Révolution ou guerre n°24

(Mai 2023)

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Malgré le contrôle des États et des syndicats, une véritable dynamique internationale de réponse prolétarienne à la crise et à la guerre impérialiste

Les travailleurs du monde entier ont continué à se mobiliser. Il serait long et fastidieux d’énumérer les luttes prolétariennes et les révoltes sociales de ces derniers mois au niveau international. Elles ont touché toutes les régions du monde, de la Chine – notamment dans la province de Guandong – à l’Iran, au Liban, à l’Amérique du Sud, à l’Afrique, à la Grèce. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la grève de la fonction publique au Canada touche des centaines de milliers de prolétaires, tandis que des arrêts de travail massifs ont eu lieu dans les différentes entreprises de transport en Allemagne. Récemment, le Portugal est devenu un autre centre d’activité, car les enseignants, les cheminots, les travailleurs des compagnies aériennes et d’autres ont poursuivi une vague de grèves massives qui a secoué le pays. Même la Suède a été touchée par une grève dans les trains. Le prolétariat d’autres pays comme la France, l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume-Uni a poursuivi sa lutte contre la bourgeoisie. Avec 67% des Français interrogés déclarant qu’ils pensaient que les grèves devraient être « intensifiées », il est clair que grèves et manifestations vont se poursuivre.

Ces grèves en Europe sont clairement liées à l’effondrement des conditions de vie dans le monde entier en raison de la guerre en Ukraine. Si certaines ne sont pas directement contre l’inflation et pour l’augmentation des salaires, comme en France, l’inflation mondiale croissante est le principal facteur immédiat de la dynamique actuelle de lutte et de l’extension et de l’unification des revendications. En soi, comme l’illustrent les luttes en France et au Royaume-Uni, la mobilisation actuelle des prolétaires contient le processus même de la grève de masse, en tant que « forme universelle de la lutte de classe prolétarienne résultant du stade actuel du développement capitaliste et des rapports de classe. » (Rosa Luxemburg, La grève de masse) Parce que toute lutte est de nos jours confrontée à l’ensemble de l’appareil d’État, y compris les syndicats et les forces politiques de gauche et d’extrême gauche, il faut chercher le plus rapidement possible à l’étendre et à la généraliser par des grèves, des délégations massives vers d’autres lieux de travail, des piquets de grève massifs, des manifestations de rue, etc. C’est le seul moyen d’imposer un meilleur rapport de forces à la classe capitaliste et à son État et de pouvoir défendre, même temporairement, les conditions de vie des prolétaires. Cependant, les luttes actuelles se développent dans une situation historique concrète et se confrontent à des faits historiques concrets : la crise croissante du capital et sa poussée vers la guerre impérialiste généralisée. Ces deux faits ont des implications directes sur les politiques et les attaques de la classe dirigeante contre la classe ouvrière. En particulier, la marche vers la guerre généralisée, qui implique le développement de l’économie de guerre dans tous les pays, l’augmentation de la production et des dépenses militaires, en particulier l’aggravation du déficit budgétaire, rend encore plus difficile pour le capital d’accéder aux revendications économiques des prolétaires et de voir les grèves et les manifestations de rue, même contrôlées par les syndicats, se développer et mettre en péril la gestion politique de la situation.

Les nécessités de la guerre et de sa préparation ne peuvent qu’exacerber, et ne font qu’exacerber, l’antagonisme des classes et leurs affrontements. C’est pourquoi, même dans les pays dits démocratiques, l’État exerce une répression de plus en plus forte contre tout début de lutte prolétarienne, même contrôlée par les syndicats. Comme on peut le voir en France et au Royaume-Uni, le contrôle et la politique des syndicats visent à empêcher toute dynamique de lutte généralisée et de grève et, s’ils ne peuvent s’y opposer, à la contrôler et à la faire dérailler. Comme nous le verrons plus loin, cette politique syndicale n’est pas propre au Royaume-Uni et à la France. Mais même si ce contrôle syndical suffisait à la classe bourgeoise dans le passé, aujourd’hui l’urgence et les nécessités de la marche vers l’économie de guerre et la guerre impérialiste généralisée elle-même exigent que l’État mette en œuvre et aggrave les lois anti-grèves et anti-manifestations de toutes sortes – c’est le cas au Royaume-Uni, aux États-Unis, ainsi qu’en France. Et, si cela ne suffit pas à empêcher le développement de la lutte, alors l’usage de la répression policière est direct et massif comme on le voit en France. C’est une autre dimension de la lutte des classes à laquelle les générations actuelles de prolétaires des pays historiques du capitalisme, les pays dits démocratiques, sont confrontées.

