Révolution ou Guerre n°15

(16 mai 2020)

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Espagne 1936 : peut-il y avoir une révolution prolétarienne sans insurrection et destruction de l’État bourgeois ?

« La question du pouvoir est certainement la question la plus importante de toute révolution. Quelle classe détient le pouvoir ? Tel est le fond du problème (…) celle qui détermine tout le développement de la révolution, sa politique extérieure et intérieure » (Lénine, Une des questions fondamentales de la révolution, 1917).

La "révolution espagnole" reste une mystification, un mythe pour beaucoup, qui est largement entretenue par la gauche et les gauchistes, trotskistes et anarchistes en ayant fait leur fonds de commerce. Il est malheureusement des forces révolutionnaires qui, aujourd’hui encore, lui apportent leur caution. Parmi celles-ci, les camarades du groupe communiste Émancipation (plus connu sous le nom de son blog espagnol Nuevo Curso) défendent qu’il y a eu une « révolution espagnole » en 1936, que « le 19 [juillet] l’insurrection générale "inattendue" du prolétariat espagnol désarma la réaction armée [le coup d’État militaire de Franco] et prît le pouvoir sur les 4/5e du territoire » [1]. Se revendiquant d’une prétendue "Gauche communiste espagnole" autour de la figure du militant révolutionnaire Grandizo Munis, ils en reprennent la tradition et les positions, tout particulièrement sur l’Espagne. Comme nous l’avons montré dans notre précédent numéro [2], ces positions ne sont pas celles de la Gauche communiste internationale, mais celles de l’Opposition ouvrière trotskiste des années 1930, quand le courant trotskiste faisait encore partie du mouvement ouvrier bien que déjà très affaibli par l’opportunisme politique qui le rongeait.

La clarification de la nature des événements espagnols ne se réduit pas à un simple débat historique sur la légitimité d’un courant, la Gauche communiste internationale, aux dépens de l’Opposition ouvrière et qui renverrait seulement à des questions théoriques et de principes. Elle s’étend aux enjeux d’aujourd’hui, plus particulièrement de la situation qui s’ouvre ces jours-ci, et auxquels les révolutionnaires et le prolétariat comme un tout commencent à se trouver confrontés. En effet, la violence et la profondeur de la crise que le coronavirus a juste précipitées, il n’en est pas la cause profonde, contraignent déjà la bourgeoisie à prendre des mesures "étatiques", visant à concentrer encore plus les appareils productifs nationaux autour de chaque État, tout en laissant tomber les secteurs qui nous sont présentés aujourd’hui comme "non stratégiques", c’est-à-dire non indispensables à la défense acharnée et sans pitié du capital national que la crise impose sur la scène mondiale. La phase qui s’ouvre, va voir la remise au goût du jour de politiques étatiques, économiques, politiques, idéologiques, ayant la même fonction historique que les politiques de Front populaire ou de New Deal avaient pu avoir dans les années 1930 : défaire définitivement le prolétariat international et préparer la guerre impérialiste généralisée. À ce titre, la question espagnole est cruciale et pleine de leçons dans la mesure où la défaite et le massacre du prolétariat en Espagne fut l’ultime épisode du cours contre-révolutionnaire, indispensable pour dégager définitivement la voie à la guerre impérialiste généralisée.

En 1942, lorsque Munis rédige son livre sur l’expérience espagnole, Leçons d’une défaite, promesse de victoire, la défaite espagnole et internationale est largement consommée et la guerre mondiale a gagné tous les continents. Pourtant, il continue à défendre la thèse de la Révolution espagnole. Dès juillet 1936, elle fut clairement rejetée et combattue par la Gauche communiste internationale d’alors, en fait presque uniquement par la Gauche dite italienne au travers de sa revue en français Bilan (1933-1938). Au cœur de la divergence entre les deux courants, Opposition ouvrière et Gauche communiste, on trouve la question du rapport du prolétariat à son insurrection, à la destruction de l’État capitaliste, à l’instauration et l’exercice de sa dictature de classe. « Nous restons fidèles au marxisme lorsque nous maintenons dans toutes les circonstances, dans tous les événements, le drapeau de la destruction violente de l’État capitaliste, la prise du pouvoir politique par le prolétariat, qui est la base de toute transformation sociale de la société » (Bilan #36, Octobre 17–octobre 36, oct. 1936).

