Révolution ou Guerre n°11

(Semestriel - février 2019)

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Comment se présente l’alternative historique révolution ou guerre ?

Dix ans après l’éclatement de la crise, où en est l’économie mondiale ? (TCI)

Nous attirons l’attention des lecteurs, des sympathisants et des groupes politiques se réclamant de la Gauche communiste sur l’importance du texte de la Tendance Communiste Internationaliste que nous publions ici. Malheureusement du fait de sa longueur, nous ne pouvons qu’en publier des extraits dans la version imprimée de cette revue. Nous renvoyons les lecteurs "papier" à notre page internet où il est reproduit in extenso – ou bien encore sur les pages web de la TCI [1]. Les coupes que nous avons sélectionnées ne concernent que la première et principale partie du texte sur la crise économique du capital. Nous en avons retenu ici que les passages qui, outre qu’ils fournissent les éléments généraux expliquant l’impasse économique du capitalisme depuis la fin des années 1960, mettent en lumière le lien entre la crise du capital et la guerre impérialiste. Ce dernier point est fondamental, particulièrement aujourd’hui, car le rapport entre les deux, crise et guerre, est devenu particulièrement étroit au point qu’il s’impose maintenant comme l’élément déterminant de manière directe de l’évolution de la situation, de ces grandes tendances, et particulièrement l’ampleur, les conditions et les formes de la lutte de classe que mène le capital contre le travail, la bourgeoisie contre le prolétariat. Voilà pourquoi, à grands traits, cet article de la TCI doit servir de référence théorique et politique pour la réflexion, le débat et la clarification des enjeux historiques actuels.

Dans sa deuxième partie, le texte de la TCI avance quelques éléments pour comprendre quel est le terme le plus probable de l’alternative historique capitaliste, la guerre impérialiste généralisée ou bien la révolution prolétarienne internationale, tout en rejetant l’idée, à juste raison, que le cours des événements, leur dynamique, soit mécanique et automatique. Certains lecteurs pourront s’interroger sur l’utilité d’une telle préoccupation pour essayer de "prévoir la perspective la plus probable" en pensant qu’il est inutile de rentrer dans des spéculations sur l’avenir et qu’il suffit de rester clair et ferme sur les positions de classe, sur l’internationalisme en particulier. Or, dénoncer l’alternative capitaliste en soi, abstraitement, sans lien avec l’évolution réelle de la situation et des antagonismes de classe, n’est pas suffisant. Dans ce cas, les minorités révolutionnaires, les avant-gardes politiques, le parti, resteront à la queue des événements, en retard car ne comprenant pas comment s’exprime l’alternative dans les faits, dans l’affrontement entre les classes, au fur et à mesure du cours des événements, voire en n’en saisissant pas les éventuels renversements de dynamique, et seront ainsi incapables de s’orienter avec succès au milieu des tempêtes du drame historique qui s’annonce.

C’est précisément ce point de l’article que nous voulions soutenir à l’origine, en tant que préoccupation politique, et que nous voulions débattre face à des formulations qui nous paraissent imprécises. Mais… au cours de notre discussion interne, nous nous sommes aperçus que cet article de la TCI posait en fait des questions plus importantes encore sur le rapport parti-classe et sur la dynamique même de la lutte prolétarienne que nous avons déjà soulevées dans le précédent numéro de la revue (Quelques commentaires sur le texte de la TCI [2]). Voilà pourquoi nous faisons suivre le texte de la TCI de commentaires critiques dans l’article suivant. Une dernière précision : selon nous, ces différences se situent dans le camp prolétarien, au sein du parti en devenir et, à ce titre, nos observations critiques se veulent fraternelles et ne visent qu’au renforcement politique général. Cela va sans dire mais cela va mieux en le disant...

Dix ans après l’éclatement de la crise, où en est l’économie mondiale ? (Tendance communiste internationaliste)

L’économie mondiale est en mauvais état et l’économie américaine dans une situation pire encore. La crise de 2008 n’a pas été résolue alors que de nombreux analystes craignent une nouvelle explosion financière. Le capital n’investit plus dans les activités productives et les entreprises vivent comme elles le peuvent en essayant de ne pas s’endetter davantage. La rentabilité des entreprises est faible, les taux de profit diminuent. Les capitaux se tournent de plus en plus vers la spéculation. C’est la même vieille situation, à la différence près que le coût du sauvetage de la crise précédente ne pourra pas être supporté lors de la prochaine. Les bruits de la guerre se font entendre au loin, accompagnés de la menace croissante de nouvelle et catastrophique barbarie.

Aujourd’hui, la situation mondiale est toujours déterminée par les mêmes éléments qui ont conduit à la crise d’il y a près d’une décennie et dans laquelle les États-Unis jouent un rôle clé. C’est là que la bulle spéculative a éclaté en 2007, lorsque les titres appelés subprimes ont été dévalués de 60 à 100%. Ces "actifs" financiers, qui avaient été judicieusement et fructueusement répartis dans les banques et les fonds spéculatifs du reste du monde, ont fini par provoquer le pire krach financier de l’après-guerre. Nous avons ensuite décrit comment l’éclatement de la bulle spéculative a créé une crise financière pour les principaux établissements de crédit américains et s’est ensuite répercutée sur les marchés financiers mondiaux. Nous avons également expliqué précédemment que l’origine de cette crise ne se situait pas dans la sphère financière, qui n’en est que la conséquence, mais dans l’économie réelle. Depuis des décennies, aux États-Unis comme dans les secteurs capitalistes les plus avancés, la rentabilité des investissements a baissé malgré l’augmentation de la productivité même si ce fut de manière sinusoïdale, c’est-à-dire avec des hauts et des bas [3].

Avec la baisse constante des taux de profit, de plus en plus de capitaux abandonnent l’économie "réelle" - celle qui produit des biens et des services et qui crée la nouvelle valeur par l’exploitation de la force de travail - afin de poursuivre le mirage des profits faciles offerts par la spéculation. En d’autres termes, il s’agit de combler d’une manière ou d’une autre les profits perdus du capital dans le secteur productif par des gains spéculatifs. Cette fuite des capitaux n’a fait que contribuer à faire baisser la production ’réelle’ et à amplifier un mécanisme parasitaire qui a commencé avec la financiarisation1 de la crise elle-même. Elle s’est développée avec la croissance du capital fictif, ou crédit facile, étant donné le faible coût de l’emprunt. L’économie américaine a donc été inondée d’un océan de dettes - de l’État, des entreprises et même des familles. Lorsque la Réserve fédérale américaine a augmenté les taux d’intérêt, la bulle a éclaté avec les conséquences planétaires que nous avons tous vues. L’explosion n’a pas seulement touché l’appareil financier - les banques qu’il fallait sauver à n’importe quel prix (trop grandes pour faire faillite) -, elle a aussi eu un impact considérable sur le tissu productif fragile qui l’avait générée au départ entraînant une baisse des salaires et des conditions d’exploitation du prolétariat international.

