Révolution ou Guerre n°9

(Semestriel - Février 2018)

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Correspondance avec une camarade : combattre pour l’unification des luttes et s’opposer à la Gauche bourgeoise.

Nos prises de position sur le résultat des élections françaises (cf. le numéro précédent [1]) ont soulevé beaucoup d’intérêt et de questionnements, voire de désaccords, tant de la part de lecteurs et sympathisants que de la part de groupes et cercles politiques. Et cela au niveau international. Certains de ces questionnements portaient sur notre analyse générale sur les reconfigurations en cours des appareils politiques des principales puissances impérialistes “ occidentales ”. Les autres questionnements portaient sur l’autre volet de l’élection de Macron : la montée d’une nouvelle gauche radicale autour de la personne de Mélenchon, presque 20 % des voix, que les communistes doivent dénoncer et dont les ouvriers doivent non seulement se méfier, mais aussi apprendre à combattre et à déjouer les pièges politiques tout comme ils se doivent de le faire face aux sabotages de leurs luttes par les syndicats. Nous publions ci-après une correspondance avec une camarade qui porte précisément sur l’attitude à adopter face aux forces politiques de gauche bourgeoises dans le combat pour “ l’unification des luttes ”.

Lettre de la camarade V.

Bonjour,
Je recherchais d’autres envois que vous m’avez fait et en cours de route je relis ce message que vous m’aviez envoyé en mai, et sa conclusion m’interpelle, elle est la suivante : 
« Voilà pourquoi le fait marquant de ces élections du point de vue du prolétariat est la confirmation et la préparation politique accrue d’une gauche capitaliste radicale autour de Mélenchon. Comme ce fut déjà le cas au cours des mobilisations du printemps 2016 contre la loi travail, la France Insoumise autour de son leader et toutes les forces politiques et syndicales tournant, ou s’articulant autour, Nuit debout, les groupes trostkistes, staliniens, anarchistes, se préparent à saboter les combats ouvriers qui viennent en adoptant un langage des plus radical et en occupant pour les travestir tous les champs du combat de classe. 
Voilà aussi pourquoi les prolétaires les plus conscients de ces pièges et impasses, et désireux de s’engager pour l’extension et l’unification du combat de classe contre le capitalisme et son État, doivent chercher à se regrouper et s’organiser pour mener la lutte politique contre ces forces et leur sabotage d’autant plus qu’elles se présentent déjà, et se présenteront toujours plus, sous un jour radical, ouvrier et anti-capitaliste. »

Pensez-vous pouvoir faire une unification du combat de classe, chercher à regrouper et s’organiser, en excluant dès le départ et en portant ’la lutte politique contre’ ces forces et leur sabotage, "gauche capitaliste radicale", "trotskistes, staliniens, anarchistes" ? Y aurait-il une classe prolétaire pure ? Je suis assez d’accord avec votre analyse de cette "gauche capitaliste radicale autour de Mélenchon", cependant, aussi naïve puisse-t-elle paraître, (car j’ai conscience de mes lacunes en connaissance politique), pour moi la classe prolétaire est tout ce qui n’est pas la classe capitaliste. Qu’est donc Mélenchon selon vous ? "Sabotage" : volontaire/involontaire ? "se présentent sous un jour : quel ’jeu joue-t-il" ? Je ne comprends pas bien par contre que vous mettiez dans le lot les anarchistes, trotskistes etc.
A bientôt, fraternellement, V.

Notre réponse

LE GIGC à la camarade V.
Chère camarade,

En premier lieu, nous nous excusons pour le retard de cette réponse. Il y aurait plusieurs points à aborder pour répondre à ta question. « Pensez-vous pouvoir faire une unification du combat de classe, chercher à regrouper et s’organiser, en excluant dès le départ et en portant ’la lutte politique contre’ ces forces et leur sabotage, ’gauche capitaliste radicale’, ’trotskistes, staliniens, anarchistes’ ? » nous demandes-tu. Il y a dans cette interrogation critique deux points essentiels à clarifier :
- ce qu’est l’unification du combat de classe ;
- et si ces courants politiques peuvent agir pour cette unification.

La question de l’unification du combat de classe n’est pas un principe abstrait en soi. Elle répond à la nécessité pour le prolétariat d’imposer à l’occasion de chaque lutte un rapport de force au capital et à la classe bourgeoise pour pouvoir défendre, ne serait-ce qu’à minima, ses intérêts immédiats et développer autant que faire se peut sa perspective révolutionnaire. Les deux, défense des intérêts matériels et développement de la perspective révolutionnaire d’affrontement à l’État capitaliste, sont étroitement liés et “ interactifs ” quelles que soient les limites de la lutte elle-même et la conscience immédiate des travailleurs qui y participent ; et cela y compris dans la période révolutionnaire. Concrètement il s’agit de briser l’isolement de la lutte ouvrière, de chercher à l’étendre au-delà de l’atelier, de l’entreprise, de la corporation, du secteur, etc., et même au-delà du cadre national quand cela se pose, pour pouvoir s’opposer avec la plus grande efficacité possible, selon les moments, à l’État capitaliste et à la classe dominante. En cela la lutte prolétarienne est à la fois une lutte économique et politique.

