Révolution ou Guerre n°12

Numéro spécial : Sur le camp prolétarien et son devenir - juillet 2019

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Rapport d’activités de la 2e Réunion générale du GIGC

« Ces dernières années, la question "Que faire ?" se pose avec force aux social-démocrates russes. Il ne s’agit plus de choisir une route (comme c’était le cas à la fin des années 80 et début des années 90), mais de déterminer ce que nous devons faire pratiquement sur une route connue, et de quelle façon. Il s’agit du système et du plan d’activité pratique. Il faut avouer que cette question, essentielle pour un parti d’action, relative au caractère et aux modalités de la lutte, est toujours sans solution et suscite encore parmi nous de sérieuses divergences, qui témoignent d’une instabilité et de flottements de pensée regrettables. D’une part, la tendance économiste, qui s’attache à tronquer, à rétrécir le rôle de l’organisation et de l’agitation politiques, est encore loin d’être morte. D’autre part, continue à porter la tête haute la tendance de l’éclectisme sans principes qui s’adapte à toute nouvelle orientation et est incapable de distinguer entre les besoins du moment et les buts essentiels et les exigences permanentes du mouvement pris dans son ensemble  » (Lénine, Par où commencer ?, 1901 [1]).

À grands traits, la problématique à laquelle se trouvaient confrontés les révolutionnaires russes au début du 20e siècle se repose aujourd’hui un peu dans les mêmes termes pour l’ensemble du camp prolétarien, et particulièrement pour ses composantes se situant parmi les forces de la Gauche communiste partidiste, celles qui se situent résolument dans le combat pour le parti communiste mondial. Même si sous une forme ’moderne’, viennent aujourd’hui se reposer le défi permanent de l’économisme, de l’apolitisme et de l’anti-parti d’une part et d’autre part, et de manière plus immédiate, le danger de l’éclectisme théorique et politique guidé par l’immédiatisme. Le réveil de ce dernier accompagne presque mécaniquement les inévitables réactions et révoltes sociales et de classe alimentées et provoquées par l’acuité, l’actualité, l’action présente de l’alternative historique révolution prolétarienne ou guerre impérialiste généralisée. Les deux, l’économisme moderne et l’indifférentisme politique d’une part et l’éclectisme et l’immédiatisme d’autre part, affectent tout autant la classe dans son ensemble en particulier lorsqu’elle lutte, ou essaie, de lutter en masse – nous ne pouvons développer dans le cadre de ce rapport –, que les révolutionnaires. Voilà les enjeux auxquels l’ensemble du camp prolétarien, ce que Nuevo Curso (NC [2]) appelle le parti en devenir, voit se dresser devant lui. Voilà les deux travers politiques et menaces d’ordre opportuniste qui peuvent traverser, et déjà en partie traverse, le camp prolétarien et en son sein notre propre groupe – sauf à croire et décréter que nous serions prémunis, vaccinés, contre les virus d’ordre opportuniste qui affectent inévitablement le milieu communiste.

Le bilan de nos activités depuis la 1er Réunion générale du groupe en juillet 2016 ne peut être établi qu’en relation à l’évolution de la situation historique et aux questions diverses qu’elle a présentées au prolétariat et aux groupes communistes – sachant que ceux-ci font aussi complètement partie, produits et facteurs, de cette situation. (...)

Ce n’est qu’au tout début du passage à 2018 que nous nous sommes trouvés confrontés à de nouveaux événements marquant un moment relativement différent, une évolution significative, de la situation historique que nous analysons comme l’entrée dans une période de confrontation massive entre les classes comme prélude à la résolution, dans un sens ou l’autre, de l’alternative historique. Ce nouveau moment du développement de la lutte des classes peut questionner, du moins requièrent de vérifier, notre analyse et compréhension générales :

- d’abord en premier lieu, et même si nous savions que la conformation du ’vieux’ camp prolétarien hérité des années 1970-1980 allait inévitablement être bouleversée, de nouvelles forces communistes ont émergé dont NC est l’expression et un facteur, mettant ainsi directement les groupes historiques de la Gauche communiste partidiste devant leur responsabilité historique face à cette nouvelle dynamique et devant laquelle la Tendance Communiste Internationaliste, principale organisation de ce camp, a commencé par s’enfermer dans une attitude, ou des réflexes, relativement sectaire à notre endroit et immédiatiste quant à ces nouvelles forces ;

- ensuite, la polarisation impérialiste s’exacerbe sous la pression de la bourgeoisie américaine, la politique et le langage de Trump, – rien d’inattendu en soi pour nous –, et la Chine devient potentiellement et apparemment un des principaux rivaux impérialistes de l’Amérique alors que l’Allemagne et l’Union européenne semblent éprouver de grandes difficultés à répondre aux enjeux que Trump leur impose – et à émerger comme pôle rival. Cela nous oblige à vérifier, voire à interroger, notre analyse telle que présentée dans nos Thèses sur la situation internationale de 2013 [3] selon laquelle seule l’Allemagne peut aspirer à être la tête d’un pôle impérialiste, et ensuite d’un bloc si la voie à la guerre généralisée s’ouvrait, s’opposant à la puissance et leadership américains ;

- enfin, le renouveau de luttes ouvrières et sociales qui a eu cours tout au long de 2018 et qui fut marqué principalement par une dynamique de lutte de masse prolétarienne en Iran, voire au Mexique, et par une expression particulière, au caractère interclassiste, de l’éclatement des antagonismes sociaux avec le mouvement des gilets jaunes en France – alors même que la lutte des cheminots du printemps 2018 s’est terminée quelques mois plus tôt seulement par une défaite d’ampleur. Les deux phénomènes grève de masse et gilets jaunes, leurs caractéristiques respectives et les répercussions internationales qu’ils ont rencontrées, signent l’entrée dans une période de confrontations massives (et violentes) entre les classes.

(…).

De fait, à partir de janvier 2018, (…) un certain nombre de nouvelles questions surgissent et il convient de vérifier de plus près si nous avons réussi à répondre au mandat de 2016 face à ces nouvelles conditions, si celui-ci pouvait répondre à l’évolution de la situation et surtout si le groupe comme un tout a réussi à prendre en compte les changements et à adapter, si besoin était, nos axes d’intervention.

1) Face aux changements en cours, faut-il une nouvelle orientation du GIGC ?

