(Semestriel - Septembre 2016) |
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Sur la conscience de classe
Le texte qui suit est la première partie d’une contribution d’un membre de notre groupe sur la question de la conscience de classe. La deuxième sera publiée dans le prochain numéro. Le GIGC s’est prononcé en accord avec ce texte lors de la réunion générale qu’il a tenue en juillet dernier. Néanmoins, notre réflexion et débat interne ne font que commencer. Nous le mettons à disposition des lecteurs et des groupes politiques du camp prolétarien afin qu’ils puissent participer à leur tour, nous les invitons à le faire, à notre réflexion et débat. En particulier, nous attirons l’attention sur notre position quant à la brochure Que faire ? de Lénine, si décriée ou fétichisée selon les cas et dont, selon nous, le but principal qui la fonde – et a fondé une grande partie de l’action politique de Lénine et du parti bolchevique – est de « travailler à développer [la] conscience politique » du prolétariat et à « élever sa conscience ». C’est son argument principal qu’il ne cesse d’asséner tout au long de Que faire ? contre les "économistes" – les conseillistes de l’époque. Dans ce sens, ceux qui rejettent Lénine et Que faire ? parce qu’il reprend à son compte, et sur la forme, la position de Kautsky selon laquelle la conscience de classe ne peut pas venir de la classe révolutionnaire, lui font un mauvais procès leur évitant ainsi de se prononcer sur le fond théorique et politique de la question et surtout sur ses implications : la dimension politique du combat de classe et la nécessité du parti. C’est d’autant plus regrettable, ou malhonnête (politiquement), que Lénine lui-même est revenu sur ses "tordages de barre" : « Il n’avait pas été dans mon intention au deuxième Congrès non plus d’ériger les formulations dans Que faire ? en une sorte de programme, un énoncé de principes particuliers. Bien au contraire, j’usai d’une expression qui par la suite devait être souvent citée, celle de la barre tordue. Que faire ? disais-je, redresse la barre tordue par les économistes » (Lénine, En douze ans, 1907).
Sur la conscience de classe
Toute discussion ou débat sur la conscience de classe ne fait aucun sens, n’a aucun intérêt pour le prolétariat, si on ne part pas du principe militant de base : comment élever la conscience de classe du prolétariat. Là réside le débat qui a enflammé des générations de militants révolutionnaires, entraînant diverses lignes de fracture au sein des organisations révolutionnaires entre différentes tendances, fractions ou courants.
Toute discussion sur la conscience de classe prise en soi, c’est-à-dire abstraitement, n’est qu’une discussion d’intellectuels de salon de par son caractère non-militant, justement parce qu’on ne commence pas par se poser la question “comment élever la conscience de classe”, mais plutôt “qu’est-ce que la conscience de classe”. Le nature de la question fera évidemment changer le contenu de la réponse. Or, quand la question fut mal posée par différents courants politiques, les réponses tendaient invariablement à se centrer sur un aspect particulier au détriment d’une conception générale, par conséquent dialectique. Par exemple, Georg Lucaks et son Histoire et conscience de classe mettait l’emphase pratiquement que sur l’aspect philosophique de la conscience. De même, les courants économiste, anarchiste, syndicaliste et même par certains aspects conseilliste ne voyaient la conscience de classe que dans les rapports économiques entre patrons et ouvriers sur les lieux de travail. Enfin, pour le courant révisionniste, la doctrine socialiste étant inventée par des idéologues bourgeois et la prolétariat étant trop inculte, il fallait adapter le socialisme, et donc le parti, à la société bourgeoise cultivée.
