Révolution ou Guerre n°4

(Septembre 2015)

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Luttes ouvrières dans le monde

Dans cette rubrique sur la situation internationale, nous abordons principalement la question de la lutte des classes et laissons de côté le suivi et l’analyse de l’évolution de la crise économique du capital et des rivalités et guerres impérialistes. Des trois principaux facteurs qui déterminent la situation historique mondiale de la société capitaliste, la dimension lutte des classes est celui qui pose le plus de questions et de doutes. En effet, plus grand monde ne se fait d’illusion sur un arrêt de la chute du capitalisme dans la crise (qui subit une accélération brutale en ce mois d’août) et dans les guerres impérialistes. Les politiques, les médias, propagandistes et idéologues bourgeois n’essaient même plus de nous annoncer des “ lendemains qui chantent ”. Les enjeux et affrontements idéologiques et politiques autour de ces deux questions ne sont plus, du moins pour l’heure, au premier plan. Par contre la dimension lutte des classes, c’est-à-dire les attaques économiques et politiques de la classe capitaliste et surtout les réactions du prolétariat international, est la question centrale tant du point de vue historique bien sûr, in fine c’est le prolétariat qui détient les clés de la situation ; mais aussi d’un point de vue plus immédiat autour de la conscience et la confiance dans sa force et dans ses luttes. La bourgeoisie fait tout pour passer sous silence les luttes ouvrières en les censurant ; et quand elle ne le peut plus, elle en travestit la réalité et le sens. Outre le ralentissement de la confiance des travailleurs exploités en leur propre force comme classe sociale, cette politique bourgeoise systématique et généralisée a pour conséquence d’influencer négativement les fractions les plus combatives de la classe ouvrière y compris les individus et groupes politiques révolutionnaires qui, bien souvent, en arrivent eux aussi à douter de la capacité du prolétariat à s’opposer au capitalisme aujourd’hui. Il s’agit donc pour nous non seulement d’engager un combat contre la censure et les mensonges de la bourgeoisie sur les luttes ouvrières mais aussi un combat politique au sein du camp prolétarien et révolutionnaire afin de lutter contre une sorte de défaitisme, ou du moins de scepticisme, parmi les révolutionnaires et groupes communistes. Tel est l’objet des articles qui suivent et du débat – publié plus bas – que nous menons à partir de la correspondance d’un camarade.

Luttes ouvrières dans le monde

Nous publions régulièrement dans la revue un compte-rendu des luttes ouvrières dans le monde. Le but n’est pas de les comptabiliser (il y en aurait trop) mais plutôt de faire une liste des plus significatives tout en contrant la censure des médias qui est de plus en plus forte. Nous voulons rendre compte de l’évolution des luttes ouvrières. Pour ce qui est des grèves sauvages : la valeur des grèves sauvages dans un pays comme la Chine (où toutes les grèves sont “ sauvages ” puisque illégales), n’est pas la même que dans les pays à forte et vieille tradition démocratique des centres historiques du capitalisme comme en Espagne Il faut y voir au cours des derniers mois une tendance réelle de résistance aux mesures de crise du capitalisme vers des affrontements massifs de classe.

« Cela veut dire que [le prolétariat] peut sortir ’vainqueur’ des confrontations massives qui commencent et que la bourgeoisie internationale a pris l’initiative d’entamer. Sortir ’vainqueur’ de cette phase signifie pour la classe révolutionnaire qu’elle réussira à bloquer la bourgeoisie dans ses projets de misère et de guerre généralisées et qu’ainsi elle créera les conditions pour l’ouverture d’une période révolutionnaire. Mais pour cela, encore faut-il qu’elle surmonte les faiblesses qu’elle continue à manifester. Si, lorsqu’elle lutte, elle se maintient sur son terrain de classe, il n’en reste pas moins qu’à ce jour, elle ne réussit pas à faire reculer les attaques économiques qu’elle subit (ni la mise en place de mesures de répression anti-ouvrières tant dans la rue que sur les lieux de travail). Cette faiblesse réside pour l’essentiel non dans sa volonté de lutte et de résistance, mais dans son incapacité à hisser son combat au niveau politique ; c’est-à-dire à assumer l’affrontement politique pour la direction de ses luttes contre les forces, syndicales et politiques de gauche principalement, qui les entravent et les sabotent  [1] » Telefónica en Espagne et Bursa en Turquie en sont des exemples qui montrent que la classe ouvrière peut diriger ses luttes de résistance.

