(Semestriel - février 2019) |
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Luttes ouvrières et révoltes populaires : la responsabilité historique du prolétariat dans la période présente
Les grèves ouvrières et les révoltes populaires contre la misère capitaliste se sont multipliées ces derniers temps tout autour du globe. Tous les continents sont touchés. Ne serait-ce que depuis décembre 2018, des grèves de dizaines de milliers de travailleurs se sont déclarées en Inde à Calcutta, au Bangladesh dans plus de quatre-vingt usines de textile – des ouvrières essentiellement –, au Cambodge, en Chine, au Chili à Valparaiso, en Roumanie et en Hongrie à l’usine d’Audi. Nombre de ces grèves sont "sauvages", c’est-à-dire sans syndicat, parfois même contre les syndicats. Presque toutes gagnent la rue, bloquent les routes et s’affrontent à la police. Dans le même temps, des révoltes populaires dans lesquelles les prolétaires se mêlent aux sans-emploi, aux déclassés, aux petit-boutiquiers ou auto-entrepreneurs de toute sorte ont éclaté au Soudan, au Maroc, en Tunisie, en Irak à Bassorah s’additionnant ainsi aux grèves et manifestations ouvrières. Prise en soi, cette recrudescence de luttes et de révoltes contre la misère et la faim pourrait sembler n’exprimer qu’un phénomène constant de la vie du capitalisme. Mais l’observateur attentif ne pourra manquer de s’interroger sur la simultanéité et la radicalité croissantes de ces luttes sociales et le révolutionnaire de relever quatre luttes particulières qui indiquent que la lutte des classes internationale aborde un nouveau chapitre de son histoire.
Dynamique de grève de masse en Iran et au Mexique
C’est un véritable phénomène de grève de masse qu’a connu l’Iran, affectant les pays voisins comme l’Irak, durant l’année 2018 dont le foyer principal furent l’usine de sucre de la ville Haft Tapeh et l’usine sidérurgique de la ville d’Hawaz dans la région du Khouzistan [1]. La vague de lutte démarra dans la région de Markarzi. « Le 16 février 2018, les ouvriers en rage de l’usine Hepco de la ville d’Arak manifestèrent pour le paiement d’arriérés de salaires vieux de 18 mois. Avec amertume et humour noir, ils crièrent "mort au travailleur, paix pour les oppresseurs". Les jours suivants, il y eut plus de manifestations avec de nouveaux slogans : "les ouvriers désespérés doivent être exécutés" ; "un financier corrompu doit être libéré". Ces slogans résonnèrent dans tout le pays. Au cours des semaines suivantes, le contenu des slogans devint plus tranché et se moquait des mots d’ordre "anti-impérialiste" du régime : "ils ne paient pas nos salaires, mort à l’Amérique". Ensuite les sarcasmes furent abandonnés et le régime plus directement visé : "Écoutez-nous imans du vendredi, nous sommes des travailleurs pas une populace" ou encore "notre ennemi est ici, c’est bidon de dire que c’est l’Amérique" » (Tendance Communiste Internationaliste, Iran : guerre de classe contre les prétentions impérialistes [2]). Aujourd’hui encore, et alors que les mobilisations perdurent à Hawaz et Halft Tapeh, manifestations et révoltes, souvent de femmes, continuent dans le pays jusqu’à Téhéran au cri de « pain, travail, liberté ». Outre la dynamique de grève de masse dans laquelle grèves, manifestations, révoltes, voire émeutes se propagent à tout le pays, parfois s’arrête ou baisse d’intensité, pour mieux repartir et exploser de nouveau ici ou ailleurs, l’autre force de cette lutte prolétarienne est de se développer dans un pays en état de guerre, qui intervient militairement en Syrie, en Irak, voire au Yémen, et dont les ambitions impérialistes sont fragilisées, voire contrecarrées directement, par ces luttes et ce climat de révolte sociale.
C’est la même dynamique de classe qui a vu, voit encore à l’heure où nous écrivons, près d’une centaine de milliers d’ouvriers – là-aussi beaucoup de femmes – s’engager dans une lutte ’sauvage’, contre les syndicats, dans les usines d’assemblage, les maquiladoras, du nord du Mexique à Matamoros en particulier. Au bout de trois semaines de lutte, une vingtaine d’entreprises sur la trentaine en grève ont dû céder à une partie des revendications ouvrières augmentant les salaires de 20 % et octroyant une prime de 1700 dollars US. Le nouveau président mexicain de gauche, Lopez Obrador, a dû intervenir et menacer d’envoyer l’armée. « Nous recherchons la conciliation et l’accord surtout à Matamoros », a-t-il dit. « Il n’est pas conforme qu’ils n’aient pas trouvé d’accord. Il semble que les travailleurs se soient rebellés contre leurs dirigeants syndicaux, et l’affaire est devenue incontrôlable » [3]. Au même moment, des milliers d’enseignants du Michoacan bloquaient les routes et « 200 trains au total ont été bloqués ce qui explique que les pièces automobiles, l’essence et les céréales importées font partie des produits qui n’ont pas pu atteindre leur destination » (Mexico News, 28 janvier 2019 [4]).
