être un frein par principe : « De même, accorder au parti le pouvoir d’incarner la conscience de classe c’est empêcher un plein épanouissement de cette conscience ; c’est prendre l’état de la conscience des grandes masses d’ouvriers comme un fait accompli et statuer ses infirmités. On ne rend pas un très grand service aux prolétaires en confiant à leurs minorités révolutionnaires le soin d’accomplir toutes les tâches qui exigent conscience et détermination. Cette attitude ne fait, au contraire, qu’encourager la soumission à l’idéologie dominante. En agissant de cette manière, les révolutionnaires finissent par constituer eux-mêmes un obstacle sur le chemin de la révolution. » [5] Ainsi donc, si le parti agit trop comme un parti révolutionnaire, il devient un frein à la révolution. Allez comprendre !
Lénine et la Gauche italienne avant la revue Bilan des années 1930
La brochure du CCI a aussi quelques difficultés à se positionner face à la tradition de la gauche italienne. En effet, bien que le CCI se revendique de la gauche italienne, il fait commencer cette tradition seulement avec le groupe en France et Belgique autour de la revue Bilan. De ce fait, la brochure rejette du revers de la main toute l’expérience de la gauche italienne avant Bilan sous prétexte qu’elle serait substitutionniste.
Examinons cela plus précisément. Le CCI fait remonter la conception substitutionniste à la tradition socialiste de la 2e Internationale. Ces conceptions auraient amené Lénine à reprendre l’idée de Kautsky selon laquelle les ouvriers ne peuvent arriver à la conscience de classe par eux-même, mais seulement qu’avec l’aide des intellectuels bourgeois socialistes. Bien que le CCI critique correctement ce passage particulier du livre de Lénine Que faire ?, il s’en sert pour rejeter le livre au complet comme étant la bible du substitutionnisme. [6] La brochure évoque les mêmes tares quant à la gauche italienne sous le leadership de Bordiga dans les années 20. En cela, elle rejette des textes fondamentaux sous prétexte qu’ils mettent trop d’accent sur le parti et qu’ils identifient dictature de classe et dictature du parti.
Pour le CCI, aussitôt que le parti assume du leadership politique dans la lutte de classe, cela est considéré comme substitutionniste. Pour nous au contraire, se mettre au devant de la lutte de classe et la guider vers les objectifs révolutionnaires n’est pas du tout substitutionniste. C’est en fait l’un des rôles fondamentaux du parti de classe. Le vrai substitutionnisme serait de ne pas se soucier d’élever la conscience de classe des prolétaires et au lieu d’assumer le leadership politique de la classe, donner à des spécialistes de la révolution le rôle de faire la révolution à la place de la classe. Ce genre de conception se retrouve souvent dans la littérature bordiguiste, par exemple : « Depuis des années, on nous reproche de vouloir une révolution d’inconscients.
Nous pourrions répondre que pourvu que la révolution balaye l’amas d’infamies accumulé par le régime bourgeois et pourvu que soit brisé le cercle formidable des institutions qui oppriment et mutilent la vie des masses productives, cela ne nous gêne pas du tout que les coups soient portés à fond par des hommes non encore conscients de l’issue de la lutte. » [7]. Nous devons rappeler, contre la conception bordiguiste, que c’est dans le processus même de la révolution que le prolétariat prend conscience de ses buts révolutionnaires sous le leadership du parti de classe. Le parti donne donc la capacité politique au reste de la classe de détruire le vieux système capitaliste. Un parti qui tente de mener une masse d’inconscients tel un état-major ne pourra qu’utiliser des expédients substitutionnistes puisqu’il ne dirigera pas la classe, il effectuera ses tâches à sa place.
Les tâches du parti communiste dans la lutte révolutionnaire
Au final, c’est sur la question de la révolution russe où la bât blesse. En effet, la brochure identifie correctement un des rôles du parti qu’est d’élever la conscience de classe du prolétariat : « Que font les révolutionnaires pour assurer la marche de la conscience de classe ? Ils participent à chaque lutte et à son organisation et ils utilisent, jusqu’au bout et dès le début, l’élan de chaque combat pour franchir le plus grand nombre de pas vers la constitution du prolétariat en force capable d’abattre le système dominant. Contribuer à cet apprentissage, tel est le but de l’intervention des communistes. (…) L’intervention des communistes consiste donc essentiellement à stimuler la marche en avant de la conscience et du combat, à utiliser chaque moment de la lutte pour faire progresser une évolution qualitative et collective du prolétariat vers la révolution mondiale et vers le communisme. » [8] Tout cela est correct, mais non suffisant. S’il est vrai qu’un des rôles du parti de classe est de favoriser et accélérer le processus de prise de conscience de la classe, il faut aussi souligner l’autre facette tout aussi importante du parti : le leadership politique dans la lutte de classe.
