(Mai 2023) |
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France et Grande Bretagne : luttes ouvrières et intervention des révolutionnaires (correspondance)
La montée des réactions ouvrières au niveau international est la réponse, de facto, du prolétariat international à la crise et à la dynamique vers la guerre impérialiste généralisée – la Troisième guerre mondiale – que le capitalisme nous annonce. Elle est une véritable expression des confrontations massives entre les classes qui viennent. La crise et la guerre, la première faisant de la dynamique vers la seconde le facteur central de la situation historique, obligent chaque classe dominante capitaliste nationale à redoubler ses attaques contre son propre prolétariat. Un des enjeux du drame historique qui vient sera celui de la capacité des minorités révolutionnaires communistes et du parti une fois constitué de se hisser au premier rang de l’affrontement de classe et d’en assurer la direction politique. Il y a donc toute une expérience d’analyses et de compréhension des dynamiques du phénomène de la grève de masse qu’il appartient aux groupes communistes de développer et, en partie, de se réapproprier – surtout pour les jeunes générations de révolutionnaires.
De ce point de vue, les mobilisations prolétariennes massives au Royaume Uni et en France et l’intervention des groupes de la Gauche communiste – nous nous limiterons à ceux-ci –, bien qu’il soient ultra-minoritaires, nous fournit une expérience qui doit être partagée au niveau international par l’ensemble des groupes révolutionnaires et communistes, ce que nous appelons le camp prolétarien. Les groupes de la Gauche communiste qui, à notre connaissance, sont intervenus dans la lutte en France par voie de tract et d’articles furent la TCI, le PCI-Le Prolétaire, le CCI et nous-mêmes, auxquels nous pouvons rajouter le noyau en France d’un autre PCI qui publie Il Partito Comunista. Globalement, à l’exception de ce dernier qui appelle à de « vrais syndicats de classe », tous ont défendu les mêmes orientations générales : dénonciation de la tactique syndicale des journées d’action ; mise en avant de la nécessité de l’extension et de l’unité des grèves et des manifestations. Tous, sans exception, y compris le CCI – malgré sa position de congrès excluant tout risque de guerre impérialiste généralisée – surent faire le lien entre les attaques contre le prolétariat, retraite et baisse des salaires, et la préparation de la guerre généralisée par le développement de l’économie de guerre et la production d’armement. La seule critique que nous porterons ici, non liée à la question syndicale en soi, s’adressera à la tendance d’ordre conseilliste du CCI à tomber dans le fétichisme de l’auto-organisation. Elle fait des assemblées générales « le seul endroit pour organiser la réponse à la répression et à la défense de nos moyens de lutte ». Et, en pleine lutte et en pleine confrontation avec l’État et ses syndicats, elle se conclut une fois de plus par un appel abstrait, extérieur à la bataille immédiate, sans objet pour les prolétaires confrontés aux sabotages syndicaux, sans perspective concrète de combat, à… discuter et débattre : « nous devons nous réunir, débattre, tirer les leçons des luttes passées, pour développer nos luttes actuelles et préparer les combats à venir. » (tract du 27 mars contre la répression)
Plus sérieux et fondamental, la correspondance qui suit entre le groupe de la TCI en France, Bilan et Perspectives (B&P) et le GIGC porte essentiellement à la fois sur la compréhension des dynamiques des mobilisations prolétariennes en France et au Royaume Uni et sur l’intervention des révolutionnaires. La divergence porte sur le fait que la TCI défend que les syndicats sont aussi des organes de médiation entre le capital et le travail ce que nous rejetons. Si cette différence ne nous a pas empêché d’adopter les mêmes orientations et mots d’ordre lors de la mobilisation contre les retraites en France, au point d’intervenir ensemble, il n’en fut pas ainsi lors des grèves et la mobilisation prolétariennes au Royaume Uni. Nous abordons ce point dans la dernière partie de notre lettre du 30 mars. Nous proposons et ouvrons ce débat aux lecteurs et à l’ensemble du camp prolétarien.
2e tract de Bilan et Perspectives de février 2023
Ni les pétitions, ni les manifestations processions ne feront reculer le gouvernement ! Organisons-nous à la base pour pouvoir lutter réellement !
