Numéro spécial : Sur le camp prolétarien et son devenir - juillet 2019 |
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Lettre du GIGC à Emancipación sur son 1er Congrès
Le GIGC à Emancipación,
Chers camarades,
Nous voulons vous faire part dans ce courrier du bilan politique que nous tirons du 1er congrès d’Emancipación. Ce bilan se base sur les deux documents que vous avez publiés, Informe del congreso et Consignas, sur le site de Nuevo Curso, et sur la lettre que le congrès nous a écrite (que nous avons datée du 24 juin) en réponse à notre précédent courrier du 18. (…).
La constitution d’Emancipación comme groupe politique communiste à part entière est un pas important dont la signification politique et historique va bien au-delà de la simple apparition d’un nouveau groupe communiste. Nous sommes entrés dans une période de confrontation massive entre les classes du fait de la crise et de la perspective de guerre impérialiste généralisée que la première exacerbe chaque fois plus. Les contradictions du capitalisme explosent les unes après les autres provoquant à tous les niveaux de la société capitalistes des bouleversements de tout ordre. Les forces révolutionnaires et plus spécialement le camp prolétarien international, le parti en devenir, n’y échappent pas non plus au point de rencontrer de grandes difficultés et de voir ses contradictions et faiblesses elles-aussi éclater et de vivre un moment de reconfiguration du fait précisément de cette nouvelle situation.
Ainsi, la constitution d’Emancipación comme groupe politique à part entière exprime le fait que le prolétariat international, bien que soumis et loin de pouvoir repousser a minima les attaques de tout ordre imposées par le capital, tend à résister par la lutte et à se dégager de l’emprise idéologique de ce dernier et que son devenir révolutionnaire reste d’actualité. Elle exprime la "vitalité" (relative) actuelle du prolétariat. Et elle exprime aussi la dynamique et le combat pour le parti au sein des forces du camp prolétarien, combat qui passe par la confrontation avec l’opportunisme en son sein – dont l’expression la plus caricaturale reste encore aujourd’hui le CCI et sa théorie de la décomposition et du parasitisme – et l’interpellation des autres forces de la Gauche communiste afin qu’elles assument les responsabilités que l’histoire leur a octroyées – nous pensons en particulier ici à la TCI malgré ses faiblesses et manques (mais aussi, modestement du fait de notre réalité, à nous-mêmes). En ce sens, le 1er congrès d’Emancipación est un événement important de la lutte des classes qu’il convient de saluer et qu’il conviendra de développer et de confirmer dans l’avenir. Car la particularité de l’activité communiste est précisément que chaque nouvelle étape franchie avec succès démultiplie les responsabilités et les tâches à venir.
Le congrès est d’autant plus important qu’il apparaît que la constitution en groupe politique s’accompagne d’une prise de conscience et d’une orientation pratique pour qu’Emancipación soit un groupe communiste réellement international et non pas "espagnol" ou "régional", ni se limitant au seul milieu hispanisant ou de langue latine ce qui restait encore en partie présent lors de la 1er conférence de Nuevo Curso. Ce pas, vous le savez, est pour nous fondamental :
« Nous considérons que tout groupe communiste doit se considérer comme une expression du prolétariat international quelle que soit sa localisation, les lieux où il peut intervenir directement et physiquement, même si bien sûr il y a une responsabilité particulière. C’est pour cela que nous considérons que tout groupe communiste doit "tendre" – ce n’est pas un "absolu" que l’on puisse décréter mais un processus d’homogénéité et d’unité politiques autour du programme communiste – à s’organiser et à agir comme un groupe international centralisé » (lettre du GIGC a la Liga Emancipación, 10 août 2018).
C’est donc avec enthousiasme et de grandes espérances que nous avons pris connaissance des travaux du congrès et que nous les saluons. C’est donc aussi dans le cadre de ce salut fraternel et positif que les éléments de critique qui suivent doivent être lus, discutés et pris en considération. Nous espérons que ces points de discussion vous seront autant utiles qu’ils le sont à nous-mêmes.
1) Mais d’abord une interrogation "critique" : il n’est pas fait mention dans les documents que nous avons lus de l’adoption particulière d’une plateforme politique. Est-ce que la plateforme reste celle des Bases fundamentales de la Liga Emancipación ? Si tel est le cas, alors nos commentaires d’alors restent valables :
« Telles qu’elles sont, les Bases laissent un large espace politique et même programmatique dans lequel plusieurs approches politiques différentes, et même contradictoires, pourront surgir, se développer et "coexister" jusqu’à ce que la réalité de la lutte des classes viennent exiger leur clarification et de trancher entre elles. Il en résulte que les Bases ne peuvent qu’être qu’un moment, sans doute nécessaire mais temporaire, pour le développement d’un "organisation communiste" pour reprendre vos termes » (idem).