L’Opposition ouvrière trotskiste, y compris le Munis de 1942, se revendiquait des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste et des politiques de front unique et de "gouvernement ouvrier", c’est-à-dire de gouvernement constitué sur la base d’alliance avec les partis socialistes. C’est en Allemagne que cette politique d’alliance avec le PS et l’USPD, (Parti Socialiste Indépendant Allemand) en vue de former des "gouvernements ouvriers" fut d’abord mise en avant et mise en pratique par le PC allemand (KPD), mais aussi avec la participation du Parti Communiste Ouvrier Allemand (KAPD), puis finalement adoptée et théorisée par l’Internationale Communiste (IC). Ce faisant, celle-ci abandonnait les leçons de la Révolution d’Octobre 1917 et les acquis théoriques que Lénine avait développés en particulier dans les Thèses d’avril et dans L’État et la révolution : autonomie du prolétariat face l’État bourgeois, insurrection prolétarienne, destruction de l’État bourgeois, dictature du prolétariat. Fidèle à ceux-ci, seule la Gauche communiste d’Italie, dirigeant le PC d’Italie de sa fondation en 1921 jusqu’à 1924, s’opposa ouvertement au sein même de l’IC – en particulier par les interventions de son principal dirigeant Amadeo Bordiga – contre cette politique de front uni avec les partis socialistes passés à la contre-révolution et contre la substitution du mot d’ordre de "dictature du prolétariat" par celui de "gouvernement ouvrier" adoptées lors du 3e congrès de l’IC en 1921. Voilà pourquoi, encore aujourd’hui, la Gauche communiste internationale ne se revendique que des deux premiers congrès de l’Internationale. C’est précisément cette divergence fondamentale d’alors, divergence renvoyant à des questions de principe et de théorie donc, qui sépara les deux courants, celui de Trotski et la Gauche communiste, sur la nature et la signification des événements de juillet 1936 en Espagne et sur la nature de la guerre, ’civile’ ou impérialiste, qui suivit.

Dans son livre, Munis développe essentiellement quatre arguments, qu’il répète inlassablement au fil des pages et des chapitres, pour fonder sa thèse sur l’existence d’une révolution prolétarienne en Espagne :

- les masses prolétariennes étaient prêtes pour la révolution, « rien ne pouvait s’opposer à l’avalanche torrentielle des masses [qui avaient acquis] progressivement conscience de leur tâche socialiste »  [3] ;

- le 19 juillet 1936, « l’État et la société capitaliste s’écroulèrent après le triomphe de la classe ouvrière contre l’insurrection réactionnaire », c’est-à-dire le coup d’État militaire de Franco au point qu’« en exagérant un peu [sic !], on peut dire que l’Espagne était bourgeoise et capitaliste le 18 juillet, prolétarienne et socialiste le 20 juillet » ;

- « organisme né du triomphe des masses, le Comité central des milices était indéniablement un gouvernement révolutionnaire (…) le 19 juillet [ayant] fait apparaître en Espagne une multitude d’organes de pouvoir révolutionnaire (…) encore plus explicite que celui de la Révolution russe », organes que Munis appelle « les comités-gouvernement » ;

- « accompagnant l’effondrement général de l’État capitaliste, la propriété privée fut liquidée le lendemain du 19 juillet 1936 (…). Un nouveau système naquit, le système socialiste (…) grâce à l’organisation des collectivités qui suivit les expropriations opérées par les diverses milices et Patrouille de vigilance et par les comités-gouvernement ».

Des masses prolétariennes prêtes à la révolution ?