Les manifestations massives des 19 et 31 janvier contre la réforme des retraites, les plus importantes depuis des années, ont montré l’ampleur de la colère des travailleurs face à cette nouvelle attaque de la bourgeoisie. Les discours de cette dernière et de ses larbins, journalistes et experts, n’ont trompé personne, tout le monde a bien compris que l’objectif était de faire des économies sur notre dos en diminuant les pensions.
MAIS CETTE COLÈRE DÉPASSE LA QUESTION DES RETRAITES, ELLE CONCERNE LA DÉGRADATION DE NOS CONDITIONS DE VIE ET DE TRAVAIL EN GÉNÉRAL : L’INFLATION, LA RÉFORME DE L’ASSURANCE-CHÔMAGE, LES CADENCES, LA SURCHARGE DE TRAVAIL …
La bourgeoisie, partout dans le monde, multiplie les attaques contre les prolétaires pour sauver ses profits, face à la crise économique et les conséquences directes et indirectes de la guerre en Ukraine. En France, après avoir réduit l’assurance chômage, et alors que les salaires réels ne cessent de diminuer depuis des mois, le gouvernement exige qu’on fasse de nouveaux sacrifices pour remédier au supposé futur déficit du système retraite. Dans le même temps, il augmente d’un tiers les dépenses militaires pour la période 2024-2030, portant ce montant à 413 milliards d’euros. Quel avenir radieux nous réserve-t-il ! Après avoir donné notre sueur, devrons-nous verser notre sang pour leurs profits !
LES MANIFESTATIONS, AUSSI IMPORTANTES SOIENT-ELLES, NE SUFFIRONT PAS. La stratégie décidée par les directions syndicales nous mène à l’échec, l’expérience l’a déjà montré maintes fois. Le scénario semble écrit à l’avance et les rôles sont bien répartis : les syndicats réformistes patientent pour accepter des aménagements de la réforme ; les syndicats dit radicaux se préparent déjà à crier à la trahison, en attendant ils organisent différentes actions symboliques et des blocages pour les plus déterminés qui se retrouveront ainsi isolés dans leur entreprise.
Quant aux organisations de gauche, elles cherchent à pousser le mouvement en espérant tirer les marrons du feu. On devine facilement qu’à travers la proposition d’une réforme alternative à celle du gouvernement, elles espèrent canaliser la colère des exploités vers les prochaines élections. Un terrain sur lequel nous seront toujours désarmés, livrés aux manœuvres des diverses écuries bourgeoises. Pour l’heure, elles s’alignent encore derrière l’unité syndicale dont l’histoire montre qu’elle prépare encore et toujours… des lendemains qui déchantent. L’UNITÉ DE CES FORCES N’A JAMAIS FAIT DÉFAUT POUR ENCADRER LE PROLÉTARIAT ET CONTENIR SA COLÈRE !
NE COMPTONS QUE SUR NOUS-MÊMES. Tant que les directions syndicales auront la main-mise sur notre mouvement, nous n’arriverons à rien. Il est illusoire de vouloir les pousser à lutter réellement, ce sont des organes de médiation entre le capital et le travail, leur rôle est de négocier le prix de notre force de travail avec les patrons et l’État. Nous n’avons rien à négocier avec ceux qui nous attaquent mais à établir un rapport de forces. Nos intérêts sont inconciliables.
• PRENONS NOS LUTTES EN MAIN. ORGANISONS-NOUS À LA BASE. DISCUTONS ET DÉCIDONS ENSEMBLE DANS DES ASSEMBLÉES GÉNÉRALES OU DES COMITÉS DE LUTTE DES SUITES À DONNER À NOTRE MOUVEMENT.
• CE N’EST QU’EN LUTTANT INDÉPENDAMMENT DE TOUS LES FORCES D’ENCADREMENT ET EN DÉFENDANT DE MANIÈRE RÉSOLUE NOS INTÉRÊTS DE CLASSE QUE NOUS POURRONS FAIRE RECULER LE GOUVERNEMENT.
