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La « Démocratie » est le principal ennemi de la classe ouvrière
’La croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu’elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico-politiques capables de servir à la défense de la domination des exploiteurs. La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments.’ (Lénine, 1919 [1])
Néanmoins, même si le prolétariat international reste globalement soumis à l’idéologie bourgeoise et en particulier à l’idéologie démocratique, même si les luttes ouvrières ne sont pas au niveau des attaques reçues et ne réussissent pas à faire reculer le capital, loin s’en faut, même si les partis de gauche et surtout les syndicats maintiennent leur contrôle sur les réactions ouvrières et les sabotent, il n’en reste pas moins que des fractions significatives de la classe essaient de résister aux pièges démocratiques qui lui sont tendus. Cette résistance apparaît clairement au cours de certains conflits de classe ouverts, au cours de certaines mobilisations, lorsque les ouvriers en lutte refusent de céder aux sirènes appelant, à différents titres, à faire confiance à la démocratie, à se ranger derrière leur État (démocratique) et à abandonner leur combat.
Ce fut le cas en Grèce lors des mobilisations de 2008-2012, par exemple, lorsque les manifestations ouvrières visaient à encercler, à paralyser et même à envahir le Parlement afin de lui interdire d’adopter des mesures d’austérité dramatiques. Il fallut même que l’État démocratique utilise la violence de la milice du PC stalinien grec (et non pas l’extrême-droite qui en aurait été bien incapable alors) pour suppléer la police et éviter que les ouvriers n’envahissent le Parlement. Avec moins de forces et de constance, d’autres luttes ont tendu à poser la question de l’affrontement à l’État bourgeois démocratique malgré les appels à l’unité nationale et au respect de l’État – mystification nationaliste et démocratique se renforçant l’une l’autre [3].
Ce fut encore le cas, ô combien, au Brésil depuis 2013 par rapport à l’organisation par ce pays de la Coupe du monde de football, véritable mythe nationaliste. Là encore, au moment même où la classe ouvrière du pays était soumise à une propagande massive et permanente sur l’organisation de la Coupe, celle-ci a tendu à résister à ces appels à l’unité nationale et ce fut dans la plus grande incertitude que la compétition sportive a commencé. Aidée par l’ensemble de la bourgeoisie internationale, il suffit de se rappeler les interventions de la Fédération Internationale de football [4], la classe dominante brésilienne a dû utiliser la répression massive et violente pour éviter, à ce moment-là, le développement de la révolte ouvrière ; en particulier, lorsque les travailleurs du métro de Sao Paolo se sont mis en grève à peine quelques jours avant la Coupe du monde avec, non seulement la possibilité de paralyser la tenue des matchs, mais surtout avec la perspective de devenir le foyer et le facteur d’unité d’un mouvement généralisé de grèves et de manifestations.
Et si dans nombre d’autres situations et pays, l’idéologie démocratique a réussi à faire détourner la colère ouvrière vers la défense de la démocratie, sous une forme ou une autre, comme lors du ’printemps arabe’ par exemple, il n’en reste pas moins que se joue un combat idéologique extrêmement important et aux conséquences historiques. D’autant que la mystification démocratique ne se limite pas seulement au seul terrain apparent de l’adhésion ou de l’obéissance à l’État bourgeois ; ni à simplement faire croire à la démocratie politique (élections, parlement, etc.) pure et à nier la réalité de la lutte des classes. L’idéologie démocratique bourgeoise va beaucoup plus loin et tend à imprégner tous les moments et tous les espaces de la vie sociale au détriment de la vision et, surtout, de l’action et réflexion collectives, c’est-à-dire de classe comme l’a démontré et défendu sans relâche le marxisme.
Outre une accélération et une extension de la circulation du capital et des marchandises, le développement des nouveaux médias surtout dans les pays développés, télévisions numériques, Internet, ’réseaux sociaux’, etc., a permis la relance des idéologies individualistes et démocratiques comme jamais : du principe bourgeois, ’un homme, une voix’ pour les élections et le choix des gouvernements, l’idéologie propre à ces avancées technologiques a aggravé le ’mal démocratique bourgeois’ en diffusant largement l’idée que chacun pouvait maintenant avoir accès à l’information sans censure et, surtout et pire, que chacun, c’est-à-dire chaque individu, pouvait s’exprimer comme il le pouvait et sans entrave grâce à ce média et à ses ’réseaux sociaux’. Enfin, grâce aux nouvelles technologies liées à Internet, la démocratie pure serait en train de finalement advenir !
