Révolution ou Guerre n°4

(Septembre 2015)

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Pale Blue Jadal (Turquie) : dernier avorton du CCI opportuniste ?

Voici la prise de position sous forme de lettre que nous avons envoyée aux ex-membres du CCI en Turquie suite à leur démission de cette organisation. Le lecteur peut lire leur document en anglais sur leur blog : Our departure from the ICC (http://palebluejadal.tumblr.com/). Suite à l’envoi de cette prise de position comme il est d’usage dans ce type de situation – à ce jour et à notre connaissance, aucun groupe n’a pris de position réellement politique sur Pale Blue Jadal et ses écrits –, les camarades nous ont répondu qu’ils n’avaient « aucun intérêt, ni envie de maintenir un quelconque contact avec [notre] groupe et [qu’ils considéreraient] tout envoi de mail ou volonté de contact à partir de maintenant comme étant du harcèlement. » (2 août 2015). Harcelés ? Que diable ! Les pauvres chéris. Pourquoi ne pas nous accuser directement de tentative de progrom comme ils l’ont appris dans le CCI ? Que voilà des révolutionnaires en peau de lapin. Et surtout quelle attitude pratique, concrète, dans les faits, qui semble directement dictée par les thèses du CCI sur le parasitisme que les camarades, pourtant, proclament, un peu partout, rejeter. Ignorer par “ principe ” la réalité du camp prolétarien, les groupes qui le constituent – qu’ils plaisent ou non – et les positions qui y sont développées ne peut mener qu’à des contradictions à terme insurmontables propres à la spéculation idéaliste critiquée par le marxisme : « La Critique qui prend des libertés avec son objet crie à l’histoire : c’est de telle et telle manière que tu dois t’être déroulée » (Engels, La Sainte famille, ch.2). Pour les camarades turcs, il est malheureusement à craindre que le terme de leur expérience soit à rapide échéance. Outre leur démarche sectaire produite par la théorie du parasitisme qu’ils ont bien intégrée quoiqu’ils en disent, la lecture de leur “ road map ” [leur feuille de route] semble indiquer qu’ils veulent s’éloigner rapidement de la tradition et méthode de la Gauche communiste si tant est qu’ils l’aient réellement entre-aperçue dans le CCI d’aujourd’hui.

Libre à eux de ne pas nous lire, mais nous sommes libres de leur envoyer nos prises de position en fonction de notre analyse de leur évolution politique et dans l’espoir, que nous n’abandonnons jamais complètement, qu’ils puissent être convaincus par nos arguments et plus largement par la tradition et la méthode de la Gauche communiste. Ils sont libres de mettre en pratique, de fait, la théorie du parasitisme. Nous sommes libres de la combattre, nous aussi, en pratique. Décidément que de dégâts le CCI “ des liquidateurs ” aura-t-il commis parmi les jeunes générations qu’il a pu contaminer ! À côté des nombreuses démissions en silence et en catimini de militants déboussolés et démoralisés un peu partout, la liquidation de la section du CCI en Turquie et les perspectives politiquement confuses, sinon ouvertement opportunistes, que ces camarades affichent depuis la publication de leur document initial auquel nous répondons ici, en sont la dernière manifestation publique.

GIGC, Août 2015

Lettre ouverte à Pale Blue Jadal (ex-section du CCI en Turquie).

Il était de notre devoir en tant que groupe politique faisant partie de la tradition de la Gauche Communiste de prendre acte dans un premier temps de votre texte racontant votre parcours dans le CCI. Nous l’avons aussi débattu collectivement dans notre groupe où nous en sommes arrivé à établir une appréciation politique critique de votre parcours qui se veut, nous l’espérons, tout de même fraternel. Cette attitude se base sur un principe important de la tradition de la Gauche Communiste, c’est-à-dire l’importance du débat et de la discussion international des groupes de la Gauche conçu comme un moment du processus acharné et quotidien de la formation du parti de classe.

