Révolution ou Guerre #27

(mai 2024)

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Notre réponse à Ivan

Le GIGC au camarade Ivan,

Cher camarade,

Nous avons discuté de tes commentaires critiques sur la présentation que notre journal fait de l’article du CCI sur l’intervention du The Communist Party dans les luttes de la classe ouvrière aux États-Unis. Nous saluons l’approche politique et nous apprécions l’effort, car ils apportent des clarifications historiques sur les expériences de grèves de masse en Amérique du Nord, ainsi que tes commentaires sur « l’intégration définitive des syndicats à l’appareil d’État américain. » Les deux méritent d’être débattus et clarifiés sur le plan politique.

1) En fait, tes observations sur les expériences de grève de masse aux États-Unis dans les années 1970 ne contredisent pas, ni ne s’opposent à notre compréhension du phénomène de la grève de masse en tant que « forme universelle de la lutte de classe prolétarienne déterminée par le stade actuel du développement capitaliste et des rapports de classe » (Rosa Luxemburg). Elle vient plutôt « enrichir » notre compréhension et nos discussions internes. C’est ce point important que, pour notre part, nous voulons souligner en premier lieu. Elles ne s’opposent pas non plus au fait que des différences d’expérience puissent exister entre les différentes fractions du prolétariat international, ici entre celles d’Amérique du Nord et d’Europe. Or, et c’est peut-être aussi une préoccupation que tu avais lorsque tu nous as écrit, il est clair que la mise en évidence de ces différences possibles ne doit pas nous amener à considérer la dynamique de la lutte des classes, en fait la lutte entre les classes [1], comme un schéma figé, qui exclurait toute possibilité de grève de masse en Amérique du Nord par exemple.

L’observation que nous faisons dans la revue a pour but d’expliquer ou d’exposer des particularités, comme le développement du groupe « bordiguiste » qui publie The Communist Party aux États-Unis, en raison de sa position sur les syndicats rouges. Dans ce cas, notre explication n’est qu’une hypothèse. Plus important, évoquer cette « différence de tradition » nous permet de souligner les difficultés que nous avons parfois à débattre, notamment sur la tactique immédiate, avec d’autres groupes communistes, comme le CWO (TCI) par exemple, ou des camarades de pays où le système de « closed-shop » syndical est en vigueur ou non. [2]

Par exemple, selon les règles et traditions officielles des syndicats, dans le cadre du « closed-shop » ou non, les militants révolutionnaires sur les lieux de travail ne seront pas confrontés aux mêmes enjeux ou batailles immédiates. Par exemple, ils ne développeront pas les mêmes « tactiques » immédiates en ce qui concerne les réunions convoquées par le syndicat dans le cadre formel du syndicat, c’est-à-dire en n’incluant que les travailleurs syndiqués. D’une manière générale, dans un système de « closed-shop », l’appel des syndicats à une réunion avec les seuls syndiqués peut représenter une « opportunité » pour les militants d’intervenir à un niveau local et immédiat pour rassembler les travailleurs et les « unir » pour la lutte et riposter au sabotage par les syndicats de toute lutte ou grève initiale.

Alors que de tels appels par les syndicats à un système où le closed-shop n’est pas, apparaît d’emblée, là encore d’une manière générale, comme une tentative directe de diviser les travailleurs entre syndiqués et non syndiqués. Là, les militants individuels peuvent et doivent dénoncer directement cette division et appeler à l’alternative d’un rassemblement général de tous les travailleurs du lieu de travail quel que soit leur métier, leur spécialité ou travail spécifique et leur statut et contrat.

Il en va de même pour l’intervention du groupe communiste. C’est pourquoi nous avons souligné dans l’article notre soutien à l’orientation du The Communist Party qui appelle à organiser des assemblées générales pour pouvoir voter « en présentiel » dans la situation américaine. [3] En revanche, ce n’est pas, en général, une orientation centrale que nous mettons en avant dans notre intervention dans les mobilisations de masse ou même locales dans des pays comme la France, par exemple. Dans le premier cas, la mise en place d’assemblées générales, c’est-à-dire le rassemblement de tous les travailleurs d’un même lieu de travail, peut être un moment, un premier pas, pour que la lutte se développe, et auquel les syndicats s’opposent ouvertement. Dans le second, la tradition des assemblées générales réunissant tous les travailleurs d’un même lieu de travail, bien qu’attaquée et régulièrement sabotée par les syndicats, est toujours vivante pour tous les travailleurs. Elle ne représente pas le même enjeu.

