Révolution ou guerre n°20

(Février 2022)

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Premiers commentaires et débats autour de notre plateforme politique

La publication de notre plateforme (PF) a induit de nombreuses réactions et commentaires. Il est encore prématuré pour pouvoir en faire une présentation utile dans ce numéro de la revue, ne serait-ce que du fait de leur diversité et hétérogénéité. L’usage immodéré de Facebook et autres réseaux sociaux, qui ne permettent pas de développer de véritables argumentations, n’aide pas, loin s’en faut – les “ likes ”, nombreux, n’ayant pas grand intérêt du point de la vue de la confrontation et de la clarification des positions, et encore moins d’un point de vue militant, de l’engagement militant. Sans doute aussi la réflexion de beaucoup est-elle encore en cours. Parmi les réactions argumentées, suffisamment développées et dont la longueur permet la publication, nous avons sélectionné la lettre ci-après suivie de notre réponse.

Au préalable, nous voudrions pointer deux observations, critiques potentielles, qui sont adressées à notre document afin d’essayer d’éclaircir la véritable signification de son adoption et publication. Pour l’essentiel, elles proviennent de groupes, cercles, ou encore militants appartenant, ou ayant appartenu, au camp prolétarien. En ce sens, elles ont une valeur toute particulière pour nous. La première, faite par plusieurs [1], assimile notre plateforme à celle du CCI : la PF « manque à mes yeux d’une certaine uniformité théorique : si les premiers paragraphes (1-9) sont exempts de toute trace de ’luxembourgisme’, de ’conseillisme’ et de ’kaapédisme’ que l’on trouve chez le CCI et dans ses conceptions démocratiques et mécanistes des relations entre le parti et la classe, cependant dans la seconde partie du document certaines formulations et conceptions m’apparaissent être reprises du corpus doctrinal du CCI. » (Jr) La deuxième : en adoptant une nouvelle plateforme, le GIGC se présenterait et aspirerait à être un nouveau pôle de regroupement international, comme une alternative, voire en concurrence – pour les plus contaminés par la vision et le mal sectaires – avec la Tendance Communiste Internationaliste. Il romprait ainsi avec ses orientations antérieures vis-à-vis du camp prolétarien et du combat pour le parti.

Les deux observations méritent réflexion et clarification. La première peut faire preuve de pertinence, du moins à l’issue d’une lecture rapide de la PF, et nous ne la rejetons pas d’un revers de main. Pour autant, notre intention – et nous croyons que la PF répond à notre attente – était, et continue d’être, de remettre l’ensemble des positions, ou frontières, de classe, que la plupart des groupes communistes d’aujourd’hui partagent, dans un cadre programmatique et une démarche politique différentes de celle de la PF du CCI, d’ordre économiste-conseilliste, et avec une plus grande cohérence et fermeté de principe que celle de la TCI [2]. En ce sens, d’un point de vue programmatique et politique, nous pensons que la première n’est plus adaptée à la situation d’aujourd’hui, celle des années 2020, et la seconde incomplète et insuffisante. Le lecteur qui a lu notre critique de la PF du CCI [3] aura relevé que la faiblesse principale, centrale, qui la rend inadaptée aujourd’hui est sa démarche économiciste que l’on peut résumer par la présentation et l’explication des frontières de classe, sur les syndicats, le parlementarisme, les luttes de libération nationale, etc., uniquement par l’opposition entre les périodes d’ascendance et de déclin du capitalisme, opposition réduite de plus, et principalement, à le capitalisme pouvait accorder des réformes et le capitalisme ne peut plus accorder des réformes. La cohérence, indéniable de la PF du CCI, est basée sur une vision économiciste et fataliste qui est, elle-aussi, cohérente avec sa vision conseilliste qui se révèle de manière manifeste dans ses points sur le parti et la conscience de classe. Notre PF, au contraire, essaie de fonder la cohérence et l’explication des frontières de classe à partir et autour de la question du parti et de la conscience de classe, et donc de l’histoire de la lutte des classes elle-même. Nous n’avons rien inventé. Nous avons juste été convaincus de la justesse politique de la démarche de principe des PF successives que la Gauche dite d’Italie avait adoptée, en particulier en 1945 et en 1952. Et nous avons essayé de la reprendre à notre compte pour la période contemporaine, jugeant que le parti de demain ne pourrait se fonder que sur cette démarche et ces principes.

La deuxième observation est elle-aussi pertinente et nous nous sommes nous-mêmes inquiétés des implications et responsabilités politiques qu’une plateforme relativement développée et argumentée, prétendant dépasser les insuffisances historiques des plateformes des années 1970 (CCI) et 1980 (TCI) [4] pouvaient et ne manqueraient pas d’avoir objectivement sur nos orientations et activités politiques. Si dès la constitution du GIGC en 2013, nous étions conscients que les positions de base que nous avions adoptées pour asseoir orientations et interventions, exigeraient « des développements et une argumentation plus importants dans le futur », c’est surtout l’évolution de la situation historique qui a rendu indispensable et urgent l’élaboration d’un nouveau document : les discussions avec des camarades posant leur candidature pour adhérer au groupe nous obligeaient à prendre nos distances avec les positions de base les plus conseillistes reprises du CCI ; le développement de la situation historique, en particulier les pressions de plus en plus fortes et directes de l’alternative révolution ou guerre sur la situation immédiate, tout spécialement sur les conditions du développement de la lutte des classes, révélait les insuffisances des PF auxquelles nous nous référions jusqu’alors, en particulier sur la question de la conscience de classe et du parti, pour pouvoir s’orienter face aux premiers souffles de la tempête qui vient.