Luttes en dehors du cadre syndical à différents niveaux

Espagne : Des dizaines de milliers d’ouvriers travaillant pour les sous-traitants de Telefonica, l’opérateur historique des télécommunications en Espagne, ont été en grève illimitée dès le 7 avril dans tout le pays, la grève en dehors des syndicat avait commencé à Madrid le 28 mars. Tout comme en Turquie, ces ouvriers ont su s’organiser sans le syndicat qui fait tout pour saboter leur lutte. (Voir les articles À propos de la grève illimitée des travailleurs de la Telefónica-Movistar ( Espagne) pages 6 et 9).

Par ailleurs des dizaines de milliers de personnes ont manifesté le 21 mars à Madrid lors de « marches pour la dignité » pour dénoncer les effets de l’austérité. « Pain, travail, toit et dignité », lisait-on sur une grande banderole tenue par des manifestants en tête d’une des marches.

Turquie : Le dimanche 17 mai 2015 quelque 5000 ouvriers de l’usine du constructeur automobile français Renault à Bursa (nord-ouest de la Turquie) ont cessé le travail pour exiger une hausse de leurs salaires. Les ouvriers ont entamé leur mouvement dans la nuit de jeudi à vendredi et plusieurs centaines d’entre eux se sont rassemblés le vendredi toute la journée devant l’usine reprenant des slogans hostiles à la direction et aux syndicats. Tout comme en Espagne c’est une autre grève importante en dehors de l’encadrement syndical. La production de l’usine a été suspendue, selon un porte-parole de la direction de Renault Turquie s’exprimant sous couvert de l’anonymat. Les grévistes ont expliqué s’être mis en grève pour obtenir de la direction de l’entreprise une hausse de 60% de leurs salaires. La grève s’est développée dans d’autres usines de Bursa et dans le centre industriel de Izmit. La mise en place de “ conseils ouvriers ” (en fait des comités de grève) leur a permis de contrer le sabotage de leur lutte par le syndicat et de l’élargir à d’autres usines. (Voir l’article de la TCI Luttes ouvrières en Turquie : Nous ne voulons pas de syndicats, nous avons mis sur pied des conseils ouvriers)

Italie : Fin février, des ouvriers de l’usine Fiat Sata Melfi, province de Potenza, ont accueilli les représentants syndicaux avec des huées et des insultes (parias). Ceux-ci avaient négocié de nouveaux accords sur les équipes de travail sur la ligne de montage. De même le 25 mars, des ouvriers de Continental ont contesté le secrétaire syndical de la FIOM (CGIL) durant l’assemblée syndicale. On ne peut prétendre reconquérir quoique se soit avec de sporadiques manifestations et grèves nationales si, sur le lieu de travail on adopte une politique de capitulation continuelle disaient les ouvriers.

Brésil : Des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues de São Paulo, le 27 mars, à l’appui d’une grève en cours par les enseignants. Le 7 avril, une journée de protestation axée contre un projet de loi favorisant l’embauche flexible a été convoquée par les syndicats et les organisations de gauche. Elle a eu lieu dans au moins 10 États et s’est terminée avec huit personnes blessées et quatre arrêtées dans la capitale, Brasilia, où il y avait une bataille rangée entre les manifestants et la police.

