(Février 2015) |
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Démocratie bourgeoise, Internet... et la soi-disant égalité des individus.
Le texte qui suit est la synthèse d’une discussion contradictoire que nous avons eu en notre sein sur l’usage d’internet, des forums et réseaux sociaux (type Facebook) par la classe ouvrière et en particulier par les groupes communistes et leurs militants. Ces nouveaux médias – dont l’utilité principale est de favoriser et d’accélérer comme jamais la circulation du capital et des marchandises – présentent aussi l’intérêt pour l’idéologie bourgeoise de faire croire à l’avénement définitif de la démocratie où chacun, chaque individu isolé, aurait enfin accès au savoir et à la libre expression de son individualité. Cette mystification a pour conséquence de détruire encore plus les liens sociaux de tous ordres ; et au premier chef les liens collectifs de classe.
À ce titre, l’idéologie qui accompagne ces nouveaux médias, exerce son influence négative sur les luttes ouvrières – même si elle ne reste encore qu’un auxiliaire renforçant les mystifications et les sabotages mis en avant par les forces bourgeoises dans les grèves et manifestations.
Par contre, elle est loin d’être sans effet sur les groupes communistes tant au niveau de leur intervention – faut-il continuer à publier des publications et journaux réguliers sur papier et développer leur diffusion militante dans les luttes, les manifestations, les grèves, les assemblées, les réunions politiques, dans la rue, alors qu’on peut se satisfaire de la publication sur un site Internet ? –, qu’au niveau des débats entre groupes politiques – pourquoi ne pas se contenter des forums internet et des réseaux sociaux chaque groupe ayant son réseau de sympathisants et "d’amis" Facebook ? –, qu’au niveau de leur vie interne – pourquoi maintenir des réunions formelles de groupe alors que les mails et les liens "miraculeux" grâce à Skype ou autres semblent pouvoir maintenir et développer un contact et des échanges permanents ?
Pour nous, Internet ne peut être qu’un moyen technique dont le contrôle étatique, policier (surveillance) et surtout idéologique, est encore plus efficace que celui que la bourgeoisie pouvait exercer auparavant sur le téléphone – pour donner un exemple d’un outil technique qui peut paraître équivalent. Même si nous pouvons difficilement nous en passer dans la société dite "moderne" d’aujourd’hui, comme nous ne pouvions nous passer de l’usage du téléphone, les communistes doivent en limiter l’utilisation et, surtout, combattre la mystification idéologique qui accompagne son développement au risque de se perdre et de liquider une grande partie des apports et leçons du mouvement ouvrier tant du point de vue des luttes ouvrières que du combat pour le parti communiste de demain.
Nous invitons nos lecteurs et les groupes communistes à se pencher sur cette question, à contribuer – par la participation et la critique – à notre réflexion, et à participer à la dénonciation et au combat contre le démocratisme en général et sa version ’internet’ en particulier. Parmi les rares contributions sérieuses que nous connaissons sur le sujet, il convient de mentionner l’article que le PCint-TCI a écrit dans sa revue italienne Prometeo #4 (2010), Libertà virtuale e catene reali - La battaglia per il controllo di Internet. Même si nous partageons une bonne partie des arguments, nous restons plus réservés sur la possibilité pour les communistes de devoir mener « la bataille pour le contrôle d’Internet » et de « s’opposer (...) aux contrôles et à la censure sur les forums internet » [« Dobbiamo opporci (…) ai controli e alla censura sui forum del web »]. Outre les limites (voire les dangers) d’une telle bataille, nous considérons que le texte de Prometeo tend à négliger l’utilisation politique et idéologique de ces nouveaux médias par le capitalisme et la classe dominante contre les luttes de la classe ouvrière et ses minorités communistes.