Ainsi, si l’on prend l’exemple de la révolution russe, la brochure du CCI sanctifie une mythique révolution où une classe ouvrière pure aurait fait la révolution. « Dans le cas de la prise du pouvoir en Russie, l’action des détachements armés du prolétariat se fait sous le contrôle et la volonté collective de millions de prolétaires. C’est le prolétariat, conscient dans son ensemble, qui décide et dirige la marche des événements même si cette participation ne prend pas une forme spectaculaire et anarchique. En réalité l’unité, la fusion des volontés révolutionnaires de l’ensemble du prolétariat existe. Elle vit par mille canaux, à travers les contacts, les échanges innombrables entre les soviets, les districts, le comité révolutionnaire et les ouvriers, les gardes rouges et les bolcheviks... Il y a là un feu révolutionnaire qui brûle partout de manière ininterrompue, qui allume les énergies, déclenche les initiatives venues de partout. Les propositions et les décisions naissent spontanément au sein de cette masse de millions d’ouvriers. Et en même temps, la conscience acquise par tous ces prolétaires en armes, cette volonté soudée vers un même but, donnent au tableau d’ensemble une apparence de calme, de décision, de précision formidable » (idem). Ce portrait pourrait être véridique si on avait souligné l’importance fondamentale du parti bolchévik dans le processus même de la révolution. En effet, c’est le parti de Lénine qui donna à la classe ouvrière dans son ensemble la capacité politique de faire la révolution en la dirigeant vers les objectifs révolutionnaires du programme communiste. Si cette brochure raye de l’histoire le rôle fondamental du parti bolchévik c’est parce qu’elle nie par principe le rôle dirigeant du parti dans la révolution pour n’en faire qu’un simple « éducateur » de la classe ouvrière.
La Tendance Communiste Internationaliste
Avant de commencer à passer au crible la brochure de la CWO, nous nous devons de faire une courte remarque préliminaire. La brochure est seulement signée par la Communist Workers Organization, section anglaise de la Tendance Communiste Internationale, et n’a pas été encore traduite dans d’autres langues. Il s’agit ici pour nous d’une faiblesse politique. De un, nous ne connaissons pas la position des autres sections de la TCI sur cette brochure. Par exemple, est-ce que Battaglia Comunista, section italienne de la TCI, est d’accord avec son contenu ? Y a-t-il des divergences, des nuances, des débats ? Nous n’en savons rien. Nous croyons que la TCI comme un tout bénéficierait grandement d’une prise de position sur cette brochure. Deuxièmement, le fait que la brochure n’ait pas encore été traduite, au moins dans les principales langues internationales pour le moment, contraint fortement son rayonnement internationale. Ces deux facettes d’une même faiblesse prennent racine dans une compréhension différente que nous avons de la centralisation politique par rapport à la TCI. Nous espérons pouvoir discuter avec la TCI cette question plus en profondeur dans le futur.
Nous ne pouvons qu’approuver et soutenir la méthode que la CWO a employée dans sa brochure pour démontrer sa position sur la conscience de classe. Au lieu de prendre un point de vue « philosophique » et abstrait, ce qu’on peut reprocher à certains passages de la brochure du CCI, la CWO part du point de vue historique, donc du point de vue marxiste. On y explique la différence entre le matérialisme bourgeois et le matérialisme historique, la différence entre la conscience de classe bourgeoise et celle du prolétariat. On y repasse ensuite tous les débats du mouvement ouvrier révolutionnaire durant les 19e et 20e siècles. Nous ne reviendrons pas sur toutes ces questions dans ce présent travail puisqu’elles ont déjà été traitées dans la première partie. Notons au passage la large communauté d’idées entre nous et la CWO.
La grève de masse
La seule divergence qui pointe et qui serait à débattre est le rejet de la grève de masse par la CWO. Pour celle-ci, dans son texte Grèves de masse, parti et syndicats, Rosa Luxemburg « défend que dans la grève de masse, l’économique et le politique sont d’importance égale. » [9] Encore selon la CWO, Luxemburg « ne réussit jamais à analyser le contenu de la lutte et, au final, elle apparaît comme une apôtre de la spontanéité. » [10]
Rosa Luxemburg ne met pas sur un pied d’égalité les facteurs économique et politique de la lutte de classe. Plus précisément, elle affirme que l’économique et le politique sont deux facteurs indissociables de la lutte de classe en général et du processus de prise de conscience de classe du prolétariat en particulier. C’est donc une conception dialectique qui conçoit qu’une prise de conscience politique se base aussi sur des besoins économiques d’une classe qui est révolutionnaire du point de vue historique et politique parce qu’elle est exploitée économiquement sous le système capitaliste. Au contraire le schéma mécaniste de la lutte de classe va tendre à concevoir le parti comme une direction désincarnée et extérieure au prolétariat qui doit ensuite injecter le programme révolutionnaire dans la lutte de classe.