Nous pouvons donc nous interroger si l’évolution de la situation, l’entrée dans une période de confrontations massives entre les classes, ne nécessite pas une rupture, du moins une évolution significative de nos activités et de ses priorités telles que la précédente Réunion Générale de 2016 les avaient définies et adoptées :

« N’en reste pas moins une certaine fragilité "objective" due à la fois à la situation historique – aux difficultés du prolétariat pour retrouver la voie révolutionnaire du communisme – et aux faiblesses particulières du camp prolétarien. C’est dans cette situation et ce milieu, les deux appelés à changer sans doute de manière brutale, que nous devons faire vivre notre groupe et développer sa présence en vue d’être un facteur actif du combat pour le parti. Pour cela, tout en étant vigilants et présents dans les combats quotidiens, nous devons inscrire l’ensemble de nos activités dans une vision de long terme – la seule par ailleurs qui nous permette réellement d’être le plus présent et efficace dans les combats quotidiens. En particulier, il convient d’intégrer le rapport dynamique permanent entre vie interne et intervention en sachant qu’aujourd’hui, et en dernière instance, c’est la vie interne (y inclus comprise comme vie interne du camp prolétarien) qui définit l’intervention, contenu et niveau, et en garantit le contenu de classe et la régularité tout comme la possibilité d’accélération. Pour le rapporteur, c’est encore la dimension vie politique interne qui reste déterminante pour le renforcement et le développement du groupe et de son unité » (Révolution ou Guerre #6, 2016, Rapport d’activités pour la Réunion Générale du GIGC [4]).

Est-ce que les changements qui se sont opérés avec 2018 renversent la relation vie interne-intervention externe telle que nous l’avions définie en 2016 ? La question mérite d’autant plus d’être posée que la TCI, certes à partir de prémisses théoriques et politiques légèrement différents (nous ne partageons pas exactement la même vision du combat pour le parti), semble défendre une autre orientation :

« Il est clair qu’une nouvelle génération émerge dans le monde sur les positions de la Gauche communiste et pose de nouveaux défis pour des organisations comme la Tendance Communiste Internationaliste. Établir une position révolutionnaire claire en appliquant le marxisme à la réalité contemporaine est notre point de départ, mais nous ne pouvons nous y limiter. Comme l’a dit Onorato Damen, la politique révolutionnaire "ne peut se limiter à une machine à écrire". Ce n’est pas le moment des fractions ou des cercles de discussion. Il est temps de former partout des noyaux de révolutionnaires et de converger vers la création d’un parti révolutionnaire international et internationaliste en vue des inévitables conflits de classes de l’avenir » (TCI, The Significance of the German Revolution, nov. 2018 [5], nous soulignons et traduisons).

L’article, écrit par un membre de la CWO, le groupe britannique de la TCI, rejette clairement les "fractions ou cercles de discussion". Au-delà du rejet de la forme organisationnelle en soi et plus grave, il sous-estime, ignore, et de fait repousse, tout processus de confrontation et de clarification politiques comme moyen central et moment indispensable du combat pour le parti. Or ce procès de confrontation et clarification politiques – qui doit être ouvert au camp prolétarien comme un tout – est, contrairement à cette vision, la nécessité centrale du moment présent : armer politiquement et théoriquement la nouvelle génération qui vient en la rattachant à la Gauche communiste précisément sur ces deux plans ; et non pas chercher à gagner à soi en soi dans une démarche immédiatiste en espérant que la seule adhésion suffira à cet armement théorico-politique – si c’était si simple ! D’autres camarades, en particulier Nuevo Curso, ont relevé pour leur part une tendance d’ordre fataliste, voire attentiste, dans notre dernier communiqué sur les gilets jaunes :

« Nous ne sommes pas d’accord avec le fatalisme que nous entrevoyons dans les dernières phrases de la déclaration que nous reproduisons ci-après. Il est vrai que la faiblesse des communistes dans les luttes actuelles reflète "le rapport de force international et historique actuel entre les classes"… mais, comme dans toute relation dialectique, sa solution véritable est dans l’affirmation de son contraire : si les communistes veulent transformer le rapport de forces entre les classes, ils doivent commencer par faire face à leur propre faiblesse à partir des éléments à leur portée » (Nuevo Curso, Los chalecos amarillos tres meses después, 30 janvier 2019 [6]).

Cette interrogation critique de NC – dont nous partageons l’esprit et le contenu en soi – s’est aussi exprimée en diverses occasions et sous différentes formes dans nos rangs. Et malgré son identification et mention à diverses reprises, nous n’avons pas réussi à en débattre ouvertement et à trancher clairement la question. Cela apparaît clairement à la lecture des rapports de discussion. (…).

Donc, au-delà des questions immédiates et conjoncturelles, et dans la mesure où la question, voire la critique, est posée tant dans le camp prolétarien qu’en notre propre sein, il est légitime de s’interroger sur l’orientation que nous devons définir aujourd’hui : l’heure n’est-elle pas à ce que la dimension intervention dicte et détermine maintenant, et contrairement à la période précédente, l’ensemble de nos activités ?

2) Utiliser la méthode de parti pour débattre et définir nos orientations

Il est difficile de maintenir et développer une méthode de parti dans un tout petit groupe comme le nôtre dont la photo, la réalité immédiate, est celle d’un petit cercle. En fait, c’est une grande partie, sinon tout, le camp prolétarien qui vit comme un ensemble de cercles de par la dispersion, l’éclectisme, l’esprit de chapelle, l’informalisme, le poids de l’individualisme qui y règnent. Même le fonctionnement et l’intervention de sa principale organisation, la TCI pourtant liée organiquement avec le PC d’Italie et la Gauche communiste d’Italie, subit le poids d’un relatif informalisme, du personnalisme et de l’individualisme, et donc de l’esprit de cercle [7]. D’une certaine manière, et sans en faire un absolu, ni un copier-coller, nous pouvons encore faire un parallèle avec la situation à laquelle se trouvaient confrontés les révolutionnaires sociaux-démocrates russes à l’orée du 20e siècle. Du moins doit-elle nous servir d’expérience et de référence :

« Ce dont notre mouvement souffre le plus, sur le plan idéologique et sur celui de la pratique, de l’organisation, c’est de la dispersion, du fait que l’immense majorité des social-démocrates est à peu près totalement absorbée par des besognes purement locales qui réduisent à la fois leur horizon, l’envergure de leurs efforts, leur accoutumance et leur aptitude à l’action clandestine » (Lénine, ibidem).

Nul doute que certains, peu importe qu’ils soient même beaucoup, se moqueront de notre aspiration et prétention à utiliser cette méthode de parti. Nous sommes peu, très peu, trop peu, à s’en revendiquer aujourd’hui, y compris au sein même du camp prolétarien. Pourtant l’usage immodéré, incontrôlé, des nouveaux media, réseaux et networks du web 2.0 favorisent la propagation de l’idéologie démocratique bourgeoise et petite-bourgeoise et les maux qui affectent l’ensemble de ces forces, y compris celles se revendiquant de la Gauche communiste tout comme les nouvelles générations sans expérience, et que l’on peut caractériser comme l’esprit de cercle version 2.0. La défense de la méthode de parti et son illustration dans notre pratique est une des tâches que notre groupe doit se fixer face à la nouvelle génération de révolutionnaires qui surgit et qui a du mal à se dégager de la pratique démocratiste, individualiste, subjective et émotionnelle des réseaux sociaux. Bref, sans faire un parallèle absolu avec le passé, le combat contre les cercles est pleinement d’actualité et au premier plan du combat pour le parti.