1) Démocratie bourgeoise et la soi-disant égalité des individus
La démocratie bourgeoise se base essentiellement sur une vision abstraite de l’individu. Ou plus couramment : une homme, une voix (un vote) ; chacun égalerait l’autre. Depuis longtemps, le marxisme, théorie révolutionnaire du prolétariat, classe exploitée et révolutionnaire, a dénoncé la mystification de l’égalité entre les individus appartenant à différentes classes sociales ; et en particulier, « peut-il avoir égalité entre exploité et exploiteur ? (...) Dans l’État bourgeois le plus démocratique, les masses opprimées se heurtent constamment à la contradiction criante entre l’égalité nominale proclamée par la "démocratie" des capitalistes, et les milliers de restrictions et de subterfuges réels, qui font des prolétaires des esclaves salariés » (Lénine, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky). En réalité, « bien que la bourgeoisie représente la minorité de la société, l’État démocratique représente le système de la force armée organisée en vue de la conservation des rapports de production capitaliste » (Thèses de la Fraction communiste abstentionniste du Parti Socialiste Italien, 1920). Contrairement à l’idéologie bourgeoise démocratique, le marxisme ne revendique pas et ne prétend pas à l’égalité entre individus, ni dans le cadre de la société capitaliste, ni même dans le cadre du communisme. C’est le capital qui fait des hommes et des femmes des "égaux" en les aliénant au travail salarié comme prolétaires. Et si les révolutionnaires sont les premiers à mettre en avant des revendications "égalitaires" dans les luttes ouvrières, en particulier dans les revendications salariales, ce n’est pas par principe, encore moins par morale (les deux seraient ici des abstractions), mais comme moyen d’extension et d’unification de la lutte. « La société socialiste envisagée comme le règne de l’égalité est une conception française unilatérale, rattachée à l’ancienne devise "Liberté, égalité, fraternité", une conception qui était autrefois légitime et opportune en tant qu’étape de développement, mais qui, à l’égal de tous les principes unilatéraux des anciennes écoles socialistes, devrait être surmontée, parce qu’elle ne fait qu’embrouiller les esprits et qu’on a trouvé des expressions plus précises » (Engels, Lettre à Bebel, 18 mars 1875, souligné par Engels).
La mystification sur l’égalité entre individus au sein de la société capitaliste et de son État démocratique aboutit au mensonge sur le libre choix politique du ’peuple’ par l’affirmation d’un vote majoritaire, le "peuple" compris comme la somme d’individus soit-disant "libres et égaux" étant une autre abstraction sous le capitalisme. « La division de la société en classes que les privilèges économiques distinguent nettement enlève toute valeur à la décision majoritaire. Notre critique réfute la théorie mensongère selon laquelle la machine de l’État démocratique et parlementaire sorti des constitutions libérales modernes serait une organisation de tous les citoyens dans l’intérêt de tous les citoyens » (Le principe démocratique, Bordiga, 1922).
Le mensonge et la mystification démocratiques qui se basent sur une notion abstraite, a-historique, non matérielle, in fine métaphysique, de l’individu, servent en premier lieu à imposer et à faire accepter par les masses exploitées, au premier rang desquelles se trouve le prolétariat, « la République démocratique [cette] forme ultime de l’État de la société bourgeoise » (Marx, critique du programme de Gotha, 1875) en niant la réalité des classes sociales, surtout de la classe dominante bourgeoise et du prolétariat exploité, et leur antagonisme irréconciliable.
2) La soi-disant ’souveraineté’ de l’individu
Mais la mystification bourgeoise ne se limite pas simplement à faire croire à la démocratie politique (élections, parlement, etc.) pure, à effacer des consciences la réalité de la dictature de classe qu’exerce la démocratie bourgeoise, et à nier la réalité de la lutte des classes. L’idéologie démocratique bourgeoise va beaucoup plus loin et tend à imprégner tous les moments et tous les espaces de la vie sociale au détriment de la vision et, surtout, de l’action et réflexion collectives, c’est-à-dire de la classe ouvrière comme l’a démontré et défendu sans relâche le marxisme. L’idéologie bourgeoise démocratique tend à faire de chaque individu une "unité" en soi, autonome. « L’unité de l’individu a sans aucun doute un sens du point de vue biologique, mais on ne peut en faire le fondement de l’organisation sociale sans tomber dans l’élucubration métaphysique : du point de vue social, en effet, toutes les unités n’ont pas la même valeur, et la collectivité naît de rapports et de groupements dans lesquels le rôle et l’activité de chaque individu ne constituent pas une fonction individuelle mais collective, déterminée par les multiples influences du milieu social » (Le principe démocratique, Bordiga, 1922).
L’individu "prolétaire" n’est rien par lui-même. Il n’est qu’au sein du collectif historique que représente sa classe, classe exploitée et classe révolutionnaire à la fois. « Il ne s’agit pas de ressusciter le mythe illusoire de l’individualisme, qui veut libérer le Moi des influences externes, alors que sa dépendance s’élargit au contraire en se diversifiant et que la vie individuelle est de plus en plus difficile à distinguer d’une vie collective. Bien au contraire, le problème est posé sur un autre terrain : la liberté et la volonté sont attribuées à une classe destinée à réaliser l’unité de l’espèce humaine luttant finalement contre les seules forces adverses du monde physique extérieur » (Thèses présentées par la Gauche au 3ème congrès du Parti communiste d’Italie, Lyon, 1926, nous soulignons).