Bref, les arguments de la CWO sont très faibles et nous nous revendiquons pleinement de la conception luxemburgiste de la grève de masse. « En effet, laissons de côté la théorie pédante d’une grève de démonstration mise en scène artificiellement par le Parti et les syndicats et exécutée par une minorité organisée, et considérons le vivant tableau d’un véritable mouvement populaire issu de l’exaspération des conflits de classe et de la situation politique, explosant avec la violence d’une force élémentaire en conflits aussi bien économiques que politiques et en grèves de masse alors la tâche de la social-démocratie consistera non pas dans la préparation ou la direction technique de la grève, mais dans la direction politique de l’ensemble du mouvement. La social-démocratie est l’avant-garde la plus éclairée et la plus consciente du prolétariat. Elle ne peut ni ne doit attendre avec fatalisme, les bras croisés, que se produise une « situation révolutionnaire » ni que le mouvement populaire spontané tombe du ciel. Au contraire, elle a le devoir comme toujours de devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter. Elle n’y parviendra pas en donnant au hasard à n’importe quel moment, opportun ou non, le mot d’ordre de grève, mais bien plutôt en faisant comprendre aux couches les plus larges du prolétariat que la venue d’une telle période est inévitable, en leur expliquant les conditions sociales internes qui y mènent ainsi que ses conséquences politiques. Pour entraîner les couches les plus larges du prolétariat dans une action politique de la social-démocratie, et inversement pour que la social-démocratie puisse prendre et garder la direction véritable d’un mouvement de masse, et être à la tête de tout le mouvement au sens politique du terme, il faut qu’elle sache en toute clarté et avec résolution, fournir au prolétariat allemand pour la période des luttes à venir, une tactique et des objectifs. » [11] Voilà une conception dialectique de la lutte de classe. Il serait malhonnête de qualifier ceci de spontanéisme.
Les tâches du parti communiste durant la révolutionnaire
Contrairement à la brochure du CCI, celle de la CWO souligne de manière constante le rôle dirigeant du parti dans la révolution. « Le parti prolétarien est un guide, un leader pour diriger l’action prolétarienne de masse vers le renversement du vieil ordre. Même si le parti a un rôle important d’orientation dans le processus menant à l’insurrection, et aura à diriger dans cette insurrection, en dernière instance c’est la masse de la classe, non le parti, qui doit finalement renverser le vieil ordre en entraînant une plus grande masse encore dans le processus pour construire un nouveau. » [12] C’est en effet grâce au leadership politique du parti que la classe peut élever sa conscience de manière massive et peut ainsi dans le processus révolutionnaire mettre en place les buts et stratégies du programme communiste.
Par conséquent la question à savoir qui prend le pouvoir, le parti ou classe, dans la révolution devient en quelque sorte un faux débat. Comme le souligne la CWO en discutant les événements de la révolution russe, « la distinction entre le parti et la classe s’estompera dans une situation où le parti, selon tous les critères mesurables, aura l’écrasant soutien de la masse de la classe. » Il faut toutefois noter que si la distinction entre classe et parti dans la révolution tend à s’estomper, c’est parce que la classe s’élève au niveau du parti, et non pas parce que le parti s’abaisse au niveau de la classe.
La question ne se posera pas ainsi : qui prend le pouvoir ? La classe ou le parti ? Ce sera quelle direction prend la révolution ? Le programme communiste sous la direction du parti ou les différentes voies de garage qu’offriront les divers partis bourgeois se réclamant de la classe ouvrière ? Ainsi si nous prenons l’exemple de la révolution russe, il ne fait aucun sens de se questionner sur qui a effectivement pris le pouvoir, la classe ou le parti ? Toutefois, l’analyse juste d’Octobre fait ressortir que le programme révolutionnaire des bolcheviks a répondu aux besoins de la masse de prolétaires et cette orientation a dominé les autres orientations réformiste, kérenskiste et menchevik.