Des milliers d’ouvriers travaillant sur les chantiers des futures infrastructures des Jeux Olympiques de Rio, se sont mis en grève, le 19 mai, revendiquant une augmentation de leur salaire. Les chantiers du stade Engenhao, du complexe Deodoro, de l’aéroport international du Galeao, du port et ceux de la ligne sud du métro et de la route trans-olympique ont été paralysés à 70%. Toutes ces manifestations antigouvernementales à l’échelle nationale ont attiré l’attention internationale dont le Comité olympique international (COI). À la Mercedes-Benz, une large majorité des 10 000 salariés s’est opposée à une réduction de 20% de la journée de travail combinée avec une réduction de 10% du salaire, malgré la position du syndicat. Les prolétaires brésiliens commencent péniblement à se libérer de l’emprise des syndicats et des organisations de gauche qui ont soutenu l’élection du parti des travailleurs de Lula et autres.

Canada : Une vingtaine de Cegeps [2] de la province de Québec ont débrayé illégalement le 1er mai contre les mesures d’austérité malgré l’opposition des directions syndicales de la province. En mars quelques milliers de personnes, en majorité des étudiants, avaient manifesté le 21 mars après-midi à Montréal contre les mesures d’austérité du gouvernement provincial. Les luttes au Canada sont encore fortement encadrées par les syndicats qui les divisent secteur par secteur et province par province.

Israël : Pour montrer leur opposition à la privatisation, deux des plus gros ports dont Haïfa, ont été fermés à la fin mai pendant deux jours par les dockers malgré l’opposition syndicale. Ils ont défié un ordre de la cour. Ils sont retournés au travail après que le gouvernement eut décrété un état d’urgence et des mesures drastiques.

Augmentation des luttes et des grèves par rapport à 2014 et manifestations significatives

Royaume-Uni : Des dizaines de milliers de personnes - jusqu’à 250 000 - ont manifesté samedi le 20 juin à Londres contre l’austérité. Les syndicats se sentent obligés d’organiser de telles manifestations pour encadrer, dévier et calmer la colère ouvrière croissante.

Russie : La majorité des grèves sont spontanées et illégales. Le nombre de grèves et de piquets étaient de 273 en 2014, en 2015, le nombre va battre tous les records et pourrait atteindre jusqu’à 400. 2/3 des protestations sont liées à des retards de salaires et à des non-paiements. La deuxième raison - les licenciements et la réduction des effectifs.

Allemagne : Entre janvier et fin mai, on a compté 350 000 jours de grève selon la fondation Hans-Böckler, proche des syndicats, contre 392 000 pour l’ensemble de l’année 2014. L’institut IW, proche du patronat, table, lui, sur 500 000 jours de grève sur le premier semestre 2015, un record depuis 1993. Crèches, hôpitaux, distribution, poste, trains, transports aériens, etc. sont touchés mais toujours encadrés par les syndicats.

Chine : Au cours des cinq premiers mois de 2015, il y avait le triple du nombre de grèves que dans la même période en 2014. Toute ces grèves étaient en dehors du cadre syndical et illégales.

France : Le 23 juin, les forces de l’ordre attaquent la grève des marins de MyFerryLink. Ces forces de l’ordre, nombreuses à Calais en raison de l’important dispositif de surveillance dirigé contre les 3000 migrants, s’en sont violemment pris aux marins. Les marins s’étaient mobilisés contre la menace du transfert par la société Eurotunnel de deux de leurs trois bateaux vers leur concurrent danois (voir l’article de la TCI : Migrants and Mariners : What’s Really Going On in Calais ?). Par ailleurs il y a eu 750 grèves en France seulement pour les six semaines couvrant le mois de juin et les deux premières semaines de juillet.Tout comme en Allemagne, Italie et autres ces luttes sont fortement encadrés syndicalement et sont localisées.

Bosnie-Herzégovine : Le 30 juillet, des manifestants ont détruit les barrages policiers protégeant le bâtiment du parlement. Une délégation des manifestants réunis devant le parlement, où était en cours le débat sur le projet de nouvelle loi sur le travail, a porté un message aux parlementaires : « vous avez 15 minutes pour annoncer le retrait du projet sinon on procédera aux nouvelles actions ». Des délégations d’ouvrières et d’ouvriers sont arrivées de Republika Srpska (l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine) avec le message que la solidarité ouvrière dépasse les divisions nationalistes et religieuses que les pouvoirs de tous bords essayent de leur imposer.