3) Le totalitarisme de l’État capitaliste et l’atomisation des individus prolétaires
Avec la période historique de décadence du capitalisme – ou période de l’impérialisme dominant – et du totalitarisme étatique croissant qui l’accompagne, cette idéologie démocratiste et individualiste – idéologie de la classe capitaliste – n’a eu de cesse de se développer jusqu’au niveau caricatural que nous lui connaissons aujourd’hui, tout particulièrement avec l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux. Sous beaucoup d’aspects, le roman de Georges Orwell, "1984", qu’il serait erroné de limiter à une simple dénonciation des États capitalistes nazi et stalinien, est devenu réalité. Avec Internet et ses cookies, le GPS et Facebook, non seulement Big Brother is watching you, mais surtout chacun, comme individu isolé, est contraint, d’une manière ou d’une autre, à se soumettre à cette dictature permanente qui touche tous les recoins de la vie sociale : au travail bien sûr avec l’idéologie managériale et le travail en réseau "internet-intranet" ; dans les déplacements et transports avec les téléphones mobiles et le GPS ; chez soi, dans la soi-disant "intimité du foyer" avec Internet, Skype et les réseaux sociaux. Si la télévision a été un grand facteur du développement du totalitarisme étatique et démocratique bourgeois tout comme un grand accélérateur de l’atomisation sociale, au moins elle n’était pas "interactive", chacun restant passif devant le média. Aujourd’hui, l’individu isolé – la plupart du temps prolétaire salarié ou au chômage – devient, en apparence, superficiellement, acteur du média et de sa propre atomisation sociale – cela non pas une fois de temps en temps lors d’élections, mais quotidiennement, en permanence, chez lui, dans les transports, durant ses "loisirs", au travail... Pire même il finit par croire que le seul espace social qui reste est celui, virtuel, d’Internet et des réseaux sociaux : n’est-ce pas là, en payant, que les célibataires cherchent à trouver l’âme soeur et à établir des relations amoureuses ? Outre le fait que le capitalisme transforme en marchandise... les relations amoureuses et les sentiments, l’espace des relations sociales aussi intimes que l’amour se réduit chaque fois plus à Internet et aux réseaux soi-disant "sociaux" – il en va des "réseaux sociaux" comme de la nov-langue de "1984" : ils sont autant sociaux que « la liberté, c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force ».
Mais plus dangereux encore, il a permis à l’idéologie bourgeoise démocratique d’acquérir une dimension mystificatrice particulière : tout le monde, tous les individus, peuvent "s’exprimer librement" et à volonté sans moyens financiers particuliers, sans journaux, sans relations sociales particulières, etc... Et effectivement, il faut le reconnaître, c’est le sommet de la démocratie formelle et abstraite, enfin chaque individu est l’égal de l’autre : d’un homme, un vote, Internet nous fait passer à "un homme, une voix (ou ’post’) permanente". Au risque de paraître pour des vieux "ringards" face à cette modernité – certains, y compris parmi les révolutionnaires, n’ont-ils pas parlé d’internet comme facteur de la révolution ? – c’est dans le passé et l’histoire de notre classe, que nous trouvons la dénonciation théorique de l’idéologie démocratique et individualiste dont Internet est devenu le summum :
« Cette conception ne peut apparaître comme une séduisante construction logique que si on admet au départ que le vote, c’est-à-dire l’avis, l’opinion, la conscience de chaque électeur – nous pouvons rajouter aujourd’hui de chaque "ami Facebook" ou participant à des forums – a le même poids au moment de déléguer ses pouvoirs pour l’administration des affaires collectives. Combien une telle conception est peu réaliste et peu "matérialiste", cela ressort déjà du fait qu’elle considère chaque individu comme une "unité" parfaite au sein d’un système composé d’autant d’unités potentiellement équivalentes et que, au lieu d’apprécier l’opinion de cet individu en fonction de ses multiples conditions de vie, c’est-à-dire de ses rapports avec les autres hommes, elle la théorise a priori dans l’hypothèse de la "souveraineté" de l’individu. Ceci équivaut encore à situer la conscience des hommes en dehors du reflet concret des faits et des déterminations du milieu, à la considérer comme une étincelle allumée, avec la même providentielle équité, dans chaque organisme, sain ou délabré, affamé ou harmonieusement satisfait dans tous ses besoins, par un indéfinissable être suprême qui dispense la vie » (Le principe démocratique, déjà cité).
