(Février 2022) |
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Crise et perspective de guerre généralisée ? Une seule réponse : l’internationalisme prolétarien
Les deux dernières années ont été particulièrement sombres pour la classe ouvrière. D’après les estimations de surmortalité attribuable au Covid, autour de 20 millions de personnes sont mortes de la maladie au cours des deux dernières années depuis que la pandémie a été déclarée par l’Organisation mondiale de la santé en février 2020 (au 13 février, l’estimation oscille entre 14 et 23,1 millions) [1]. Durant cette période, les inégalités ont augmenté de façon spectaculaire, les dix personnes les plus riches de la planète ayant doublé leur fortune [2]. L’accumulation actuelle des richesses est si obscène que le Fonds monétaire international a mis en garde contre la perspective de troubles sociaux de masse comme l’un des principaux facteurs d’instabilité dans les années à venir. Ces technocrates capitalistes expriment cette inquiétude du point de vue des implications qu’elle aura pour la poursuite de l’accumulation capitaliste, et non pour des raisons humanitaires.
Ce contexte est utile pour comprendre le rôle idéologique joué par la droite populiste, qui nie la réalité de la pandémie et s’oppose à la vaccination et aux interventions non pharmaceutiques au nom des libertés individuelles. Ce sont les mêmes éléments pour lesquels l’Administration de la santé et de la sécurité au travail aux États-Unis [3] serait un exemple d’abus de pouvoir tyrannique. Ils voudraient que les capitalistes individuels soient aussi libres que possible dans leur recherche du profit. Par conséquent, ils s’opposent naturellement à toute restriction de rassemblements dans les lieux commerciaux couverts ainsi qu’à toute politique de vaccination obligatoire des travailleurs dans des lieux de travail surpeuplés et mal ventilés. Il faut bien comprendre que la vaccination, ainsi que les interventions non pharmaceutiques – comme l’amélioration de la ventilation et le port obligatoire de masques pour réduire la transmission des infections respiratoires, ou l’amélioration du drainage pour éviter les eaux stagnantes afin de réduire l’incidence des maladies transmises par les moustiques – ne sont pas une question de choix individuel. Les épidémies et les pandémies de toutes sortes sont un problème social qui ne peut être traité que socialement. En revanche, en niant la réalité même de la pandémie de Covid, cette idéologie populiste de droite permet à la classe capitaliste de se laver les mains du meurtre social dont elle est la seule responsable.
Dans le contexte de cette situation socialement explosive et de l’antagonisme de classe irréconciliable qui la détermine, les dirigeants de deux des principales puissances impérialistes, les États-Unis et la Russie, discutent ouvertement de la perspective d’une guerre mondiale. Il est inutile de préciser qu’une telle guerre entraînerait presque certainement un affrontement nucléaire et une ruine mutuelle. La conséquence serait catastrophique ; un véritable goulot d’étranglement démographique [4] dont l’humanité ne se remettrait pas avant des décennies, dans le cas le plus optimiste. Nous sommes très loin des conditions de la Première Guerre mondiale, où le rythme de la guerre était relativement lent et où les opérations militaires étaient basées sur la guerre de tranchées et les vagues d’infanterie avançant sous le couvert des tirs d’artillerie. Aujourd’hui, la guerre entre États est menée avec des armes combinées et repose sur la supériorité aérienne, la guerre électronique et une puissance de feu écrasante. Si une telle guerre devait être livrée par des puissances nucléaires, par exemple une guerre hypothétique entre la Russie et l’OTAN, la partie qui risquerait de perdre la guerre conventionnelle aurait probablement recours à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques sur le champ de bataille ou contre les bases aériennes de la partie adverse. Une fois ce palier atteint sur l’échelle de l’escalade, rares sont les stratèges militaires qui pensent que le résultat ne serait pas un holocauste nucléaire.
Lanceur mobile de missile Iskander russes. Ils pourraient frapper Berlin depuis Kalinigrad, par exemple.
C’est pourquoi la crise actuelle concernant l’Ukraine et l’expansion de l’OTAN vers l’Est est si dangereuse. Ce n’est pas tant que cette crise particulière soit susceptible d’être le catalyseur immédiat de la Troisième Guerre mondiale, mais qu’elle a le potentiel d’aboutir à une consolidation de blocs impérialistes antagonistes. Si les États-Unis réussissent à pousser la Russie à attaquer l’Ukraine, par exemple pour éviter que les régions pro-russes du Donbass ne soient envahies par les forces armées ukrainiennes, ils seront en mesure d’exiger que les économies d’Europe occidentale coupent avec la Russie. Si la Russie n’est plus en mesure de vendre ses hydrocarbures en dollars américains, elle sera forcée de se placer encore plus dans l’orbite de la Chine, tout comme l’Europe occidentale deviendra plus dépendante des États-Unis. Cette dynamique explique la différence de ton entre les États-Unis et le Royaume-Uni, d’une part, et l’Allemagne et la France, d’autre part, en ce qui concerne la crise ukrainienne, ces derniers ayant beaucoup plus à perdre si des sanctions économiques écrasantes étaient introduites contre la Russie. Mais ce n’est pas tout.
