Révolution ou Guerre n°9

(Semestriel - Février 2018)

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Luttes ouvrières dans le monde de 1917 à 1923

La situation actuelle de crise du capitalisme fait revenir à l’ordre du jour l’alternative révolution ou guerre, La révolution d’Octobre nous donne la réponse à cette alternative et c’est ce que cache les médias. Ses acquis sont toujours d’une brûlante actualité. La révolution d’octobre fut une réponse à la guerre. Ce fut une réponse consciente, guidée par le cours mondial et historique de la lutte des prolétaires.

Les médias bourgeois appuyé par des anarchistes ont prétendu que la révolution d’octobre 1917 était un coup d’État. Cette théorie du putsch est contraire aux faits. Dès février 1917, il y avait deux gouvernements en Russie, le gouvernement provisoire des capitalistes et des propriétaires fonciers qui voulait rétablir l’ordre et continuer la guerre et ne pas distribuer la terre aux paysans. Les alliés ont soutenu ce gouvernement parce qu’il continuait la guerre. L’autre gouvernement était celui des conseils d’ouvriers et de soldats (soviets). Il voulait arrêter la guerre et distribuer la terre aux paysans. La mise en place de soviets était un acquis du prolétariat qui avait mis en place un soviet à St-Peterbourg en 1906. Citons quelques faits allant de février à octobre 1917. Des troubles agraires avaient lieu dans toute la Russie allant jusqu’à la prise de terre et l’incendie des maisons des propriétaires fonciers. Une insubordination générale dans l’armée annihilait la vieille discipline. Kronstadt et la flotte de la mer Baltique refusaient l’obéissance au gouvernement provisoire. Le soviet de Tachkent avait pris le pouvoir. Sur la Volga, une armée de 40 000 hommes refusait d’obéir. À Petrograd et Moscou et leurs faubourgs, des gardes rouges ouvrières se formaient. La garnison de Petrograd se plaçait sous les ordres des soviets. Fin avril des manifestations armées d’ouvriers et de soldats à Petrograd. Les ouvriers de l’usine Poutilov et des autres districts de Petrograd étaient en grève quasi-permanente. Début juillet, de nouvelles manifestations avec plus d’ampleur et des mots d’ordres plus révolutionnaires. Le parti, lors de ces manifestations, a eu un rôle important dans les masses pour qu’elles résistent à la provocation de la bourgeoisie qui souhaitait un soulèvement armé. Dans ses Thèses d’avril, Lénine expliquait aux masses que les Soviets des députés ouvriers étaient la seule forme de gouvernement. La classe ouvrière, par son parti, a doté le mouvement révolutionnaire d’une direction politique et d’une organisation. Tout au long de la période de février à octobre 1917, le parti a gagné la confiance des masses ce qui a fait qu’en septembre, la majorité mencheviks des soviets était passée pacifiquement aux bolchéviks. Cela contredit les mensonges de putsch sur le centenaire d’Octobre.

Lénine, lors de son retour le 3 avril, ne s’adressant pas aux dirigeants du soviet de Petrograd dominé par les mencheviks mais aux centaines d’ouvriers et de soldats qui ont afflué à la gare disait : « Chers camarades, soldats, matelots et ouvriers, je suis heureux de saluer en vous la révolution russe victorieuse, de vous saluer comme l’avant-garde de l’armée prolétarienne mondiale (...) L’heure n’est pas loin où, sur l’appel de notre camarade Karl Liechtenstein, les peuples retourneront leurs armes contre les capitalistes exploiteurs (...) La révolution russe accomplie par vous a ouvert une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale ! ».

La révolution d’octobre 1917 était partie prenante d’une révolution mondiale comme le disait Lénine en avril 1917 et comme le montre de manière incomplète le rapide historique qui suit. Elle fut l’épisode le plus haut du processus révolutionnaire de 1917 à 1923 de "grève de masse" « forme universelle de la lutte de classe prolétarienne déterminée par le stade actuel du développement capitaliste et des rapports de classe » comme l’avait reconnu et défini Rosa Luxemburg dès 1906. Mais elle fut aussi le produit d’une vague révolutionnaire internationale naissante et le premier pas d’une authentique révolution communiste mondiale. Cette vague mit fin à la guerre impérialiste et se prolongea plusieurs années. De 1917 à 1923 des conseils ouvriers et de soldats (soviets) furent créés, des grandes grèves de masse eurent lieu partout dans le monde comme indiqué plus bas.

Dès 1915 et 1916, des grèves et des manifestations commencent à réapparaître en particulier dans les pays belligérants annonçant ainsi le début du rejet de la collaboration de classe et de l’union nationale pour la guerre. Février 1917 et la chute du Tsar en Russie ne sont pas qu’un phénomène russe. Dès le début de 1917, dans nombre de pays et sur tous les continents, le prolétariat international se réveille dans les usines et sur le front contre la misère et la guerre et accompagne le processus révolutionnaire en Russie.