C’est aussi, en même temps, la négation du collectif social quel qu’il soit. Un exemple apparemment "neutre" en terme de classe et politique : il est commun maintenant de voir des "gens" réunis au cours d’une soirée entre amis (cadre social collectif) s’isoler un bon moment pour envoyer ou lire des SMS ou des textos sans aucun objet ou urgence avec un autre individu non présent (voire parfois même présent) et oublier, nier même, ainsi l’acte social collectif !
Cette gangrène "anti-sociale", anti-collectif, individualiste, pénètre tous les recoins de la vie sociale et la pollue favorisée par l’utilisation idéologique d’Internet et des réseaux sociaux – mais seulement favorisée, elle existait auparavant comme produit de l’idéologie démocratiste et individualiste. Internet ne fait que l’aggraver et à en accélérer la propagation.
Du point de vue de classe, c’est-à-dire du point de vue politique prolétarien, chaque individu, ouvrier, salarié, employé, chômeur, chaque exploité, se retrouve en permanence, et surtout encore plus, surveillé et mis en concurrence avec les autres par le capitalisme totalitaire au moyen d’Internet. Ce nouveau media fournit à l’ensemble de l’appareil de l’État capitaliste les moyens de la surveillance et surtout de la répression tant dans la vie sociale en générale que sur les lieux de travail. Nous y revenons par la suite. En tant que tel Internet et son utilisation par le capitalisme aggravent les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière tout comme son idéologie renforce la mainmise totalitaire du capital sur le travail, c’est-à-dire sur les prolétaires.
4) L’idéologie Internet participe du sabotage des luttes ouvrières
L’idéologie démocratique sous sa variante Internet pollue aussi et affaiblit le mouvement ouvrier et communiste en aggravant encore plus la rupture avec ses traditions et, en partie, en cherchant à dénaturer les conditions de lutte de la classe ouvrière pour mieux la paralyser. L’idéologie démocratiste propre à Internet a favorisé et participé à la mise en avant des mouvements des "indignés" et la fétichisation de l’auto-organisation et des assemblées dans lesquelles chacun pouvait, et devait, s’exprimer, 3 minutes maximum. Si bien souvent, il était interdit d’intervenir au nom d’un groupe politique, par contre peu importait que chaque individu répète la même chose que le précédent. Cette démocratie pure est un piège du point de vue des intérêts et des objectifs de la lutte ouvrière contre le capitalisme. Le rôle d’une assemblée ouvrière n’est pas de donner la parole à chaque individu présent, mais de décider des intérêts et des objectifs immédiats de la lutte afin de développer un rapport de forces le plus favorable possible contre le capital. En général, il y a un guide conducteur : l’extension et l’unification du combat à d’autres secteurs de la classe ouvrière. Face à cette nécessité pratique du combat et aux décisions particulières à prendre en fonction des différents moments et conditions de chaque lutte, l’important est que les orientations politiques qui affirment cette dynamique d’unité et celles qui s’y opposent, s’affrontent dans l’assemblée. Et si seuls quelques intervenants, voire seulement même deux intervenants, s’en font les porteurs en posant les termes du "débat", c’est-à-dire en assumant et portant la confrontation politique immédiate, et qu’elles apparaissent clairement aux yeux de l’assemblée – sans être noyés sous un flot d’intervention de 3 minutes sur tout et n’importe quoi – alors la "démocratie prolétarienne", la "démocratie du combat ouvrier" se met au service du combat de classe et de ses objectifs immédiats et de long terme.
Voilà précisément ce que l’idéologie démocratiste et individualiste – dont Internet est devenu le véhicule le plus approprié – cherche à éliminer en noyant les enjeux et les termes des confrontations que les ouvriers, en particulier les plus combatifs et les plus conscients, doivent inévitablement et nécessairement assumer dans les combats de la classe ouvrière contre les forces politiques et syndicales bourgeoises qui interviennent, et interviendront, y compris dans la période révolutionnaire, dans les luttes et les organisations unitaires de la classe : assemblées, manifestations, rassemblements, comités, conseils ouvriers, etc. Vidées de leur contenu et objectif politiques – décider de la grève, définir les revendications et les buts de la lutte et les moyens de son extension et de son unification pour les premières ; décider et organiser l’insurrection puis l’exercice du pouvoir pour les conseils ou soviets – ces organes de lutte tombent inévitablement dans les mains de la bourgeoisie qui se fait fort de les paralyser et de les émasculer au nom de la supposée vertu démocratique en soi, supposée "naturelle", de ces organes.