L’internationalisme prolétarien contre la guerre impérialiste
La seule réponse que la classe ouvrière puisse donner à la perspective d’une guerre impérialiste généralisée est une lutte généralisée pour ses propres intérêts immédiats et historiques. En effet, il n’y a pas d’opposition entre les intérêts immédiats et historiques du prolétariat. Le rôle historique du prolétariat en tant que sujet révolutionnaire est fonction de la condition immédiate du prolétariat sous le capitalisme en tant que classe exploitée.
Les inquiétudes liées au coût de la vie sont au cœur des préoccupations des travailleurs du monde entier. Aux États-Unis, les travailleurs ont en moyenne vu leur pouvoir d’achat se réduire malgré une augmentation nominale des salaires. La situation est similaire dans de nombreuses régions du monde, y compris au Royaume-Uni où des manifestations ont eu lieu contre l’augmentation du coût de la vie [5]. Bien qu’elles aient été organisées par un groupe de pression affilié au parti travailliste, ces manifestations sont révélatrices du mécontentement croissant alimenté par la hausse du coût de la vie. La perte de pouvoir d’achat, combinée à l’augmentation des coûts de l’assurance nationale, pourrait conduire à ce que 30 % supplémentaires des ménages britanniques ne soient pas en mesure d’acheter les produits de première nécessité [6]. La situation n’est pas meilleure en Russie, où le revenu disponible des ménages est inférieur de 10 % en moyenne par rapport à 2013 [7]. Pourtant, comme on pouvait s’y attendre, ce véritable problème – littéralement une question de vie ou de mort pour de nombreuses personnes – est quasiment ignoré par les médias. Au lieu de cela, nous sommes soumis à un chœur incessant de propagande belliciste. L’internationalisme prolétarien n’est pas un principe abstrait à défendre face à la menace de guerre. C’est la politique révolutionnaire qui correspond aux besoins immédiats de milliards de personnes dans le monde.
Les travailleurs doivent se mobiliser pour défendre leurs intérêts de classe. Les grèves de masse en Iran et au Kazakhstan, malgré leurs limites considérables, indiquent la voie à suivre pour les travailleurs des métropoles capitalistes. Les conditions sont réunies pour la grève de masse dans les principales puissances. D’ores et déjà, une dynamique internationale – encore limitée – de luttes et de grèves ouvrières, comme aux États-Unis en particulier, se fait jour. Ces dernières ont principalement pour objet la baisse du pouvoir d’achat ; et pour revendication l’augmentation des salaires. Le décor est planté pour une lutte de classe désespérée, qui décidera si nous allons vers la guerre mondiale et la barbarie ou vers la révolution prolétarienne mondiale.
Les minorités révolutionnaires ont la responsabilité de commencer à construire le squelette de la future internationale. Cela implique inévitablement un processus de débat et de clarification au fur et à mesure que les divers courants se consolident en un véritable parti mondial du prolétariat, dans un processus dynamique qui est également fortement influencé par le développement de la lutte de la classe ouvrière. Il est historiquement sans précédent qu’une Internationale se forme sur la base d’un seul courant révolutionnaire. Cela ne signifie pas que nous ignorons simplement les différences réelles entre les courants, mais que nous en débattons et les clarifions par la praxis, par la vérification dans la lutte de classe. Les organisations révolutionnaires contemporaines ne sont pas monolithiques. Prétendre qu’elles le sont revient à obscurcir les divergences réelles qui existent au sein de ces organisations et constitue objectivement un obstacle sectaire au regroupement.
Il y a un peu plus de 100 ans, les révolutionnaires qui allaient former la Troisième Internationale avaient de nombreuses divergences importantes, mais ils partageaient certaines positions politiques fondamentales. Au premier rang de celles-ci figuraient l’internationalisme prolétarien, le défaitisme révolutionnaire, ainsi que le rôle de la direction du parti dans la lutte de la classe ouvrière et dans la dictature du prolétariat. Bien que de nombreuses questions, telles que le syndicalisme et le parlementarisme, aient été réglées par l’histoire, les trois positions fondamentales susmentionnées constituent toujours une base adaptée pour le regroupement international. Ce ne sont certainement pas les seules positions importantes, mais elles sont fondamentales.
Les enjeux ne pourraient être plus élevés et la formation du principal outil d’émancipation du prolétariat, le parti révolutionnaire international, sur la base de l’unité de principe des révolutionnaires du monde entier, devient une nécessité de plus en plus urgente.
Notes:
[3] . Il en va de même pour tous les organismes étatiques de santé nationaux.
[4] . « Un goulet d’étranglement de population (aussi appelé goulot d’étranglement génétique) est, dans l’étude de l’évolution d’une espèce, un épisode de réduction sévère de la population, suivi d’une nouvelle expansion démographique. Il entraine une réduction de la diversité génétique de l’espèce. » (Wikipedia)
[5] . https://www.theguardian.com/business/2022/feb/09/national-insurance-rise-could-mean-1m-destitute-households-in-uk-says-thinktank