Dans notre cas, et en vue de la préparation de la Réunion Générale, notre congrès d’organisation, la méthode de parti exige l’identification politique des tendances politiques mentionnées plus haut et qui s’affrontent, du moins potentiellement, en notre propre sein tout comme dans le camp. Car elles sont des expressions plus ou moins affirmées de tendances contradictoires au sein du camp prolétarien comme un tout et à la fois le reflet et l’expression, indirects et directs parfois, des contradictions et difficultés auxquelles le prolétariat international se retrouve confronté, particulièrement dans ses luttes. Nous pouvons les définir et les résumer – et non les réduire – aux hésitations et faiblesses que la classe révolutionnaire éprouve pour s’emparer de la dimension politique de ses luttes en s’opposant et s’affrontant aux forces diverses, principalement syndicales et politiques, de l’appareil d’État capitaliste ; c’est-à-dire encore et toujours le danger de l’apolitisme, de l’indifférentisme politique, de l’économisme moderne incarné par le conseillisme.

« Nous avons fait le premier pas, nous avons suscité dans la classe ouvrière la passion des révélations ’économiques’, touchant la vie des fabriques. Nous devons faire le pas suivant : éveiller dans tous les éléments un peu conscients de la population la passion des révélations politiques » (Lénine, ibidem).

Il ne s’agit pas en soi de faire de toute nuance un débat et une confrontation définitive menant à des caractérisations politiques précipitées et condamnant quiconque, encore moins bien sûr à des ruptures systématiques ; mais au contraire de poser les termes et les conditions d’une clarification politique la plus large possible et du dépassement de ces oppositions ; oppositions latentes dans notre cas et oppositions qui ne sont pas développées au point que tels ou tels membres les personnifient, les portent et les matérialisent spécifiquement ; oppositions plus ou moins ouvertes et exprimées parmi les groupes du camp prolétarien.

La difficulté d’utilisation de la méthode qui cherche à identifier et polariser les différences et débats est rendu d’autant plus difficile dans un tout petit groupe dont l’image et la réalité immédiate sont celle d’un cercle. Il est difficile de ne pas ’personnaliser’ les débats dans un groupe avec peu de membres. Raison de plus pour s’accrocher et pratiquer, essayer de pratiquer et développer, la méthode de parti : « devenu membre du Parti (...) mon devoir est de ne plus me borner à un "je fais confiance" ou "je ne fais pas confiance" incontrôlé, mais de reconnaître que je suis comptable de mes décisions, et qu’une fraction quelconque du Parti l’est des siennes, devant l’ensemble du Parti ; je dois suivre la voie formellement prescrite pour exprimer ma "défiance", pour faire triompher les idées et les désirs qui découlent de cette défiance. De la "confiance" incontrôlée, propre aux cercles, nous nous sommes élevés à une conception de parti qui réclame l’observation de formes strictes et de motifs déterminés pour exprimer et vérifier la confiance » (Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, 1904 [8]). Dans notre cas, notre capacité – actée lors de la 1er Réunion Générale de 2016 – à effectuer l’envoi et l’échange régulier de rapports de discussion ou de lettres argumentées – et non de posts instantanés propres aux réseaux – se répondant les unes les autres fournit le moyen et le cadre organisationnel indispensables pour fonder et développer nos débats, y compris les débats contradictoires, sur des documents écrits, faits matériels – et non sur des impressions subjectives et/ou personnel. (…).

3) Un rapport de continuité et non de rupture

Pour le rédacteur, c’est la première option et l’orientation qu’il va proposer que la Réunion Générale adopte. Néanmoins aujourd’hui, face à l’évolution significative de la situation, forces communistes comprises, il convient de préciser la formule de notre Réunion Générale de 2016 : c’est encore la dimension vie politique interne au camp prolétarien comme un tout qui reste déterminante pour le renforcement et le développement de ce camp et de son unité dont notre groupe est partie et facteur.

Pourquoi un tel choix alors que la question d’une rupture peut être légitimement posée ? Alors même que la situation mondiale et ses enjeux historiques se précisent ; alors même que la classe capitaliste est contrainte de redoubler ses attaques et d’entamer et généraliser une véritable guerre de classe contre le prolétariat ; que des minorités ouvrières surgissent dans les luttes inévitables qui en découlent et s’interrogent de plus en plus sur l’avenir du capitalisme et la nécessité d’une nouvelle société ; et alors même que de nouvelles forces communistes émergent et qu’une nouvelle dynamique vient bousculer l’ordonnancement et la conformation du vieux camp prolétarien et particulièrement des forces partidistes en son sein ? Tout semblerait à première vue vérifier la thèse de la CWO selon laquelle « ce n’est pas le moment des fractions ou des cercles de discussion. Il est temps de former partout des noyaux de révolutionnaires et de converger vers la création d’un parti révolutionnaire international et internationaliste » [9] ; que l’immédiat, l’heure, est à gagner et regrouper au plus vite les énergies prolétariennes pour pouvoir influencer directement et massivement, voire diriger, les luttes prolétariennes au risque, dans le cas contraire, qu’elles échouent systématiquement et ne réussissent pas à changer la dynamique du rapport de force entre les classes…

Cette approche présente deux erreurs : d’une part, dans le rapport parti-classe qui voit – ou réduit – la solution du problème dans l’influence immédiate des révolutionnaires, du parti, dans la classe indépendamment du cours réel – c’est-à-dire politique – du rapport de forces entre les classes (cf. nos commentaires critiques aux prises de position de la TCI dans RG #10 et 11) ; et d’autre part, elle ne tient pas compte d’un facteur essentiel de ce rapport de forces, de son cours ou dynamique : la réalité présente du camp prolétarien lui-même – son isolement, sa faiblesse et sa dispersion –, de la Gauche communiste et des groupes politiques qui s’en revendiquent, en tant qu’expressions les plus hautes de la conscience de classe. Les deux erreurs présentent le danger de tomber dans une sorte de volontarisme – à distinguer de la volonté et conviction politiques – et d’immédiatisme – attendre des résultats immédiats, ici l’adhésion de sympathisants et membres, et baser les orientations sur ces espérances indépendamment du cours réel des luttes prolétariennes. Et, si ces attentes ne sont pas confirmées – ce qui est fort probable pour l’immédiat –, le désarroi et, ensuite, la démoralisation politiques souvent en découlent [10]. (…).