Aujourd’hui, à la veille de 2019, non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle a empiré. En Italie, les chiffres officiels publiés par le gouvernement actuel parlent de la fin de la crise, d’une reprise forte et durable. Mais la réalité dit le contraire. Le PIB recommencera à augmenter pour atteindre environ 2,5 % par an, le chômage disparaîtra tandis que les investissements productifs et les bénéfices augmenteront pour atteindre, voire dépasser, la période 2008-2017. Rien n’est plus faux. On pourrait dire, en utilisant un vieux dicton, "tout est en ordre mais n’a pas l’air bon". Entre-temps, les prévisions économiques du Royaume-Uni varient, surtout en raison de la perspective incertaine du Brexit, mais la plupart des commentateurs sont d’accord avec les Perspectives économiques de l’OCDE de 2018 pour dire que la croissance devrait continuer à ralentir [4].

Quant aux États-Unis, la "croissance" - dont le PIB devrait atteindre 3% l’année prochaine - a été présentée au monde entier comme un miracle économique. Toutefois, cette prévision ne mentionne ni l’énorme déficit de la balance des paiements ni le bourbier qui l’accompagne, à savoir l’augmentation considérable de la dette publique et privée, y compris celle des entreprises et des institutions financières. Dans l’ensemble, le déficit combiné des États-Unis, de l’État fédéral, et de chaque État en particulier, a atteint un niveau record de 237 000 milliards de dollars, soit plus de onze fois le PIB (le PIB américain est d’environ 20 660 milliards de dollars). Le seul véritable succès, c’est que certains secteurs de la production ont maintenant des rendements plus élevés grâce à la réduction décidée par Trump du taux de l’impôt des sociétés (de 35% à 21%.). Cette réduction d’impôt sera payée par l’État avec l’argent des impôts payés par les travailleurs et les employés, qui s’élève à quelques 10 000 milliards de dollars, somme que l’État a payé en 2008 pour sauver seulement ce qui était récupérable dans le secteur productif. (Pendant ce temps, l’économiste Stiglitz estime que la Réserve fédérale a payé 20 000 de milliards de dollars pour amortir les dettes des banques et surtout des entreprises.)

D’autre part, l’utilisation du Quantitative Easing [5] par la banque centrale pour stopper l’hémorragie financière signifie qu’un don de plus de 12 000 milliards a été fait aux seules banques (en plus des 20 000 milliards mentionnés par Stiglitz ci-dessus). Les millions d’emplois que Trump brandit comme un étendard, preuve de la prétendue reprise économique, se sont en fait matérialisés sous la forme de quelques centaines de milliers d’emplois, avec des contrats ultra-précaires, parfois même pour une semaine, sous-payés et sans aucune couverture médicale ou sociale. Entre-temps, "l’économie de la dette" s’étend progressivement à un degré inquiétant. En un an, de 2016 à 2017, l’endettement des sociétés non financières (entreprises) a augmenté de 11,1 %, la dette publique de 6,7 %, l’endettement des ménages de 12,5 % et celui du secteur financier de 11,3 %.

La montagne de la dette

La grande récession de 2007-2008 puis la longue dépression qui s’en est suivie et qui se poursuit encore, ont affaibli le cadre économique global. L’économie capitaliste mondiale reste stagnante, avec un faible taux de croissance de la productivité. Les flux commerciaux ralentissent et, surtout, la rentabilité du capital productif ne s’est nullement améliorée. Entre-temps, la coopération a été remplacée par une concurrence de plus en plus cruelle (voir la politique tarifaire de Trump). Selon les projections des économistes de la Banque mondiale, la croissance économique mondiale devrait tomber à 2,9 % d’ici à 2020 et, par conséquent, la longue dépression qui a commencé en 2008 non seulement n’a pas pris fin, mais encore se poursuivra avec son fardeau de guerres commerciales, de guerres économiques puis de guerres de pillage de plus en plus violentes et généralisées.

Aux États-Unis, la dette publique, qui était d’environ de 9000 milliards de dollars en 2007 (75 % du PIB), avait atteint 19 200 milliards en 2016, soit 105 % du PIB [6]]]. Ces dernières années, sous Trump, elle n’a fait qu’augmenter et elle sera encore pire demain. Avec l’accélération des politiques de Trump, elle pourrait déjà avoir atteint 130%. Selon le Trésor américain, le déficit budgétaire pour 2018 a augmenté de 17% et est le plus élevé depuis 2012. Les revenus ont augmenté de 0,4 % tandis que les dépenses ont dépassé 3,2 %. Selon les projections du Congressional Budget Office pour 2019, le déficit budgétaire devrait atteindre un trillion de dollars (soit mille milliards de dollars). Les politiques de Trump prévoient des dépenses extraordinaires, dont 700 milliards de dollars pour la défense, des réductions d’impôts de 31 % pour les entreprises (contre, il faut le dire, une augmentation de 6,1 % de l’impôt privé). Au total, le déficit fédéral augmentera de 214 milliards de dollars supplémentaires grâce à ces réductions d’impôts et à l’augmentation des dépenses militaires, ce qui augmentera également les intérêts qui doivent être payés sur la dette.

Entre-temps, la dette fédérale a grimpé en flèche pour atteindre 22 milliards de dollars contre environ 18 milliards de dollars de recettes. Les budgets de plus de la moitié des États fédéraux sont déficitaires et doivent être soutenus par une politique de déficit de l’État fédéral américain. De plus, les dettes contractées par les étudiants qui s’inscrivent dans les collèges et les universités ont atteint 1500 milliards ; les dettes liées aux cartes de crédit en sont à 1600 milliards ; celles pour l’achat de voiture à 1220 milliards et celles des entreprises à 11 800 milliards. A cela s’ajoute un montant énorme, mais indéterminé, de la dette contractée par l’achat de biens immobiliers, ainsi qu’un autre montant indéterminé pour la dette totale des différents États. Le chiffre le plus inquiétant, toutefois, demeure celui de l’endettement des entreprises.