Si tel n’est pas le cas, il conviendrait de publier la nouvelle plateforme au plus vite.
2) Le Rapport du congrès qui retrace la situation du capitalisme aujourd’hui ne fait aucune mention de l’alternative historique révolution prolétarienne internationale ou guerre impérialiste généralisée. Il réduit ainsi sa vision de la situation et rend difficile de comprendre comment Emancipación voit la dynamique historique actuelle. En effet, l’alternative historique, et en particulier la marche à la guerre généralisée à laquelle sont contraintes toutes les classes capitalistes nationales, détermine directement l’évolution du rapport de force entre les classes. En ce sens, le rapport permanent du prolétariat à la perspective de la guerre est aussi un élément de la situation historique qui permet précisément d’analyser ce rapport de forces. L’alternative historique est donc un facteur "concret" de la situation immédiate en déterminant déjà aujourd’hui les politiques impérialistes et les attaques de la classe dominante, leurs caractéristiques et leur intensité, contre le prolétariat. L’absence de référence à cette alternative tout comme de toute référence à la question du rapport du prolétariat à la guerre impérialiste généralisée nous semble être une faiblesse du congrès, du moins du document qu’il a adopté, alors même que de nombreuses prises de position publique de Nuevo Curso sur son blog avaient été beaucoup plus précises et complètes de ce point de vue. Il est difficile de savoir aujourd’hui s’il y a là une véritable divergence entre nous. Nous le vérifierons très certainement dans le futur.
3) Mais surtout, divergence importante il y a sur la revendication de la continuité historique. Nous savions que Nuevo Curso tendait à se revendiquer de la seule Gauche communiste espagnole et plus particulièrement du FOR de Munis. Sans doute avons-nous nous-mêmes manqué de vigilance et aurions-nous dû débattre de cette question avec vous plus directement avant qu’elle ne soit adoptée par le Congrès :
« Notre tendance naît comme Gauche communiste internationale, impulsée par l’opposition de la gauche russe dans la lutte contre la dégénérescence de l’Internationale communiste. Elle constitue des fractions externes de gauche (…). Elle fonde la 4e Internationale en 1938 au moment où la voie à une nouvelle guerre mondiale est ouverte par la capitulation sans lutte de l’Internationale face au nazisme en 1933 et surtout après la défaite de la révolution espagnole en 1937... » (https://nuevocurso.org/nuestra-tendencia). Il est toujours plus difficile de débattre d’une position déjà adoptée par le congrès et qui, de fait, engage, qu’avant son adoption. Que nous ayons réussi alors à vous convaincre ou non aurait de toute manière permis de préciser votre position finale et ses arguments et auriez-vous pu prendre une position plus cohérente alors qu’elle nous paraît aujourd’hui prématurée… du fait même des contradictions qu’elle comporte et qu’elle affiche dès aujourd’hui. La lettre que le congrès nous a envoyée fait une confusion entre Gauche communiste et 4e Internationale alors même que la première n’a cessé de critiquer la démarche de Trotsky appelant à la constitution de la 4e dès 1933 : « Nous ne sommes pas les héritiers de cette tendance particulière de la Gauche communiste internationale, mais du travail de la Gauche communiste dans son ensemble et spécialement de son tronc principal, qui lutta activement pour opposer la révolution à la guerre dès la révolution espagnole (1936-1937). Après sa défaite, elle créa à contre-courant une nouvelle Internationale, la 4e... » (Lettre du congrès d’Emancipación au GIGC, sans date mais reçue le 24 de Juin, nous soulignons).
Nous n’entrerons pas ici sur l’affirmation selon laquelle – si nous comprenons bien la phrase – la 4e Internationale, fondée en 1938, aurait été le tronc principal de la Gauche communiste même si elle nous surprend fortement de la part de camarades qui ont déjà tant de fois manifesté qu’ils connaissaient l’histoire du mouvement ouvrier. Très surprenant malgré tout pour nous, est l’affirmation d’une continuité avec la 4e Internationale et de son appartenance à la Gauche communiste. Autant il nous semble tout à fait légitime de se revendiquer de Munis et Peret, du FOR, qui se sont clairement situés en 1948 sur les positions de la Gauche communiste après leur rupture avec la 4e Internationale comme le prouve sans contestation le 2e Manifeste qu’ils ont écrit et adopté. Autant se revendiquer de la 4e Internationale alors même qu’elle s’est fondée sur des bases ouvertement opportunistes (après avoir pratiqué la politique... dite d’entrisme dans les partis socialistes à partir de 1934) nous semble une erreur profonde et lourde de contradictions et de conséquences négatives.