C’est donc un véritable combat que nous devons mener dans le camp prolétarien comme un tout contre ces expressions d’immédiatisme qui ne peuvent manquer de redoubler face à l’accélération et l’aggravation des antagonismes de classes et aux caractéristiques, dont les difficultés, propres au processus de grève de masse dans la période actuelle. Accélération et aggravation offriront la tentation de l’attente impatiente et donc de la recherche de succès immédiats, en particulier en terme d’influence directe dans la classe ou encore d’adhésions militantes, en lieu et place du renforcement et de l’unité politique, théorique et programmatique internationale du parti en devenir. Or, ce danger d’immédiatisme est aggravé par le poids de l’esprit de cercle et l’informalisme qui tend à prévaloir sous sa forme moderne 2.0 et que nous avons soulignés précédemment. Cette ambiance générale d’immédiateté, faites de posts instantanés, directs et bien souvent, trop souvent, réduits à la subjectivité et à l’émotion individuelle plutôt qu’à la réflexion systématique, méthodique, collective, centralisée et donc organisée, la méthode de parti, exerce une pression sur l’ensemble des groupes historiques de la Gauche communiste, et aussi sur notre propre groupe, à laquelle nous devons essayer de résister en nous attachant et nous réappropriant les expériences passées du mouvement ouvrier.

4) Au cœur de nos activités : la revue Révolution ou Guerre

« A notre avis, le point de départ de notre activité, le premier pas concret vers la création de l’organisation souhaitée, le fil conducteur enfin qui nous permettrait de faire progresser sans cesse cette organisation en profondeur et en largeur, doit être la fondation d’un journal politique pour toute la Russie. Avant tout, il nous faut un journal, sans quoi, toute propagande et toute agitation systématiques, fidèles aux principes et embrassant les divers aspects de la vie, sont impossibles. (...) Le journal ne borne pas cependant son rôle à la diffusion des idées, à l’éducation politique et au recrutement d’alliés politiques. Il n’est pas seulement un propagandiste collectif et un agitateur collectif ; il est aussi un organisateur collectif. (...) Avec l’aide et à propos du journal se constituera d’elle-même une organisation permanente, qui ne s’occupera pas seulement d’un travail local mais aussi général et régulier, habituant ses membres à suivre de près les événements politiques, à apprécier leur rôle et leur influence sur les diverses catégories de la population, à trouver pour le parti révolutionnaire la meilleure façon d’agir sur ces événements » (Lénine, ibidem, nous soulignons).

Nous pouvons faire un parallèle entre le rôle central que Lénine attribuait à la publication régulière d’un journal et dont l’argumentaire est développé dans Que faire ?, et le développement de notre propre organisation collective. Dès la constitution du GIGC, l’ensemble de nos activités s’est articulé autour de notre revue. Une grande partie du bilan des activités du groupe peut et doit se faire à l’aune de Révolution ou Guerre, notre publication régulière, régularité respectée et confirmée, et de son contenu politique, analyses, orientations, prises de position mais aussi reprises d’articles d’autres groupes ou sympathisants et débats publics assumés. Notre journal n’est pas un organisateur collectif seulement au plan technique ou encore au plan du fonctionnement du groupe pour sa réalisation, choix des sommaires, rédactions, traductions, discussions des projets d’articles, etc. mais aussi, et surtout, au plan politique en tant que principal facteur de l’homogénéité et de l’unité politique du groupe. (…)

[Suit ici un bilan plus précis de la revue et de sa réalisation pratique que nous ne reproduisons pas, note de la Rédaction]

Bref, le contenu et les orientations politiques de notre revue expriment assez fidèlement la dynamique même de notre groupe, ses forces et ses faiblesses, et les enjeux auxquels il se confronte et essaie de répondre, tout comme celles du camp prolétarien dans son ensemble. Sa publication régulière, jamais démentie, est devenue un acquis qu’il faudra encore consolider. Mais surtout, la 2e Réunion Générale de notre groupe devrait se pencher sur l’évolution que notre revue a connue depuis… 2018. Jusqu’alors, elle était essentiellement la revue du GIGC dont l’orientation principale était « à la fois de pousser au regroupement et à la polarisation autour de la Tendance communiste internationaliste et à lutter contre les manifestations de l’opportunisme et de sectarisme au sein du camp ; tout spécialement contre les tendances "anti-parti" et a-politiques » (Résolution sur la constitution du GIGC, 2013, RG #1 [11]). Depuis l’émergence de nouvelles forces, Nuevo Curso, le GCCF et Workers Offensive aux États-Unis, ou encore les camarades regroupés autour du Free Retriever Digest aux Pays-Bas, notre revue n’hésite pas et se doit de reproduire les prises de position et contributions que ces groupes réalisent, non seulement pour les ’utiliser pour son propre compte’ – unir et rationnaliser les efforts communs – mais aussi et surtout pour favoriser et développer au mieux l’expression la plus unie et la plus efficace possible de la Gauche communiste au niveau international. Nous devons donc continuer à développer notre orientation d’ouverture aux autres forces du camp dans, et au moyen de, la revue afin qu’elle soit, autant que faire ce peut, une revue du camp prolétarien comme un tout, un outil pour les débats et les clarifications ; mais aussi pour que la Gauche communiste parle d’une seule voix lorsque c’est possible. Bref qu’elle soit un moyen et un moment du combat pour le parti.

Le développement de cet élargissement ou ouverture de la publication requiert de notre part une plus grande maîtrise politique et la vigilance permanente contre toute concession à l’éclectisme théorique et politique. Il conviendra donc de favoriser les prises de position internationalistes sur des événements majeurs (comme ce fut le cas pour la question catalane ou encore la grève de masse en Iran) et les questions qui soulèvent des débats et des points théoriques et politiques à clarifier (comme ce fut le cas pour le rapport parti-classe, l’alternative historique, la période de transition...). Le renforcement du combat pour notre homogénéité et unité politiques, le renforcement de la dimension vie interne, est la condition pour pouvoir réaliser cette proposition d’ouverture et d’élargissement, d’extension, de l’intervention de la revue dans le camp comme un tout et dans la classe de la manière la plus utile et efficace possible pour le combat pour le parti ; c’est-à-dire dans le sens du regroupement et de l’unité politique, comme moment du combat pour le parti, et non dans le sens de l’éclectisme et du démocratisme, comme moment de dilution et liquidation du parti.

5) Fonctionnement interne et méthode de parti

Indiscutablement, Révolution ou Guerre est notre organisateur collectif pour reprendre l’expression et, nous l’espérons, la méthode de parti avancées par Lénine en son temps. De fait, notre publication centralise (synthétise) et matérialise l’ensemble de nos activités et leur confère un rythme, une dynamique, régulière et permanente. Or seules une activité et une mobilisation collectives permanentes peuvent asseoir et développer la présence politique effective d’un groupe communiste et, à la fois, lui permettre toute accélération et de faire face à tout événement imprévu ou soudain dans la situation.