S’il est vrai qu’au premier trimestre 2018, les 500 premières entreprises américaines ont réalisé une augmentation de 26% de leur bénéfice par action, il est également vrai que cela est exclusivement dû à l’énorme réduction d’impôts proposée et mise en œuvre par l’administration Trump (30%). Si les bénéfices de l’ensemble du secteur des entreprises avaient été calculés sans les réductions d’impôt, il n’y aurait pas eu de gain au premier trimestre de 2018, mais une baisse de -0,6%, immédiatement précédée d’une baisse initiale de -0,1% au quatrième trimestre de 2017. Avec les réductions d’impôts, les bénéfices ont augmenté de 6%. Entre-temps, cependant, la rentabilité est faible. La rentabilité moyenne des usines en Amérique et dans les économies du G7 reste bien en deçà des niveaux d’avant la crise, même après dix ans de reprise supposée et malgré les injections massives de capitaux de la Federal Reserve et des autres banques centrales des grands pays industrialisés. Le véritable obstacle à la sortie de crise est le faible taux de valorisation du capital. On craint aujourd’hui que la prochaine crise, largement annoncée par les mêmes analystes américains, ne provienne de la combinaison explosive de la dette des entreprises manufacturières aux États-Unis, comme dans toutes les économies du G7, et de la masse globale des dettes.

Par exemple, en 2017, la dette des sociétés non financières américaines a atteint un pic "post-crise" de 14 500 milliards de dollars, soit 72% du PIB. Dans ce secteur, c’est-à-dire les entreprises produisant des biens et services, la dette était supérieure de 810 milliards de dollars à celle de l’année précédente, 60 % de l’augmentation étant due à une augmentation des dettes contractées auprès des banques et des autres institutions financières. Actuellement, les emprunts obligataires représentent 43 % de l’encours de la dette avec une maturité moyenne de 15 ans, contre 2,1 ans pour la période précédente, toujours pour les prêts aux entreprises américaines. Ce qui implique qu’environ 3800 milliards de dollars seront consacrés aux remboursements annuels des emprunts contractés. Une telle montagne de dettes ne peut annoncer qu’autant d’avalanches de remboursements sur le capital reçu en prêt, même si, pour le moment, les taux d’intérêt sont bas. Quoi qu’il en soit, le tableau d’ensemble qui se dégage est le suivant :

« ...toutes les entreprises, tant productives que spéculatives, ont considérablement accru leur recours aux leviers financiers. Certaines entreprises ont contracté des dettes non pas pour investir de façon productive, mais pour financer le rachat d’actions, d’obligations et d’obligations d’État, créant ainsi un important flux de trésorerie et des réserves de liquidités. Essentiellement, le manque de rentabilité des entreprises manufacturières et industrielles les a obligées non seulement à s’endetter progressivement, mais à s’orienter davantage vers la spéculation que vers la production » (Prometeo 2, Serie VII, novembre 2009, The profits crisis behind the financialisation of the economy).

C’est particulièrement vrai pour les grandes entreprises, alors que les petites n’ont même pas cette option, à moins qu’elles ne soient prêtes à courir le risque de faire faillite. Elles restent donc à la merci du marché qui est susceptible de les éliminer. C’est le même schéma de financiarisation de la crise qui a précédé l’éclatement de la bulle des "subprimes". Une grande partie de la dette est notée BBB, la note la plus basse des sociétés d’investissement. Cela signifie qu’elles ne sont qu’à un cheveu au-dessus des valorisations indésirables (junk) et que leur sort est lié à la moindre hausse des taux d’intérêt qui se traduirait par un gonflement des dettes, une augmentation du service de la dette et une augmentation des coûts de production. Le nombre de sociétés notées BBB a augmenté de 50% depuis 2009 et cela ne semble pas s’arrêter. Telle est la véritable situation de l’économie américaine qui est ’sortie’ de la crise. Dette publique, déficit fédéral, déficit de la balance des paiements, dette de la moitié des États américains. En plus de toute la dette publique, il y a l’amoncellement de dettes privées et commerciales. Cette montagne de dettes et de déficits ferait de l’économie américaine la plus précaire du monde sans le rôle hégémonique du dollar et la force de son armée, prête à intervenir aux quatre coins du monde chaque fois qu’il y a le moindre risque d’interférence avec ses objectifs stratégiques et ses intérêts financiers.

Mais comme le dit Michael Roberts dans son ouvrage The long Depression [La grande dépression],

« le gros risque est la combinaison d’une baisse de la rentabilité et d’une hausse de l’endettement dans les secteurs d’activité, non seulement aux États-Unis, mais dans l’ensemble du G7. Si les bénéfices continuent de baisser alors que le coût du service de la dette augmente à mesure que les taux d’intérêt augmentent, alors ce serait une recette dangereuse pour des faillites en chaîne d’entreprises et une nouvelle crise dévastatrice de la dette. La dette mondiale, en particulier celle des entreprises, n’a jamais été aussi élevée ».

Et nous ajoutons : la bombe est déclenchée, quand explosera-t-elle ?

Même à la périphérie du capitalisme, dans les pays dits émergents, se reproduit la même situation. La majorité des entreprises manufacturières et financières des pays "émergents" ont fortement emprunté en dollars, puisque les taux d’intérêt sur le dollar, avant la crise et maintenant, sont relativement bas. La Federal Reserve Bank a délibérément maintenu le taux d’intérêt sur le ’billet vert’ autour de zéro. Une grande partie de l’énorme flux de capitaux qui a migré vers les économies émergentes n’était pas destinée à l’investissement productif, mais a été orientée vers des prêts et des obligations pour des activités spéculatives. Dans le même temps, les flux de capitaux à long terme vers les économies émergentes pour les investissements productifs (IDE, Investissements directs à l’étranger, Foreign Direct Investment en anglais) sont en déclin rapide depuis au moins une décennie, ou depuis le début de la crise des ’subprimes’. Les conséquences sont évidentes : tous les pays touchés par la crise financière ont augmenté les taux d’intérêt de leurs obligations d’État.