Tous ces courants politiques ont commis l’erreur de mettre de côté l’aspect fondamental de la conscience de classe du point de vue révolutionnaire, l’aspect politique. Loin de nous l’idée d’affirmer ici qu’il n’y a pas de facteur philosophique, économique, culturel, etc. à la conscience de classe. Seulement, l’aspect politique transcende et lie ensemble les autres aspects. Le caractère politique de la lutte de classes ainsi que de la conscience de classe du prolétariat vient du fait que la classe ouvrière est à la fois classe exploitée et classe révolutionnaire, c’est-à-dire sans aucun pouvoir dans la société capitaliste et directement en opposition à l’État capitaliste. Il faut aux militants révolutionnaires une conception claire du but à atteindre, c’est-à-dire un programme politique, ainsi que des moyens efficaces pour atteindre ce but, c’est-à-dire une organisation politique qui permette la prise du pouvoir politique. « Pour nous, la révolution est un processus qui, dès ses premières phases, nous permet déjà d’aller de l’avant, car les masses ne peuvent être rassemblées, aguerries, organisées de manière à conquérir le pouvoir que dans ce combat pour le pouvoir lui-même. » [1] La conquête du pouvoir par le prolétariat, la dictature du prolétariat, est ainsi le moyen politique d’accoucher la société communiste.
Les prémisses de bases étant établies, le caractère militant et politique de la conscience de classe, nous pouvons commencer à nous réapproprier les débats passés du mouvement ouvrier sur la question de la conscience. Bien que ce débat ne fut jamais à l’avant de la scène du mouvement ouvrier, il est toujours sous-jacent lors d’autres débats par exemple le débat entre iskristes et économistes en Russie ou encore le débat sur la grève de masse entre Luxemburg, Pannekoek et Kautsky, tous deux au début du 20e siècle. Cette méthode nous permet de nous réapproprier l’expérience des courants révolutionnaires dans le mouvement ouvrier. En effet, quand il y a débat sur une question politique, il se forme habituellement une gauche révolutionnaire face à une droite conservatrice au sein de l’organisation. La confrontation politique entre fractions dans l’organisation a comme résultat bénéfique de séparer le bon grain de l’ivraie. Enfin, cette méthode nous empêche de nous fourvoyer à vouloir réinventer la roue.
Le manifeste du parti communiste
Le manifeste du parti communiste, écrit par Marx et Engels pour la Ligue des communistes en 1848, marque la première tentative de donner au prolétariat un programme politique pour orienter la lutte. Ce manifeste vise avant tout à donner une base scientifique et historique à la lutte de classes, c’est-à-dire qu’on marque une opposition franche face aux courants du socialisme utopique. Ceux-ci visaient en général à mettre de l’avant des principes moraux selon lesquels il fallait adapter et transformer la société. Marx et Engels critiquent de tels raisonnement en affirmant que « les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne font qu’exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d’une lutte de classes qui existe, d’un mouvement historique qui se déroule devant nos yeux » [2]. L’idée exprimée ici est que le communisme n’est pas une théorie qui naît dans la tête de certains penseurs de génie. Au contraire, le communisme est le mouvement existant dans la société capitaliste et naissant directement des contradictions de cette société qui tend à rendre possible son abolition. Les communistes sont donc les militants qui théorisent et mettent en pratique « le mouvement réel qui abolit l’état actuel » [3]sous forme de programme qui ensuite sert à rendre conscientes les luttes en les orientant plus clairement. De même, le Manifeste tient à se démarquer des différents types de socialisme petit-bourgeois qui tendent tous, de différentes façons certes, à adapter les principes du socialisme à la société bourgeoise. Ainsi, il fonde une action politique autonome du prolétariat sur une base historique et scientifique.