Sa réalisation en terme de contenu politique et de choix éditorial nous oblige à maintenir et développer au maximum une vie interne permanente que la seule volonté individuelle des membres ne suffirait pas à garantir, loin s’en faut. (…) Du fait de notre réalité matérielle objective, en terme de nombre de membres, de cercle, le poids des responsabilités et des convictions individuelles est d’autant plus important et rend plus fragile cet acquis. La méthode de parti, rendue d’autant plus nécessaire par les conditions de notre quotidien, requiert un effort et une vigilance redoublés contre les expressions et les tentations, et autres apparentes facilités, diverses et variées, collectives et individuelles, de l’esprit de cercle. (…).

Addition de rédacteurs individuels ou bien vers un rédacteur collectif ?

Dans une réunion, un camarade a exprimé l’idée qu’il n’avait pas « la capacité de rédaction pour faire partie d’un comité de rédaction. Il peut cependant faire le travail technique (relecture, corrections, etc.). Il suggère que ce soit d’autres camarades qui soient en charge d’un tel comité » (rapport du 14 mars 2019). Arrêtons-nous un peu sur ce point et polarisons le débat sous-jacent en évitant de le personnaliser. Cette approche et compréhension du rapport du militant aux activités à réaliser par l’organisation – qu’on ne peut limiter ici au seul travail d’un comité de rédactiontend à faire fi de la dimension collective et centralisée de toutes les activités d’un groupe communiste, a fortiori du parti. Certes, tous ses membres n’ont pas les mêmes "capacités", "qualités", "prédispositions" ou "attirances" individuelles et le corps collectif doit utiliser les forces dont il dispose au mieux de ses tâches et du combat de classe. Dans ce sens et à première vue, il peut sembler évident qu’il vaut mieux un "bon rédacteur" qu’un "moins bon". Mais la question fondamentale n’est pas technique, ici la capacité d’écrire, là de traduire ou maîtriser une langue étrangère, ou encore d’être un bon orateur, propagandiste ou agitateur, etc. Elle est surtout et avant tout d’ordre politique, donc aussi collective. Outre le fait – curieux en soi mais surtout dangereux du point de vue des rapports politiques fraternels et de l’implication de chaque militant – de maintenir un seul membre hors de l’activité centrale du groupe, laisser à des "spécialistes" ou à un certain type de militants la responsabilité politique – et non technique ou pratique – de telle ou telle activité n’est pas la conception que les communistes doivent développer en matière de centralisation des activités et de la réalisation des tâches. Une chose est de donner un mandat, permanent ou non selon les situations, à un organe particulier, central ou non, ou bien encore à un ou des délégués ; autre chose est de se "retirer" d’une tâche collective au risque soit de se "spécialiser" dans une autre, soit de finir par se désimpliquer et se démoraliser. Dans un cas, le mandat donné rend le mandaté responsable devant le collectif auquel il doit rendre compte, et nous avons une centralisation effective du travail militant selon la méthode de parti. Dans l’autre cas, nous avons un retrait individuel selon l’esprit de cercle et une formalisation, sinon une théorisation, d’une division du travail au sein du parti qui mène au fédéralisme et à l’autonomisme, puis à la spécialisation individuelle et à la division politique. Dans un cas, nous avons une confiance politique qui peut s’établir, se développer et se vérifier sur base d’un mandat car « je suis comptable de mes décisions (...) devant l’ensemble du parti » (Lénine, op. cité) et ainsi, entre autres choses, fournir les conditions politiques, y compris le cadre organisationnel adéquat, pour que tel ou tel membre puisse aussi développer de nouvelles capacités "individuelles" ; ici rédactionnelles. Dans l’autre, la supposée absence de confiance dans ses propres capacités individuelles, comme point de départ de la réflexion, et le renoncement, voire la démission face à cette tâche collective, qui en découle, considère le problème à partir de, et le réduit à, l’individu militant – et non à partir du collectif organisé, le parti. Elle tourne le dos à la méthode du parti et tend à considérer l’organisation politique communiste comme une addition d’individualités et non comme un corps collectif ; ici comme une somme de rédacteurs individuels et non comme, tendanciellement bien sûr, un rédacteur collectif.

Le rapport propose que tous les camarades du groupe, tel qu’il existe aujourd’hui, participe activement au comité de rédaction ce qui ne veut pas dire qu’il faille décréter que tous les camarades doivent écrire chacun un article au minimum pour chaque numéro. Cela veut dire que tous les camarades aient à cœur en permanence, au quotidien, la réalisation de la revue comme un tout – parce qu’ils vont en recevoir le mandat par la Réunion Générale et « qu’ils devront en rendre compte devant l’ensemble du parti » – et que chacun d’entre eux y contribuent selon ses capacités au même titre et avec la même responsabilité que les autres membres. Le principe qui doit guider tout comité de rédaction, et le parti lui-même, est celui du processus qui tend et vise à passer d’un collectif de rédacteurs à un rédacteur collectif. Même si celui-ci ne se décrète pas car dépendant étroitement de l’homogénéité et unité politiques en devenir – raison pour laquelle il est encore nécessaire de "signer individuellement" certains articles –, il n’en reste pas moins l’objectif et l’esprit qui doivent guider le travail rédactionnel et la réalisation des publications ; et le principe qui doit définir la méthode de parti à utiliser et développer par tout comité de rédaction.

Comment lutter contre l’hétérogénéité interne inévitable pour la réduire au mieux

Bien évidemment, il ne s’agit pas non plus pour le corps collectif organisé et centralisé qu’est le parti, d’imposer par la force aux membres des tâches pour lesquelles ils ne se sentent pas adaptés ou pour lesquelles ils n’ont pas d’appétence, du moins dans un premier temps. La politique d’injonction, ici de contraindre un camarade à accomplir telle ou telle tâche dont il ne serait pas convaincu, n’est pas un mode de fonctionnement utile à l’organisation communiste car il n’est pas efficace. Un camarade non convaincu d’une tâche ou d’une orientation politique aura le plus grand mal à la réaliser, l’accomplira sans doute mal, et à terme risquera de perdre confiance dans le collectif organisé, dans ses propres convictions et finalement par se démoraliser. Dans ce cas, la méthode de parti consiste à ce que le collectif assume la tâche au mieux et finisse par convaincre le camarade qu’il a toute sa place dans sa réalisation – d’ailleurs n’est-ce pas là la méthode que les ouvriers en grève ou en lutte tendent à utiliser spontanément lorsqu’ils organisent eux-mêmes (et non les syndicats) leur combat ? Elle n’est pas toujours très rapide, sa solution certainement pas la plus immédiate d’un point de vue formel (ou formaliste), mais il n’en est pas d’autre du point de vue communiste ; c’est-à-dire du point de vue de l’efficacité de la lutte prolétarienne. Sur ce plan aussi, la recherche volontariste et l’attente impatiente de résultats immédiats sont bien souvent vaines et finissent par être contre-productives et in fine dangereuses. (…).