La situation historique actuelle, l’état du capitalisme et sa poussée vers la guerre impérialiste, font que même les puissances capitalistes historiquement « riches » n’ont plus les moyens, ni le temps, de s’offrir le « luxe de la démocratie ». Elles sont contraintes de se joindre à la répression directe et massive dont les autres puissances capitalistes « plus pauvres » n’avaient qu’à leur disposition contre leur population et leur classe ouvrière.

Les États-Unis ont également connu un certain nombre de grèves qui, malgré leur faible ampleur par rapport au mouvement en Europe, soulignent la poursuite de la confrontation entre le prolétariat et la bourgeoisie à la suite de la guerre et du recours aux pouvoirs « démocratiques » pour réprimer directement la classe ouvrière. En janvier, les infirmières de deux hôpitaux de la ville de New York se sont mises en grève pour des raisons salariales et de « sous-effectif chronique », avant d’accepter un nouveau contrat comprenant une augmentation de salaire et des dispositions relatives à l’embauche de nouvelles infirmières. [1] À Los Angeles, une grève de trois jours a entraîné la fermeture des écoles, alors que les travailleurs du système éducatif, tels que les concierges, les chauffeurs de bus, les employés de la cafétéria et d’autres travailleurs des services tenaient un piquet de grève devant le siège du LAUSD, avec le soutien du syndicat des enseignants unis de Los Angeles. [2] Dans l’Amérique « moyenne » s’exprime la combativité ouvrière avec des grèves qui se poursuivent dans l’Ohio à l’usine INEOS Pigments 2 à Ashtabula. [3]

Le plus grand et le plus important champ de bataille pour le prolétariat américain avec le début de Covid-19 et de la guerre en Ukraine a été jusqu’à présent le système ferroviaire américain. Au cours des trois années de covid et d’austérité, 115 000 cheminots ont travaillé dans des conditions dangereuses dans l’une des industries les plus rentables d’Amérique. Surchargés de travail dans le cadre du système « precision scheduled railroading » et travaillant depuis 2019 sans contrat, ni augmentation de salaire, ni jours de congé garantis, les cheminots ont eu de nombreuses raisons de se mettre en grève. Le gouvernement des États-Unis a tenté d’écraser le conflit de travail en invoquant le Railroad Labor Act (loi sur le travail dans les chemins de fer), une loi fédérale promulguée en 1926, pour passer outre le vote de la grève par les travailleurs. [4] Si le Emergency Board du président Joe Biden a accordé des augmentations de salaire aux cheminots, les questions plus urgentes des congés de maladie et du système de « trains à horaires précis » n’ont pas été abordées, les travailleurs ne bénéficiant que d’un seul jour de congé payé par an. [5]

Le gouvernement américain et les syndicats restent les principaux obstacles à une vague de grève américaine. Que ce soit en interrompant préventivement une grève, comme cela s’est produit chez Caterpillar, ou en annulant divers nouveaux contrats, comme c’est le cas à New York, les syndicats ont été un outil indispensable pour la bourgeoisie en 2023. [6] Dans le conflit dans les chemins de fer, les syndicats ont également soutenu la bourgeoisie, le président des Teamsters, O’Brian, déclarant que le président Biden n’était pas responsable de l’issue de ce conflit. [7] Il arrive que le gouvernement intervienne directement, comme ce fut le cas lors de la grève des chemins de fer américains qui a déraillé. [8] Jusqu’à présent, la situation n’a pas dégénéré comme en France avec des manifestations massives défiant directement la police dans des batailles de rue, mais il est évident que la force écrasante de l’appareil d’État policier américain est un autre obstacle massif contre tout mouvement du prolétariat.

La déclaration de Rosa Luxemburg selon laquelle « l’histoire est le seul maître, la révolution la meilleure école pour le prolétariat » est toujours d’actualité. Bien que la lutte du prolétariat aux États-Unis n’atteigne pas l’ampleur des des luttes en Europe, les travailleurs du monde entier sont non seulement engagés dans la même lutte, mais ont également la possibilité d’en tirer de précieuses leçons. La victoire sera entravée, et non soutenue, par les syndicats et leur bureaucratie. En outre, les luttes des travailleurs ne doivent pas être segmentées en différents secteurs et lieux de travail, mais généralisées autant que possible. Enfin, même des gains modestes de la classe ouvrière peuvent menacer la bourgeoisie dans cet état de guerre impérialiste. L’incapacité de la bourgeoisie à accorder des congés de maladie aux cheminots et à soutenir les infirmières lors d’une crise de sous-effectif semble indiquer à la fois la fragilité du système et le malaise général du capitalisme. Avec la croissance des comités du NWBCW aux Etats-Unis, il est temps pour les militants communistes d’utiliser ce moment pour illustrer ces leçons au prolétariat américain.

Frederick, Avril 2023

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