Par exemple, la tenue d’une assemblée générale n’est pas en général l’expression ou le résultat d’un débordement des syndicats par les travailleurs. Et ce n’est pas toujours un pas en avant. Par exemple, la gauche et les gauchistes n’hésitent pas à convoquer et même à organiser des assemblées générales avant la lutte ou la grève elle-même. Ce faisant, ils tentent, et réussissent souvent jusqu’à présent, à anticiper et court-circuiter la dynamique même de la lutte. [4] C’est pourquoi nous mettons en garde contre le danger de faire des assemblées générales un fétiche – ce que nous appelons et rejetons comme « fétichisme de l’auto-organisation » – dont le résultat est souvent de diviser les travailleurs au lieu d’être un moment de leur unification. Mais il s’agit là d’un autre débat.

Ainsi, selon le lieu, les tactiques immédiates, telles que la convocation d’assemblées générales ou l’intervention dans tout rassemblement convoqué par les syndicats, peuvent différer non seulement en fonction du moment et du déroulement des luttes elles-mêmes, mais aussi en fonction de la « tradition » locale, pour ainsi dire. Ne considère pas les tactiques immédiates ci-dessus comme des règles absolues à appliquer de manière dogmatique et mécanique. Il s’agit essentiellement de souligner qu’en raison des « traditions historiques », il peut y avoir différentes approches directes et immédiates, des tactiques, qui doivent correspondre à la réalité immédiate ou, pour le dire autrement, au rapport de forces immédiat et local entre les classes.

Le point clé est de vérifier que les différentes tactiques sont en cohérence, ne contredisent pas les principes et les positions programmatiques. Par exemple, dans le système américain en particulier, mais ailleurs aussi, les groupes communistes doivent veiller à ce que l’intervention de leurs militants dans les syndicats ou les réunions syndicales ne se transforme pas en participation et en développement d’une activité et d’une politique syndicaliste, qui renforcerait et donnerait du crédit à toute « vie syndicale ».

2) Il en va de même pour le deuxième point que tu soulèves concernant l’intégration finale des syndicats dans l’appareil d’État américain : les commentaires que tu fais ne contredisent pas le point fondamental que nous défendons, à savoir le fait que l’intégration historique des syndicats à l’État capitaliste a été déterminée en fin de compte pour les besoins et la perspective d’une guerre impérialiste généralisée. En tant que telle, cette intégration historique à l’échelle mondiale fait pleinement partie, et constitue même une partie essentielle, du développement du capitalisme d’État. Pour nous, il s’agit à la fois d’un produit et d’un facteur de l’impasse historique du capitalisme dont la plus haute expression est... la guerre impérialiste généralisée elle-même.

Or, nous ne voyons pas très bien pourquoi tu estimes que notre position est « imprécise et légèrement mécanique. » Il serait intéressant que tu développes ce point. Il semble que tu défendes que « les architectes des lois syndicales de 1935 aux États-Unis (...) ne les concevaient pas encore consciemment comme des préparatifs à la dévalorisation sanguinaire de 1939-1945. » Nous ne nous opposons pas à ce point particulier. En fait, le fait que les principaux dirigeants politiques de la classe dirigeante soient totalement, partiellement ou pas du tout conscients du rôle qu’ils sont obligés d’accomplir est d’un intérêt secondaire. Quel que soit le degré de conscience ou de compréhension de la dynamique même vers la guerre mondiale par Roosevelt, les dirigeants du Front populaire, Blum, De Man, ou Hitler et Mussolini, etc., ne change rien au fait que les groupes communistes – comme l’ont fait Bilan et la Gauche communiste d’Italie ou d’autres de la Gauche germano-hollandaise – ont dû analyser et dénoncer le fait que le New Deal, le Front populaire, ainsi que le développement du capitalisme d’État allemand par les nazis ne pouvaient avoir d’autre signification historique que la préparation de la guerre. [5]

Ou bien ta divergence avec nous porte-t-elle sur le fait que le New Deal, pour parler grossièrement, n’était au départ qu’une réponse à la crise qui ne pouvait en fin de compte être résolue que par la guerre ? Encore une fois, et pour autant que nous comprenions ton point de vue, nous ne voyons pas d’opposition à la position de base sur cette question, qui est aujourd’hui d’une importance cruciale : les classes capitalistes sont-elles contraintes de forcer la marche vers une guerre impérialiste généralisée ? Et si oui, cette marche est-elle le facteur déterminant de toute la situation historique internationale, en premier lieu de la lutte des classes ? Telle est la question principale dont nous devons convaincre le plus possible le camp prolétarien et avertir le prolétariat dans son ensemble.