Les communistes sont donc porteurs de la conscience de classe. Ils forment un regroupement volontaire de militants conscients du but final. « Les communistes ont comme avantage sur le reste du prolétariat d’avoir conscience des tenants et aboutissants du processus révolutionnaire. Pratiquement, les communistes sont la partie la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui va toujours de l’avant ; du point de vue théorique, ils ont sur le reste de la masse prolétarienne l’avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier. » [4]
Cependant les communistes ne se servent pas de cet avantage qu’ils ont sur le reste du prolétariat pour mener à bien leurs propres intérêts particuliers. Au contraire, il se servent de cette conscience du but final pour assurer le leadership politique de la lutte de classes, c’est-à-dire hausser le reste du prolétariat à son niveau de conscience pour lui permettre de mettre en œuvre les moyens politiques de sa libération. Là est le sens profond de la phrase sur la constitution du prolétariat en classe, donc en parti politique du Manifeste. « Le but immédiat des communistes est le même que celui des autres partis prolétarien : constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. » [5]
Que Faire ?
L’importance fondamentale de Que Faire ? de Lénine réside dans le fait qu’il avait justement comme point de départ une réflexion sur comment élever la conscience de classe. Cela en fait un texte de référence pour tout débat sérieux sur la conscience. Aussi, autant il faut critiquer la thèse de Kautsky reprise par Lénine faisant du socialisme une invention d’intellectuels bourgeois, autant il ne faut pas se servir de cette erreur de Lénine, qu’il a lui-même avoué plus tard, pour évacuer toutes les autres excellentes positions qui se trouvent dans ce texte.
Réglons dès maintenant son cas à la thèse kautskyste de Lénine : « Les ouvriers, avons-nous dit, ne pouvaient pas avoir encore la conscience social-démocrate. Celle-ci ne pouvait leur venir que de l’extérieur. L’histoire de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste, c’est-à-dire à la conviction qu’il faut s’unir en syndicats, se battre contre les patrons, réclamer du gouvernement telles lois nécessaires aux ouvriers, etc. Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques, économiques, élaborée par les représentants cultivés des classes possédantes, par les intellectuels. Les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx et Engels, étaient eux-mêmes, par leur situation sociale, des intellectuels bourgeois. » [6] Dans cette thèse, qui d’ailleurs est contradictoire avec le reste du texte, Lénine essayait très maladroitement d’expliquer en quoi la conscience de classe n’est pas le produit direct du choc entre patrons et ouvriers sur les lieux de travail, mais bien plutôt une expression politique du choc dans la société entre la classe bourgeoisie et la classe ouvrière. Il faut prendre en compte la polémique de Lénine contre les économistes qui eux faisaient un culte à la spontanéité et prenaient les lieux de travail comme centre de gravité de la lutte de classes, ce qui les rapprochaient évidemment des syndicalistes et réformistes d’Europe occidentale. Lénine opposait aux économistes le caractère éminemment politique de la lutte de classes. Donc, même s’il s’est trompé en reprenant la thèse de Kautsky, Lénine avait tout de même raison contre les économistes.
Cette thèse de Kautsky a deux faiblesses principales. Elle sépare le socialisme et le prolétariat. À cela, Rosa Luxemburg a répondu de façon magistrale : « On sait bien que la lutte de classes n’est pas une invention ou une création délibérée de la social-démocratie que celle-ci pourrait à son gré et de sa propre initiative supprimer pendant certaines périodes. La lutte de classes du prolétariat est plus ancienne que la social-démocratie. C’est un produit élémentaire de la lutte de classes. Elle jaillit avec l’avènement du capitalisme en Europe. Ce n’est pas la social-démocratie qui a enseigné au prolétariat moderne la lutte de classes, c’est bien plutôt la social-démocratie elle-même qui a été appelée à la vie par le prolétariat afin d’apporter conscience des buts et de la cohésion aux différentes composantes, dans l’espace et dans le temps, à la lutte de classes. » [7] Ensuite, elle prend complètement à l’envers la question des intellectuels par rapport au communisme. Pourtant, Marx et Engels avaient déjà résolu simplement la question : « De même qu’autrefois une partie de l’aristocratie passa à la bourgeoisie, une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat, et en particulier ceux des idéologues bourgeois qui se sont haussés à l’intelligence théorique du mouvement général de l’histoire. » [8] Dans le manifeste, Marx et Engels acceptent et encouragent l’idée que des bourgeois quittent leur classe et se mettent au service du prolétariat et de son mouvement historique. Au contraire, Kautsky affirme que le mouvement historique du prolétariat ne serait en fait qu’une doctrine inventée par des bourgeois éclairés.