Fidèle à la prémisse trotskiste du Programme de transition selon laquelle « des masses de millions d’hommes s’engagent sans cesse sur la voie de la révolution » indépendamment du cours même de la lutte des classes et des événements tout au long des années 1930, Munis estime que « les rapports de force nationaux et internationaux étaient encore plus favorables qu’en 1917 » dans l’Espagne de 1936 et que « les masses [avaient] acquis progressivement la conscience de leur tâche socialiste [au point que] au cours des luttes internationales, rarement les masses ont bénéficié d’autant d’occasions de faire la révolution. Au début de l’année 1936, leur situation était optimale, franchement socialiste ».

Cette estimation favorable du rapport de force international et historique des années 1930 fait fît du cours contre-révolutionnaire tout au long des années 1920 et 1930 qui a suivi la défaite allemande, définitive en 1923, et l’isolement de la Révolution russe ; et qu’il ait pu exercer une quelconque influence sur la situation espagnole des années 1930. Les défaites historiques, politiques, idéologiques et physiques sanglantes des prolétariats russe, italien et allemand sous la terreur stalinienne, mussolinienne et nazi, qui avaient été à l’avant-garde de la vague révolutionnaire internationale de l’après-guerre, et de la dégénérescence de l’Internationale communiste, furent suivies d’échecs, souvent non moins sanglants comme en Chine en 1927, échecs chaque fois plus profonds des luttes et mobilisations ouvrières internationales. La crise économique de 1929 et le renouveau de combativité prolétarienne qui s’en suivit ne changèrent rien à cette dynamique de défaites et celles-ci devinrent des moments du processus historique menant à la guerre généralisée. Certes, ces mobilisations prolétariennes massives, telles les grèves massives de mai-juin 1936 en Belgique et en France, tout comme l’insurrection prolétarienne en Espagne de juillet 1936, n’étaient pas inéluctablement vouées à devenir des moments additionnels au cours à la guerre et indispensables à sa poursuite. En conséquence, il appartenait alors précisément aux faibles forces politiques restées fidèles à l’internationalisme communiste de prendre en compte le recul prolétarien international et de fixer fermement la ligne de défense de classe, une ligne préservant l’autonomie de la classe exploitée et révolutionnaire et de ses intérêts spécifiques économiques et politiques vis-à-vis de l’État bourgeois ; et sur laquelle le prolétariat international eut pu se reconnaître et se regrouper dans une position défensive même si les probabilités en étaient très réduites. Or, c’est précisément en Espagne que l’établissement de cette ligne de défense de classe rencontrait le plus de chance de pouvoir être érigée, du fait même de la combativité prolétarienne, d’un instinct de classe aigu et des aspirations "révolutionnaires" (et non la « conscience de la tâche socialiste »), aussi confuses étaient-elles, régnant dans les grandes masses. Mais justement, expression du cours historique défavorable, aucune force révolutionnaire, aucun parti, ou fraction suffisamment influente, n’émergea pour établir cette ligne et la diffuser avec un minimum d’ampleur auprès des masses.

Pour Munis et la vision trotskiste, « un simple virage à gauche de la part des grandes organisations ouvrières  [4], la décision publique de liquider l’État capitaliste et d’organiser le nouveau pouvoir révolutionnaire, aurait suffi pour gagner. (…) Des organisations ouvrières fidèles au capitalisme, voilà la tragédie du prolétariat, non seulement espagnol mais mondial ». Cette façon de poser le problème, une classe prête à la révolution et des "partis ouvriers fidèles au capitalisme", ignore que la capacité du prolétariat à se doter de son parti, en tant que plus haute expression de sa conscience de classe, est précisément un indicateur du degré d’extension de cette conscience dans les masses prolétariennes et un élément du rapport de force entre les classes tout comme des potentialités révolutionnaires. Dans l’Espagne de juillet 1936, l’absence de parti ou même de groupe, ou fraction, significatif, toujours fidèle au communisme et en capacité d’assumer des tâches de direction et d’orientation politiques dans la tourmente contredisait les espérances trotskistes et de Munis sur l’état de conscience révolutionnaire du prolétariat en Espagne. Et elle permettait dès le soulèvement militaire d’entrevoir les contours et limites de la réaction prolétarienne attendue, en particulier vis-à-vis de l’État bourgeois.