Nous insistons sur cette fausse méthode d’injonction car nous la retrouvons souvent dans l’histoire du mouvement ouvrier et de ses organisations révolutionnaires. Pour ne donner qu’un seul exemple, ce fut précisément un moyen qu’utilisa d’abord l’opportunisme zinoviéviste, puis que systématisa le stalinisme triomphant, pour détruire et corrompre les convictions de nombre de militants en les obligeant à accomplir des tâches et à défendre des positions politiques dont ils n’étaient pas convaincus et même avec lesquelles ils étaient en désaccord [12]. Ce fut, encore une fois, tout à l’honneur des gauches et tout spécialement de la Gauche du PC d’Italie de combattre ces pratiques tant dans le combat organisationnel immédiat qu’au plan théorique et politique (cf. les Thèses de Lyon, 1926 [13], par exemple). Sans doute faudra-t-il discuter et clarifier ce point car il nous semble qu’une tendance, certes toute relative et limitée, à l’injonction – ou bien à une sorte de volontarisme – peut s’exprimer parfois parmi nous, vis-à-vis du camp prolétarien ou encore de l’intervention, et est causée en grande partie par la déception face à l’absence de résultats immédiats apparents.

À chacun selon ses capacités et permanence de l’engagement militant

De même, certains questionnements se sont posés en différentes occasions sur le manque de disponibilité des camarades pour la bonne réalisation des tâches du groupe ce qui provoque parfois un relatif découragement et un silence, une non-participation, qui se prolonge au risque de devenir démoralisante pour le camarade affecté par ce mal et inquiétante pour le groupe (…). Mais la question de la participation et de l’implication militantes à la lutte collective n’est pas une question d’une quantité minimum d’heures et de minutes par jour qu’il faudrait décréter pour l’activité militante de chacun. En terme quantitatif, la participation est inévitablement inégale entre membres et selon les moments – en particulier pendant et en dehors des mobilisations massives prolétariennes. Par contre, c’est la qualité, ici l’attention et la préoccupation militante régulière et permanente pour les activités de l’organisation et le développement de la situation historique, qu’il faut défendre et pour laquelle il faut combattre collectivement et individuellement (…). La dimension vie militante du membre de l’organisation communiste inévitablement minoritaire, voire extrêmement minoritaire, dans la vie sociale quotidienne sous le capitalisme, n’est pas, et ne peut pas être (sauf période révolutionnaire mais alors c’est l’ensemble de la classe qui est militante en permanence), la seule dimension de sa vie sociale – surtout dans une période historique dans laquelle le capitalisme d’État occupe tous les espaces sociaux et idéologiques et exerce une domination de classe sur toutes les dimensions de la vie sociale à l’exception des mobilisations prolétariennes massives qui, précisément, brisent ce contrôle. Mais la dimension vie militante doit tendre à être au centre de la vie du militant communiste en tant que conscience et préoccupation par rapport aux tâches et à la fonction du parti.

6) L’intervention directe et publique

Nous pouvons distinguer deux types d’interventions : celle qui répond à des événements dans la situation, en particulier des luttes ouvrières ou encore des réunions publiques de groupes gauchistes ou révolutionnaires et qui est de fait occasionnelle, tributaire de ces événements ; et celle qui correspond à l’intervention de l’organisation communiste elle-même, en fonction de ses priorités et orientations, de caractère permanent et qui vise à développer et installer sa présence politique dans les milieux où elle se meut. Bien évidemment, dans les deux cas, l’intervention de l’organisation est aussi dépendante et déterminée, outre sa capacité politique donnée ici comme acquise, par la capacité physique, matérielle, d’intervention – pour l’essentiel d’ordre géographique et, à un degré moindre, de ses forces militantes. Il y a donc une relation, un rapport entre la nécessité et l’intérêt objectif immédiat de chaque intervention et les capacités réelles d’intervention qui définit selon les moments la ligne à suivre, rarement rectiligne, et qui permet d’éviter les écueils du volontarisme et de l’activisme – bien souvent immédiat et local – d’une part et la passivité et le fatalisme d’autre part. (…).

L’intervention régulière du groupe

Sans doute est-ce précisément la revue qui illustre le plus clairement la problématique et les difficultés devant lesquelles l’intervention communiste se trouve confrontée aujourd’hui face à "l’absence de résultats immédiats" : d’un côté, nous réussissons à la publier régulièrement, impression et mise sur notre site web, et de l’autre sa diffusion militante est extrêmement réduite, voire insignifiante [14]. Certes, les visites et la lecture de nos articles sur notre site ne cessent d’augmenter à ce jour ; la courbe de la croissance est très encourageante depuis l’ouverture du site en 2014. À quoi doit-on, fondamentalement, une si faible diffusion ? À une faiblesse ou un manque de conviction et d’efforts militants de notre part pour la diffuser ? Ou bien à des conditions plus objectives ? Nous pensons que c’est dû au fait d’Internet bien sûr mais aussi et surtout de la réalité de l’évolution du rapport de forces entre les classes et des particularités de la lutte ouvrière à notre époque de capitalisme d’État omniprésent. Notre revue est diffusée de manière systématique dans toutes les manifestations et luttes ouvrières à notre portée géographique, dans les réunions publiques gauchistes ou de groupes révolutionnaires auxquelles nous pouvons participer et enfin dans les librairies les plus importantes des villes où nous vivons ou bien que nous pouvons joindre... tout en suivant et maîtrisant notre diffusion (autre ligne ou équilibre à trouver entre les deux écueils mais c’est là un point particulier). Certes, on peut toujours faire mieux et plus en soi. Mais ce mieux et ce plus changeront-ils de manière significative l’ampleur de notre diffusion militante ? Nous ne le pensons pas. Et si ce constat est juste, il convient pourtant de maintenir notre conviction et volonté militante collective et individuelle pour continuer et développer cette diffusion en traçant une ligne aussi droite que possible entre effort de diffusion et absence de résultat significatif immédiat, les ventes de numéro, au risque de perdre de vue à terme la raison d’être de la diffusion militante, d’en faire une simple tâche routinière par principe, sans objectif concret, et sans enthousiasme ou sans dynamisme individuel et collectif et à la fin de se démoraliser. Or ventes ou pas, la diffusion de notre revue est le drapeau et le mot d’ordre général que nous brandissons dans les manifestations et les réunions et, à ce titre, elle assume et participe d’imposer l’indispensable présence communiste dans ces événements. Son utilité et sa nécessité ne se jugent pas aux résultats immédiats, ici le nombre d’exemplaires vendus ; mais à la signification historique et pratique que les drapeaux ou les bannières Révolution ou guerre pour notre groupe, Battaglia Comunista pour la TCI ou encore Internationalisme pour d’autres publications, etc. représentent concrètement lorsqu’ils sont brandis et affichés publiquement. Et si, en plus, on peut obtenir la valeur ajoutée – horreur de la novlangue manageriale – politique d’une vente, et encore plus d’un achat, d’une publication communiste, les deux d’autant plus militants s’ils s’accompagnent d’une discussion...