Tout d’abord, nous avons apprécié la clarté ainsi que la rectitude de certaines de vos observations sur la dégringolade opportuniste de CCI. Vous avez critiqué très justement « la culture de “l’accord sur tout” dans l’organisation, l’idée qu’exprimer de l’indignation face à ce qui était fait à cette camarade était une mesure de comment révolutionnaire est un militant, l’analyse du progromisme sur la question précise de cet incident et le fait que la discussion tournait trop autour de personnalités. Aussi, nous avons mis l’emphase sur le caractère politique de la présente crise au lieu d’une crise morale [1]  » [2]. Nous ne disions pas autre chose lorsque nous affirmions : « Au contraire du CCI liquidationniste, nous nous revendiquons d’une tradition, la tradition de la Gauche Communiste, dont la conception du militantisme se base non pas sur des concept abstraits et confus d’un point de vue de classe comme la morale et les valeurs, mais bien sur un programme politique clair synthétisant l’expérience de centaines d’années du mouvement ouvrier.  » [3] Nous avons toujours critiqué fortement les idéologies psychologisantes mises de l’avant par la direction du CCI comme opportunistes et étrangères à la Gauche Communiste. Ce genre d’idéologies participent à la mise en place au sein de l’organisation d’un climat de terreur et de suspicion généralisé qui explique ce que vous avez vécu : « Qu’une culture où tout le monde est en accord sur toutes les questions a émergé dans l’organisation et que les discussions sont devenues peu profondes (…) Alors que la culture de "tout le monde" est d’accord était critiquée de long en large lors du Congrès, ses effets ont par la suite toujours continué : c’est seulement les camarades avec qui la majorité est d’accord qui ont changé. La nouvelle tendance dominante semblait vraiment vouloir débattre.  » Vous avez constaté vous-mêmes ce climat de terreur et de démoralisation politique lorsque vous dîtes que : « le plus gros problème du CCI réside dans le fait que les orientations déterminées par les organes décisionnels de l’organisation sont largement, et ce davantage dernièrement, approuvées constament par presque tous les camarades et cela est vue comme normal.  »

Un autre point où nous sommes d’accord est la question de la théorie du parasitisme politique. Vous affirmez : « la section turque devait devenir la section la plus critique du CCI. L’exemple le plus important est le fait que la section de Turquie était la seule section qui a rejeté les infâmes thèses sur le parasitisme du CCI.  » C’est bien, mais nous ne savons pas sur quoi vous vous basez pour rejeter cette théorie. Quelle est votre critique, en somme ? Peut-être que cela a déjà été traité dans un texte que nous ne connaissons point. Mais il serait intéressant pour l’ensemble du milieu révolutionnaire de savoir votre position réelle sur cette question, au delà du simple rejet. Pour nous, la théorie du parasitisme est étrangère à toute la tradition de la Gauche Communiste et n’est, pour la direction opportuniste du CCI, qu’une feuille de vigne théorique qui vient cacher l’interdiction des fractions et oppositions dans le CCI. Toute proportion gardée, elle est l’équivalent de l’interdiction des fractions dans le Parti bolchévique en 1921. Elle est la justification théorique de l’abandon par le CCI de ses statuts en particulier en rapport avec le droit de fraction et elle a été utilisée pour mater, exclure et insulter les opposants indésirables.

Il serait aussi intéressant de vous entendre sur d’autres positions du CCI que nous considérons comme opportuniste comme le rapprochement avec l’anarchisme et la décomposition du capitalisme. Selon nous, autant le parasitisme et l’emphase sur les questions de morale, positions que vous avez très justement critiquées, que l’ouverture à l’anarchisme et la décomposition sont des expressions de la dégénérescence opportuniste du CCI. Qu’en pensent les camarades turcs ?

Ce qui est le plus surprenant pour nous, c’est que malgré votre rejet de la théorie du parasitisme en parole, vous l’avez appliqué de la manière la plus pure pour nous caractériser, ce qui démontre à notre sens de la confusion et de l’incohérence. « La section turque a condamné cette attaque provocatrice même avant la Conférence Extraordinaire devenant la première section de l’organisation à prendre position contre. Néanmoins, les membres de notre section dans l’organe central du CCI n’ont pas manqué de critiquer le ton extrêmement colérique du communiqué écrit en réponse à cette attaque, l’engagement dans des polémiques avec ce groupe que nous ne considérons pas prolétarien, les spéculations faites dans le communiqué par rapport à la vie interne du CCI ainsi que les comparaisons à la Stasi et à Staline et l’affirmation dans le communiqué qu’un pogrome était en train de se produire contre le CCI.  » En quoi notre Appel était une attaque contre le CCI ? En quoi notre groupe n’est-il pas considéré comme prolétarien ? Vous ne le dîtes pas.

Ce sont là les méthodes de la faction liquidationniste du CCI :

1. On affirme que les camarades critiques attaquent l’organisation, créant un atmosphère de forteresse assiégée visant à resserrer les rangs autour de l’opportunisme,

2. On attaque la crédibilité des camarades critiques sous divers prétextes moins politiques les uns que les autres. On se souvient que toute critique de la contre-révolution stalinienne triomphante était taxée du sobriquet d’hitléro-trotskisme dans les années ’30.

Le but de cette démarche est de mater toute critique. Vous devriez le savoir vous en avez vous-même fait l’expérience. Il en résulte que vous avez cédé à l’opportunisme sur cette question et vous avez dès lors serré les rangs autour de camarades dont vous-mêmes étiez critiques. D’où votre positionnement ultérieur qui était plus ou moins centriste et qui vous a lié les mains.