Lettre du GIGC à Bilan et Perspectives (16 février 2023)
Le GIGC à Bilan et Perspectives (copie à la TCI),
Chers camarades,
Dans le mail accompagnant votre envoi du 7 février du bulletin en français à l’occasion des manifestations de rue en France, vous indiquez à vos correspondants être « intéressés de connaître vos critiques et commentaires. » Nous nous permettons de répondre rapidement à cet appel en espérant préciser et clarifier accords et désaccords, qui sont d’ordre tout à fait secondaire pour ces derniers. Le bulletin comporte trois textes :
le tract Ni les pétitions, ni les manifestations processions ne feront reculer le gouvernement ! Organisons-nous à la base pour pouvoir lutter réellement ! ;
le texte La bourgeoisie mondiale sur le sentier de la guerre ;
et un appel à rejoindre les comités NWBCW Alors, que pouvons-nous faire ?
Nous exprimons notre accord et soutien aux deux derniers textes. Les éventuelles observations ne porteraient que sur telle ou telle insistance, voire seraient d’ordre rédactionnel uniquement, et n’exprimeraient aucune divergence, ni même nuance politique significative. Le tract par contre nous pose un certain nombre de problèmes du point de vue politique.
Le tract du 18 janvier et la situation en France
Rappelons au préalable que nous avions fait nôtre le tract de Bilan et Perspectives du 18 janvier dernier, au point de le distribuer – en collaboration avec vos militants à Paris – dans les manifestations, massives, organisées par les syndicats à l’occasion de la mobilisation contre la énième réforme des retraites en France. Ses deux mots d’ordre « dès demain, reconduisons la grève [et] organisons des délégations afin d’étendre la lutte aux autres entreprises et administrations proches » constituaient la réponse – l’alternative – que les communistes devaient avancer à ce moment-là face aux journées d’action syndicale. Nous reviendrons sur celui, plus confus selon nous, de « organisons-nous à la base. » De notre point de vue alors, l’absence de dynamique autonome ou encore d’initiative ouvrière particulière, telle que les grèves sauvages du printemps et de l’été 2022 en Grande-Bretagne avaient pu l’exprimer par exemple, nous incitait à penser que la bourgeoisie [1] gardait tout contrôle sur la situation et sur le mécontentement et la combativité relative, mais réelle, des prolétaires en France. En particulier, la planification de journées d’action syndicale, une fois de plus, permettait aux syndicats d’occuper tout l’espace ou champ que pouvait prendre une réaction ouvrière conséquente, jusqu’aux terrains les plus « radicaux ». Nous ne développons pas ici, d’autant qu’il nous semble que nous sommes d’accord sur ce point particulier. En ce sens, les mots d’ordre de reconduction de la grève après la journée d’action et d’envoyer des délégations afin d’étendre, restaient les seuls qu’il convenait d’avancer alors – même si nous pouvions envisager-supposer qu’ils étaient déjà hors de portée immédiate, pour ce moment-là, des prolétaires en lutte, du fait du rapport de forces existant alors et établi par :
l’absence d’initiative ouvrière particulière – ni grève sauvage, ni lutte particulière sur un lieu de travail pouvant servir de foyer de référence, voire d’unification, pour la lutte, ni constitution (à notre connaissance) de comité de lutte sous une forme ou une autre telles des assemblées inter-pro... ;
l’occupation du terrain par les syndicats, journées d’action nationale et annonces par les syndicats les plus à gauche (CGT-SUD) d’actions radicales, de blocage de l’économie, voire de grèves reconductibles… à des dates ultérieures et par secteur avec, en parallèle, le jeu politique gouvernement-opposition de gauche et le débat parlementaire, visant à focaliser l’attention des prolétaires sur le terrain bourgeois.
Il nous semble que les mots d’ordre du 18 janvier restaient encore valables pour la journée du 24 au point que nous avons continué à le diffuser. Cette journée et l’absence de reconduction de la grève le lendemain, ou encore de toute initiative ouvrière particulière, ont définitivement enterré la peu probable possibilité – pour ce moment ou cet épisode de la mobilisation – d’un dépassement de la tactique des journées d’action et de poussée ouvrière réelle. Ce faisant, les deux mots d’ordre perdaient de leur actualité et ne correspondaient plus à la situation immédiate, du point de vue agitationnel et de direction politique. Nous avons cessé la diffusion du tract – tout comme vous, semble-t-il – et nous nous sommes concentrés sur la diffusion de notre communiqué, de fait un tract plus de propagande – sur la guerre en particulier – que d’agitation immédiate. À ce jour, 15 février, à la veille de la 5e journée d’action syndicale, nous pouvons considérer que rien n’a changé dans la dynamique de la mobilisation ouvrière en cours et qu’aucune nouvelle perspective, encore moins d’orientation et mot d’ordre particuliers, ne se dégage du point de vue prolétarien.