« En Espagne manque un parti de classe et aucune perspective ne s’offre pour qu’il puisse poindre au feu des événements actuels. Et ici nous n’affirmons pas une thèse qui, pour être didactique et scolastique, serait d’une stupidité incommensurable. Elle consisterait à croire que le prolétariat ne peut intervenir en tant que classe dans la situation parce qu’auparavant un groupe de théoriciens n’aurait pas compilé un programme à architecture complète et impeccable. (...) Nous nous basons sur des éléments concrets, sur les situations qui ont précédé celle qui vient de s’ouvrir et qui montrent que si les ouvriers espagnols sont parvenus à écrire — particulièrement au cours des cinq dernières années — des pages d’épopée qu’aucun autre prolétariat n’a encore à son actif, ils se sont malheureusement trouvés dans l’impossibilité de forger leur parti de classe » (Bilan #33, En Espagne, bourgeoisie contre prolétariat, juillet-août 1936 [5]).

La combativité et "l’esprit révolutionnaire" du prolétariat lui permirent de se lancer dans la grève générale et de défaire, avec très peu d’armes en main, le coup d’État militaire franquiste dans les principales villes. Mais son impréparation politique, dont une des manifestations était précisément l’absence de parti de classe, fit qu’il se laissa très facilement, trop facilement, détourner de l’affrontement à l’État républicain, de l’insurrection contre celui-ci, et mobiliser sur le front militaire avec l’envoi des milices sur Saragosse, quatre jours à peine après la soi-disant disparition de l’État capitaliste. Ce faisant, la classe révolutionnaire abandonna aussitôt son autonomie et son terrain classiste pour une ’collaboration de classe’ avec les forces républicaines et contre le fascisme [6]. « Par leur incorporation dans une armée, [les ouvriers] n’auront plus la force de retrouver le chemin au travers duquel ils vainquirent les militaires à Barcelone et à Madrid, le 19 juillet » affirme Bilan en octobre. Contrairement à la thèse de Munis, et malgré sa combativité, son héroïsme, sa radicalité et même ses ’aspirations’ ou sentiments révolutionnaires, le prolétariat en Espagne était loin d’être « conscient de sa tâche historique » .

Disparition et désagrégation de l’État bourgeois ?

Selon Munis, « une fois ses institutions coercitives vaincues et détruites, l’État capitaliste cessa d’exister (…). En le détruisant le 19 juillet, le prolétariat espagnol se débarrassa du principal obstacle au progrès . (…) Au moment précis où l’État bourgeois se désagrégea, l’anarcho-syndicalisme et le POUM lui firent acte d’allégeance, renforçant l’unité de toutes les organisations ouvrières contre l’organisation du nouvel État prolétarien ».

À maintes reprises, lui-même contredit sa thèse sur la disparition, désintégration, désagrégation, dissolution, et même destruction de l’État : « de la société capitaliste, il ne resta plus que la coalition du Front populaire, vacillant au bord de l’abîme. Son gouvernement était une ombre inutile, incarnation immatérielle du pouvoir capitaliste. (…) Dès que les premiers détachements de miliciens partirent pour la sierra de Guadarrama et l’Aragon, le Front populaire et le gouvernement commencèrent à détruire sournoisement l’œuvre réalisée le 19 juillet ». Non seulement, il reconnaît que l’État n’a pas été détruit mais aussi que son incarnation immatérielle exerce une action politique bien matérielle dès le lendemain du 19 juillet. Le gouvernement espagnol à Madrid est toujours là et celui de la Generalitat de Catalogne, présidé par Companys, reste en place avec l’appui de la CNT anarchiste et du POUM. Deux jours après l’échec franquiste à Barcelone, se constitue le Comité central des milices, dirigé par la CNT, et que Munis présente comme « le nouveau pouvoir politique ». Sa première décision est d’appeler les prolétaires à partir sur le front de Saragosse, dès le 24, à s’engager dans la lutte antifasciste et la défense de l’État républicain, à arrêter la grève générale. Ce faisant, ce soi-disant nouveau pouvoir révolutionnaire du Comité central des milices, à la tête duquel la CNT règne alors en maître, poussait les prolétaires à se détourner et ignorer la question du pouvoir réel, de classe, que l’insurrection du 19 avait objectivement posée sans que le prolétariat soit en capacité de la résoudre. Cette période qui voit chanceler le pouvoir bourgeois se conclut le 28 par l’alignement du POUM sur la CNT et les partis de gauche, son adhésion définitive au Front Populaire, et son appel, à son tour, à cesser la grève là où elle perdurait encore. « Par son mot d’ordre de rentrée, le POUM exprimera clairement le tournant de la situation et la réussite de la manœuvre de la bourgeoisie parvenant à obtenir la cessation de la grève générale, puis lançant des décrets pour éviter les réactions des ouvriers  [7] [semaine horaire de travail, réquisitions d’entreprises, "contrôle ouvrier", etc.] et, enfin, poussant les prolétaires en dehors des villes vers le siège de Saragosse » (Bilan #36, La leçon des événements d’Espagne).