C’est la même problématique qui se pose avec les contacts et sympathisants que nous pouvons avoir tant en France qu’au Canada et que nous avons rencontrés soit lors de réunions publiques du groupe, soit dans des permanences ou des rencontres individuelles (...). De même, nous sommes intervenus dans des réunions publiques d’autres groupes révolutionnaires, à Paris en particulier, ou bien gauchistes-syndicalistes à Montréal. En ces occasions, outre quelques ventes militantes irrégulières, nous réussissons à intervenir et ainsi à assumer une relative, et en soi limitée, présence politique du GIGC et plus largement de la Gauche communiste. Si les situations des milieux politiques gauchistes et révolutionnaires sont différentes entre Montréal et Paris (à Paris, existe encore un milieu, certes très dispersé et éclectique, formé par la Gauche communiste), et beaucoup plus encore le sont elles à Toronto, les résultats "faibles" en terme d’influence, de contacts, de sympathisants, et nul en terme de perspective immédiate de regroupement organisationnel ou d’adhésion à notre groupe, sont du même ordre. Nous nous trouvons donc devant une réalité "objective" générale que nous devons prendre en compte pour définir non pas la nécessité d’intervention mais les efforts qu’il convient d’y déployer afin d’être le plus efficace possible dans l’ensemble de nos activités, y compris celle-ci. Ni immédiatisme, ni fatalisme. Ni volontarisme, ni renoncement.

L’intervention dans les luttes ouvrières

Globalement, le groupe est capable de se mobiliser et d’intervenir dans les expressions de luttes ouvrières dans lesquels il peut être présent physiquement. Même s’il y a eu quelques expressions limitées de lutte au Canada et quelques interventions ponctuelles, c’est surtout en France que le groupe a eu l’occasion d’intervenir dans des luttes massives : juste avant la réunion générale précédente, au printemps de 2016 dans la lutte contre la loi travail ; mais aussi dans la mobilisation des cheminots et celle des gilets jaune (encore en cours à l’heure où nous rédigeons ce rapport) en 2018. Sa capacité d’intervention ne se limite pas bien sûr, loin s’en faut, à son intervention physique mais surtout – c’est un point à clarifier si besoin – quant à son contenu politique, les orientations et les mots d’ordre en fonction des moments et étapes.

(…) Nous devons donc relever que l’isolement local et le très faible nombre de membres rendent plus difficile l’application de la méthode de parti pour des interventions dans des luttes massives. Malgré le soutien du groupe comme un tout dans notre cas – et en passant aussi la proposition de soutien de membres de Nuevo Curso lors du mouvement des gilets jaunes –, les deux à relever et à saluer, le militant isolé n’a pas de cadre organisationnel permanent, de collectif, pour le soutenir et devant lequel il est responsable. La réunion de section locale hebdomadaire comme cellule de base du parti lui fait défaut. Sans discussion ou débat et surtout sans mandat particulier immédiat autre que celui qu’il se donne à lui-même, dans les faits et dans l’urgence de la situation, le militant isolé localement peut plus difficilement être « comptable de ses décisions (...) devant l’ensemble du Parti ». Pour autant, il serait erroné de conclure de ce constat qu’il faut absolument, à tout prix, ou même comme une priorité, que nous cherchions et "gagnions" des sympathisants et contacts proches, voire de nouveaux membres ; bref que nous en fassions une orientation, pire un objectif, en soi. Nous retomberions là dans l’écueil du volontarisme. De même, en conclure que, puisqu’il n’y a pas pour l’instant de possibilité de rompre cet isolement, il faudrait y renoncer pour des raisons "objectives" serait tomber dans le fatalisme (…).

Il n’y a pas de recettes immédiates pour dépasser cette difficulté, l’intervention isolée, et seul le cadre collectif international du groupe, c’est-à-dire privilégier y compris dans des périodes de mobilisation intense la rédaction de compte-rendu et le partage de l’expérience permettant au mieux la participation du groupe comme un tout à la réflexion et à la définition des orientations immédiates et locales, peut permettre de passer outre. Toujours et encore la méthode de parti.

Conclusions

Ce rapport ne tire pas un bilan exhaustif de nos activités. Il appartiendra aux camarades de développer certains points s’ils le jugent nécessaire. L’entrée dans une période de confrontations massives entre les classes, y compris l’émergence de nouvelles générations de révolutionnaires, met déjà à l’épreuve les groupes politiques constitués du camp prolétarien et de la Gauche communiste tant par rapport à la validité de leurs positions et orientations de base que par rapport aux responsabilités nouvelles et plus directes posées par la situation qui s’ouvre. Notre groupe n’y fait pas exception et faire face aux responsabilités historiques, intervention et capacités politiques d’intervention dans la classe tout particulièrement, ne se décrètent pas et sont l’objet d’un combat politique collectif organisé.

Malgré ce changement dans la situation et les nouveaux enjeux qu’elle pose, nous proposons de poursuivre et développer les orientations que nous avions définies lors de la constitution du groupe en 2013 et réaffirmées en 2016 ; la dimension vie interne des activités, débat, confrontation et clarification politiques et regroupement, des groupes du camp prolétarien partidiste, et donc du GIGC, continue à déterminer et définir la dimension externe d’intervention, permanente et indispensable, dans la classe révolutionnaire comme un tout... Tel est l’équilibre à maintenir et développer dans les activités de notre groupe et tel est l’axe principal de notre combat pour le parti au sein du camp prolétarien et, plus largement, des forces révolutionnaires, anciennes ou nouvelles. Pour ce faire, notre publication semestrielle reste notre outil principal et, à ce titre, doit viser à développer son ouverture aux autres forces communistes et se considérer comme une revue du camp prolétarien partidiste ; comme un outil commun et un moment du combat pour le parti. Notre intervention en général et notre revue en particulier doivent lutter tout particulièrement contre les formes toutes particulières sous lesquelles l’opportunisme s’exprime du fait de la nouvelle situation : les dangers de l’économisme moderne et du fatalisme d’une part et de l’éclectisme théorico-politique et de l’immédiatisme d’autre part. Ces deux maux affectent tant les forces du camp prolétarien que le prolétariat dans ses luttes même si de différentes manières ou formes. Les deux sont particulièrement favorisés par l’esprit de cercle qui prédomine dans l’ensemble du camp prolétarien international, y compris au sein des groupes anciens et constitués de la Gauche communiste.