De ce point de vue, l’idéologie démocratique – à laquelle les visions individualistes viennent apporter crédit et renfort – se fait l’apôtre de la fétichisation de "l’auto-organisation", bien souvent aujourd’hui de "l’assembléisme", pour mieux vider l’organisation de la lutte par les ouvriers eux-mêmes de son contenu et de son potentiel de classe. Nos générations de prolétaires, particulièrement les plus jeunes, sont influencées par l’idéologie démocratique version Internet et se sont habituées aux échanges individuels instantanés de mails et de "post" sur les réseaux sociaux, à ce que chaque idée ou commentaire soit de même valeur que les autres, etc. Du coup, elles tendent à confondre les débats et la confrontation des positions et orientations de combat avec la possibilité matérielle, temporelle, pour chaque individu de pouvoir dire son mot à lui. Au lieu de privilégier l’intérêt de l’assemblée et de la lutte, c’est-à-dire du collectif de classe, on privilégie au nom d’une démocratie formelle et vide de contenu politique et de classe, les expressions individuelles du plus grand nombre.
De même, l’usage des smartphones pour informer et appeler à des rassemblements ou des manifestations improvisés est aujourd’hui montré en exemple à suivre. Chaque individu prévient ainsi son ou ses copains, ses connaissances. Une chose est de prévenir quelqu’un par téléphone du lieu d’une manifestation improvisée – nous n’avons rien contre en soi. Par contre, autre chose est de substituer l’usage individuel des smartphones à l’envoi collectif de délégations massives pour chercher les ouvriers en masse de tel ou tel lieu de travail afin qu’ils se joignent à la manifestation. Or, de plus en plus, nous avons pu constater que nombre de participants aux manifestations de rue, même quand elles étaient massives – appelées ou pas par les syndicats – venaient individuellement et non plus en délégation ou cortège collectif. Certes nous n’avons rien contre le fait qu’un travailleur décide tout seul de venir à une manifestation – c’est mieux que rien – mais il n’en reste pas moins que cela exprime une faiblesse et une difficulté de la classe ouvrière. Et, puisqu’il ne faut pas faire de nécessité vertu, nous combattons l’idée que cela soit un exemple à suivre et encore plus toute apologie de cette méthode dite "moderne". Ainsi les Facebook et autres twitter nous sont présentés comme des outils et des moyens du combat ouvrier et son élargissement en substitution des véritables organisations des luttes qui réunissent physiquement et politiquement l’ensemble des ouvriers telles les délégations massives et les assemblées ouvrières.
5) La pression du démocratisme et de l’individualisme sur les groupes communistes
L’opportunisme politique exprime la pénétration de l’idéologie bourgeoise au sein du camp révolutionnaire, au sein des organisations d’avant-garde communistes du prolétariat. Le démocratisme et l’individualisme l’atteignent aussi et même encore plus fortement après un siècle de capitalisme d’État croissant tant au plan économique que social et idéologique. On peut dire que ce phénomène s’est même accéléré dramatiquement ces dernières décennies y compris, et même particulièrement, en son sein, l’affaiblissant d’autant, favorisant la dispersion des groupes politiques (que la classe ne reconnaît pas encore), leur désertion et l’individualisme. Non seulement les quelques groupes politiques communistes sont peu nombreux et très dispersés, mais en plus il y a sans doute plus d’individus se déclarant révolutionnaires en-dehors de ces groupes, et le justifiant, que ces derniers n’ont de membres. Conséquences : d’abord l’individualisme au sein du camp prolétarien – c’est-à-dire des groupes et éléments qui se revendiquent du communisme et de sa tradition théorique, politique et organisationnelle – est aujourd’hui théorisé [1] et se développe dans la mesure où ces camarades rejettent l’activité communiste qui ne peut être qu’organisée et centralisée dans un organisme collectif ; ensuite, le démocratisme s’étend avec ces éléments à la démarche individualiste qui défendent, au nom de la liberté individuelle de critique et de révision du programme et des positions du passé, que chaque idée ou expression est aussi valable, équivalente, qu’une autre ; et en particulier aussi valable qu’elle provienne d’un individu ou d’un groupe ou organisation communiste. Pour nous, il n’en est rien. Toutes les "idées révolutionnaires" ne sont pas d’égale valeur et un des critères pour l’évaluer, outre leur contenu politique, est le fait qu’elles soient émises par des groupes et organisations politiques ou des individus non organisés. À la différence de l’individu "révolutionnaire" qui n’a de compte à rendre qu’à lui-même, voire à ses "amis", le groupe politique est comptable de l’histoire du mouvement ouvrier et de sa propre histoire tant aux plans programmatique, théorique, politique, qu’organisationnel. À ce titre, et contrairement à l’individu, il n’est pas libre. À ce titre, il ne peut considérer toute idée comme aussi valable, équivalente, à une autre. À ce titre aussi, il se doit de discuter, de débattre, et de combattre les autres positions et "idées", de valeurs inégales, qu’ils ne partagent pas.