Grèce : Des milliers de personnes ont manifesté le 15 juillet dans toute la Grèce alors que le parlement grec s’apprêtait à voter l’accord avec les créanciers. A la Place Syntagma, devant le parlement, la manifestation a tourné à l’émeute dans la soirée, quarante manifestants ont été arrêtés. (Voir l’article Merkel, Hollande, Tsipras, Obama... Chacun utilise la démocratie bourgeoise, à sa manière, contre le prolétariat page1).

Cambodge : Sur la période janvier-mars, l’association cambodgienne des manufactures textile (GMCA) a annoncé avoir dénombré 40 grèves majeures, soit 74 % de plus qu’un an plus tôt. Des mouvements dont l’ampleur croissante n’est pas sans lien avec une répression toujours plus violente.

Islande : Un pays capitaliste comme les autres malgré ce que prétendent certains gauchistes car des milliers de prolétaires ont participé à des vagues de grèves au printemps pour une augmentation du salaire minimum. Ils ont obtenu une augmentation du salaire minimun de 30% sur trois ans.

Iraq : Manifestation des travailleurs et blocage de la circulation le lundi 9 février 2015 devant le ministère des finances à Bagdad pour le paiement des salaires. Même en subissant l’action des terroristes presqu’à chaque jour, des prolétaires ne cessent de défendre leur intérêt de classe.

Afrique du Sud : La hausse des prix de l‘électricité par l’entreprise d’Etat Eskom a mis le feu aux poudres à l’approche de l’hiver au début mai à Soweto. Plusieurs centaines de personnes ont manifesté leur colère dans le township de la banlieue de Johannesburg. Aux pneus incendiés et jets de pierre, la police a répondu par des tirs de balles en caoutchouc.

Portugal : Le 13 mars 2015 : Hôpitaux, écoles, centres de Sécurité sociale et tribunaux tournaient au ralenti en raison d’une grève de 24 heures menée par des fonctionnaires exaspérés par quatre ans de rigueur budgétaire. Depuis mi-avril, le Portugal est confronté à un important mouvement de grève dans les transports. Les salariés protestent contre les privatisations dans ce secteur décidé par le gouvernement Fectrans.

Ukraine : Kiev : le 22 avril 2015, des centaines de mineurs ont affronté la police anti-émeute près du palais présidentiel. Les mineurs ont franchi le premier cordon de police dans la Rue Bankova qui mène directement au bâtiment de l’Administration présidentielle. Ils exigaient le paiement de leur salaire, protestant contre les licenciements et les fermetures de mines. Par ailleurs, le 22 mai des affrontements ont été signalé dans le centre de Kiev, où des foules de manifestants se sont mobilisés contre la crise économique et la flambée des coûts des prêts privés. Selon des médias locaux, plusieurs personnes ont tenté de pénétrer dans le parlement ukrainien.

Iran : Une vague de protestations a balayé l’Iran en février pendant une dizaine de jours. Les protestations se concentraient sur les revendications des travailleurs, des augmentations de salaire pour suivre le rythme croissant de l’inflation, le paiement des arriérés de salaires, et d’autres questions comme les mises à pied et le non-renouvellement des contrats de travail.

Arménie : Mercredi le 23 juin, plus de 9000 personnes étaient rassemblées dans le centre de la capitale arménienne, chantant « Nous sommes les maîtres de notre pays » et affichant leur résolution à maintenir la pression sur le gouvernement du président Serge Sarkissian jusqu’à ce qu’il revienne sur sa décision d’augmenter les tarifs de l’électricité. Jeudi soir, environ 12000 protestataires se sont regroupés devant le Liberty Square d’Erevan, pour la plus importante manifestation antigouvernementale depuis des années.

Normand, Juillet 2015

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Notes:

[2. Établissements d’enseignement collégial public où sont offertes des formations techniques et préuniversitaires.