Pour combattre au mieux ces formes d’opportunisme qui s’expriment parfois ouvertement, parfois de manière latente ou potentielle, et l’esprit de cercle, il appartient à notre groupe de développer son utilisation et pratique de la méthode de parti tant dans son intervention dans la classe et les forces révolutionnaires, camp prolétarien et groupes de la Gauche communiste compris, que dans ses activités internes. C’est essentiellement dans sa propre pratique qu’il convaincra les autres forces communistes, les anciennes de revenir (pour celles qui l’ont oubliée), les nouvelles de se hisser, à cette méthode et à l’esprit qui doit l’accompagner face à l’esprit de cercle.

Seule l’application, ou le retour, à cette méthode peut permettre le développement réel de l’homogénéité et de l’unité théoriques et politiques des forces composants aujourd’hui le parti en devenir par la systématisation des débats, confrontations et clarifications politiques et les expressions unies des positions internationalistes et communistes. La formalisation et la systématisation des relations et des débats au sein du camp en sont une des deux principales conditions tout comme le rejet de l’individualisme et de l’immédiatisme émotionnel propres aux réseaux sociaux, à l’esprit de cercle 2.0.

Le renforcement de notre homogénéité et unité politiques comme groupe particulier, ou fraction, de ce camp en est la seconde. Elle passe par une vigilance et un effort constants pour le maintien de notre vie politique interne régulière. Elle passe par un renforcement effectif de notre centralisation politique dans la réalisation de la revue, développer le rédacteur collectif, et dans l’affirmation du noyau de Montréal comme section locale centrale et dynamisant le groupe comme un tout. Enfin, elle passe par la compréhension pratique – non mystifiée – et la conviction politique de sa nécessité – donc non décrétée, ni absolue – de la place que doit occuper, dans les conditions historiques d’aujourd’hui, la dimension militante, l’engagement communiste, des membres du parti en devenir par rapport à la dimension de leur vie personnelle-vie privée.

« Précisément parce que “la foule n’est pas avec nous”, il est déraisonnable et inconvenant de proclamer “l’assaut” immédiat, car l’assaut est l’attaque d’une troupe permanente et non l’explosion spontanée d’une foule. Précisément parce que la foule peut broyer et refouler la troupe permanente, il faut absolument que notre travail d’“organisation” rigoureusement systématique dans la troupe permanente “marche aussi vite” que l’élan spontané, car plus nous aurons “pris le temps” de procéder à cette organisation, plus il y aura de chances pour que la troupe régulière ne soit pas broyée par la foule, mais qu’elle marche en avant, en tête de la foule. Nadiéjdine fait fausse route, parce qu il se figure que cette troupe organisée systématiquement agit d’une façon qui la détache de la foule, alors qu’elle s’occupe exclusivement d’une agitation politique étendue et multiforme, c’est-à-dire d’un travail qui justement tend à rapprocher et à fusionner en un tout la force destructive spontanée de la foule et la force destructive consciente de l’organisation des révolutionnaires.(...)

Car au fond, l’insurrection est la “riposte” la plus énergique, la plus uniforme et la plus rationnelle faite par le peuple tout entier au gouvernement. C’est cette œuvre [la réalisation et la diffusion d’un journal commun] qui apprendrait enfin à toutes les organisations révolutionnaires, sur tous les points de la Russie, à entretenir entre elles les relations les plus régulières et en même temps les plus conspiratives, relations qui créent l’unité effective du parti et sans lesquelles il est impossible de débattre collectivement un plan d’insurrection, comme de prendre, à la veille de cette dernière, les mesures préparatoires nécessaires, qui doivent être tenues dans le plus strict secret.

En un mot, le “plan d’un journal politique pour toute la Russie” n’est pas une oeuvre abstraite de personnes atteintes de doctrinarisme et d’esprit de littérature (comme ont pu le croire des gens qui n’y ont pas assez réfléchi) ; c’est au contraire le plan le plus pratique pour qu’on puisse, de tous côtés, se préparer aussitôt à l’insurrection, sans oublier un instant le travail ordinaire, quotidien » (Lénine, Que faire ?, Plan d’un journal politique [15]).

27 avril 2019

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Notes:

[3. Révolution ou Guerre #1, http://igcl.org/Theses-sur-la-situation-historique.

[7. Nous laissons de côté le CCI devenu secte, sans espoir de retour maintenant, et qui s’est en grande partie marginalisé, voire s’est mis hors jeu, du camp prolétarien de par ses positions opportunistes – la décomposition -, les reniements de ses principes politiques – exemple, l’abandon de l’alternative historique guerre ou révolution – et ses orientations sectaires et destructrices – détruire les autres composantes du camp prolétarien, à commencer par la TCI. Cf http://fractioncommuniste.org/fra/bci06/bci06_3.php et http://fractioncommuniste.org/fra/bci07/bci07_8.php. Extraits de cette résolution proposée au congrès de 2005 : « Outre le BIPR, les autres groupes du milieu prolétarien ne sont plus capables de contribuer positivement au futur parti de classe, la priorité de notre intervention n’est plus de les aider à y contribuer… » ; « Il faut être conséquent : si on dit que les groupes du milieu politique prolétarien ont une attitude destructrice, il faut les discréditer politiquement »

[9. Cette approche et vision des priorités du moment n’est pas le propre de la TCI ou de sa branche britannique, la CWO. D’autres tendent à les partager comme à l’occasion Nuevo Curso – même si ce n’est pas toujours dans les mêmes termes – ou encore d’autres forces nouvelles et jeunes tendant spontanément à fixer leur horizon politique sur le court terme et l’immédiat.

[10. L’immédiatisme dans les rangs ouvriers et surtout chez les petit-bourgeois présente aujourd’hui d’autres risques pour les prolétaires et éléments combatifs dits radicaux : l’idéalisation du radicalisme et de l’aventurisme gauchistes et l’apologie, sous une forme ou une autre, de la violence minoritaire type black bloc, voire terroriste.

[12. Ce fut aussi une tendance qui exerça ses ravages au sein du CCI en plusieurs occasions, et particulièrement dans les années 1990 au nom de l’esprit et de la discipline de parti. Cette compréhension petite-bourgeoise de l’esprit et de la discipline de parti, pouvant se transformer très rapidement en une attitude de chefaillon [de petits chefs], qui avait plus à voir précisément avec le zinoviévisme des années 1920 de la bolchevisation, qu’avec l’esprit et la discipline communistes, fut un des vecteurs de la gangrène opportuniste qui s’empara de cette organisation dans la décennie 90 et se libéra dans les années 2000.

[13. Rubrique textes et thèses du site du PCint : http://www.pcint.org/.

[14. Nous savons que c’est le cas pour tous les groupes de la Gauche communiste comme le CCI ou la TCI (cf. l’assemblée générale de Battaglia Comunista fin 2015, http://igcl.org/Assemblee-generale-du-PCint) qui l’ont eux-mêmes relevé en différentes occasions.