Si Munis parle encore de révolution et de destruction de l’État en 1942, dès juillet-août 1936 la Fraction italienne est très claire sur la réalité du 19 juillet et sur l’issue de la confrontation. Là où Munis y voit une victoire, Bilan y voit une défaite : « lorsqu’ils se sont jetés dans la rue, le 19 juillet, [les ouvriers] n’ont pu diriger leurs armes dans une direction qui leur aurait permis de briser l’État capitaliste et de battre Franco. Ils ont laissé les Giral [le chef du gouvernement espagnol à Madrid à ce moment-là], les Companys à Barcelone à la tête de l’appareil d’État en se contentant de brûler les églises, de "nettoyer" des institutions capitalistes telles la Sûreté Publique, la police, la guardia civile, la garde d’assaut (…). Du 19 au 28 juillet, la situation aurait permis aux ouvriers armés, du moins à Barcelone, de prendre intégralement le pouvoir, sous des formes confuses, certes, mais qui aurait néanmoins représenté une expérience historique formidable. Le tournant vers Saragosse a sauvé la bourgeoisie » (ibid.).

Comités-gouvernement et Comité central des milices, organes du pouvoir prolétarien ?

Le chapitre qui suit celui sur le 19 juillet, est intitulé Dualité du pouvoir : la prépondérance ouvrière. Autrement dit, il contredit la thèse d’un monopole du pouvoir, à savoir de l’exercice de la dictature du prolétariat, et donc de la destruction de l’État capitaliste et d’une révolution prolétarienne qui était avancée précédemment et néanmoins toujours réaffirmée dans ce chapitre. Cette vision essaie de reprendre le schéma de la Révolution russe, en particulier de la période de double pouvoir effective, entre l’État russe et son gouvernement et les conseils d’ouvriers et de soldats, qui court de février à l’insurrection d’octobre 1917. « Sans même le savoir, sans en être conscient [sic !], le Comité central des milices se convertissait en gouvernement révolutionnaire et son appareil en ébauche d’un appareil d’État prolétarien. (…) L’exercice du pouvoir politique par le prolétariat et les paysans pauvres n’en restait pas moins une réalité de poids, incontournable. Toute la zone libérée du pouvoir militaire était aux mains d’une multitude de comités-gouvernement sans lien entre eux au niveau national et dénués d’une conscience claire de leur incompatibilité avec le vieil État. (…) Même durant la révolution russe, on n’assista pas à une victoire aussi nette (!) ».

Faisant un parallèle entre les soviets, ou conseils ouvriers – « les comités-gouvernement russes » selon lui – en Russie et la « multitude d’organes de pouvoir révolutionnaire » apparus en Espagne après le 19 juillet, Munis déclare même que « l’exemple des organes de pouvoir espagnols est encore plus explicite que celui de la Révolution russe ». Ne va-t-il pas même jusqu’à prétendre que « dans de nombreux villages, les militants cénétistes proclamèrent l’anarchie à travers un comité qui correspondait exactement à la conception marxiste de la dictature du prolétariat »  ! L’abomination théorique et de principe ne réside pas dans le fait que les anarchistes se voient attribuer un rôle dans l’affaire, mais dans l’affaire elle-même, à savoir la conception de la dictature du prolétariat qui nous est présentée là : une addition, au mieux une fédération hypothétique, de comités locaux ayant instauré l’anarchie village par village ! Loin de ces aberrations anarchisantes, Bilan, au contraire, défend que « les travailleurs de la péninsule ibérique restent, malgré leur admirable héroïsme et leurs sacrifices sublimes, en-deçà de toutes les expériences vécues par le mouvement ouvrier » (Bilan #36, Octobre 17-octobre 36).