Nous avons écrit notre Appel justement pour aider les militants critiques comme vous à l’intérieur du CCI. Nous avons tenté de vous donner des armes politiques, la tradition de la Gauche Communiste, pour votre combat contre l’opportunisme. À cause de la théorie du parasitisme de la direction du CCI, vous n’avez vu qu’une attaque là où il y a avait un Appel. Bref, les arbres ont caché la forêt. Avez-vous seulement lu notre Appel ? Quel en est le contenu principal ? « Adresse aux camarades du CCI encore et sincèrement désireux de s’inscrire dans le combat pour le communisme et qui sont révulsés par ce qui se passe, ou bien encore n’y comprennent rien : ne vous laissez pas embarquer dans le silence ou les auto-critiques psychologisantes, rejetez le terrain du clanisme comme explication des crises organisationnelles ! Combattez sur le terrain politique contre cette politique qui, outre les délires sur la morale, l’indignation révolutionnaire, la haine des clans, etc., a mené à la remise en cause des positions d’origine du CCI et du marxisme. La discipline que l’on essaie de vous imposer n’est pas la discipline communiste. Elle en est même sa négation et elle vous tue. Il faut rejeter ces procès indignes qui ne cherchent qu’à détruire vos convictions militantes et à vous faire désespérer de l’organisation communiste. Nous pouvons vous aider. Notre groupe est prêt à discuter avec vous, à correspondre avec vous, à vous rencontrer, pour que vous puissiez mener le combat interne. Mais ce combat, vu la situation et le climat interne du CCI, vu les attaques, les pressions, les chantages, les menaces que vous subirez alors, les manifestations d’hostilité de camarades que vous considériez hier encore comme des amis, etc., vous ne pourrez le mener que si vous vous appuyez sur l’ensemble du camp prolétarien et sur les acquis de toute la Gauche communiste. Il faut essayer de mener un combat interne mais en vous appuyant sur l’ensemble de la Gauche et, si possible, former une minorité organisée, c’est-à-dire une fraction interne - il suffit qu’elle se forme sur la plate-forme d’origine du CCI et sur les Statuts d’origine.  »

Contre les théories idéalistes opportunistes du CCI, lisez notre brochure...

Ainsi, ne rejetez pas vos propres faiblesses et inconséquences politiques sur notre dos en disant : « En fait, les camarades chez qui le texte provocateur du GIGC a fait le plus de mal étaient les camarades critiques, et spécialement notre section, en créant le sentiment que le CCI était sous le feu d’une attaque.  » Vous avez cédé à la discipline de cadavre de la faction liquidationniste du CCI au lieu de lutter pour les véritables principes de la Gauche Communiste.

La faiblesse principale de votre texte selon nous reste le fait que vous ne vous rattachez jamais à la tradition de la Gauche Communiste. Vous ne vous basez pas sur les combats contre l’opportunisme qui ont jalonné l’histoire du mouvement ouvrier. C’est là pour nous un signe d’inexpérience politique au mieux, au pire une tendance vers le marais ultra-gauche et moderniste. Le problème est qu’à vouloir constament réinventer la roue, on oublie les leçons de l’histoire, c’est-à-dire qu’on oublie que les problèmes auxquels vous, nous et l’ensemble de la Gauche font face en ce moment ont déjà été en majeur partie traités de manière plus que satisfaisante par nos ancêtres politiques. Le choix de votre nom, Pale Blue Jadal, est significatif sur ce point puisqu’au premier coup d’oeil, on croit avoir à faire avec un cénacle ultra-gauche davantage qu’à un groupe voulant participer à la fondation du parti de classe. À vous de déterminer où vous vous situez sur cette question.

Sur les questions de l’organisation et du militantisme, vous constatez très justement le malfonctionnement de la centralisation du CCI :  « Dans une réunion de l’organe central du CCI, l’organe central de la section française a essayé de faire voter l’exclusion du délégué turque dans l’organe central du CCI en clamant que la section turque était un clan dont on ne pouvait pas faire confiance. Dans une organisation qui tient tant au centralisme international, le fait que l’organe central d’une section locale demande l’exclusion d’un membre de l’organe central international lors d’une réunion du premier était une situation tragi-comique.  » Cependant, pour nous cette réalité ne démontre pas que les principes de centralisation du CCI originel sont mauvais, mais au contraire que la faction liquidationniste dirigeant le CCI actuellement bafoue sans vergogne les principes organisationnels et les statuts du CCI historique. Donc nous ne vous suivons pas lorsque vous affirmez : « Le processus a mené chacun de nous à questionner certaines positions essentielles du CCI en matière d’organisation et de centralisation  ». Pour nous les principes organisationnels et les statuts du CCI sont l’expression la plus claire de ce que devrait être le parti de classe du point de vue organisationnel. Évidemment ces questions peuvent et même doivent être débattues dans le milieu prolétarien. Mais quant à nous, nous continuons à défendre la tradition CCiste en matière d’organisation, et ce contre le CCI actuel.

