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Face à la course vers la guerre, établir une ligne de défense regroupant les prolétaires les plus combatifs
« Le degré atteint par la crise et l’impasse qui en découle pour le capital, rend la dynamique à la guerre impérialiste généralisée, qui n’était jusqu’alors qu’une perspective ne jouant qu’un rôle encore indirect – si l’on peut dire – dans le cours des événements, un facteur aujourd’hui direct, immédiat, des politiques, décisions, réflexions des gouvernements et des classes capitalistes de chaque nation et puissances impérialistes. La guerre en Ukraine en est la première illustration claire et évidente pour tous. »
(Thèses sur la signification et les conséquences de la guerre impérialiste en Ukraine (2 mars 2022), RG #21)
Pas encore au pouvoir [1], Trump menace d’acheter, à défaut d’envahir, le Panama, le Groenland et même le Canada ! Comme Poutine a envahi la Géorgie et l’Ukraine. Comme Israël s’empare de la Cisjordanie, de Gaza et du Golan syrien. Comme le chinois Xi revendique Taïwan. Comme Hitler avait envahi l’Autriche, la Tchecoslovaquie. Mussolini l’Éthiopie. Que cela soit sérieux ou non, qu’il le réalise ou non, c’est un signe des temps et du cours vers la guerre généralisée qu’a ouvert l’éclatement de la guerre impérialiste en Ukraine.
La simple annonce de sa victoire a accéléré et provoqué une succession d’événements en cascade. En Ukraine ou au Moyen-Orient où les boucheries et massacres se déchaînent, alors que d’autres se préparent, en Asie par exemple. Un peu partout l’instabilité politique gouvernementale, particulièrement dans les pays occidentaux, Canada, Corée, Allemagne, France, s’installe, si nous pouvons dire. Et la montée des partis de droite dits « radicaux » ou « illibéraux », aux discours nationalistes, chauvins et xénophobes, se généralise. Tout comme le fascisme dans les années 1930, les droites radicales d’aujourd’hui « expriment par une recrudescence de leur activité toute la complexité de situations troubles évoluant vers la guerre. » [2] Les menaces trumpiennes de protectionnisme, de guerre commerciale et monétaire tout azimut sèment la panique parmi les concurrents.
En 2016, le mot d’ordre trumpien Make America Great Again était la réponse de la bourgeoisie américaine au déclin annoncé et, en partie, entamé de sa puissance lors des deux premières décennies de ce siècle. Son mandat précédent et celui de Biden ont en grande partie rendu l’Amérique great again. La réélection de Trump signifie à la fois que la bourgeoisie américaine s’engage avec détermination et violence dans les affrontements annoncés et qu’elle a pris en compte ses limites actuelles.
« En cas de conflit avec la Chine, les forces américaines épuiseraient leurs stocks de munitions en l’espace de quelques semaines, et il faudrait des années à la base industrielle de défense américaine pour produire des munitions de remplacement. L’augmentation des coûts de personnel, ainsi qu’un éventail infini de missions en temps de paix, mettent les forces américaines à rude épreuve. » [3]
Ce constat fut certainement la raison première du choix en faveur de Trump au détriment de Kamala Harris et des démocrates. [4] Gagner du temps pour se préparer – économiquement, politiquement et idéologiquement – et se réarmer à la hauteur des enjeux militaires du conflit généralisé à venir. La situation exige aussi un discours « disruptif », fait de provocations et d’agressivités tout azimut, et de transgressions des règles classiques de la démocratie bourgeoise et, au besoin, de la Constitution américaine. Tout comme des règles internationales. Voire géographiques : Trump veut renommer le Golfe du Mexique, Golfe de l’Amérique. Pour toutes ces « transgressions » que la situation impose, il faut trouver les personnages suffisamment « mégalomanes » pour incarner et porter le viol des règles régissant l’ordre impérialiste existant. En voyant et écoutant Trump, comment ne pas penser au Dictateur de Charlie Chaplin ? Non pas pour en rire – encore que parfois… – mais pour le parallèle historique. Trump ? The right man in the right place.
La guerre généralisée n’est pas inévitable
« Pour certains analystes, cette époque ressemble davantage aux années 1930, avec l’effondrement de l’ordre mondial, qu’aux décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale. » (The Guardian, Éditorial du 1er Janvier 2024)
Nombreuses sont dans la presse bourgeoise internationale, les références et analogies aux années 1930 et à l’avant-deuxième guerre mondiale avec la situation d’aujourd’hui. S’il convient de se méfier des comparaisons historiques schématiques, au risque de calquer une situation d’hier à celle d’aujourd’hui, il n’en reste pas moins que l’expérience passée doit nous – prolétaires et communistes – servir et éclairer les nouvelles situations en face desquelles il faut savoir s’orienter – en particulier si l’on veut assumer le rôle d’une avant-garde politique du prolétariat international. N’est-ce pas là la raison fondamentale pour laquelle le prolétariat produit des minorités politiques et son parti ?