Internet et ses dérivés n’est pas à l’origine de ce poids particulier du démocratisme et de l’individualisme au sein du camp prolétarien. Néanmoins, il vient se mettre au service de ces deux mystifications et en devient un des principaux vecteurs à la fois par la propagande et les illusions sur son usage et par... son usage "facile" et quotidien qui voile aussi le vide de l’action réelle, c’est-à-dire de classe. Et surtout, Internet et les réseaux sociaux favorisent, et même privilégient, les expressions individuelles au détriment des expressions politiques collectives et organisées, c’est-à-dire d’organisation et de parti.
En lieu et place des débats et confrontations politiques entre courants et organisations politiques, on tend de plus en plus à ne voir et ne considérer que des affrontements et des disputes entre individus. De ce point de vue, l’utilisation de réseaux sociaux et d’internet largement favorisée par la bourgeoisie ne se limite pas, loin s’en faut, à la possibilité accrue de contrôle et de surveillance étatique et policière, mais aussi à polluer les esprits avec une vision et des pratiques individualistes qui détournent de l’action ou réflexion collectives, et particulièrement de classe, jusqu’à les nier et les faire disparaître, y compris au sein de l’avant-garde politique du prolétariat.
6) Internet et ses dérivés : un moyen de répression
Comme tout outil ou moyen technique, Internet est contrôlé et maîtrisé par le pouvoir en place, en l’occurence par les États capitalistes. C’est vrai au niveau économique qui reste la dimension principale de ce média et qui voit une accélération comme jamais de la circulation du capital et des marchandises et la recherche effrénée de profit capitaliste dans tous les recoins de la planète et de la vie sociale – jusqu’aux relations sentimentales comme nous l’avons vu. Mais aussi, de par l’utilisation idéologique et de propagande dont il est aussi le vecteur, Internet et les moyens techniques qui vont avec, sont devenus le lieu privilégié de la surveillance et de la répression des États – il convient de souligner, en passant, que les États démocratiques sont bien plus efficaces dans cette répression au point qu’ils n’ont pas besoin, contrairement aux États dits non-démocratiques, de couper le réseau et l’accès à Internet (néanmoins, le jour où ils l’estimeront nécessaire, ils ne se priveront pas de le faire dans l’instant). Nous ne reviendrons pas ici sur les révélations de WikiLeaks et autres "scandales" autour des activités des services secrets et de police tel le NSA américain. En effet, quiconque y réfléchit deux minutes sérieusement et se reporte sur les multiples révélations de la presse bourgeoise elle-même, la toute puissance et omniprésence de la surveillance policière et la répression sur Internet ne font aucun doute.