Qu’est-ce que "l’unification du combat de classe" ?

L’unification du combat de classe ne se pose donc pas comme une unification des organisations politiques, en général dites “ de gauche ”, qui se revendiquent – à tort ou à raison, nous y revenons ensuite – de son combat et prétendent parler en son nom ou bien encore défendre les intérêts prolétariens ; mais comme regroupement et unification des travailleurs eux-mêmes dans la lutte. Aujourd’hui, l’expérience amère des mobilisations de ces dernières décennies qui furent toutes des échecs, aussi bien en France que dans les autres pays, souligne combien l’unité syndicale et des forces de gauche n’est pas synonyme d’extension et d’unification des luttes ouvrières mais plutôt de leur division et de leur impuissance [2].

Voilà pourquoi nous insistons sur le fait que les ouvriers en lutte doivent assumer la confrontation politique contre ces forces syndicales et politiques qui, de fait, d’une manière ou d’une autre, visent à empêcher l’extension et l’unification du combat. Voilà aussi pourquoi nous estimons que les révolutionnaires ont un rôle éminent, premier, dans le combat politique pour l’unification des luttes. Par définition, ils sont parmi les plus clairs, sinon les plus clairs, précisément parce qu’ils sont censés connaître les forces syndicales et politiques qui s’opposent à l’extension et à l’unification et qu’ils sont censés être particulièrement armés, théoriquement, politiquement et organisationnellement, pour comprendre et dénoncer les pièges et les manœuvres syndicales et politiques. Voilà enfin pourquoi nous luttons pour regrouper les forces réellement communistes et, à terme bien sûr mais aussitôt que possible, constituer le parti mondial du prolétariat.

Les forces politiques de “ gauche ” contre l’unification du combat de classe

Ceci posé, pourquoi dénonçons-nous les courants politiques dits “ de gauche ”, tels la France Insoumise de Mélenchon, ou encore Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, Syriza en Grèce, le Québec Solidaire au Canada, pour n’en citer que quelques uns, et plus généralement les courants politiques stalinien, trotskiste ou encore anarchiste et les organisations politiques [3] qui s’en réclament ? Non pas parce que nous serions d’indécrottables sectaires mais parce que l’expérience des luttes nous enseigne que ces courants et groupes politiques développent toujours des orientations politiques qui s’opposent, de fait et sous une forme ou une autre, à l’unification du combat de classe et à l’affrontement contre l’État capitaliste. Il suffit de relever leurs orientations, leur soutien aux syndicats et leurs mots d’ordre lors des dernières grandes mobilisations ouvrières comme en France bien sûr (2003, 2007, 2010, 2016) mais il en va de même dans tous les pays [4]. La raison principale pour laquelle ils sont incapables, indépendamment de la sincérité et de la conviction des individus qui y militent, de se situer dans le camp du combat pour l’unification de classe est d’ordre historique. Ce n’est pas “ nous ” – les communistes – qui décrétons qu’ils sont dans le camp bourgeois mais l’expérience historique.

Il est deux moments fondamentaux qui déterminent le caractère prolétarien des courants et organisations politiques se revendiquant du mouvement ouvrier en fonction de la position réelle qu’ils adoptent et défendent alors : la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne. En août 1914, le courant social-démocrate international, la 2e Internationale, comme un tout a trahi le principe de l’internationalisme prolétarien au profit de l’union nationale et de la collaboration de classe pour la 1er Guerre mondiale [5] entraînant ainsi la plupart des grands partis socialistes dans la collaboration de classe. Les partis et fractions de la 2e Internationale qui n’ont pas trahi alors le prolétariat, une minorité, se sont vus confrontés ensuite à la Révolution Russe. Les uns ont été soit actifs dans l’insurrection d’Octobre – la fraction bolchevique du parti social-démocrate russe – ou l’ont soutenu tels Rosa Luxemburg et les spartakistes en Allemagne, ou encore la fraction abstentionniste en Italie derrière la figure de Bordiga pour ne citer que ces deux cas. Les autres, en Russie les mencheviques restés “ internationalistes", certains pacifistes durant la guerre, une partie du courant “ centriste ” du parti social-démocrate allemand ou encore le parti socialiste italien, s’opposèrent à la prise du pouvoir par le prolétariat en Russie et à la révolution en Allemagne. Le positionnement et l’attitude des uns et des autres par rapport à la révolution internationale et à la question de l’insurrection ouvrière durant la vague révolutionnaire 1917-1923 finit alors de clarifier définitivement la scission entre “ socialistes ” et communistes dont la conséquence et le facteur politiques majeurs fut la constitution de la 3e Internationale en mars 1919. Août 14 manifesta la mort du courant social-démocrate comme un tout pour le prolétariat et la Révolution Russe provoqua, elle, la mort de ses rares partis et fractions qui étaient restés pacifistes durant la guerre, qui ne s’étaient pas directement souillés les mains du sang des tranchées, mais qui ne réussirent pas à rompre avec la sociale-démocratie opportuniste.