En faisant un bref rappel de quelques luttes ouvrières en Russie, Lénine pose un principe fondamental d’une compréhension de la conscience du point de vue marxiste. « Cela nous montre que “l’élément spontané” n’est au fond que la forme embryonnaire du conscient. » [9] Il y a deux courants au sein du marxisme qui n’ont jamais réussi à assimiler cette leçon : les courants conseilliste et substitutionniste. Le premier courant vénère la spontanéité comme un état de pureté qu’un parti de classe ne pourrait qu’entacher et gâcher. En cela, cette théorie voue les militants à impuissance et passivité dans la lutte de classes. Lénine parle dans Que Faire ? de queuisme, c’est-à-dire se mettre à la queue du mouvement. Quant à lui, le courant substitutionniste ne jure que par la conscience, dont le seul le parti est doté. Il va même jusqu’à affirmer, dans sa variante bordiguiste caricaturale, que la révolution sera l’acte d’une masse d’inconscients dont la conscience n’arrivera qu’en paradis communiste, après-coup. C’est donc le parti seul qui fait la révolution. Les deux courants sont le revers d’une même médaille en ce qu’ils ne sont pas en mesure d’employer la méthode marxiste pour comprendre la conscience de classe. Leur défaut est de raisonner en absolu au lieu d’utiliser la dialectique. En effet comme Lénine l’a affirmé, l’irruption spontanée de conscience de classe dans le prolétariat n’est qu’une forme embryonnaire d’une conscience de classe plus développé et aboutie. Et c’est justement le rôle politique des révolutionnaires que de favoriser et intervenir dans le processus qui voit le passage du “spontané” au “conscient” dans le reste du prolétariat. Bref, c’est la classe qui fait la révolution, mais c’est le parti qui lui en donne la capacité politique.
Les courants conseilliste et anarchiste qualifient souvent à tort la position de Lénine d’élitisme, le parti devenant pour eux une couche au dessus du prolétariat. Au contraire, selon Lénine, la partie la plus révolutionnaire du prolétariat doit systématiquement s’organiser et travailler à ce que la partie la moins révolutionnaire et la moins politisée du prolétariat se hausse, à travers la lutte de classes, au niveau des révolutionnaires. « Il témoigne que notre obligation première et impérieuse est de contribuer à former des révolutionnaires ouvriers qui, sous le rapport de leur activité dans le parti, soient au même niveau que les révolutionnaires intellectuels. (Nous soulignons : sous le rapport de l’activité dans le parti, car sous les autres rapports, atteindre à ce même niveau est, pour les ouvriers, chose beaucoup moins facile et beaucoup moins urgente, bien que nécessaire.) C’est pourquoi il faut nous attacher principalement à élever les ouvriers au niveau des révolutionnaires, et non nous abaisser nous-même au niveau des “masses ouvrières”, comme le veulent les “économistes”, et au niveau même de “l’ouvrier moyen”, comme le veut Svoboda. » [10] Une conception du parti ayant comme fonction d’étendre et élever la conscience de classe ne peut être crédiblement qualifiée d’élitisme. En ce sens, le parti n’est pas une élite politique. Il assure plutôt un leadership politique dans le prolétariat.