La décision d’adopter la plateforme ne fut donc pas guidée par une volonté ou un plan quelconque pré-établi, mais nous fut de fait imposée comme une nécessité urgente. À cela, s’est ajouté bien évidemment le bilan pour le moins limité d’une de nos principales orientations, adoptée en 2013 et qui fondait en partie la constitution du groupe, celle de regroupement autour de la TCI, seule en capacité d’exercer le rôle central de pôle de regroupement international. [5] Il faut bien reconnaître que nous n’avons jamais réussi à convaincre les camarades de la TCI d’assumer de manière plus conséquente et « historique » la tâche que les circonstances lui conféraient, et lui confèrent encore aujourd’hui, celle de pôle actif et déterminant de regroupement – les camarades de la TCI utilisent plus volontiers le terme de référence. Selon nous, trop souvent la TCI se contente de la simple adhésion de nouveaux membres dans ses rangs et négligent de prendre en charge et d’orienter les débats et le processus de clarification politique, tout comme celui de réappropriation historique du patrimoine de la Gauche communiste, vis-à-vis de l’ensemble des forces et militants qui émergent, y compris celles et ceux qui ne sont pas susceptibles de rejoindre ses rangs de manière immédiate. Il ne fait guère de doute que cette faiblesse – du camp prolétarien comme un tout, pas seulement de la TCI – nous contraint à essayer, beaucoup plus modestement, de combler cette absence. En ce sens aussi, nous avions besoin d’une plateforme suffisamment développée et précise même si nous ne désespérons pas de convaincre la TCI un jour, et surtout – plus probable encore – qu’elle soit convaincue par le développement même de la situation historique.

Pour autant, assumer en partie ce qui devrait revenir en premier lieu à la TCI selon nous, n’enlève rien à la position et la responsabilité particulière et centrale qu’elle occupe toujours aujourd’hui dans le camp prolétarien. En ce sens, l’adoption de notre plateforme n’induit qu’un changement tactique immédiat, et secondaire, de notre intervention générale vis-à-vis du camp prolétarien. Aurions-nous la prétention d’être le pôle historique, ou l’un des pôles, de regroupement international, que ce serait se payer de mots et ne pas prendre en compte la réalité du camp prolétarien, du parti en devenir, et notre propre réalité. Nous en avons conclu, depuis un certain temps déjà, et le lecteur averti s’en sera rendu compte, que nous devions essayer de débattre et confronter les positions présentes dans le camp prolétarien, y compris celles de la TCI, sans... les composantes de ce camp, dont la TCI. Il en résulte un manque et une faiblesse pour le camp comme un tout. Mais nous sommes convaincus que sans la confrontation des positions – que les camarades de la TCI ne considèrent que comme des polémiques inutiles – le combat pour le parti et donc pour son programme et sa plateforme ne pourra qu’échouer lamentablement.

Un exemple ? Il suffit de voir les conditions qui prévalèrent à la constitution de la plupart des partis communistes au tout début des années 1920 et le mal congénital de l’opportunisme qui en résulta dans la plupart des partis de l’Internationale. Deux exceptions : celle de la fraction bolchevique réunie autour de la figure du polémiste insatiable qu’était Lénine ; et celle du parti communiste d’Italie suite aux polémiques et aux combats incessants de la Fraction abstentionniste réunie autour de la figure de Bordiga. Notre plateforme répond donc à deux nécessités : que le parti de demain puisse être au niveau des enjeux historiques grâce à la clarté de son programme et de ses positions ; préparer le regroupement historique des forces communistes en assumant dès aujourd’hui la confrontation et clarification des positions existantes qui, en dernière instance, correspondent toujours à des problèmes et des enjeux que le prolétariat trouve et trouvera sur le chemin de l’insurrection et de sa dictature de classe.

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Notes:

[1. La revue Présence marxiste (uniquement en français), largement méconnue aujourd’hui dans la mesure où les camarades qui l’animent n’utilisent ni internet, ni même le numérique, nous a adressé dix-huit pages dactylographiées que nous ne pouvons pas reproduire dans la revue. Elle aussi reprend cette observation critique.

[2. Révolution ou guerre #17, Prise de position sur la PF de la TCI (http://igcl.org/Prise-de-position-sur-la)

[3. Révolution ou guerre #18, Prise de position sur la PF du CCI, (http://igcl.org/Prise-de-position-sur-la-671)

[4. Fondamentalement, la plateforme de 2020 de la TCI est la plateforme qui fut adoptée lors de la constitution du BIPR en 1982 par le PCint-Battaglia comunista et la CWO (Communist Workers Organization).

[5. Nous ne pouvons faire ici le bilan précis de nos relations, toujours fraternelles devons-nous préciser, avec la TCI. D’autant que celle-ci afficha des positions et des attitudes successivement contradictoires, nous demandant de nous dissoudre lors de sa première réaction à la constitution du GIGC – qu’elle voyait comme un concurrent direct à son groupe canadien d’alors, le GIO –, puis saluant notre honnêteté et nos expressions de fraternité militante, répondant à certains débats que nous posions, pour ensuite nous voir de nouveau comme des rivaux dans la quête de militants, en particulier en Amérique du nord.