Force est de constater que le CCI ne représente plus actuellement un pôle de regroupement pour les nouvelles énergies révolutionnaires qui surgissent depuis la crise de 2008. Vous en êtes une expression. Le CCI vous a mal intégré du point de vue politique. Il a agit de manière opportuniste en vous intégrant avant que le processus de discussion ait atteint un certain niveau d’accord politique. En cela, il a trahi une des leçons de Que Faire ? de Lénine qui mettait l’accord avec le programme politique comme critère fondamental d’adhésion à un groupe politique. Vos critiques ont été ignorées ou tolérées lorsque l’organisation désirait grossir et lorsque vos critiques ont commencé à être nuisibles pour la faction opportuniste du CCI, vous deveniez dès lors des parias au sein du CCI. La responsabilité ne vous incombe pas. La faute revient au CCI qui viole tous ses principes organisationels dont un des principaux était de voir dans la discussion entre révolutionnaires un moment de processus d’homogénéisation de l’organisation. L’homogénéisation politique d’une organisation n’est pas un point de départ, mais un point d’arrivée.

Comme le CCI n’est plus qu’une secte qui n’a rien à apporter au prolétariat, nous devons nous tourner vers le dernier représentant de la tradition de la Gauche italienne, la TCI. Malgré ses faiblesses et hésitations, la TCI reste une référence historique et politique pour l’ensemble du milieu prolétarien ainsi que pour les nouveaux militants révolutionnaires. Nous vous appelons donc, camarades, à vous rattacher à cette riche tradition politique qu’est la Gauche Communiste. Cela passe par un regroupement autour de la TCI. Ça ne veut pas dire que vous devez abandonner du jour au lendemain toutes vos positions politiques pour accepter en bloc celles de la TCI. Cela signifie que vous devez entamer un processus de discussion avec l’ensemble des groupes actuels de la Gauche Communiste au niveau international, en particulier avec la TCI, et que ce processus sera un moment parmi d’autres de la formation du parti de classe.

Robin, juin 2015.

Rosa Luxemburg sur les théories idéalistes du révisionniste Bernstein, sur la “ science humaine ”, la “ démocratie humaine ”, la “ morale humaine ”.

« Toute la doctrine socialiste de Bernstein s’est ainsi effondrée. (...) En abandonnant le point de vue de classe, il a perdu tout point de repère politique, en renonçant au socialisme scientifique il a perdu l’axe de cristallisation intellectuel autour duquel les faits isolés se groupent dans l’ensemble organique d’une conception du monde cohérente.

Cette doctrine composée des fragments de tous les systèmes possibles sans distinction semble au premier abord complètement libre de préjugés. En effet, Bernstein ne veut pas entendre parler d’une ’ science de parti ’ ou, plus précisément, d’une science de classe, pas plus que d’un libéralisme de classe ou d’une morale de classe. Il croit représenter une science abstraite universelle, humaine, un libéralisme abstrait, une morale abstraite.

Mais la société véritable se compose de classes ayant des intérêts, des aspirations, des conceptions diamétralement opposées, et une science humaine universelle dans le domaine social, un libéralisme abstrait, une morale abstraite sont pour le moment du ressort de la fantaisie et de la pure utopie. Ce que Bernstein prend pour sa science, sa démocratie, sa morale universelle tellement humaine, c’est tout simplement celles de la classe dominante, c’est-à-dire la science, la démocratie, la morale bourgeoises. »

(Rosa Luxemburg, Réforme sociale ou révolution, ch. L’effondrement, 1898)

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Notes:

[1Nous avons publié une brochure sur la question du CCI et de ces nouvelles théories sur la morale, Morale prolétarienne, lutte des classes et révisionnisme

[2Toutes les citations de Pale Blue Jadal viennent de leur blog. http://palebluejadal.tumblr.com/ La traduction de l’anglais au français est de nous.

[3Le 20e Congrès du Courant Communiste International (Révolution ou Guerre #1). Nous invitons fortement les camarades de Turquie à lire ce texte sur le 20e Congrès du CCI, Congrès auquel ils ont assisté. Les camarades apprécieront peut-être davantage le ton moins “polémique” de ce texte. Il faut cependant préciser que notre Appel au Camp prolétarien et aux militants du CCI est dans la droite continuité avec le premier texte.