Le 16 avril 1917, la ville suédoise de Västervik est sous le contrôle d’un conseil ouvrier qui impose la baisse des prix aux commerçants alors que des manifestations massives ont lieu dans tout le pays.

En France, en pleine guerre, malgré la répression et l’hostilité de la CGT, la grève des “ midinettes ” en mai 1917 vient couronner la remontée de la combativité ouvrière depuis août 1914 : de 17 grèves en 1914, en passant par une centaine en 1915, jusqu’à 300 en 1916. Il y eut 700 conflits et 300 000 grèvistes en 1917 et le nombre de grève est plus important qu’en 1906 ou 1910.

En mai 1917, à l’instar des mutineries au sein de l’armée russe, des mutineries éclatent dans les armées allemande et britannique et surtout dans l’armée française. « À leur paroxysme, elles touchent 68 divisions sur les 110 qui composent l’Armée française » (wikipedia). Le 9 septembre 1917 à Etaples, a lieu une autre mutinerie des soldats écossais et canadiens au sein de l’armée britannique.

En août 1917, une grève de masse, dite ’huelga general revolucionaria’ (grève générale révolutionnaire), se développe dans toute l’Espagne à l’appel de l’UGT et de la CNT. Elle est violemment réprimée : 70 morts et 2000 arrestations.

Le 2 août 1917, débute en Nouvelle Galles du Sud (Australie) la grève générale australienne qui durera jusqu’au 8 septembre et qui reste la plus importante mobilisation de la classe ouvrière en Australie.

Mais c’est surtout en Autriche qu’a lieu le premier événement qui vérifie directement les perspectives d’extension de la révolution en Europe sur laquelle les bolcheviques russes fondent toute leur politique. « Lorsque le 14 janvier 1918, on réduisit de moitié la ration de farine, les ouvriers de Wiener Neustadt entrèrent en grève. Le lendemain, la grève s’étendit à Ternitz, Wimpassing, Neuenkirchen, à la vallée de Triesting et à St. Pölten. Le mouvement se propagea d’une manière sauvage d’une entre­prise à l’autre, d’une localité à l’autre... Le 16 janvier, l’ensemble des travailleurs de Vienne se mit en grève. Les 17 et 18 janvier, les régions industrielles de la Haute-Autriche et de la Styrie furent touchées à leur tour par le mouvement . Le 18 janvier, ce furent les ouvriers hongrois qui entrèrent en grève. La masse gigantesque des grévistes, la passion révolutionnaire farouche de leurs assemblées de masse, l’élection des premiers conseils ouvriers dans les assemblées de grève — tout cela conféra au mouvement un caractère révolutionnaire grandiose et éveilla parmi les masses l’espoir de pouvoir transformer immédiatement la grève en révolution, de s’emparer du pouvoir et d’imposer la paix. » (le dirigeant social-démocrate autrichien Otto Bauer cité par Roman Rodolski [1], Die ôsterreichische Revolution, [la révolution autrichienne], 1923).
Déjà, le 20 décembre, le ministre Czernin avertissait l’empereur Charles, que « on ne peut faire une politique extérieure lorsque la famine et la révo­lution éclatent aux arrières. [...]. Si nous conti­nuons dans la voie actuelle, nous ne manquerons pas de vivre dans quel­ques temps des circonstances qui ne le céderont en rien à celles que connaît la Russie ». Un mois plus tard l’empereur lui écrivait à son tour le 17 janvier « que tout le sort de la monarchie et de la dynastie dépend d’une conclusion aussi rapide que possible de la paix à Brest-Litovsk. Nous ne pouvons ici renverser la situation pour la Courlande, la Lithuanie et autres rêveries polonaises. Si la paix ne se réalise pas, nous aurons ici la révolution, même s’il y a beaucoup à manger. C’est une consigne grave, dans une situation grave. »


Meeting durant la grève de masse de janvier 1918 en Autriche

Toujours en janvier 1918, le 19, à Helsinki en Finlande, est proclamée la République socialiste des travailleurs qui sera écrasée le 13 avril 1918 par les armées blanches. Exactement au même moment, au moins quatorze conseils ouvriers voient le jour de janvier 1918 à avril 1918 dans plusieurs villes de Norvège dont Bergen. En Irlande, le 28 avril 1918 a lieu une grève générale contre la conscription. Toujours en janvier, à Barcelone, les femmes travailleuses se révoltent, manifestent et font grève contre la vie chère.