La situation des années 1930 et celle d’aujourd’hui présentent beaucoup de caractéristiques communes : elles sont précédées et annoncées par les crises économiques de 1929 et de 2008, que le capital n’arrive pas vraiment à « dépasser », encore moins à « résoudre » ; il en découle des tensions impérialistes accrues qui forcent les impérialismes les moins bien « fournis », hier l’Allemagne défaite en 1918, aujourd’hui, la Russie, hier le Japon, demain la Chine, étranglés par la politique américaine de « containment » pour ces dernières, à se lancer dans des aventures guerrières et des conquêtes territoriales afin de deserrer l’étau qui leur est imposé ; la dynamique vers la guerre généralisée est alors enclenchée et provoque inévitablement des soubresauts et des bouleversements de toute nature, économique, politique, sociale, idéologique, etc., afin d’adapter au mieux et au plus vite l’ensemble des appareils de production et d’État à la préparation de la guerre qui s’impose. L’analogie avec les 1930 est donc valable pour ce qui a trait à ces caractéristiques.
Il est un autre facteur dont il faut tenir compte : la lutte des classes. Ne serait-ce que parce que la bourgeoisie se doit de « faire payer les frais d’une crise économique terrible aux ouvriers en vue de faire face aux nécessités de la guerre. » [5] Là aussi, l’analogie marche. Mais il est pourtant quelques différences, dont une nous semble cruciale pour la résolution du dilemme historique : la dynamique de la lutte entre les classes et la situation de la classe exploitée et révolutionnaire, le prolétariat. Dans les années 1930, celui-ci venait de subir et continuait à subir une série de défaites historiques politiques et idéologiques sanglantes après la Révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire internationale de 1917 à 1923 qui l’avait suivie. Même si ce que d’aucuns appellent « l’instinct de classe » restait prédominant dans les rangs prolétariens, il s’identifiait pour l’essentiel à la défense de l’URSS et du stalinisme, ou encore à la défense de la démocratie contre le fascisme. Les masses prolétariennes tendaient à se ranger derrière la contre-révolution. Aujourd’hui, il n’est nul « instinct de classe » attaché à une idéologie particulière. Certes, les prolétaires sont, au niveau international, largement soumis à l’idéologie bourgeoise et aux attaques économiques et politiques de leurs bourgeoisies nationales respectives. Certes, ils ne sont pas en capacité, sauf de manière sporadique [6], de se lancer dans des luttes ouvertes contre le capital, ne serait-ce que pour des objectifs économiques. Mais le cours même de la lutte des classes n’est pas autant marqué ou défini par la contre-révolution que dans les années 1930. Il est notable de relever qu’à ce jour, aucune manifestation nationaliste et chauvine de rue ou autre mobilisation significative en soutien à la guerre n’ait eu lieu. Ni en Russie, ni en Ukraine, ni en Europe, ni ailleurs...
De plus, il est un autre facteur fondamental d’ordre politique. Hier, la liquidation du parti de classe – l’Internationale communiste – par le stalinisme et la contre-révolution et la mainmise des partis de gauche, surtout des partis staliniens, sur les masses ne fit qu’accentuer leur désorientation, la généralisation de leur défaite et le cours vers la guerre. Aujourd’hui, s’il n’est toujours pas de parti de classe – loin s’en faut –, il n’est plus de partis bourgeois de gauche auxquels les masses ouvrières adhèrent massivement et derrière lesquels elles se mobilisent. Si en 2025 la photographie du prolétariat ne semble guère meilleure dans son rapport – de force – avec le capital que celle des années 1930, la dynamique de ce rapport n’est pas la même.
Résister à toutes les attaques sur les conditions de vie et de travail, refuser tout sacrifice au nom de la défense de l’entreprise et du pays, rompre l’isolement des luttes, chercher à les étendre, disions-nous dans le numéro précédent. Établir une ligne de défense pour regrouper les forces les plus combatives et dynamiques du prolétariat. Celles-là même qui seront amenées à offrir l’alternative prolétarienne à la guerre et à unifier dans la lutte les secteurs et fractions moins combatives. Tel est le mot d’ordre – certes général – que les avant-gardes communistes d’aujourd’hui, à défaut de parti, doivent faire leur, défendre, propager et… décliner – par des mots d’ordre plus directes et concrets – en fonction des situations immédiates et locales.
Notes:
[1] . Nous écrivons avant son accession effective au pouvoir.
[2] . Bilan #24, « Vers une consolidation du front capitaliste en France », 1935. Précisons que nous ne confondons pas le fascisme des années 1930 aux droites « radicales » actuelles qui ne correspondent pas aux mêmes situations historiques. De même, nous rejetons la position selon laquelle le fascisme hier, les droites « populistes » aujourd’hui, soient des mouvements petit-bourgeois en réaction à leur paupérisation. S’ils s’appuient sur les frustrations propres à la petite-bourgeoisie desespérée, voire d’ouvriers parmi les couches les moins combatives et les plus « réactionnaires » du prolétariat, fascisme et autres droites « extrêmes » sont des partis bourgeois à part entière.
[3] . Foreign Affairs, Michael Beckley, The Strange Triumph of Broken America, January 7th 2025.
[4] . Nous renvoyons le lecteur au communiqué que nous avons publié suite à la victoire électorale de novembre dernier et à l’article du PCI-Le Prolétaire que nous reproduisons à la suite.
[5] . Bilan #22, septembre 1934, « La situation en France »
[6] . Les grèves de l’été dernier en Amérique, à Boeing, les dockers de la côte ouest, à Amazon, et autres, les postiers au Canada, les réactions ouvrières à Volkswagen ou Opel en Allemagne, dans les services publics un peu partout, ou encore les travailleurs de Grande Bretagne à l’été 2022, etc.