Le tract du bulletin de février
Les critiques – répétons-le : mineures – que nous allons émettre sur le tract de février, du bulletin, sont d’un autre type et ne concernent pas l’analyse et la compréhension de la dynamique même de la lutte. Elles sont essentiellement de deux ordres, la première étant nettement moins importante que la seconde. Le texte fait bien le lien entre les attaques subies par les prolétaires et la guerre impérialiste : « la bourgeoisie, partout dans le monde, multiplie les attaques contre les prolétaires pour sauver ses profits, face à la crise économique et les conséquences directes et indirectes de la guerre en Ukraine. » Tout comme est clairement opposé d’un côté les attaques anti-ouvrières et l’explosion des dépenses militaires de l’autre. À notre connaissance, la TCI et le GIGC sont les principales, sinon les seules, organisations communistes à clairement faire ce lien et axer leur intervention sur celui-ci. Néanmoins, la guerre impérialiste est présentée dans votre tract comme un élément au même titre que la crise. Certes, il n’y a aucun doute sur le fait que la crise est à l’origine de la guerre impérialiste et que les deux s’alimentent l’une l’autre. Pour autant, la guerre impérialiste, matérialisée par la guerre en Ukraine et la marche à la guerre généralisée, est devenue – ou de manière plus nuancé : devient – le facteur premier, certes non unique, dictant les attaques économiques, politiques, idéologiques et répressives de chaque bourgeoisie nationale. Et c’est cela qu’il faut mettre en avant selon nous. En effet, dans les circonstances actuelles, « la tendance inéluctable du capitalisme à se diriger vers la guerre se matérialise aujourd’hui par l’attaque généralisée contre les conditions de vie et de travail du prolétariat. » [2] Il en résulte que « pour les prolétaires qui, sans être directement appelés aux armes, appartiennent, avec leur bourgeoisie, à un front impérialiste qui a des intérêts directs, immédiats ou seulement futurs dans la guerre, le discours change, mais seulement pour les conditions immédiates dans lesquels ils sont appelés à se mouvoir. » (TCI, La route difficile de l’impérialiste européen [3]). Comme vous pouvez le voir, la divergence est mineure et ne change rien au positionnement de classe et… d’avant-garde politique effective de votre prise de position.
La seconde critique du tract renvoie à une question politique plus importante. Elle porte sur le caractère et la fonction que nous attribuons aux syndicats et, en passant, aux forces de gauche de l’appareil d’État. « Ne comptons que sur nous-mêmes. Tant que les directions syndicales auront la main-mise sur notre mouvement, nous n’arriverons à rien. Il est illusoire de vouloir les pousser à lutter réellement, ce sont des organes de médiation entre le capital et le travail, leur rôle est de négocier le prix de notre force de travail avec les patrons et l’État. » Et « quant aux organisations de gauche, elles cherchent à pousser le mouvement en espérant tirer les marrons du feu. » (nous soulignons) Au lieu de considérer les syndicats comme des organes à part entière de l’État capitaliste, à vocation et fonction politiques anti-ouvrières et contre-révolutionnaires, la formule organe de médiation entre le capital et le travail ouvre la porte à l’idée qu’ils ne seraient pas complètement bourgeois et qu’ils pourraient encore représenter, du moins en partie, les intérêts immédiats de la classe puisque se situant entre les classes, comme intermédiaires ou arbitres entre capital et travail. Il en va de même d’une certaine manière avec les forces de gauche qui chercheraient à pousser le mouvement. Or tant les syndicats que les forces de gauche du capital ne cherchent pas à pousser le mouvement mais à l’encadrer, le contrôler, le saboter quand existe un danger, voire une véritable dynamique, d’extension et d’unification, et par l’éteindre, afin qu’il se termine par un échec économique et politique de cette bataille particulière de la lutte entre les classes. Et cela pour le capital et contre le travail.