Peux-tu nous préciser ce que tu entends par ces « préparatifs pour la deuxième guerre impérialiste mondiale, mais de manière rétroactive et indirecte » ? De même, qu’entends-tu par le fait que notre position « témoigne peut-être d’un certain niveau de bi-dimensionnalité » dans la conception du GIGC sur les crises et la « solution » de la guerre généralisée ?

3) Enfin, nous avons également discuté de l’intérêt pour l’ensemble du camp prolétarien de publier dans notre revue tes commentaires ou, de préférence, une contribution plus développée que tu pourrais écrire sur ces points – si possible pour toi et pour nous dans notre prochain numéro de mai. En es-tu d’accord ? Nous pouvons aussi publier les commentaires tels quels. Ou bien tu peux les corriger et les compléter. Ou encore, si tu le souhaites, tu peux rédiger une contribution plus développée. Techniquement, les commentaires que tu as envoyés correspondent à une page du journal. Même si nous n’avons pas encore décidé du contenu du prochain numéro, tu peux écrire jusqu’à quatre pages. Qu’en penses-tu ?

Nous ne savons pas exactement jusqu’à quel point tu connais nos positions générales ainsi que notre conception du camp prolétarien. D’une manière générale, nous sommes toujours « ouverts » à tout débat et confrontation de positions avec des camarades et sympathisants, qu’ils soient en accord ou en critique avec nos positions. Nous pensons que les positions des uns et des autres, principalement des groupes et organisations communistes, mais aussi des individus du camp prolétarien, ne leur sont pas « propres » mais qu’elles sont des expressions plus ou moins directes des problèmes et questions auxquels l’ensemble du prolétariat est confronté, ou sera confronté. A ce titre, elles sont « d’intérêt général » pour celui-ci, donc aussi pour toutes les forces révolutionnaires. Exposer, débattre, voire confronter les positions est crucial pour l’existence et l’intervention même des groupes révolutionnaires et, plus encore, pour la bataille pour la constitution du parti de demain. C’est pourquoi, en fonction de nos possibilités et de nos priorités, nous encourageons les lecteurs et les contacts à écrire et à contribuer afin que nous puissions discuter et débattre de leurs positions. C’est pourquoi, en fonction de nos capacités matérielles et de nos priorités politiques, nous essayons autant que possible de publier leurs contributions et d’en débattre publiquement.

Dans l’attente de tes commentaires et de ta réponse, salutations internationalistes,

Le GIGC, 8 janvier 2024

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Notes:

[1. À l’attention du lecteur français : la lutte des classes se traduit par class struggle en anglais, au singulier donc, ce qui tend à favoriser l’oubli que la bourgeoisie est tout aussi active, et cela en permanence, contre le prolétariat. D’où notre insistance ici.

[2. Le « closed-shop » est un système, plus répandu dans les pays anglo-saxons que dans les pays d’Europe, surtout du Sud. Il consiste en ce que ne sont employés dans l’entreprise que des membres du syndicat de métier de l’entreprise, rendant de fait les syndicats maîtres de l’embauche. En France, établi en 1945 entre le gouvernement et la CGT pour assurer la paix sociale et la « reconstruction » d’après-guerre, ce système existe encore en partie dans les « vieilles » corporations comme les dockers ou la presse.

[3. Pour faire voter la grève et sa fin dans le cadre de la législation américaine très répressive, de plus en plus les syndicats organisent ces votes et des « assemblées » par vidéo conférence sur internet ! Ce fut le cas lors des grèves de UPS et de l’UAW – industrie automobile – aux USA et dans la grève du secteur public du Québec (ndt).

[4. Ce fut le cas lors des dernières mobilisations de masse en France, en 2022, en 2019, et même en 2016. Tu peux te référer à notre site web pour les interventions que nous avons développées à ces moments-là.

[5. Il est évident que Churchill était beaucoup plus conscient de la dynamique vers la guerre que Chamberlain [Premier ministre britannique lors de la conférence de Munich de 1938, ndt]. C’est pourquoi le choix des hommes politiques en capacité de remplir et de personnaliser au mieux la défense des intérêts du capital national à tel ou tel moment est un véritable enjeu pour toute bourgeoisie nationale. Historiquement, certains le font mieux que d’autres en raison de leur expérience.