Le parti bolchevique adopta et mit en oeuvre la position de Lénine dans Que Faire ? sur la parti et la conscience. Cette position contribua à faire des bolcheviques au début du 20e siècle les leaders de la gauche radicale dans la social-démocratie internationale aux côtés entre autres des tribunistes hollandais, des IKD et de la ligue Spartacus allemands et de la fraction abstentionniste du parti socialiste italien. N’était-ce pas d’ailleurs Rosa Luxemburg qui affirma à la fin de son article sur la Révolution russe : « En Russie, le problème ne pouvait être que posé. Il ne pouvait être résolu en Russie. Et en ce sens, l’avenir appartient partout au “bolchevisme”. » [11] De même, Pannekoek, qui pourtant sera plus tard un représentant éminent du courant conseilliste, était à cette époque encore plus “bolchevik que Lénine” : « Mais le Parti leur a enseigné que les explosions de désespoir de groupes isolés, d’individus, sont voués à l’échec et que seule l’activité collective, solidaire des exploités peut déboucher sur des succès. Il a discipliné les masses et les a empêché de gaspiller leur énergie révolutionnaire. Mais ce n’est là, bien sûr, que l’un des aspects de la chose, son côté négatif ; car, en positif, en même temps, le Parti montre son chemin, il indique comment mettre en œuvre autrement cette énergie, il va de l’avant. Les masses ont, pour ainsi dire, transmis une part de leur énergie à la collectivité organisée qu’est le Parti ; ceci non pas pour que cette énergie se disperse, mais pour que le Parti l’emploie, en fasse sa volonté commune. Ce que les masses perdent ainsi en initiative, en capacité d’action spontanée, elles le retrouvent ailleurs, sous une autre forme, dans la capacité d’action du Parti. » [12] Cette homogénéité politique élevée, sans être parfaite, sera la base de la formation de la 3e Internationale et sera seulement compromise plus tard, quand le reflux de la révolution mondiale provoquera les premières dissensions à partir des années 1920 jusqu’aux années 1930.
L’Internationale Communiste
La 3e Internationale se constitua sur la base des gauches social-démocrates au niveau international qui refusèrent la trahison du centre et de la droite de la social-démocratie lors de la 1ère Guerre mondiale. En cela, et sous l’impulsion du parti bolchevique et de la Révolution russe, la 3e Internationale restaura le programme révolutionnaire du prolétariat contre le révisionnisme et le réformisme de la 2e Internationale.
Dans ses Thèses sur la fonction du parti communiste dans la révolution communiste, la 3e Internationale a repris les concepts de base établis dans le Manifeste communiste de 1848 : « Le Parti Communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente et, partant, la plus révolutionnaire. Il se forme par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Le Parti Communiste n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière. Le Parti Communiste ne se distingue de la grande masse des travailleurs que par le fait qu’il possède une vision générale du chemin historique de la classe ouvrière dans son ensemble et s’efforce, à travers tous les méandres de ce chemin, de défendre non les intérêts de métiers ou de groupes particuliers, mais ceux de la classe ouvrière dans sa totalité. Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige les masses prolétariennes et semi-prolétariennes dans la bonne direction. » [13] Bref, rien de nouveau par rapport au Manifeste, sauf que l’Internationale établit clairement que le parti de classe n’est pas en dehors du prolétariat, ce qui était déjà implicite dans le Manifeste, mais est la fraction la plus consciente du prolétariat.
Avec les Révolutions russe de 1905 et 1917 apparaît la nouvelle forme du pouvoir politique du prolétariat : les conseils ouvriers. Ceux-ci apparaîtront dans des situations de double-pouvoir où les parlements bourgeois sont discrédités et des assemblées à partir de la rue et des lieux de travail se forment en pouvoir ouvrier contre le pouvoir bourgeois. Évidemment, la bourgeoisie fait tout pour légaliser et rendre non-révolutionnaires ces conseils. Normalement, les agents de cette légalisation furent justement les sociaux-démocrates, réformistes hier et contre-révolutionnaires aujourd’hui. L’Internationale adopta une thèse très importante qui est en fait une adaptation de la thèse de Que Faire ? sur la conscience à la situation des conseils ouvriers. « Pour que les Soviets puissent remplir leur tâches historiques, il est nécessaire au contraire qu’existe un puissant Parti Communiste qui ne "s’adapte" pas simplement aux Soviets, mais qui soit capable de les inciter à refuser toute "adaptation" à la bourgeoisie et à la garde blanche social-démocrate, et qui puisse, par l’intermédiaire de ses fractions communistes dans les soviets, entraîner les soviets dans son sillage. » [14]. Comme Lénine voulait élever le prolétariat au niveau de conscience du parti de classe, l’Internationale oeuvra à élever les conseils ouvriers au niveau de conscience de ce même parti.