Nous voulons surtout attirer l’attention des camarades sur l’impasse programmatique, théorique et politique dans laquelle la revendication d’une continuité avec la 4e Internationale est en train d’embarquer Emancipación. Il est possible que cette impasse n’ait pas de conséquences politiques immédiates ; encore que pour peu de temps et en apparence seulement. Mais il ne fait guère de doute que la contradiction, et la confusion, entre les positions de classe que défend avec rigueur et constance, et brio aussi, Nuevo Curso sur son blog d’une part et l’héritage programmatique de la 4e Internationale, n’explose un jour d’une manière ou d’une autre – le pire étant qu’elle explose dans un moment crucial, voire que les camarades se perdent dans la confusion théorique et politique la plus totale anéantissant ainsi tous les efforts que NC a réalisé avec succès ces dernières années pour favoriser le surgissement de nouvelles forces et animer leur regroupement international.
La 4e Internationale se revendiquait des quatre premiers congrès de l’Internationale Communiste. Tous les courants de la Gauche communiste se sont revendiqués, plus ou moins clairement, des deux premiers congrès de l’IC et ont tous combattu le tournant accompli par le troisième : l’adoption de la tactique du front unique "avec les partis ouvriers", c’est-à-dire avec la sociale-démocratie passée dans le camp de la bourgeoisie. Inutile ici, et pour l’instant, de revenir sur les conséquences dramatiques de cette tactique qui ne fut que la première expression du recul de la vague révolutionnaire d’une part et de la pénétration de l’opportunisme dans les rangs de l’Internationale. Il n’en reste pas moins, à notre connaissance, que toutes les positions que NC et Emancipación ont défendues à ce jour rejettent toute forme de frontisme. Et de manière générale, les prises de position de NC se situent sur le terrain de la Gauche communiste et en opposition, contradiction même, avec le corps programmatique et théorique de la 4e Internationale tant à partir de sa constitution formelle, 1938, qu’à partir des thèses de Trotsky de 1933 appelant à la constituer.
Il serait tout aussi dangereux de croire que l’on puisse négliger le rapport étroit, en fait l’unité, qui doit exister entre les positions politiques que l’on avance et le cadre programmatique et théorique auquel on se réfère. S’il y a contradiction entre les deux, cela ne peut manquer d’exploser à un moment ou à un autre, sous une forme ou une autre. En conséquence, nous vous proposons de mener un débat contradictoire sur cette question. Outre de clarifier la divergence, de la résoudre ou de la fixer "à jamais", ce débat pourrait aussi être ensuite public afin qu’il puisse servir de référence politique. Nous sommes convaincus que cette divergence et ce débat ne sont pas des questions abstraites ou simplement historiques. La divergence contient non seulement des implications politiques immédiates (dans l’intervention et la question des revendications par exemple) mais en plus elle recoupe des questions et des problèmes concrets auxquelles les luttes ouvrières d’aujourd’hui se confrontent déjà.
Du coup, nous ne relançons pas ici le débat et la divergence que nous avons eues avant votre congrès sur la place et le rôle de la TCI comme pôle "historique" de référence-regroupement – malgré ses faiblesses et ses hésitations pour assumer ce rôle. En effet, cette compréhension et position sont étroitement dépendantes, et même déterminées, par la filiation historique à laquelle chaque courant ou groupe se rattache. Si l’on se revendique de la 4e Internationale, il est difficile d’accepter qu’une des raisons fondamentales pour laquelle la TCI aurait une telle place et un tel rôle est précisément son lien historique, organique – aussi faible soit-il de nos jours – avec le PC et la Gauche communiste d’Italie.
Voilà, cher camarades, le bilan que nous tirons de votre congrès et que nous voulions vous présenter. Le passage vers un groupe politique à part entière est extrêmement positif en soi et, en même temps, soulève de nouvelles questions et responsabilités. Celles-ci sont apparues dès le congrès. Et l’une d’entre elle, la revendication de la 4e Internationale, doit être débattue – et selon nous combattue – pour permettre à Emancipación et ses membres de remplir au mieux la tâche historique que le prolétariat leur a confiée.