(Semestriel - février 2019) |
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Thèses sur la question syndicale (Gulf Coast Communist Fraction)
Nous avions rapidement mentionné le groupe américain Gulf Coast Communist Fraction dans le numéro précédent. Il a publié son premier texte en mars 2018 sur son site web [1]. Dans le second, La nécessité de fractions communistes, le groupe établissait sa filiation historique dans le cadre de « la Gauche italienne à l’étranger (1927-1393), de la Fraction française de la Gauche communiste (1939-1943) et de la Gauche communiste de France (1943-1952) ». En collaboration étroite avec Workers Offensive (USA), sous l’impulsion active de Nuevo Curso (Espagne) et avec la participation de la TCI et de nous-mêmes, le GCCF a depuis lors développé des discussions internes afin que ses membres puissent débattre et se définir de manière plus précise sur les positions de classe et, ainsi, commencer à se réapproprier l’expérience de la Gauche communiste internationale. En particulier, les camarades ont publié des positions de base du groupe, Vers des points d’unité [2], « avec lesquelles tous les membres de la fraction doivent être d’accord ». Nous avons pris position sur cette ’plateforme’ dans un courrier que le GCCF a publié sur son site en anglais. Dans cette lettre, tout en saluant l’effort consistant à se positionner sur le plan politique comme méthode de clarification, nous avançons quelques points critiques et surtout attirons l’attention des camarades sur le fait qu’il peut être prématuré et artificiel d’exiger que « tous les membres [soient] d’accord » sur ces points si ces accords ne découlent pas d’un processus de discussion, de clarification et de définition politique un minimum approfondi.
Les thèses du GCCF sur la question syndicale que nous reproduisons ici sont l’illustration, de par les contradictions politiques qu’elles contiennent, de cette nécessité de discussion, de clarification et de définition politique au sein du groupe en lien avec l’ensemble du camp prolétarien. Nous les faisons suivre de notre propre participation au débat du GCCF que nous leur avons fait parvenir. Nous sommes certains que la réflexion sur cette question fondamentale intéressera bien au-delà des seuls camarades du GCCF.
Une précision : la discussion internationale sur la question syndicale est bien souvent rendue difficile, en particulier avec les camarades et groupes du monde anglo-saxon, du fait du système syndical du ’closed-shop’ qui n’existe pas, ou peu, dans les autres pays, particulièrement en Europe continentale – tout spécialement en Italie, France, Espagne, Portugal, etc (sauf dans quelques rares exceptions). Les thèses ci-après se réfèrent à cette situation qui voit les travailleurs être obligés de se syndiquer pour pouvoir être embauchés et bénéficier des accords signés par les syndicats alors que ce n’est pas le cas dans les autres systèmes syndicaux, ni pour l’embauche, ni pour ’bénéficier’ des accords d’entreprise ou de branche. Du coup, il est souvent plus difficile, surtout pour les jeunes camarades sans expérience directe de lutte ouvrière, de saisir la différence entre participer à toute réunion tendant, ou visant, à rassembler l’ensemble des salariés d’un lieu de travail particulier que ce soit dans le cadre d’une assemblée générale ou bien dans un cadre formel de réunion syndicale, les deux appelées ou non par les syndicats, d’avec une participation à la vie de l’appareil syndical comme tel et qui vise à s’opposer et à saboter toute réunion générale des ouvriers. Cette difficulté apparaît particulièrement dans ces thèses d’autant plus que la discussion est obscurcie par le fait que certains membres du GCCF étaient influencés, voire membres, d’une section locale des IWW… dont les expressions locales sont parfois syndicales et parfois des groupes politiques gauchistes locaux.
Thèses sur la question syndicale (GCCF)
Introduction
Si l’on regarde les positions de base de notre fraction, on remarquera qu’un point important en est absent : la question syndicale. Ce fut un point significatif de désaccord entre les membres de notre fraction. Certains avaient de fortes sympathies syndicalistes, d’autres s’identifiaient avec les positions historiques de la Gauche allemano-hollandaise sur les syndicats, et le reste restait neutre sur la question. Les membres qui avaient des sympathies pro-syndicalistes étaient des membres payant leurs cotisations aux Industrial Workers of the World (IWW) depuis quelques années bien qu’ils n’aient jamais fait partie d’une branche officielle adhérente. Ce fut pour ces raisons que la forme syndicale ne fut pas traitée dans nos positions de base. Ce ne fut qu’à partir de la correspondance et de la coordination avec le groupe Workers Offensive (de Miami) que nous pûment développer et solidifier une position débarrassée de toute illusion syndicaliste [3]. Nous devons à nos discussions avec Workers Offensive la formulation de nos thèses.
Thèses
1) Le syndicat n’est pas simplement une collection de travailleurs unis par un but commun. Les syndicats sont une forme particulière d’organisation avec une finalité particulière : la négociation et l’application des contrats de travail.