Le continent américain n’est pas pas épargné. Le 28 mars 1918, débute au Québec l’émeute contre la conscription qui durera jusqu’au 2 avril. Il y aura quatre morts et plusieurs blessés. Sur la côte pacifique, le 2 août 1918 Vancouver vit une grève générale. C’est la première grève générale dans l’histoire du Canada. À Rio de Janeiro le 18 novembre 1918, une insurrection anarchiste est lancée visant à suivre l’exemple de la révolution russe. Elle est réprimée et l’état de siège proclamée.

Au Japon, le 23 juillet 1918, commencent une série d’’émeutes du riz’ contre la hausse des prix. Les troubles dégénérèrent rapidement en émeutes, en grèves, en pillage, en bombes incendiaires lancées sur des postes de police et des bureaux de l’administration, et enfin en affrontements armés. À la mi-septembre 1918, plus de 623 événements s’étaient produits dans 38 grandes villes, 153 villes et 177 villages, avec plus de 2 millions de participants. Quelque 25 000 personnes furent arrêtées, dont 8 200 furent convaincues de différents crimes, et leur châtiment alla d’amendes mineures à la peine capitale.

À Londres, le 16 août 1918, a lieu la grève des travailleuses des transports en commun pour l’égalité salariale avec les hommes. La grève s’étend à d’autres villes comme Hastings, Bath, Bristol, Southend et Birmingham le 23 août. Le 9 novembre 1918 aux Pays-Bas, au moment même où les marins allemands se révoltent, débute la ’semaine rouge’ comme tentative de révolution socialiste.

Et finalement, comme une suite logique et inévitable de la série internationale des révoltes prolétariennes, cette perspective révolutionnaire généralisée semble se concrétiser avec l’éclatement de la révolution en Allemagne en novembre 1918, la création massive de conseils ouvriers et de soldats, la constitution du parti communiste allemand en décembre 1918 jusqu’à l’insurrection prématurée et anéantie dans le sang de janvier 1919 à Berlin – ces événements sont plus connus et nous ne les présentons pas ici. L’assassinat de milliers de prolétaires et de militants communistes, et tout particulièrement des deux principaux dirigeants du parti communiste allemand, Rosa Luxemburg et Karl Liebneckt, par les corps-francs aux ordres du gouvernement socialiste de Ebert et Noske, ne signe pas pour autant la fin de la vague révolutionnaire internationale même si elle marque un coup d’arrêt important à l’extension internationale de la révolution renforçant ainsi l’isolement de la Russie révolutionnaire.

En Grande-Bretagne, le 30 janvier 1919 commence une grève pour les 40 heures. À Glasgow, toujours en janvier, il y avait un raz-de-marée de mutineries à Southwick, Folkestone, Douvres, Osterley Park, Shortlands, Westerham Hill, Felixstowe, Grove Park, Shoreham, Briston, Aldershot, Kempton Park, Southampton Maidstone, Blackpool, Park Royal, Chatham, Fairlop et Biggin Hill, ainsi que dans plusieurs gares de Londres où les troupes refusaient de s’embarquer pour la Russie et la France.

Dès le 21 mars 1919, la république des conseils de Hongrie est déclarée. Elle se maintiendra au pouvoir jusqu’en août 1919 et sera, elle aussi, écrasée dans le sang. À Prešov, le 16 Juin 1919, c’est au tour de la République des Conseil de Slovaquie d’être déclarée. Elle sera réprimée le 7 juillet par l’armée tchécoslovaque.

Le 19 avril 1919 éclatent une mutinerie des marins français de la mer Noire à Sébastopol sur le croiseur Le France. Ils refusent de combattre contre les bolchéviks. En juin 1919, une vague de grèves se déclenchent à St-Denis. Les revendications politiques occupent une place prépondérante. Dans cette dernière ville, dès le 4 juin, les syndicalistes ont fait voter à une assemblée de 3.000 grévistes une résolution stipulant que « le comité intersyndical de Saint-Denis se transforme en comité exécutif du soviet et adresse un ultimatum au gouvernement pour qu’il cède la place à la classe ouvrière ».

En Espagne, le 5 février 1919, est déclenchée la ’huelga de La Canadiense’, grève générale qui paralysa 70% de l’industrie catalane pendant 44 jours et permit l’obtention de la journée de huit heures. En Irlande, à Limerick le 14 avril 1919, une grève générale dans la ville met en place un conseil ouvrier. De même, en Pologne, des centaines de conseils ouvriers ont vu le jour dans tout le pays. Ces conseils réunissaient des prolétaires quelques soient leurs sexes ou leurs nationalités.