Qu’en est-il en réalité ? Il est clair qu’une partie des collectivités paysannes et des comités des villages furent des émanations des paysans pauvres et leurs organes de lutte de classe dans les campagnes. Pour autant, comme Munis lui-même nous le montre par ailleurs, ces collectivités n’allaient pas, et ne pouvaient aller, au-delà de simple organe de lutte immédiate et de subsistance pour les paysans eux-mêmes. Pour ce qui est des comités-gouvernement et autres dans les villes, il nous indique qu’en fait, la plupart n’étaient pas l’émanation d’assemblée générale des usines ou des quartiers mais le résultat d’alliance et d’accord entre les partis et syndicats du Front Populaire, CNT et POUM compris bien sûr mais aussi de l’Esquerra Republicana catalaniste de Companys, qui se répartissaient la composition des comités. Sur le fond, sur la dynamique même du combat de classe en cours, que certains délégués aient été élus par l’assemblée du village ou de l’entreprise ou désignés autoritairement par les partis ne change rien au fait que la plupart de ces comités n’étaient pas l’émanation, ni l’expression, et encore moins facteur, d’une dynamique de lutte prolétarienne autonome, au contraire de ce que furent les soviets en Russie. Le Trotski de 1924 dans Leçons d’octobre, celui qui n’était pas encore trotskiste si l’on peut dire, définissait avec raison les soviets comme organes de l’insurrection et organes du pouvoir prolétarien, et non comme des simples formes d’organisation. Pour la plupart mis en place par la CNT, l’UGT et le POUM, et dirigés par eux, les "comités-gouvernement" et le CC des milices ne furent à aucun moment des organes de l’insurrection. Bien au contraire, il doit être clair que ce dernier fut constitué précisément pour la prévenir. « Loin de pouvoir être un embryon d’Armée Rouge, les colonnes [de miliciens] se constitueront sur un terrain et dans une direction qui n’appartiennent pas au prolétariat » (Bilan). Si les comités et le CC des milices furent des organes de pouvoir, ce fut du pouvoir bourgeois et de son État maintenu.

« La constitution du Comité central des milices devait donner l’impression de l’ouverture d’une phase de pouvoir prolétarien et la constitution du Conseil central de l’Économie l’illusion que l’on entrait dans la phase de la gestion d’une économie prolétarienne. Pourtant loin d’être des organismes de dualité des pouvoirs, il s’agissait bien d’organismes ayant une nature et une fonction capitalistes, car au lieu de se constituer sur la base d’une poussée du prolétariat cherchant des formes d’unité de lutte afin de poser le problème du pouvoir, ils furent, dès l’abord, des organes de collaboration avec l’État capitaliste. Le CC des milices de Barcelone sera d’ailleurs un conglomérat de partis ouvriers et bourgeois et de syndicats et non un organisme du type des soviets surgissant sur une base de classe, spontanément et où puisse se vérifier une évolution de la conscience des ouvriers » (ibid.).

Destruction du capitalisme et mesures socialistes ?

« Le prolétariat espagnol détruisit le capitalisme et ses valeurs », affirme Munis. « Accompagnant l’effondrement général de l’État capitaliste, la propriété privée fut liquidée le lendemain du 19 juillet 1936. Le prolétariat fit d’une pierre deux coups. En assénant un coup à l’État de la classe possédante, en le détruisant, il asséna un coup mortel à la propriété elle-même, aussi naturellement que la chute d’un météore. Les usines, les terres, le commerce, les transports, les mines se retrouvèrent entre les mains des ouvriers et des paysans. Dès que les tirs se turent dans les villes, le système économique espagnol reprit sa marche sur une nouvelle base. La gestion de l’économie par et pour la classe bourgeoise cessa. Un nouveau système économique naquit, le système socialiste » [8].