L’image des dépréciations auxquelles nous avons assisté au cours de la dernière période, est la suivante :

Obligations d’État :

En Turquie, les taux d’intérêt à payer par l’État aux détenteurs de titres publics sont passés de 12% à 20%, en Argentine de 6% à 26,2%, en Russie de 4% à 8%, en Indonésie de 3% à 9%, au Brésil de 10% à 267% au Liban de 20% à 281%, en Afrique du Sud de 12% à 112% (soit pour trois BRICS sur les cinq).

Dépréciation de la monnaie ou perte du pouvoir d’achat :

Le Peso argentin -46%
La Livre turque -45%
Le Rand sud-africain -22
Le Real brésilien -21%
Le Rouble russe -19%
Le Yen japonais -5,5%

C’est un film déjà vu, un film d’horreur plein de désastres économiques et sociaux. Lorsque le dieu Profit perd son rôle suprême dans la production de plus-value, il fait fuir le capital de l’investissement productif vers la spéculation, vers la création d’une quantité massive de capital fictif. La dette ’gouverne’ désormais l’économie américaine. Toutes les données fondamentales du système économique américain sont dans le rouge. L’endettement étouffe l’activité productive, y compris les entreprises elles-mêmes, menace leur survie sur le marché intérieur et les oblige à suivre les grandes concentrations de capital spéculatif dans l’espoir de survivre à la baisse des taux de profit.

C’est pour protéger de telles entreprises - celles qui sont accablées de dettes et dépourvues d’opportunités d’investissement rentables (dont la moitié ont une notation BBB, juste au-dessus de la pacotille) - que Trump a décidé d’augmenter ses tarifs douaniers contre la moitié du monde, en particulier la Chine. Il ne s’est pas demandé en quoi la Chine, avec ses produits à très bas prix, a jusqu’à présent permis aux plus de 80 millions d’Américains vivant sous le seuil de pauvreté de se nourrir. Il n’a pas tenu compte non plus de la réaction inévitable des régions du monde qui sont maintenant confrontées au mur des droits de douane avec leurs produits plus compétitifs.

En réalité (comme nous l’avons déjà dit), la Chine est une nouvelle puissance en pleine émergence mais avec ses propres problèmes budgétaires (la Chine a aussi une énorme dette publique). Même si elle reste, malgré les sanctions de Trump, le principal partenaire commercial des États-Unis, elle adopte une politique complètement différente orientée vers le développement de la nouvelle "Route de la soie" et la création d’un canal direct de communication et de transfert de marchandises et de capitaux vers l’Occident via les ex-républiques orientales soviétiques ; mais aussi via l’Afrique, par terre et par mer dans le but d’atteindre la Méditerranée après avoir pris le contrôle commercial du port grec du Pirée. C’est une voie où le commerce n’est plus en dollars mais en renminbi [7]. Il s’agit d’un acte de "guerre" manifeste de la part de la Chine, non seulement contre la politique tarifaire américaine, mais aussi pour tenter de faire de sa propre monnaie le concurrent sérieux du dollar sur les marchés mondiaux afin d’en tirer une part du capital étranger et de la plus-value qu’elle contient. Si cela se produit, il y aura un "nouveau" champ de bataille impérialiste plus sophistiqué, mais non moins impressionnante que n’importe laquelle des rivalités actuelles [8].

Les frictions avec la Russie ont également augmenté. L’une des questions litigieuses concerne la possibilité d’échanger du gaz naturel, et peut-être du pétrole, en roubles, à la suite de la lutte acharnée menée ces dernières années par la Russie et l’Arabie saoudite pour éliminer le pétrole de schiste des États-Unis, qui est beaucoup plus cher à produire que le pétrole saoudien. Le renouvellement des sanctions et la politique des tarifs douaniers à l’égard de la Russie s’inscrivent dans une logique de ’défense’ des intérêts américains pour au moins trois motifs fondamentaux :

  1. l’empêcher d’avoir une base permanente en Méditerranée, dans la foulée du sauvetage du régime d’Assad en Syrie par la Russie ;
  2. détacher l’Europe de sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou en construisant une série de pipelines pour remplacer les pipelines russes existants et prévus ;
  3. ne donner en aucune façon l’occasion à Moscou de commercialiser ses ’trésors énergétiques’ sibériens en intensifiant son commerce en roubles, face à la menace qui vient de Chine et du Venezuela de Maduro, de remplacer le dollar. En plus de ces scénarios déjà pleins de tensions et au bord de l’affrontement "quasi direct", les États-Unis ont imposé des droits de douane contre l’Iran et la Corée du Nord, contre le Venezuela et le Canada, et menacent maintenant d’augmenter les taxes sur le commerce avec l’Allemagne et l’Italie. Dans le cas du Venezuela, la politique commerciale de Trump a deux objectifs : le premier est de déstabiliser le gouvernement Maduro qui est déjà durement touché par la crise économique dévastatrice dans tout le pays, tout en favorisant politiquement en finançant l’opposition de droite. La seconde, déjà mentionnée, consiste à empêcher Maduro de vendre du pétrole avec une nouvelle crypto-devise (le petro) qui remplacerait le dollar, au moins dans la zone d’ Amérique latine.

La politique américaine d’imposition de droits à l’importation remonte au mois d’août 1971, lorsque l’Amérique a connu un premier déficit commercial. (2,5 millions de dollars, contre 556 milliards de dollars aujourd’hui). Les États-Unis, qui avaient littéralement inondé le monde de leurs biens après la seconde guerre mondiale, se sont retrouvés, même pas trente ans plus tard, être importateur net de biens et de services. Le déficit lui-même n’était pas élevé, mais il révélait la compétitivité réduite des marchandises américaines et signalait un retournement de tendance dangereux dans les relations avec l’Europe (Allemagne) et le Japon.