Dans ce sens, nous nous baserions plutôt pour notre part sur la plateforme du PCint de 1952 qui est politiquement beaucoup plus claire sur la question syndicale : « le parti affirme catégoriquement que dans la phase actuelle de la domination totalitaire de l’impérialisme, les organisations syndicales sont indispensables à l’exercice de cette domination dans la mesure où elles poursuivent des buts qui correspondent aux exigences de conservation et de guerre de la classe bourgeoise. » (nous soulignons)
Implications politiques de la position sur les syndicats compris comme médiateurs
Cette critique peut sembler sans réel enjeu militant, un simple pinaillage d’ordre politique, voire théorique. D’autant que votre tract de février se situe clairement du côté prolétarien de la barricade de classe du moment. Cependant, la position sur les syndicats médiateurs peut avoir des implications et des conséquences politiques quant à l’intervention immédiate, les orientations et les mots d’ordre que le parti doit mettre en avant dans toute mobilisation ouvrière. En effet, elle risque fort de ne pas voir ou sous-estimer la dimension politique directement anti-ouvrière et contre-révolutionnaire des syndicats – et des forces de la gauche capitaliste, gauchistes compris [4]. Ce faisant, on ne comprend pas toujours bien à quoi, à quels enjeux concrets et immédiats, leur politique et mots d’ordre successifs essaient de s’opposer au cours même des luttes, selon les moments et les lieux. Évidemment, il conviendrait de prendre chaque mobilisation prolétarienne particulière pour illustrer notre propos ; pour saisir quels sont les enjeux immédiats lors de telle ou telle bataille de classe particulière ; et pour comprendre la signification politique immédiate des différents mots d’ordre des syndicats, officiels et ceux dits de base ou radicaux. En particulier, lorsqu’ils en arrivent, surtout les seconds, à appeler eux-mêmes à des grèves reconductibles, des assemblées, des coordinations, voire même à… l’auto-organisation ; ou encore en certaines occasions à l’extension elle-même. [5] En général et pour faire simple ici – sans doute aurons-nous l’occasion d’y revenir –, ils visent non pas à s’appuyer sur telle ou telle dynamique ouvrière pour négocier le prix de la force de travail mais pour au contraire l’étouffer, la saboter et l’éteindre. Et c’est bien à cela qu’il convient que l’avant-garde communiste assumant son rôle de direction politique puisse répondre en offrant des orientations alternatives aux différents moments des sabotages et manœuvres syndicales.
Dans la mobilisation ouvrière massive actuelle, qui s’apparente jusqu’à maintenant aux précédentes des années 2003, 2010, 2013, 2016 et 2019, l’objectif prioritaire des syndicats est d’empêcher le surgissement et le développement de toute dynamique de réelle extension de la lutte à différents secteurs, en particulier au moyen de la grève reconductible ; c’est-à-dire à toute dynamique de grève de masse. C’est donc à l’aune de cet enjeu et selon les conditions concrètes et successives dans lesquels il se pose, que nous devons comprendre l’action des syndicats, les différents moments et terrains de l’affrontement politique et avancer orientations et mots d’ordre immédiats en conséquence. En ce sens, faire de l’auto-organisation en soi un mot d’ordre d’action, « prenons nos luttes en main », « organisons-nous à la base » [6], ne permet pas de fournir une véritable alternative, sauf exception et situation concrète particulière, à la main-mise politique des syndicats sur les luttes. Pire même, bien souvent et si risques d’extension généralisée il y a, ce sont les syndicats et les forces de gauche du capital qui peuvent se faire les chantres les plus décidés de l’auto-organisation pour mieux renfermer les ouvriers sur leur lieu de travail ou leur corporation [7]. N’est-ce pas une pratique syndicale usuelle à laquelle le prolétariat et les communistes sont régulièrement confrontés tout particulièrement à l’occasion de chaque mobilisation ouvrière en France ? N’est-ce pas là l’objet de la plupart des assemblées interpro que les gauchistes et syndicalistes radicaux n’ont de cesse de mettre en place de façon préventive face à l’éventualité de tout débordement des syndicats ?