La Gauche Communiste
La Gauche Communiste reprit le flambeau à partir de la tradition du combat de la gauche social-démocrate contre le révisionnisme. Comme Lénine, Luxemburg et Pannekoek avant la Guerre, la Gauche Communiste défendit l’importance d’une doctrine de parti basée sur un but final, la société communiste, avec des moyens révolutionnaires. Cette conscience des buts finaux ainsi que des moyens pour les réaliser est justement la conscience de classe dont le parti doit être l’expression la plus avancée au niveau politique. « Il ne s’agit pas seulement d’édifier les masses, et moins encore d’exhiber un Parti intrinsèquement pur et parfait, mais bel et bien d’obtenir le meilleur rendement dans le processus réel. Comme on le verra mieux plus loin, il s’agit, par un travail systématique de propagande et de prosélytisme et surtout par une participation active aux luttes sociales, d’obtenir qu’un nombre toujours croissant de travailleurs passe du terrain des luttes partielles pour des intérêts immédiats au terrain de la lutte organique et unitaire pour la révolution communiste. Or c’est uniquement lorsqu’une semblable continuité dé programme et de direction existe dans le Parti qu’il lui est possible non seulement de vaincre la méfiance et les réticences du prolétariat à son égard, mais de canaliser et d’encadrer rapidement et efficacement les nouvelles énergies conquises dans la pensée et l’action communes, pour atteindre à cette unité de mouvement qui est une condition indispensable de la révolution. » [15] C’est définitivement dans le courant “italien” de la Gauche communiste qu’on trouvera la conception la plus claire et la plus correcte de la conscience de classe ainsi que du rapport parti/classe. « Un parti vit quand vivent une doctrine et une méthode d’action. Un parti est une école de pensée politique et en même temps une organisation de combat. Le premier trait est un fait de conscience, le second est un fait de volonté, plus précisément d’effort vers un but. » [16]
La gauche italienne avait raison de mettre l’emphase sur la caractère politique de la conscience de classe. Un bon exemple de cette notion importante est dans la polémique autour de la guerre d’Espagne au sein de la Gauche Communiste entre Bilan et l’Union Communiste.. [17] Cette dernière critiquait la fraction de gauche du Parti Communiste d’Italie publiant la revue Bilan parce que ces derniers niaient tout caractère révolutionnaire à la guerre civile espagnole. Parmi les facteurs justifiant leur position, figurait l’absence de parti de classe. Donc, l’Union Communiste affirmait, pour le bien de la polémique, que la position de Bilan était “pas de parti=pas de révolution”. La position de Bilan se basait au contraire sur toute une tradition politique qu’elle tentait de préserver à contre-courant. Commentant la thèse #1 sur le parti du l’Internationale Communiste [18], la gauche italienne avait déjà affirmé « qu’on ne peut même pas véritablement parler de classe tant qu’il n’existe pas une minorité de cette classe tendant à s’organiser en parti politique. » [19] Considérant que le parti représente la fraction la plus consciente et révolutionnaire de la classe ouvrière, s’il n’y a aucune tendance vers la constitution du parti dans la classe ouvrière, cela signifie qu’il n’y a pas d’avancement de la conscience. On ne peut donc pas parler de situation révolutionnaire puisque la conscience n’existe pas et la révolution doit être un acte conscient. En Espagne, il y avait bien quelques camarades défendant des positions révolutionnaires autour de Grandizo Munis, mais ceux-ci étaient noyés dans le marais puant de l’union nationale républicain et anti-fasciste. Le manque de discernement de l’Union Communiste a poussé ces camarades à chercher des révolutionnaires en Espagne là où il n’y en n’avait pas, c’est-à-dire dans la gauche du POUM, le parti de collaboration de classe par excellence.