Le président de l’époque, M. Nixon, fut contraint de prendre trois mesures historiques pour tenter de sauver les entreprises américaines d’une concurrence étrangère féroce :

  1. augmenter les taxes sur les importations de 12 % ;
  2. dévaluer simultanément le dollar de 12 % (de 35 $ à 38 $ l’once d’or) - créant ainsi d’un seul coup une marge commerciale de 24 % sur le reste du monde ; et
  3. déclarer la fin de la convertibilité du dollar en or. En d’autres termes, nous avons été libéraux tant que nous avons dominé le marché commercial ; lorsque nous perdons cette domination, nous imposons des taxes et des droits sur les importations sans tenir compte des traités de libre-échange que nous avons toujours approuvés auparavant. La même loi s’applique au dollar. Sa dévaluation concurrentielle de 12% a temporairement augmenté les marges de survie de l’industrie américaine et c’était suffisant. L’annonce de la dissociation du dollar avec l’or eut un double impact. D’une part, les coffres américains avec leurs réserves d’or en constante diminution n’étaient plus en mesure de soutenir l’énorme masse de dollars en circulation et en croissance constante sur le marché international. D’autre part, avec la dévaluation du dollar et l’abandon de l’étalon-or, ce furent les spéculateurs, les épargnants et toutes les banques internationales qui avaient auparavant investi dans le dollar comme un actif sûr qui perdirent de l’argent. Néanmoins, les gouvernements américains successifs se sont assurés de continuer à faire du dollar, même s’il n’était plus lié à l’or, la monnaie universelle du commerce mondial, le refuge de dernier recours par excellence, la marchandise dont le coût de production est proche de zéro, un instrument monétaire pour toutes les spéculations, le moyen pour canaliser les énormes flux de capitaux vers l’économie américaine. Mais un dollar fort pénalise inévitablement la compétitivité des produits américains en creusant au fil des années un gouffre de déficit commercial. Pourtant, les différentes administrations ont tout fait pour renforcer le dollar, même en essayant de compenser les dégâts commerciaux. La priorité a été de maintenir la position dominante du dollar sur les marchés monétaires internationaux afin que des flots de capitaux financiers puissent être attirés vers l’économie américaine pour financer les différents déficits, tandis que ce qui restait pouvait être exporté comme capital à investir dans des pays où le coût du travail était bien inférieur à celui du prolétariat américain. Ce rôle clé du dollar est si important qu’après les crises pétrolières du début des années 70, les gouvernements américains successifs n’ont pas hésité à mener des guerres, à la fois pour mettre la main sur les matières premières énergétiques et pour s’assurer que les producteurs de pétrole et de gaz ne s’aventurent pas à traiter avec une autre monnaie que le dollar. Aujourd’hui, les guerres dites pétrolières, et la question ’pérenne’ de la suprématie du dollar, sont toujours aussi importantes que dans les années 70, seul leur cadre géographique a changé et s’est élargi en intensité et en férocité.

Le gouvernement de Trump semble essayer de résoudre la quadrature du cercle, c’est-à-dire de continuer à avoir un dollar fort et une balance des paiements qui, si elle n’est pas en terrain positif, n’en présente pas moins un déficit acceptable. La politique de tarifs douaniers, outre sa valeur politique d’opposition impérialiste à des ennemis jurés et à des opposants commerciaux, est précisément le reflet de cette politique du "vouloir le beurre et l’argent du beurre", c’est-à-dire un dollar fort et une balance des paiements qui ne reflète pas l’affaiblissement constant de ce qui est produit aux États-Unis.

En un mot, les droits de douane mis à part, les guerres générées de temps à autre par les crises économiques, outre la destruction de la valeur-capital en vue d’une reconstruction, sont le pain quotidien du capitalisme, qui permettent d’atteindre avec la force des armes les objectifs économiques et stratégiques que la diplomatie et la concurrence ’normale’ ne peuvent atteindre.

La guerre permanente

C’est pourquoi les guerres, qui n’ont jamais cessé depuis 1945, reflètent la tension croissante entre les États-Unis et les autres puissances impérialistes. Aujourd’hui, la concurrence s’intensifie sur tous les fronts - productif, commercial, monétaire et stratégique - et se transforme en confrontation militaire ouverte. Mais le moteur reste toujours la crise économique/financière, la faible rentabilité des usines, la crise des profits et la spéculation qui s’ensuit, l’énorme dette contractée et le risque qu’une hausse des taux d’intérêt américains déclenche une crise de la dette irrémédiable et les prémisses d’une autre crise mondiale bien pire que celle que les optimistes définissent comme déjà dépassée.

Il a suffi que la tendance à la hausse des taux d’intérêt - en ce qui concerne les rendements des obligations du Trésor américain, tant nominaux que réels à 10 ans - ait atteint respectivement 3,25 % et 1 %, au-dessus des pics de 2011, pour que les marchés financiers de New York rentrent en ébullition le 10 octobre de cette année. Les craintes combinées d’une nouvelle hausse des rendements du Trésor et le risque d’une guerre commerciale avec la Chine ont fait chuter le Dow Jones de 832 points et le S&P500 de 95 points (-3,29 %) à la fin de la journée. Il s’agit de la chute la plus forte depuis le 8 février, date à laquelle le Dow Jones avait chuté de plus de 1000 points. La terreur des marchés et les liquidations qui ont particulièrement affecté les titres du secteur technologique (Nasdaq), étaient également liées aux droits d’importation imposés à la Chine. Mais le détonateur le plus puissant était la crainte que la hausse des taux d’intérêt n’amplifie l’endettement de secteurs productifs entiers, y compris les secteurs technologiques. Les titres de Facebook, Twitter et Netflix ont perdu 20% de leur valeur en un instant. Même Trump a dénoncé ce qu’il a appelé la politique de "folie" de la Fed consistant en une troisième hausse consécutive des taux d’intérêt pour cette année. Tout cela est un signe indéniable d’une crise permanente du capital qui apparaît à la surface sous la forme d’effondrements financiers et, plus fondamentalement, dans l’absence désormais endémique de rendement dans le monde de l’économie réelle. C’est cette dernière qui pousse les capitaux à fuir l’investissement au profit de la voie de la spéculation inutile, sinon plus risquée, de la spéculation.

Voilà donc la seule façon pour le capital de sortir de la crise économique et financière à court terme : dévaluations concurrentielles, spéculation, droits d’importation, exploitation plus intense de la main-d’œuvre, démantèlement de l’État-providence. Toutefois, à long terme, seule une destruction substantielle de la valeur-capital peut résoudre le problème de la crise de la rentabilité du capital. Ce n’est pas un hasard si, pendant la Seconde Guerre mondiale, ce sont les secteurs productifs qui ont été les plus dévastés. Par la suite, cela a permis à l’impérialisme américain d’investir de manière productive dans le renouvellement des infrastructures et la reconstruction d’usines industrielles européennes situées principalement en Italie, en France, en Allemagne et même au Japon et d’exporter son capital financier excédentaire vers les secteurs économiques clés des pays vaincus. Ainsi, un immense espace a été ouvert aux vainqueurs et aux vaincus pour commencer un nouveau cycle d’accumulation. Mais la fin de la Seconde Guerre mondiale n’a pas mis fin à la fureur de l’impérialisme, américain ou russe. De différentes manières stratégiques, ils ont continué à s’affronter l’un l’autre. Non pas parce que la seconde tragédie mondiale n’avait pas assez détruit, mais parce que, en plus de détruire pour reconstruire, l’impérialisme a besoin d’exporter des capitaux, d’investir à l’étranger, de contrôler et d’exploiter les territoires riches en matières premières servant au processus de valorisation du capital et, last but not least, d’exploiter les ressources énergétiques, de gérer leurs voies commerciales et de participer, éventuellement en termes monopolistiques, aux gains de la rente.