Malheureusement, les illusions démocratiques parmi les révolutionnaires, ce vieux mal du mouvement ouvrier, surtout dans les pays à forte tradition démocratique qui sont, bien souvent, en même temps les centres historiques du capitalisme, restent toujours aussi répandues. Sans revenir sur l’illusion que la bourgeoisie des pays démocratiques ne reproduira jamais l’assassinat de Rosa Luxemburg, commandité et exécuté par la social-démocratie allemande – il est toujours bon de le rappeler – nos générations de révolutionnaires qui n’ont pas connu de répression ouverte massive – sauf exception – sont particulièrement infectées par ce mal au point de négliger les plus élémentaires mesures de "discrétion". Certes, il faut être capable de trouver un équilibre entre l’avantage immédiat que les moyens modernes peuvent fournir et le souci de long terme de protéger l’activité communiste de la répression – et donc limiter la surveillance de l’État. Combien de discussions politiques par téléphone, moyen de facilité, pouvaient et aurait dû être évitées à condition d’attendre la réunion du groupe ? Ou le courrier ? Bien sûr, ce souci politique n’interdisait pas l’utilisation du téléphone – parfois indispensable au bon fonctionnement quotidien – mais aurait dû en limiter l’usage. D’une part, face à la surveillance étatique et, d’autre part, du fait que son usage immodéré impliquait des pratiques, des débats en particulier, hors du contrôle et de la vie collective du groupe... et souvent d’individu à individu. Il en va de même pour Internet sauf que... celui-ci est encore plus surveillé et contrôlé par l’appareil d’État bourgeois et qu’il peut encore plus facilement – ne serait-ce que parce qu’il peut mettre en contact direct, oral et visuel, plus de 2 personnes – se substituer à des réunions collectives régulières de groupe.
Les illusions sur la démocratie bourgeoise et les concessions politiques et organisationnelles qui vont avec, et qui sont renforcées par l’idéologie Internet, ont à la fois des effets négatifs du point de vue de la surveillance et répression – y compris indirecte par exemple par une plus grande facilité de manipulation et d’infiltration policière – et du point de vue du fonctionnement même, et de la compréhension théorique et politique, de l’organisation, groupe, fraction ou parti communiste.
7) Les forums et réseaux sociaux liquident les débats politiques
À quoi bon se réunir puisqu’on peut discuter et se voir par Skype chacun chez soi ? Sans effort. À quoi bon organiser des débats internes et, si possible, par la rédaction de textes, lorsque l’on peut débattre avec tout le monde et n’importe qui instantanément, avec "réponse" immédiate, sur les forums et les réseaux sociaux ? La facilité d’utilisation d’internet et de ses dérivés, chacun chez soi devant son ordinateur, chacun donnant son mot et son avis sur tout et n’importe quoi dans les forums et réseaux sociaux, développe le cancer de l’individualisme et le rejet de toute activité collective, régulière, organisée et centralisée ; en particulier de tout débat collectif argumenté et contradictoire seule arme, pourtant, permettant de clarifier les questions politiques et regrouper dans un cadre collectif et militant les énergies révolutionnaires ; bref, l’idéologie démocratique et individualiste "internet" vise à liquider toute activité communiste ou "de parti".
En effet, en lieu et place de débat interne ou externe aux groupes politiques – auxquels peuvent parfois participer aussi des individus ou sympathisants de ces groupes – nous assistons comme jamais au développement d’interventions sur tout et n’importe quoi d’individus, plus ou moins révolutionnaires selon eux-mêmes, souvent isolés, la plupart du temps sous l’emprise de l’émotion immédiate, souvent guidés par leur égo et leur volonté "d’exister" comme personnalité, dans les forums internet. Au lieu de débats organisés et centralisés dont la finalité est la clarification des positions politiques – par exemple par des conclusions et des décisions politiques pratiques, c’est-à-dire militantes – nous assistons à une addition de pseudo-contributions d’individus qui, bien souvent, ne se répondent pas ou si elles le font, ne se réfèrent à aucune tradition politique, ou, au mieux, les plus dangereuses. C’est évidemment encore pire sur les réseaux sociaux à la Facebook. Là, règne en maître l’immédiat, l’émotion, les sentiments, la réaction, l’absence de pensée et d’argument, bref l’individualisme le plus grossier et le plus crasse. Mais n’allez pas critiquer au risque que votre "ami Facebook" ne coupe le "post", le fil du "chat" après vous avoir accusé de l’avoir insulté et de ne pas respecter sa pensée... aussi valable que la vôtre – c’est d’ailleurs pour cela qu’il est impoli et impropre de la discuter ! Résultat des courses : cela se termine bien souvent par des insultes personnelles ou par le silence ; bref c’est tout sauf le débat, y compris et surtout contradictoire, visant à la clarification politique et, en passant, c’est tout sauf le véritable respect que l’on doit à des militants ouvriers et révolutionnaires.
Mais le petit-bourgeois marqué par le démocratisme et l’individualisme sera satisfait ; il se sera fait plaisir : il aura exprimé "son" idée et affirmé surtout sa "personnalité".