Le livre de Munis accumule les affirmations contradictoires, parfois d’une ligne à l’autre, destruction de l’État-maintien de l’État capitaliste, révolution-pas révolution, disparition-maintien du capitalisme [9], etc. Ces contradictions incessantes expriment, entre autres choses, une confusion théorique et politique des plus larges vis-à-vis des principes élémentaires du marxisme et de l’expérience historique du prolétariat. Cette confusion se répand jusqu’au point où Munis parle de « propriété socialiste » après le 19 juillet 1936, d’« expropriation du prolétariat » (sic !) après mai 1937. Que la propriété privée ait été "liquidée", c’est-à-dire que soit les patrons aient fui, soit qu’ils aient été emprisonnés, voire fusillés, ne signifie pas que l’appropriation privée des moyens de production ait disparu. Que les usines soient contrôlées par leurs ouvriers, soient « entre leurs mains », ne signifie pas que le prolétariat ne subisse plus l’exploitation du capital. Que la gestion économique ne soit plus assumée par des individus capitalistes gardant dans leur coffre des titres de propriété ou d’actions ne signifie pas que les rapports capitalistes ne soient plus. Que l’argent, le papier monnaie, soit aboli dans les collectivités paysannes d’Aragon par la CNT-FAI ou le POUM ne signifie pas que la valeur d’échange n’ait plus cours. Et cela même dans le cas où le prolétariat aurait détruit l’appareil d’État capitaliste et instauré sa dictature de classe. Alors dans le cas espagnol où l’État capitaliste "républicain" est resté en place, la disparition ou élimination des "propriétaires" d’usine et de la terre, pour la plupart pro-franquistes, n’est qu’un moment du renforcement et de la concentration, non pas d’une économie "socialiste" même si elle se drape du rouge et noir anarchiste et qu’elle est sous un soi-disant "contrôle ouvrier", mais du capital national autour de l’État, et plus précisément d’une économie capitaliste de guerre indispensable aux besoins du front militaire contre le franquisme, aux nécessités de la lutte entre deux fractions également bourgeoises, qui devint très vite une guerre impérialiste locale.

Munis lui-même tombe sur le terrain de cette guerre au fil des pages et des chapitres en identifiant les intérêts du prolétariat espagnol au succès de la guerre contre l’armée de Franco. Il en arrive ainsi à vanter les vertus de la supériorité de la "production socialiste" sur la "production capitaliste" [10] : « la supériorité productive du socialisme sur le capitalisme fut clairement démontrée par l’œuvre des Collectivités ouvrières et paysannes. (…) En 1936, ouvriers et techniciens (…) se réjouissaient de pouvoir développer une industrie socialiste et de produire le matériel nécessaire au triomphe de la nouvelle société. Ils envoyèrent rapidement sur les fronts une grande quantité de matériel de guerre (…). Avant la fin de l’année 1936, plusieurs usines avaient été construites et mises en marche, où l’on fabriquait des produits chimiques pour la guerre, difficiles à trouver même dans les pays plus industrialisés. »

Il suffit de le laisser parler, ou écrire, pour voir la confirmation que les rapports capitalistes n’avaient pas disparu, qu’ils continuaient à imposer leur diktat sur la soi-disant "économie socialiste" et que l’exploitation du prolétariat se poursuivait. « Bien que la guerre absorbât un nombre sans cesse grandissant d’hommes, le chômage ouvrier apparut dans toutes les industries qui n’étaient pas directement liées aux besoins du front. Au début, les Collectivités continuaient à payer un salaire journalier aux ouvriers aux chômage, mais leurs ressources étaient limitées et leurs relations commerciales se détérioraient. N’ayant pas confisqué le capital financier, les Collectivités devaient vivre de leur propre capital. La plupart d’entre elles durent contracter des prêts, toujours refusés par le gouvernement ». Preuve si besoin en était que « le capitalisme et ses valeurs » n’avaient pas été détruits.