En fait, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une longue série de guerres "froides" se sont succédées, c’est-à-dire qu’elles n’ont été menées qu’indirectement par les deux grandes puissances impérialistes, qui étaient sorties victorieuses de cette guerre. Parmi celles-là, il y a eu le conflit en Chine entre 1937 et 1948, où le parti communiste chinois s’est rangé du côté des Russes face à un Kuomintang proaméricain. Après 1949, la Chine a été divisée en deux parties, la partie continentale, qui tombait sous l’influence de la Russie, et l’île de Taïwan, qui est entrée dans l’orbite américaine. Ce n’est qu’un an plus tard que le conflit s’est déplacé en Corée (1950-1953). La guerre du Vietnam a suivi (1962-75) et ensuite les événements guerriers qui ont ensanglanté l’Amérique centrale, au Honduras et au Nicaragua avec et contre les Sandinistes. Comme d’habitude, d’un côté l’impérialisme russe défendait ses ’nouvelles colonies’, de l’autre les États-Unis utilisaient les services du narcotrafiquant panaméen Noriega pour battre les Sandinistes.

Ce dernier, qui a déchargé des tonnes de drogue des cartels colombiens en Amérique dans un département spécial de l’aéroport de Los Angeles interdit aux services américains eux-mêmes, faisait le voyage de retour chargé d’armes fournies par la CIA pour être distribuées aux Contras opérant en Amérique centrale. Nous pourrions continuer à montrer comment l’affrontement entre l’URSS et les États-Unis a déterminé le conflit nationaliste entre Israël et les Palestiniens, la crise des missiles à Cuba, l’affaire du Panama, le débarquement des marines américains, etc... Une guerre sans fin interrompue, non pas par des solutions pacifiques, mais seulement lorsque l’un des adversaires était obligé d’abandonner.

Puis l’URSS a implosé. Une implosion résultant d’une baisse de la compétitivité, d’une augmentation disproportionnée des investissements en biens d’équipement alors que la productivité du travail diminuait ou stagnait, entraînant ainsi un changement dans la composition organique du capital et une baisse inexorable des taux de profit. Malgré leur faible productivité et leur faible rentabilité, les énormes investissements en capital constant qui ont été réalisés ont largement profité à la puissante oligarchie de l’État, qui a tiré son pactole des allocations financières à l’industrie et à l’agriculture. Plus l’État investissait dans du capital constant, même s’il n’était pas très productif, plus l’oligarchie russe avait la possibilité de détourner une partie du capital dans ses propres poches. Une fois de plus, les États-Unis ont joué leur rôle dans le développement de la crise économique du système soviétique en concentrant la concurrence entre les deux pays sur le plan des innovations technologiques militaires et de la course aux armements. L’URSS a été contrainte de s’endetter lourdement pour son armement. Les dépenses consacrées à ce poste ont représenté 23 % du PIB, contre 7 à 8 % pour les États-Unis. Cette énorme disparité a conduit à un déficit démesuré de l’État russe qui a ouvert les premières brèches dans le système économique capitaliste d’État soviétique, un système déjà miné par le fléau d’un taux de profit en baisse constante et d’une faiblesse croissante à la périphérie de son empire.

C’était une situation dans laquelle la CIA et le Vatican ont pu également manœuvrer, surtout en Pologne avec l’expérience de Solidarnosc. L’implosion a effectivement annulé l’expérience "temporaire" du faux socialisme issu de la défaite de la révolution d’Octobre, le premier et le seul (à ce jour) exemple historique de révolution prolétarienne. L’effondrement de l’URSS a été effectivement suivi par dix années de mono-impérialisme américain qui ont donné carte blanche à ses gouvernements successifs sur la scène internationale. C’était l’époque des "premières" guerres du pétrole grâce auxquelles les États-Unis ont étendu leur contrôle sur les aspects connexes de cette industrie, tels que la construction de pipe-lines, de centres de stockage et de raffineries. Ceux-ci devaient évidemment être remis aux compagnies pétrolières américaines et à d’autres sociétés spécialisées liées au pétrole, y compris sur les questions d’ingénierie et de logistique, qui participaient toutes à l’exploitation des rentes pétrolières elles-mêmes. C’est à cette époque que l’impérialisme américain est devenu "ouvert" - lors de la guerre de 1990-1991 en Irak, en Afghanistan, puis lors de la deuxième guerre en Irak en 2003. Toute une décennie fut marquée par des guerres "mineures" mais stratégiquement importantes, comme celles du Sahel en Afrique et celle qui a détruit la Yougoslavie, dernier rempart européen du faux socialisme du Maréchal Tito. Pendant ce temps, la Russie postsoviétique, grâce aux gisements de pétrole et de gaz sibériens, a retrouvé sa place dans les rangs de l’impérialisme international et s’est repositionnée, avec la Chine, comme contrepartie à la superpuissance américaine, donnant lieu à une sorte de seconde guerre froide. C’est à ce moment-là (2011), après l’explosion du "Printemps arabe", que le conflit s’est déplacé vers la Syrie et la Libye.

En Syrie, la Russie soutient Bachar El Assad pour défendre ses intérêts en Méditerranée - avec le maintien des ports militaires et commerciaux de Tartous et de Lattaquié - ainsi qu’au Moyen-Orient contre l’Arabie saoudite, Israël et leur mentor impérialiste américain. Ici, une guerre généralisée se déroule déjà sous nos yeux, une guerre orchestrée par tous les centres impérialistes les plus puissants de la région. Sur le terrain, nous trouvons la Russie et les États-Unis avec leurs alliés correspondants. Aux côtés de la Russie se trouvent l’Iran, l’Irak et le Hezbollah libanais. C’est l’axe chiite du Moyen-Orient. Aux côtés des États-Unis, l’Arabie Saoudite, les Émirats, le Qatar, qui constituent l’axe sunnite - fidèle mais pas tant que ça - aux ambitions de Trump.