Le continent américain n’est pas en reste. Aux États-Unis, le 6 février 1919, la grève générale de Seattle durera jusqu’au 11 février. Le 21 septembre 1919, une autre grande grève de la sidérurgie aux États-Unis se prolongea jusqu’au au 8 janvier 1920. Elle touche notamment les usines sidérurgiques de Pueblo, Chicago, Wheeling, Johnstown, Cleveland, Lackawanna, et Youngstown. Dans plusieurs Etats comme le Delaware, l’Indiana ou la Pennsylvanie, la grève est brutalement réprimée (arrestations de masse, proclamation de la loi martiale, etc.).
À Winnipeg au Canada, une grève générale dans toute la ville éclate le 15 mai jusqu’au 25 juin 1919. Réunissant plusieurs dizaines de milliers de travailleurs, elle est l’une des plus influentes grèves de l’histoire du pays. En 1919, à Kinmel Bay, dans le nord du Pays de Galles (Royaume-Uni), des soldats canadiens se sont mutinés, exigeant leur retour au Canada et résistant à toute tentative de les contraindre aux interventions impérialistes contre la Russie soviétique. Les principaux acteurs de la mutinerie seront assassinés par les militaires pour avoir ouvertement déclaré leur solidarité avec la révolution prolétarienne.

Au Chili, à Puerto Natales le 23 janvier 1919 est proclamée la ’Comuna de Puerto Natales’ inspirée de la Commune de Paris. Elle durera plusieurs jours

En Afrique du sud, à Johannesburg, une grève de l’électricité et des tramways est décrétée en avril 1919 au cours de laquelle les travailleurs assurèrent le service des tramways eux-mêmes sous le contrôle d’un Bureau de contrôle qu’ils avaient mis en place à cet effet. La grève se termina sur une victoire totale.

En 1920, malgré l’isolement croissant de la Russie, les échecs insurrectionnels en Europe centrale surtout et la répression qui les accompagnent, la lutte des classes ne baisse pas d’intensité. En particulier en Allemagne où, suite au coup d’État de Kapp des corps-francs et à la gréve générale qui le fit échouer, la création d’une armée rouge forte de 80 000 prolétaires provoque le soulévement de la Rhur qui sera finalement écrasé dans le sang au bout d’un mois.

Au début de l’année, février-mars, une grande grève des cheminots est finalement défaite en France alors que l’agitation ouvrière, manifestations, grèves, répression, va perdurer jusqu’en mai.

Mais c’est surtout en Italie que les espoirs d’une nouvelle insurrection ouvrière se font le plus sentir. À Turin, le 29 mars 1920, l’ensemble des usines métallurgiques se mettent en grève en solidarité avec la grève des ouvriers de Fiat. Des conseils d’usine sont mis en place. La grève dure jusqu’au 24 avril. À Ancône, le 25 juin 1920, des soldats refusent d’embarquer pour l’Albanie. La révolte des soldats se transforme immédiatement en soulèvement populaire qui, d’Ancône, se répand dans d’autres villes du centre et du nord du pays.

L’année 1921, bien que connaissant encore des conflits massifs et violents, marquera un recul de la perspective révolutionnaire internationale du fait de la capacité de la bourgeoisie pour, à la fois, réprimer le prolétariat et à “ offrir ” la paix à des populations épuisées et, pour de grandes masses ouvrières, encore sous l’influence de la social-démocratie. Ce n’est qu’en Allemagne et en Russie que la lutte des classes reste encore intense. Mais globalement, l’isolement de la Russie se fait sentir y compris dans la lassitude et l’épuisement du prolétariat russe qui s’exprime dans les grèves du prolétariat à Petrograd et qui se termineront par la répression sanglante en particulier de la garnison de Kronstadt par l’État de la dictature du prolétariat et le parti bolchevique en mars 1921. Ce drame signe et participe au recul international de la vague révolutionnaire commencée début 1917. Il faudra encore au moins deux ans pour que le processus de grève de masse internationale et insurrectionnelle s’épuise avec l’échec fatal de l’insurrection d’octobre 1923 en Allemagne dans lequel la responsabilité du stalinisme montant est largement engagée. Les dernières expressions de cette vague révolutionnaire s’étendront jusqu’en 1927 avec l’échec de la grève générale anglaise de mai 1926, jusqu’à 3 millions de grévistes et la paralysie du pays, et la répression sanglante de l’insurrection chinoise l’année suivante.

Loin d’être un putsch, la révolution russe fut l’expression la plus haute de la révolte du prolétariat international contre le capitalisme et la guerre impérialiste et de son aspiration au communisme. 1917-1923 fut bien une vague internationale dans laquelle chaque nouvel épisode tendait à répondre aux précédents et dont le cœur fut la révolution en Russie.

Normand

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Notes:

[1. La grève de janvier 1918 en Autriche : https://www.marxists.org/francais/rosdolsky/works/1967/10/rosdolsky.htm.