C’est donc bien aussi à tous les niveaux de la vie sociale que l’offensive idéologique bourgeoise se déchaîne aujourd’hui ; que l’idéologie démocratiste est déclinée, adaptée, pour non seulement contrer le développement des réactions ouvrières et leur affirmation contre la bourgeoisie et son État, c’est-à-dire au plan politique (lutte anti-fasciste, anti-terroriste, défense de la démocratie, etc.) mais aussi sur le terrain de la pratique quotidienne du combat ouvrier que l’idéologie démocratique est propagée jusqu’à atteindre tous les coins et recoins de la société. Le danger de cette offensive idéologique apparaît d’autant plus clairement lorsque des groupes communistes, certains se revendiquant de la Gauche communiste, cèdent, eux-aussi, à la pression et se font les apologistes de mouvements tels les ’indignés’ et autres ’Occupy’ et ainsi les relais de la propagande démocratique sur les assemblées et ’l’auto-organisation’ [5], sur le primat de l’expression individuelle ou détriment de l’expression et de la lutte collective de classe.
Les groupes et minorités politiques communistes, surtout ceux se revendiquant de la Gauche communiste, expressions les plus hautes de la conscience de classe, sont pourtant les mieux armés pour résister à cette idéologie.
’Partir de l’unité-individu pour en tirer des déductions sociales et échafauder des plans de société, ou même pour nier la société, c’est partir d’un présupposé irréel qui, même dans ses formulations les plus modernes, n’est au fond qu’une reproduction modifiée des concepts de la révélation religieuse, de la création, et de la vie spirituelle indépendante des faits de la vie naturelle et organique( ...) Cette conception religieuse et idéaliste n’est modifiée qu’en apparence dans la doctrine du libéralisme démocratique ou de l’individualisme libertaire : l’âme en tant qu’étincelle de l’Être suprême, la souveraineté subjective de chaque électeur, ou l’autonomie illimitée du citoyen de la société sans lois sont autant de sophismes qui, aux yeux de la critique marxiste, pèchent par la même puérilité, aussi résolument “matérialistes” qu’aient pu être les premiers libéraux bourgeois et les anarchistes.’ (Le principe démocratique, Bordiga pour le PC d’Italie, 1922).
La lutte théorique et de propagande contre l’idéologie démocratique bourgeoise est au centre des leçons et de l’expérience du mouvement ouvrier, de Marx à Lénine, de celui-ci à la Gauche communiste (italienne en particulier). Cet héritage et cette expérience théoriques et politiques sont essentiels aux combats historiques massifs entre les classes qui se profilent. Car selon que le prolétariat restera soumis ou non à cette idéologie, il réussira ou non à se sortir du terrain capitaliste et à dégager sa propre perspective révolutionnaire.
Voilà pourquoi il lui appartient de ne pas céder aux campagnes anti-terroristes et anti-extrême-droite. Certes le terrorisme tout comme le fascisme est aussi un ennemi de la classe ouvrière. Mais, surtout, ils sont les enfants, le produit, du capitalisme et de sa ’démocratie’. Ni le terrorisme, ni le fascisme ne sont le danger principal pour le développement de la défense de ses intérêts de classe et de son combat contre le capital. Ils servent surtout de repoussoir et de faire-valoir à la démocratie et à son idéologie. Le plus souvent, ils sont suscités, voire organisés par l’Etat démocratique lui-même. Le principal danger pour la classe ouvrière, c’est donc le mensonge de la démocratie bourgeoise et la tentation de se laisser entraîner dans sa défense en lieu et place du combat contre le capital et l’État bourgeois.
Août 2014
GIGC, août 2014.
(Publieé sur http://igcl.org: 9 septembre 2014)
Notes:
[1] . Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, 1° congrès de l’Internationale Communiste, mars 1919.
[2] . ’Le FBI a « encouragé, poussé et parfois même payé » des musulmans américains pour les inciter à commettre des attentats, au cours d’opérations de filature montées de toutes pièces. C’est la conclusion d’un rapport de l’ONG Human Rights Watch publié lundi 21 juillet (…) « Dans certains cas, le FBI pourrait avoir créé des terroristes chez des individus respectueux de la loi en leur suggérant l’idée de commettre un acte terroriste », résume l’ONG, estimant que la moitié des condamnations résultent de coups montés ou guet-apens. Dans 30 % des cas, l’agent infiltré a joué un rôle actif dans la tentative d’attentat.’ (Le Monde.fr avec AFP , 21.07.2014)
[3] . Ce n’est pas une nouveauté : lors de la Première guerre mondiale, c’est au nom de la défense de la France républicaine, de la démocratie, que les ouvriers furent appelés à partir en guerre contre l’absolutisme dictatorial de l’Empereur allemand Guillaume. En Allemagne, ce fut au nom de la guerre contre l’absolutisme du Tsar russe et de la défense de la nation allemande civilisée (démocratique).
[4] . Platini, Président de la fédération européenne de football : « Il faut absolument dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du monde et qu’ils sont là pour montrer les beautés de leur pays, leur passion pour le football et que s’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, bah ce serait bien pour le Brésil et puis pour la planète football, quoi. Mais bon, après, après on maîtrise pas, quoi. »
[5] . Le Courant Communiste International d’aujourd’hui, il suffit de voir ces apologies des mouvements ’indignés’ et de l’assembléisme, en est l’expression à la fois la plus caricaturale et la plus dangereuse.