En Libye, il y a la France, l’Italie, l’Angleterre et les États-Unis. La France et le Royaume-Uni, soutenus par l’impérialisme américain omniprésent, étaient à l’initiative de l’expédition militaire contre Kadhafi où le double objectif était de supprimer le contrôle de l’ENI (compagnie pétrolière italienne) sur 40% du pétrole libyen (objectif français) et d’empêcher Kadhafi de vendre son pétrole en euros, roubles ou yuan.

En Syrie, nous avons vu la présence massive de tous les principaux responsables du carnage. Avec leurs intérêts divers et souvent contradictoires, de nouvelles alliances se sont formées et d’anciennes se sont dissoutes, dans une série d’épisodes qui ont causé la ruine d’un pays entier avec deux millions de morts et plus de quatre millions de réfugiés. La Turquie, la Russie, l’Iran et l’axe chiite d’un côté. Les États-Unis, Israël et l’axe sunnite de l’autre côté. Chacun a ses propres intérêts à défendre, tandis qu’au milieu, les différents nationalismes kurdes sont devenus l’instrument militaire de certains impérialismes et l’objectif à abattre pour d’autres, même s’ils font partie de la même coalition. Compte tenu du nombre de puissances impliquées, de leurs zones d’influence, de leur engagement actif dans la guerre, nous devons en conclure que nous sommes en présence d’une guerre mondiale "bizarre" où, à quelques exceptions près, notamment la Chine, les principaux antagonistes impérialistes s’affrontent déjà dans une des zones stratégiques des plus importantes du monde. Ce n’est pas le fruit de l’imagination que de penser que le prochain krach financier, poussé par la hausse des taux d’intérêt, conduira à une situation économique mondiale encore pire et entraînera le danger d’une guerre plus généralisée par une intensification des guerres actuelles ou l’apparition de nouvelles.

D’un point de vue politique, au-delà de la nécessité d’analyser ce qui se passe dans le monde, il faut affirmer fermement que la crise n’est pas un accident, une catastrophe naturelle inévitable ou une sorte de malédiction divine, mais le produit du mode de production existant, du capitalisme mondial qui connaît une crise économique profonde à laquelle il ne peut échapper ; qui génère une masse financière égale à 12-14 fois le produit intérieur brut mondial ; qui s’éloigne de la production pour se consacrer à la spéculation car la rentabilité de l’économie réelle ne permet plus les investissements productifs. Bref, c’est la chute du taux de profit qui accélère la concurrence capitaliste et le choc des impérialismes.

Dans ce contexte, la tendance à la guerre n’est pas une simple menace, mais la réalité concrète de toutes les relations internationales et un état de fait qui implique toutes les principales puissances impérialistes de la planète en divers endroits du monde.

C’est une situation qui ne peut être résolue qu’en allant au cœur de la contradiction qui sous-tend l’édifice capitaliste tout entier, c’est-à-dire la relation entre le capital et le travail. Le problème ne peut en aucun cas être résolu en termes de redistribution, comme le supposent toujours les réformistes plus ou moins radicaux, mais seulement en construisant un rapport de force dans la lutte entre les classes et donc une direction politique sous la forme du parti politique de classe. Un tel parti appellera à briser la contradiction elle-même pour jeter les bases politiques et économiques de la construction d’une nouvelle société, une société qui ne soit plus fondée sur le rapport capital-travail, qui ne vise pas à maximiser le profit, sans les guerres qui détruisent pour pouvoir reconstruire, sans l’existence de classes qui supposent la domination économique et politique de l’une sur l’autre. En d’autres termes, une société de producteurs associés qui travaillent et construisent pour des besoins collectifs, où chacun contribue en fonction de ses compétences et capacités particulières. Sinon, ce sera encore la barbarie, la destruction et la mort pour des millions de prolétaires, victimes d’abord de l’exploitation puis de la guerre, qui devront recréer les conditions pour la production du profit lui-même. Il n’y a pas d’autre solution. Soit le prolétariat mondial réussira à échapper aux chaînes du nationalisme, aux mille mécanismes de guerre que l’impérialisme déclenche chaque jour, soit l’explosion d’une des nombreuses bulles spéculatives - peut-être due à la hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale - sera suffisante pour intensifier et généraliser le drame des guerres existantes et faire du monde un immense cimetière.

Soit la guerre, soit la révolution

Ou la guerre ou la révolution. C’est ou la guerre avec son lourd fardeau de mort, de destruction et de barbarie ou bien la révolution au cours de laquelle le prolétariat se charge de donner vie à un nouveau cadre social équitable, communautaire et humain. Mais pour que cela se produise, il faut un parti international fort pour soustraire les salariés à la pensée dominante de la classe dirigeante, emplie de provincialisme, de nationalisme, de racisme : comme si ces manifestations de l’idéologie bourgeoise étaient toujours et en tout cas l’étoile polaire de toute l’humanité. Il est vital de saper et de démolir l’idéologie dominante de la classe dirigeante pour commencer à poser la question d’un choc frontal classe contre classe, pour présenter une alternative à ce système qui ne peut qu’exploiter, provoquer des crises, dévaster l’écosystème, apporter des guerres désastreuses qui ne font qu’annoncer des conflits impérialistes plus graves qui permettront de détruire suffisamment de capital pour reconstruire, pour créer les conditions pour un nouveau cycle d’accumulation. Celui-ci conduira inévitablement aux mêmes problèmes qu’auparavant, mais avec une capacité encore plus grande pour détruire le monde et avec un prolétariat qui n’aura pas su trouver la force d’empêcher une nouvelle barbarie. Pour notre part, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher que cela ne se produise.