La dynamique de la grève de masse, aussi confuse et chaotique puisse-t-elle apparaître à beaucoup, porte en elle, du fait de son opposition frontale au capitalisme, l’affirmation du prolétariat comme classe et sa confrontation à l’État capitaliste lui-même tant au plan politique, contre le gouvernement, contre les syndicats et les partis bourgeois – y compris de gauche –, que face à la violence et à la répression étatique. En ce sens, les ouvriers de Matamoros et ceux d’Haft Tapeh indiquent la voie à suivre pour le prolétariat international.
Ils montrent le chemin à leurs frères et sœurs de classe de l’autre côté du mur qui obsède tant Trump. Les grèves qui touchent depuis plusieurs mois le secteur de l’enseignement, principalement des institutrices-instituteurs, aux États-Unis, région après région, dernièrement à Los Angeles et à Denver, prend dans ce contexte général de luttes internationales une signification de la plus haute importance. La classe ouvrière américaine, celle de la première puissance impérialiste, celle où la bourgeoisie a finalement choisi Trump, soi-disant élu par les "cols bleus", existe et lutte elle-aussi. En l’occurrence, l’impact et l’écho des luttes au Mexique se répercutant de manière quasi directe aux États-Unis, en luttant les ouvriers tendent à transformer la frontière qui sépare les deux pays en un pont conduisant à l’unité des deux prolétariats.
Grève de masse et révoltes populaires
Nous l’avons relevé, il est un autre type de luttes sociales qui tend aussi à se généraliser : celui des révoltes populaires. Qu’elles soient contre la faim, contre l’absence de nourriture ou d’emploi, voire contre la répression, qu’elles aient lieu au Soudan, aux pays du Maghreb, à Bassorah en Irak, en Jordanie, parfois dans des pays d’Amérique dite latine, et quelles qu’en soient les formes d’expression, manifestations, émeutes, voire pillages, ces révoltes se dressent contre la misère généralisée. Même si de nombreux prolétaires y participent directement ou indirectement, la plupart du temps ces révoltes tendent à s’identifier au peuple plutôt qu’à une classe. De ce fait, elles sont d’autant plus facilement la proie des pièges nationalistes et démocratiques et se terminent souvent en impasse, voire en défaite sanglante. Il en fut ainsi lors des printemps arabes de 2010, le drame syrien en étant l’expression la plus barbare.
Mais avouons-le, nous étions loin d’imaginer qu’un mouvement de ce type, regroupant des classes et couches sociales diverses puisse éclater et modifier autant la situation politique dans un des principaux pays européens comme la France. Le deuxième communiqué, ci-après, que nous avons publié le 27 janvier sur le mouvement des gilets jaunes fournit, nous l’espérons, les principaux éléments et arguments pour comprendre la réalité de cette lutte particulière et ses enjeux politiques.
Il est certain que le mouvement des gilets jaunes marquera un avant et un après dans la dynamique des conflits de classe en France. En particulier et d’une certaine manière, ils répondent – du moins leur composante ouvrière – aux échecs des cheminots du printemps 2018 [5] et de la lutte contre la loi-travail en 2016. Il indique que la tactique des journées d’action syndicale ne suffira plus à contrôler la classe ouvrière et à la détourner de l’affrontement politique contre l’État et tout son appareil. L’écho international qu’il a reçu laissera aussi des traces et fournira une expérience pour l’ensemble du prolétariat international de par ses caractéristiques et, en particulier, de par son degré d’affrontement avec l’État. Il pose aussi beaucoup de questions aux ouvriers combatifs et aux révolutionnaires que ceux-ci auraient tort, surtout une fois les gilets jaunes clairement dans l’impuissance politique, d’ignorer comme s’ils pouvaient – comme si nous pouvions – revenir à nos certitudes et schémas antérieurs. Même si c’est fondamentalement juste, il serait sans intérêt d’expliquer de manière fataliste l’échec des gilets jaunes par le seul fait que le prolétariat, comme classe, ne soit pas entré directement en lutte ouverte. Certes, il est la seule force qui puisse fournir une véritable perspective à ce type de mouvements et révoltes ’populaires’ et les sortir de l’impasse politique dans laquelle leur caractère inter-classiste les condamne. Il n’en reste pas moins que l’attitude concrète du prolétariat comme tel face à l’éclatement de ce type de révoltes sociales qui ne peuvent que se multiplier, et donc l’orientation de l’intervention des groupes communistes, doit être réfléchie et clarifiée.
D’où l’intérêt de la contribution d’un camarade des Pays-Bas que nous reproduisons ci-après notre communiqué. Tout commentaire ou réponse sur les deux documents seront les bienvenus. La période de confrontations massives entre les classes qui s’ouvre ne manquera pas, elle le fait déjà, de poser de nouvelles questions et de nouveaux problèmes au prolétariat et à ses minorités politiques.
Notes:
[1] . Nous renvoyons le lecteur aux articles de la Tendance Communiste Internationaliste et de Nuevo Curso en particulier qui ont décrit les événements et comment les ouvriers s’organisèrent en véritable shora, ce qui veut dire conseil ouvrier, du moins en comité de grève pour organiser et étendre la lutte et pour faire face à la répression.
[5] . Cf. RG #10 : http://igcl.org/Rapide-bilan-de-la-defaite-des et RG #6 : http://igcl.org/Reflexions-et-bilan-sur-la-lutte.