C’est le même processus qui affecta la 3e Internationale à partir de son adoption de la thèse du “ socialisme en un seul pays ”, sous l’influence du stalinisme, qui signifiait sa trahison, comme parti mondial du prolétariat, de l’internationalisme prolétarien. La participation des “ PC ” à la 2e guerre impérialiste mondiale marqua définitivement, si tant est que ce ne fut pas plus tôt, le passage net et sans discussion de ces partis dans le camp bourgeois. Et il en fut de même… pour les courants trotskistes et anarchistes qui, au nom de la lutte anti-fasciste et du frontisme avec les forces de gauche, participèrent activement à la Résistance “ anti-boche ” durant la guerre mondiale après avoir entraîné les ouvriers dans l’impasse et le massacre de la guerre inter-bourgeoise, impérialiste, en Espagne.

Or, l’histoire nous enseigne aussi que ces courants politiques, ayant trahi “ une fois ” la classe et ses principes fondamentaux, sont définitivement morts pour le prolétariat. Non seulement parce que leur trahison est le résultat d’un processus opportuniste au plan théorique et politique qui définit précisément la singularité de ces courants, le stalinisme et “ le socialisme en un seul pays ”, le trotskisme et le frontisme anti-fasciste, avec lesquels il faudrait rompre pour rester fidèle au marxisme et au communisme ; mais aussi parce qu’ils sont de fait, à un degré ou à un autre, absorbés et intégrés idéologiquement, politiquement et organiquement à l’appareil d’État capitaliste. Il en va des partis politiques “ anciennement ouvriers ” comme des syndicats. Pour les PS et les PC, nul besoin d’argumenter, leur différentes participations au pouvoir dans de multiples pays signent leur participation active à la préservation du capitalisme et leur intégration à l’appareil d’État. Mais il en va de même aussi quant aux relations des partis trotskistes avec les appareils politiques étatiques, les liens et les passerelles entre la “ 4e Internationale ” trotskiste, le NPA en France, avec les PS par exemple, ou encore l’entrisme trotskiste dans le Parti travailliste britannique, sont de notoriété publique ; quand il ne s’agit pas de liens “ occultes ”, via la franc-maçonnerie par exemple avec le courant trotskiste lambertiste en France encore.

Cela veut dire que ces courants et partis politiques sont définitivement “ perdus ” pour le prolétariat. Ils ne peuvent pas parcourir le chemin inverse, du camp bourgeois vers le camp prolétarien, sauf à rompre avec toute leur tradition et héritage ce que seuls des “ individus ” peuvent faire. Là encore, ce n’est pas “ nous ”qui en décidons mais l’expérience historique qui nous l’enseigne.

Pour conclure donc, la question de l’unification des luttes ouvrières, question centrale et permanente de tout combat de classe, passe obligatoirement par l’affrontement politique, dans les assemblées, dans les grèves, dans les manifestations, dans les comités, etc. contre les orientations et les sabotages des forces politiques et syndicales de “ gauche ” précisément parce que, du fait de leur origine dans le mouvement ouvrier, elles sont parmi toutes les forces politiques bourgeoises étatiques les plus “ crédibles ” vis-à-vis des ouvriers en lutte, et donc les plus aptes – ô combien plus que les forces de police ou les partis traditionnels de droite – à les tromper et les enfermer dans l’isolement et les impasses politiques ; à saboter l’unification des combats de classe.

Nous espérons que nous te fournissons des éléments de réflexion et de clarification. N’hésite pas à nous envoyer tes commentaires et critiques – y compris tes questionnements.

Salutations communistes,

le GIGC, le 30 novembre 2017.

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Notes:

[1. cf. Après les élections législatives en France, quelle signification et implications pour le prolétariat français et international ? (http://igcl.org/Apres-les-elections-legislatives-296) et le communiqué sur le résultat de l’élection présidentielle française (http://igcl.org/Suite-au-Brexit-aux-elections-de).

[2. En France, comme on l’a vu encore en 2016, la tactique des “ journées d’action syndicales unitaires ” divise en fait les travailleurs et paralyse toute velléité de lutte générale.

[3. Sauf quelques cas très rares pour ce qui concerne les groupes politiques et que nous ne pouvons pas aborder ici.

[4. Nous ne pouvons ici revenir sur les différents épisodes de luttes ouvrières au niveau international que les syndicats et les forces de gauche de l’État bourgeois “ unies ” ont dévoyés et sabotés depuis la fin des années 1960 (pour fixer un terme et une période historique) sur tous les continents et pays… en isolant et divisant la classe prolétarienne et entravant ainsi son combat contre les attaques généralisées du capitalisme depuis lors.

[5. Ainsi qu’une grande partie du mouvement anarchiste à la suite d’un de ses plus fameux dirigeants Kropotkine.