En ce sens, plutôt que d’appeler à s’organiser à la base, formule pour le moins abstraite dans les faits, il convient d’appeler à tel ou tel mot d’ordre, y compris un mot d’ordre d’organisation ou de prise en main, en fonction et en vue des besoins immédiats, locaux et du moment, de chaque lutte ; besoins que nous pouvons résumer ici comme ceux menant à l’extension, la généralisation et l’unité du combat afin de viser à établir le meilleur rapport de force possible à la bourgeoisie et rendre ainsi aussi efficace que possible la lutte immédiate elle-même, en termes de revendications et d’expérience prolétarienne ; besoins dont la déclinaison selon les moments et lieux détermine les mots d’ordre et actions immédiats. Il s’agit donc surtout, lorsque cela se pose concrètement, d’appeler les prolétaires à tenir une assemblée générale pour, par exemple, se mettre en grève, ou pour organiser des délégations massives (ou autres) pour étendre la grève ou la lutte, à constituer un comité de grève pour telle ou telle tâche, etc. N’est-ce pas là aussi ce que nous enseigne l’expérience historique, celle-là même des bolcheviques entre février et octobre 1917 ? Lorsque le parti sut avancer, puis retirer, adapter – en s’appuyant sur les comités d’usine, et non les conseils, de juillet à septembre 1917 – et reprendre avec un autre contenu politique concret – l’insurrection – le mot d’ordre de tout le pouvoir aux conseils ouvriers ?
Il y a donc un lien entre la compréhension aujourd’hui des syndicats comme organes politiques à part entière de l’État capitaliste et leur parti-pris entier et complet de classe, anti-ouvrier et totalement bourgeois – non entre les deux classes –, qui nous permet de saisir le sens véritable de chacune de leur action et mots d’ordre et les besoins de chaque lutte ouvrière. Ne pas saisir le caractère politique bourgeois des syndicats limite, quand elle n’interdit pas, la reconnaissance des différents affrontements ou batailles particulières qui s’imposent aux prolétaires. Elle ouvre ainsi la porte à des mots d’ordre abstraits, telle l’auto-organisation, qui risque, in fine, de rendre l’intervention des révolutionnaires en retard sur les événements, voire sur le terrain et timing de la bourgeoisie.
Voilà chers camarades, les commentaires et observations critiques que nous voulions vous apporter, en espérant qu’elles soient positives, tout en sachant qu’elles sont sans doute loin, très loin, de clore ce débat.
Notes:
[1] . C’est-à-dire l’ensemble de son appareil d’État dont les syndicats sont une composante politique et anti-ouvrière essentielle.
[2] . Plateforme de 2020 de la TCI.
[3] . Nous avons traduit cet article de Battaglia comunista en français et en anglais. Sa version italienne se trouve sur https://www.leftcom.org/it/articles/2022-11-20/la-difficile-strada-dell-imperialismo-europeo-un-aggiornamento.
[4] . cf. l’article ou lettre critique qui suit dans ce numéro et sur la prise de position de la CWO-TCI à propos des grèves au Royaume Uni (Note de la rédaction).
[5] . Pour ne citer qu’un exemple, ce fut le cas en janvier 1987 à la fin de la grève sauvage, sans préavis syndical et surtout contre les syndicats qui s’y opposaient, la CGT en premier lieu, des cheminots de décembre 1986-janvier 1987. Il est d’autres exemples de radicalisation subite et extrême des syndicats et des forces de gauche auxquelles le prolétariat sera inévitablement amené à se confronter dans le futur, en particulier dans les périodes pré-révolutionnaires et même révolutionnaire. L’Allemagne de novembre 1918 nous en fournit l’exemple historique le plus tragique.
[6] . Sans revenir ici sur le danger conseilliste du fétichisme de l’auto-organisation dont le CCI s’est fait le champion depuis deux décennies et que nous ne pouvons pas aborder ici.
[7] . L’auto-organisation peut aussi servir à justifier l’interdiction faite aux avant-gardes politiques, au parti, d’intervenir comme nous l’a montré l’impossibilité pour Rosa Luxemburg de s’adresser au congrès des conseils en 1918 car elle n’était pas ouvrière et seuls « ceux qui figurent sur les listes des personnes travaillant dans les entreprises ou sur les effectifs militaires » pouvaient être délégués au congrès. (La Révolution allemande, Pierre Broué, 1971)