2) En vertu des propriétés inhérentes à la forme syndicale elle-même, le syndicalisme ne peut jamais rompre avec le rapport capital-travail ni en théorie, ni en pratique. Même l’objectif final du syndicalisme ’révolutionnaire’ – l’organisation d’un seul grand syndicat – est totalement limité par le présupposé de ce rapport.
3) Il n’y a pas de distinction significative entre le syndicalisme de négociation [’business’] et le syndicalisme de base. La division entre la bureaucratie (ceux qui négocient-appliquent les contrats) et la base (ceux sur qui le contrat s’applique) est un résultat inévitable du contrat de travail comme la fonction définissant la forme syndicale. Au fur et à mesure que les contrats sont obtenus, les syndicats ’de base’ tendent à produire une couche séparée de la classe elle-même assignée à la tâche de négociation/application des contrats de travail.
4) Les syndicats furent à l’origine une forme défensive d’organisation durant la phase ascendante du capitalisme. Mais, dans sa phase déclinante, le syndicat fonctionne comme un instrument du capital régulant le prix de la force de travail. Les quelques gains qui pouvaient être possibles au sein de la société capitaliste existante, étaient obtenus par la confrontation directe de la classe au rapport travail salarié, exprimant effectivement la négation du travail salarié ce que la forme syndicale est incapable d’effectuer.
5) Même en terme de finalité réformiste, il est devenu de plus en plus clair que la forme syndicale est inadaptée pour organiser les travailleurs dans leur combat pour des revendications immédiates, particulièrement dans le secteur public. Avec la précarisation du travail et son intensification, les syndicats sont incapables de protéger les intérêts du travail même comme simple facteur du capital.
6) Les communistes devraient se concentrer sur l’organisation de cellules d’entreprise qui ne les relient pas aux contrats avec l’employeur comme un organe défensif alternatif de la classe.
7) Dans les cas de lieux de travail déjà syndiqués [au sens donné par le système de closed-shop, ndt], il serait stupide que les communistes s’abstiennent de participer au syndicat sur leurs lieux de travail car cette politique abandonnerait la base [rank-and-file, ndt] aux assauts sans opposition de la direction syndicale [’leadership’], et donc ruinerait la possibilité qu’une minorité révolutionnaire puisse avoir une présence sur le lieu de travail.
8) Dans les cas où la majorité des travailleurs d’une entreprise donnée décident de se syndiquer, il serait aussi stupide pour les communistes de s’abstenir de participer à ce processus sur leur lieu de travail.
9) Bien que les communistes doivent se joindre à la base dans de nombreux cas, ils devraient toujours éviter de faire partie de la direction [syndicale].
10) Que ce soit à l’intérieur ou en-dehors des syndicats, en lien avec l’auto-organisation croissante de la classe, la tâche d’ensemble pour les communistes est de lutter contre les syndicats comme instrument du capital.
11) Les IWW [4] ne sont pas un contre-exemple aux critiques marxistes du syndicalisme. Au niveau national, les IWW d’aujourd’hui ne sont pas un syndicat. Ils sont pour la plupart [de leurs organisations locales, ndt] une association contre-culturelle civique.
12) Dans la majorité des GMB [General Membership Branch, les sections locales des IWW], les IWW ne fonctionnent pas comme un syndicat, mais plutôt comme un groupe politique gauchiste qui utilise une forme éclectique d’organisation. Le Burgerville Workers Union est une des quelques branches des IWW qui fonctionne comme un syndicat et la critique du syndicalisme s’applique à celle-ci comme à de nombreux syndicats ’de business’ [d’entreprise, ndt].
13) Le Burgerville Workers Union ne prouve pas qu’une syndicalisation généralisée dans le service public soit possible. Mais il démontre comment la syndicalisation, dans un contexte spécifique, peut fonctionner comme un ’public relation’ proche du ’commerce équitable’ [fair trade].
14) Nous affirmons que la thèse selon laquelle la fin des vieux IWW était due à leur échec à se reconnaître comme un parti politique, ce qui a des implications pour aujourd’hui [5]. Au contraire, les IWW d’aujourd’hui se limitent à faire du syndicalisme d’industrie leur objectif final alors que nous les encouragerions plutôt à continuer à se recentrer sur les réseaux de solidarité et la lutte politique ouverte.
15) Selon les sections locales [GMB], nous ne rejetons une coordination limitée avec les IWW dans certaines luttes.
Notes:
[3] . workersoffensive.org [note du GCCF].
[4] . Le syndicat révolutionnaire américain fondé en 1905, Industrial Workers of the World, est restée une organisation de masse jusqu’à la fin années 1920. Il continue de nos jours à avoir à la fois des sections syndicales en entreprise et des sections locales qui, de fait, sont des regroupements politiques locaux, note GIGC.
[5] . http://en.internationalism.org/ir/125-iww [Note du GCCF].