8) Internet et l’activité communiste
Bien évidemment, les groupes communistes, tout comme les prolétaires dans leur vie quotidienne, sont contraints d’utiliser les nouveaux médias que le capitalisme contrôle et impose. Ils peuvent même y trouver, comme pour l’usage du téléphone par exemple, un intérêt immédiat. Il serait idiot parce que pratiquement impossible, de ne pas utiliser les mails, ni d’utiliser les possibilités qu’offre la création d’un site internet. Mais il s’agit de les considérer comme des outils techniques modernes que les communistes doivent mettre à leur service dans la mesure du possible – tout en sachant que la bourgeoisie garde et gardera la mainmise sur cet outil qu’elle peut interrompre à tout moment tant qu’elle gardera le pouvoir d’État. La création d’un site internet justifie-t-elle l’arrêt de toute publication régulière révolutionnaire ? Nous ne le pensons pas. Au contraire. D’abord parce que la bourgeoisie tant que son pouvoir d’État n’aura pas été détruit et remplacé par le pouvoir du prolétariat révolutionnaire, la dictature du prolétariat, pourra à tout moment interrompre et faire taire le site – encore plus facilement que la presse papier. Mais aussi parce que nous estimons que c’est la fréquence et la régularité d’un journal ou revue qui définit l’organisation, la présentation et l’activité d’un site internet d’un groupe communiste – et non le contraire. C’est la raison pour laquelle nous refusons d’utiliser notre site comme un blog avec la parution de nos articles les uns après les autres au fur et à mesure de leur rédaction. Le site internet d’une organisation communiste doit aussi avoir une dimension militante ; ou plutôt doit exprimer la dimension militante du groupe communiste. Et en particulier, il doit présenter ses prises de position, tracts, communiqué, articles, etc, de manière hiérarchisée et prioritaire – et non pas les uns après les autres. Dans ce sens aussi, il n’y a pas égalité entre les prises de position. Toutes ne se valent pas et leur agencement est déterminée par des priorités et des orientations politiques.
Donc, loin de nous l’idée d’un retour à l’âge pré-numérique y compris si la domination de la bourgeoisie sur le numérique reste entière. Mais une préoccupation et une lutte de tous les instants doivent nous animer contre le renouveau des idéologies et mystifications démocratiques et individualistes qu’Internet et les réseaux sociaux ont permis de provoquer.
Pour cela, pour ce combat, nous n’inventons rien. Nous nous contentons, modestement et sans doute incomplètement – nous attendons les critiques – d’essayer de nous baser sur la critique théorique faite par le marxisme en général, et plus particulièrement ici par Bordiga et le Parti communiste d’Italie, de l’idéologie et de la mystification démocratique, il y a presqu’un siècle. Elle nous semble encore plus actuelle et valable aujourd’hui face aux nouveaux médias, internet et Facebook, et à l’idéologie qui les accompagne :
« Partir de l’unité-individu pour en tirer des déductions sociales et échafauder des plans de société, ou même pour nier la société, c’est partir d’un présupposé irréel qui, même dans ses formulations les plus modernes, n’est au fond qu’une reproduction modifiée des concepts de la révélation religieuse, de la création, et de la vie spirituelle indépendante des faits de la vie naturelle et organique. A chaque individu la divinité créatrice ou une force unique régissant les destinées de l’univers a donné cette investiture élémentaire qui en fait une molécule autonome, bien définie, douée de conscience, de volonté, de responsabilité, au sein de l’agrégat social, indépendamment des facteurs accidentels dérivant des influences physiques du milieu. Cette conception religieuse et idéaliste n’est modifiée qu’en apparence dans la doctrine du libéralisme démocratique ou de l’individualisme libertaire : l’âme en tant qu’étincelle de l’Etre suprême, la souveraineté subjective de chaque électeur, ou l’autonomie illimitée du citoyen de la société sans lois sont autant de sophismes qui, aux yeux de la critique marxiste, pèchent par la même puérilité, aussi résolument “matérialistes” qu’aient pu être les premiers libéraux bourgeois et les anarchistes » (Nous soulignons).
N’est-ce pas là une critique particulièrement aiguë et acérée de l’idéologie démocratique "internet" ; idéologie que la classe révolutionnaire (et surtout ses organisations politiques) doit combattre de toutes ses forces ?
Le GIGC.
Notes:
[1] . Voir la mouvance autour de cercles comme Controverses ou Perspectives internationalistes ou encore d’ex-membres de groupes politiques comme le CCI.