C’est dans la revue Internationalisme de la Gauche Communiste de France qu’on retrouvera finalement la synthèse la plus élevée durant cette période historique du rapport parti/conscience/classe. Comme nous l’avons affirmé plus haut, il y a deux mauvaises compréhension fondamentales de la conscience de classe au sein de la Gauche Communiste : le conseillisme pour qui il n’y a que la classe qui existe et le bordiguisme pour qui seul le parti compte vraiment. Pour la GCF, « le parti n’agit donc pas à la place de la classe. Il ne réclame pas la "confiance" dans le sens bourgeois du mot, c’est-à-dire d’être une délégation à qui est confié le sort et la destinée de la société. Il a uniquement pour fonction historique d’agir en vue de permettre à la classe d’acquérir elle-même la conscience de sa mission, de ses buts et des moyens qui sont les fondements de son action révolutionnaire » (Sur la nature et la fonction politique du parti politique du prolétariat, Internationalisme 38, Gauche Communiste de France, 1948, http://igcl.org/Sur-la-nature-et-la-fonction)
La conscience de classe est donc la connaissance du but final de la lutte de classes et des moyens pour y arriver. Ce savoir n’est pas l’apanage d’une couche de “spécialistes de la révolution”, mais est au contraire l’expérience historique de la classe ouvrière que le parti cristallise en un programme politique. Le prolétariat se politise dans le processus même de la lutte de classe, le parti de classe étant à la fois produit et facteur de cette politisation. « La révolution politique est la première condition d’une orientation socialiste de l’économie et de la société. De ce fait également, le socialisme ne peut se réaliser qu’en tant que conscience des finalités du mouvement, conscience des moyens de leur réalisation et volonté consciente de l’action. La conscience socialiste précède et conditionne l’action révolutionnaire de la classe » (idem). La dernière phrase est importante. On y dit que les militants communistes doivent s’organiser avant la révolution afin d’être partie-prenante de la lutte révolutionnaire.
Notes:
[1] . Anton Pannekoek, Théorie marxiste et tactique révolutionnaire, 1912, dans Socialisme : la voie occidentale, aux Presses Universitaires de France, 1983. http://igcl.org/Theorie-marxiste-et-tactique
[2] . Le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Frederich Engels, Tome 1 des oeuvres par Maximilien Rubel.
[3] . L’idéologie allemande de Karl Marx et Frederich Engels.
[4] . Le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Frederich Engels, Tome 1 des oeuvres par Maximilien Rubel.
[5] . Idem
[6] . Que faire ? de Lénine.
[7] . La brochure du Junius, la guerre et l’Internationale de Rosa Luxemburg.
[8] . Le manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Frederich Engels, Tome 1 des oeuvres par Maximilien Rubel.
[9] . Que faire ? de Lénine.
[10] . Que faire ? de Lénine.
[11] . La Révolution russe de Luxemburg.
[12] . Anton Pannekoek, Théorie marxiste et tactique révolutionnaire, 1912, dans Socialisme : la voie occidentale, aux Presses Universitaires de France, 1983. http://igcl.org/Theorie-marxiste-et-tactique
[13] . Parti et Classe du Parti Communiste International (www.pcint.org).
[14] . Parti et Classe du Parti Communiste International.
[15] . En défense de la continuité du programme communiste du Parti Communiste International, Thèses de Rome, Thèse #8, p. 44-45
[16] . Parti et Classe du Parti Communiste International.
[17] . Pour les positions respectives, voir Bilan de Jean Barrot et Chronique de la révolution espagnole d’Henry Chazé
[18] . Note #13
[19] . Parti et Classe du Parti Communiste International.