(Semestriel - Février 2017) |
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Les élections américaines : une surprise, oui mais avec beaucoup de confirmations (TCI)
Trump l’arrogant a battu Clinton l’antipathique. Le populisme d’extrême droite a battu la droite technocratique camouflée sous le masque d’une gauche progressiste. Les discours s’adressant au ventre et à la peur de l’électorat américain ont pris le dessus sur la représentante cultivée de l’establishment. Le populisme a triomphé dans le pilier du capitalisme mondial comme et à la suite d’autres succès de l’extrême droite en Europe occidentale (en France, Scandinavie, Autriche et, en partie, en Allemagne), en Europe de l’Est comme en Hongrie et Pologne, sans parler de la Russie de Poutine, de la Turquie d’Erdogan et de Duterte aux Philippines. On pourrait mentionner aussi la Ligue du Nord en Italie et Brexit en Angleterre.
Tout est normal, alors ? Oui mais seulement en partie, si on ne prend pas en considération quelques aspects spécifiques qui ont caractérisé l’expérience électorale américaine. Avant tout la crise. Comme pour les pronostics qui donnaient Clinton facile vainqueur des élections, les analystes se sont trompés, quand ils n’ont pas menti frauduleusement sur la supposée reprise américaine. Malgré les milliers de milliards de dollars versés par l’État en faveur des banques et, plus discrètement, en soutien aux piliers de l’industrie, l’économie américaine n’a pas redémarré. La production de l’industrie lourde, en particulier celle de l’acier, continue à diminuer. Le commerce extérieur est depuis des décennies un trou noir qui absorbe les marchandises étrangères, chinoises en particulier. L’industrie manufacturière n’est pas mieux. Le boom du gaz de schiste s’est dégonflé entraînant avec lui les investissements considérables et pénalisant la nouvelle spéculation qui s’était jetée comme un vautour sur les lèvres de la douce promise qui se sont révélées être empoisonnées.
L’augmentation du PIB est due essentiellement à la suprématie du dollar, aux manœuvres financières et de comptabilité étatique. Il y a eu une augmentation de l’emploi mais minime et si l’on regarde comment les chiffres et les statistiques sont élaborés, il suffit de travailler une semaine par semestre pour ne pas être considéré comme sans emploi. Plus que d’augmentation de l’emploi, on devrait parler d’augmentation du sous-emploi ; comme dans le reste du monde par ailleurs. La réalité est qu’aux États-Unis, le chômage est le double de celui qui est déclaré. Les salaires sont à des minimums historiques et les rythmes de la production, comme la journée de travail, ont augmenté en intensité et durée. La distribution de la richesse a atteint des sommets d’inégalité comme jamais auparavant. Sur une population de 320 millions d’habitants, presque 50 vivent sous le seuil de pauvreté. La mortalité infantile a augmenté et l’accès aux soins pour tous, tant vanté, est resté un mirage. Des secteurs importants de la petite et moyenne bourgeoisie se sont retrouvés sur la paille comme une armée de prolétaires qui n’ont plus de travail, ou il est précaire avec toujours un salaire dérisoire.
Quand Trump a traité la question, il a mis l’accent sur l’inconsistance de l’administration précédente en attribuant la responsabilité au parti démocrate de ce qui était arrivé aux travailleurs de la grande industrie. Ce qui lui a permis d’obtenir une bonne partie du vote de ces ouvriers du Middle West. De plus, la classe ouvrière blanche elle-même sans emploi et, surtout, sans perspective, un temps “ fleur à la boutonnière ” pour les profits des entreprises de l’industrie manufacturière de Virginie, de Caroline du Nord, dans la “ ceinture de la rouille ” du Midwest, a étée une proie facile pour Trump, tout comme les mineurs humiliés, ou plutôt les ex-mineurs, de West Virginia restés sans travail par la politique “ verte ” d’un autre Clinton, l’ancien président, qui a favorisé l’élimination de certains combustibles fossiles (le carbone) en faveur du lobby pétrolier. Cela a permis à Trump d’attirer une composante significative du monde du travail constitué de la petite bourgeoisie en voie de prolétarisation, d’une bonne partie de la classe ouvrière blanche qui, mécontente de l’administration démocrate précédente – comme du vieil appareil politique en général –, sans alternative et privée de référence de classe anticapitaliste, est tombé dans les filets du populisme Trumpien.
Filets qui ont aussi recueilli de nombreux jeunes à court d’espoirs et “ riches ” d’expectatives désenchantées. À côté de cela, bien sûr, l’habituelle droite liée au racisme (il semblerait que le Ku Klux Klan ait empêché beaucoup de noirs de voter en Caroline du Nord), au droit de posséder des armes, à la justice “ expéditive ” et contre l’immigration qui viendrait contaminer la race blanche “ en voie d’extinction ” et “ voler ” les emplois déjà si rares. En conclusion, Trump s’est présenté comme le paladin du “ vieux esprit américain ”, l’homme venu du ciel (non de millions d’étoiles mais de millions de dollars) qui va rendre l’Amérique plus grande et plus puissante. Il donnera du travail à tous, il fera une politique pour les pauvres, il préservera l’identité des américains blancs et mettra un frein à l’immigration et puis, des armes pour tous. Cela pour la politique interne, pour l’extérieure, le mot d’ordre est l’isolationnisme, le protectionnisme et le “ faisons les choses nous-mêmes ”. Le troisième slogan, naturellement, suppose et appuie les deux premiers, il en est l’axe porteur.
Pendant que les salons de la moitié du monde pleurent le misérable naufrage d’Hillary, la crise continue à bouleverser l’ordre des données politiques (cf. le Brexit) en produisant un “ gouvernement politique du monde ” toujours plus instable car fondé sur une structure économique qui n’arrête pas de vaciller. Il est facile de prévoir que les tensions vont continuer à accroître à la fois la pauvreté et l’inégalité sociale.
Les élections américaines démontrent une fois de plus que “ socialisme ou barbarie ” est plus actuel que jamais même si c’est la seconde alternative qui, pour l’heure, avance.
La tragédie de notre époque est le désarroi du prolétariat, intoxiqué par les fumées empoisonnées des formes les plus agressives et réactionnaires de l’idéologie bourgeoise, victime presque inerte des attaques économico-sociales que la bourgeoisie déchaîne depuis des décennies contre lui. [La tragédie est l’absence de noyaux communistes qui puissent agréger le fort mécontentement de la classe. Mais nous serions fous si nous arrêtions de travailler dans cette direction.