Le "dualisme" de la guerre ou de la révolution n’est pas une invention du dieu Mars ou de Prométhée rebelle et enchaîné. Il n’y a pas de cours historique qui mène nécessairement à la guerre ou à la révolution. Le monde ira vers la guerre ou la révolution, non pas parce que l’histoire est déjà écrite dans le Grand Livre, mais seulement comme le résultat de l’équilibre du pouvoir entre la classe dirigeante et la classe subordonnée. Et cela n’est écrit nulle part, sauf dans la conscience de ceux qui travaillent dans une direction ou l’autre. Il n’y a pas de cours de l’histoire qui mènent d’un côté ou de l’autre. Le seul critère valable est d’évaluer l’équilibre du pouvoir entre les classes, les fondements économiques qui conditionnent leur existence, les idéologies qui les dominent et les signaux qui viennent de l’une ou de l’autre classe. Si nous nous aventurons aujourd’hui dans une hypothèse, sur la base des éléments actuels, nous devrions dire que la ’solution’ de la guerre est la plus probable. En effet, dans l’état actuel des choses, l’équilibre du pouvoir est du côté des différentes bourgeoisies impérialistes. Chacune d’elles s’attaque à son prolétariat par une plus grande exploitation, des contrats de travail chaque fois pires, en augmentant la pauvreté relative et absolue. Elles font et brisent les gouvernements les plus absurdes en les soutenant ou en les laissant tomber selon leurs propres intérêts contingents. À l’étranger, c’est-à-dire en dehors de leur marché économique, sous la pression de la crise, elles dressent des théâtres de guerre dont les armées sont le plus souvent composées de prolétaires dans la zone en conflit. Peu importe que les prolétaires soient Kurdes ou Arabes, Chiites ou Sunnites. L’important, c’est qu’ils soient entraînés dans les mécanismes idéologiques de tel ou tel impérialisme et qu’ils agissent comme de la chair à canon au seul bénéfice des intérêts de l’impérialisme qui les a soumis idéologiquement.

En ce qui concerne le prolétariat, c’est le contraire qui est vrai. Au sein de chaque État, il s’oppose rarement aux attaques économiques et aux conditions de vie de plus en plus humiliantes qui lui sont imposées par chaque bourgeoisie respective. Nous vivons à une époque où la crise est si profonde que les potentialités d’obtention des revendications qui caractérisaient autrefois la lutte quotidienne se sont réduites. Aujourd’hui, les travailleurs luttent moins pour une augmentation de salaire que pour les droits sociaux les plus élémentaires, comme le logement, de meilleures conditions de vie et de meilleurs services. Lorsque les travailleurs manifestent dans la rue, ils le font pour se défendre contre les attaques de la bourgeoisie. Ils le font pour garder leur emploi, pour empêcher que certains services ne soient délocalisés ou que l’usine ne soit déplacée à l’étranger où une autre armée de personnes désespérées est prête à être exploitée dans des conditions pires encore. C’est le tableau, l’instantané qui nous fait dire que l’équilibre actuel du pouvoir entre les classes nous pousse à envisager la possibilité d’une guerre encore pire en termes d’intensité de destruction et d’implication des masses prolétariennes internationales. Mais les choses ne vont pas toujours comme la photo instantanée du moment le suggère. Sur une plus longue période, ce n’est pas l’image instantanée mais un film en cours qui pourrait changer l’histoire. En d’autres termes, l’équilibre du pouvoir entre les classes peut changer au cours des événements.

N’oublions pas la révolution d’Octobre qui eut la force d’éclater en pleine Première Guerre mondiale. Alors, il y avait aussi une crise économique mondiale ; les différents prolétariats européens étaient sous la bannière de leurs impérialismes respectifs et le nationalisme faisait rage dans le monde entier. Mais le prolétariat russe a relevé la tête, s’est opposé au carnage de la guerre, a combattu pour la révolution contre la barbarie impérialiste avec son parti, ses tactiques et sa stratégie communiste.

Puis vint l’isolement des autres expériences révolutionnaires en Europe et l’énorme recul économique encouragea les forces de la contre-révolution, même au sein du parti bolchevique lui-même.

Les révolutionnaires n’ont donc pas seulement pour tâche d’analyser comment les choses vont se passer, que ce soit du fait d’un destin prédéterminé ou par un caprice des dieux, mais d’étudier la situation économique et sociale au fur et à mesure que la crise capitaliste se développe. Les communistes révolutionnaires ont pour tâche de créer les conditions subjectives de la révolution, non pas en opposition au rapport de forces entre les classes, mais en harmonie avec tout changement soudain et inattendu dans ces mêmes rapport de forces qui se manifesterait dans une direction plutôt que dans une autre. Parmi les objectifs subjectifs que les révolutionnaires doivent viser, il y a la construction du parti communiste international sans lequel tout changement de cap dans les rapports entre les classes, toute reprise de la lutte de classe se terminerait sans tactique ou stratégie quotidienne pour parvenir à une alternative au capitalisme. Nous resterions coincés dans le même sillon capitaliste tragique qui génère toutes les crises et toutes les guerres. Ici aussi, la révolution d’Octobre nous a donné une grande leçon. Sans le parti bolchevique, des dizaines de millions de paysans et des millions de travailleurs se seraient détournés de toute solution révolutionnaire et auraient été réabsorbés dans le climat nationaliste mystique. Ce qui s’est passé ensuite fait partie d’un autre aspect de l’histoire que nous pourrions appeler ’révolution et contre-révolution’. Aujourd’hui, il s’agit de ’guerre ou révolution’ et de tirer les leçons du passé qui ont conduit à la victoire du prolétariat russe et d’identifier les conditions défavorables et les erreurs qui en ont accéléré l’échec.

TCI (FD), 2 décembre 2018

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Notes:

[2. Révolution ou guerre #10, http://igcl.org/Quelques-commentaires-et.

[3(NdT) effectivement, la crise elle même a été « financiarisée ». Non content de titriser des actions pourries, les capitalistes spéculent sur la crise pour rendre ces nouvelles actions encore plus rémunératrices car hautement à risque.

[4oecd.org

[5(NdT) ou Assouplissement quantitatif en français ; c’est en fait une nouvelle technique de création monétaire ou planche à billet moderne.

[6[[Selon J Rickards, dailyreckoning.com, en novembre 2018, la dette des États-Unis a atteint à peu près 21,6 mille milliards de dollars ($21.6 trillion).

[7Renminbi (RMB), nom officiel de la monnaie chinoise, qui se traduit par « monnaie du peuple ». Yuan, nom désignant communément la monnaie chinoise comme unité de compte. [NdT].

[8Sur la rivalité croissante et intense entre les États-Unis et la Chine, cf. US Power and the New Course Towards War in Revolutionary Perspectives 12 ; et Long Held US Fears Becoming Reality dans Revolutionary Perspectives 11 [ 2018].