Le parti ayant un rôle de leadership politique et étant parti-pris actif dans la lutte de classe, il va de soi que ses militants exerceront des fonctions de pouvoir dans les organismes unitaires. Mais, et c’est là une distinction fondamentale, ils le feront en tant que leadership politique qui doit assurer l’élévation politique du reste de la classe. Jamais ils doivent effectuer ces tâches en tant que spécialistes. Le parti est l’avant-garde de la classe, pas une élite séparée de celle-ci.
L’État durant la période de transition
En conclusion, force est de constater que malgré quelques divergences plutôt secondaires avec la TCI, nous nous retrouvons aujourd’hui à être davantage en accord avec la brochure de la CWO que celle du CCI. La brochure du CCI, bien qu’elle contient certains bons développements, n’arrive pas à affirmer catégoriquement la nécessité du rôle dirigeant du parti de classe et par conséquent ouvre la porte à des conceptions conseillistes. Au contraire, la brochure de la CWO, tout en partant de prémisses théoriques solides, affirme tout haut le rôle dirigeant du parti. Cela ne fait que renforcer notre point de vue selon lequel la TCI a un rôle central aujourd’hui parmi les groupes de la gauches communistes et dans le processus de regroupements de ces groupes.
De plus, il faut réaffirmer le principe de base de la gauche communiste en lien avec les leçons que la révolution russe nous a légué, un principe qui est d’ailleurs le patrimoine commun du CCI et de la TCI. Jamais le parti de classe ne doit fusionner avec l’État de la période de transition. Ou comme la CWO affirme avec raison à plusieurs reprise dans sa brochure, « les partis prolétariens ne sont pas des partis de gouvernement. » [13]
Cela s’explique simplement par le fait qu’après la prise de pouvoir par le prolétariat, deux pôles antagoniques se forment dans la société post-révolutionnaire. Le premier pôle est celui de la révolution mondiale dont les intérêts sont le plus clairement exprimés par le parti communiste mondial. L’autre pôle est celui de la gestion du territoire révolutionnaire par divers organismes que représente un « semi-État », c’est-à-dire l’État de la période de transition qui gère une société qui bien qu’elle soit entrée dans un processus de transformation révolutionnaire, contient encore pleins de vieilleries capitalistes. [14] La tension entre ces deux pôles dépend du rapport de force de la révolution. Si la révolution mondiale gagne du terrain, alors les transformations économiques s’accélèrent et l’État de la période de transition tend à s’éteindre. Si au contraire la révolution mondiale est étouffée, alors l’État de la période de transition devient rapidement le « socialisme dans un seul pays ». Si le parti de classe s’étatise, c’est qu’il a perdu tout son caractère révolutionnaire pour devenir un parti de gouvernement, comme la social-démocratie et le stalinisme en leur temps.
Il serait bénéfique à la gauche communiste de remettre à l’ordre du jour une discussion sur la période de transition, discussion qui ne serait qu’un moment de la discussion générale qui accompagnera le processus de regroupement des révolutionnaires.
Notes:
[4] . Brochure du CCI, Organisation communiste et conscience de classe, ch. L’organisation de la classe (http://fr.internationalism.org/brochures/organisation_communiste/organisation_de_la_classe).
[5] . Brochure du CCI, Organisation communiste et conscience de classe, ch. Les théories fausses sur le parti (http://fr.internationalism.org/brochures/organisation_communiste/les_theories_fausses_sur_le_parti).
[6] Voir la première partie de ce texte où nous expliquons en quoi nous nous revendiquons de manière critique à Que Faire ? (http://www.igcl.org/Sur-la-conscience-de-classe).
[7] . Force, violence et dictature dans la lutte des classes, 1946
[8] . Brochure du CCI, Organisation communiste et conscience de classe, ch. Le rôle des révolutionnaires (http://fr.internationalism.org/brochures/oraganisation_communiste/le_role_des_revolutionnaires).
[9] . Class Consciousness and Revolutionnary Organisation, CWO, p. 27 traduit par nous.
[10] . idem p. 28.
[11] . Grève de masse, parti et syndicats, p, 150-151. Notez au passage que la CWO utilise une partie de ce passage pour atténuer sa propre critique de la Grève de masse… Ce qui vient affaiblir encore plus son argumentaire contre la grève de masse.
[12] . Class Consciousness and Revolutionnary Organisation, CWO, p. 35, traduit par nous.
[13] . idem, p. 39
[14] . « fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe mais dont il devra, comme l’a fait la Commune et dans la mesure du possible atténuer les effets, jusqu ‘au jour où une génération élevée dans une société d’hommes libres et égaux pourra se débarrasser de tout ce fatras gouvernemental ». (Engels, Préface de La Guerre Civile en France).