En fait, comme l’écrit Bilan, « là où les patrons avaient fui ou furent fusillés par les masses, se constituèrent des conseils d’usines qui furent l’expression de l’expropriation de ces entreprises par les travailleurs. Ici intervinrent les syndicats (…) pour défendre la nécessité de travailler à plein rendement pour l’organisation de la guerre sans trop respecter une réglementation du travail et des salaires. Immédiatement étouffés, les comités d’usines, les comités de contrôle des entreprises où l’expropriation ne fut pas réalisée (en considération du capital étranger ou pour d’autres considérations) se transformèrent en des organes devant activer la production et, par là, furent déformés dans leur signification de classe. Il ne s’agissait pas d’organismes créés pendant une grève insurrectionnelle pour renverser l’État, mais d’organismes orientés vers l’organisation de la guerre (…). Désormais les ouvriers au sein des usines qu’ils avaient cru conquérir sans détruire l’État capitaliste, redeviendront les prisonniers de ce dernier et bientôt, en octobre, sous prétexte d’œuvrer pour la réalisation d’une nouvelle ère, de gagner la guerre, on militarisera les travailleurs des usines [afin] d’œuvrer pour le socialisme » (Bilan #36, La leçon…).

Il nous semble que nous pouvons en terminer ici quant à notre démonstration. Ni révolution, ni pouvoir ouvrier, ni même dualité de pouvoir, encore moins socialisme, il n’y eut rien de cela dans l’Espagne de 1936.

La défaite internationale et le massacre espagnol étaient-ils inévitables ?

Aussi combatives, héroïques, et même révolutionnaires, pouvaient être les masses prolétariennes en Espagne, aussi aigus pouvaient être les antagonismes de classe, les conditions historiques propres au pays et la succession de défaites du prolétariat international ne permirent pas l’émergence d’une minorité politique prolétarienne d’avant-garde marxiste, d’un parti, en capacité de défendre et diffuser une ligne de classe claire pour le prolétariat face à l’État bourgeois. Aucune force ne fut capable d’établir des thèses d’avril pour l’Espagne, encore moins de tenter de les diffuser, les défendre et les mettre en pratique à Barcelone, dans les usines, dans la rue, dans les quartiers. Les leçons de Lénine sur l’insurrection, reprenant celle de Marx sur le fait que « l’insurrection est un art »  [11], font de celle-ci un élément central de l’acte révolutionnaire détruisant l’État de la bourgeoisie et la prémisse indispensable à l’exercice de la dictature du prolétariat. « Tout comme Lénine en avril 1917, nous devons opérer sur le nœud central du problème et c’est là que la seule différenciation politique "réelle" peut s’opérer. À l’attaque capitaliste on ne peut répondre que sur une base prolétarienne. (…) De la situation actuelle où le prolétariat est tenaillé entre deux forces capitalistes, la classe ouvrière ne peut passer à l’autre opposée qu’en empruntant le chemin conduisant à l’insurrection » (Bilan #34, Au front impérialiste (…), il faut opposer le front de classe, août-septembre 36).

Oubliée, abandonnée, ignorée, trahie, l’insurrection prolétarienne en tant que principe que Bilan était pratiquement seul à défendre encore, aurait permis au moins à la minorité révolutionnaire d’avertir le prolétariat dès juillet 1936 du danger de se laisser griser par l’illusion d’un pouvoir que les fusils semblaient donner aux prolétaires, de laisser en place le pouvoir étatique bourgeois à Barcelone, de la mystification des conquêtes soi-disant "socialistes" qui était destinées à la production de guerre, de se précipiter sur les fronts et se faire massacrer pour les intérêts de la classe ennemie.

Sans doute la Fraction aurait-elle pu aller plus loin dans le cas d’une hypothétique situation qui auraient vu certains de ses membres s’exiler dès la moitié des années 1920 à Barcelone plutôt qu’à Paris, Marseille et Bruxelles. Car contrairement à la fausse critique selon laquelle la Fraction italienne se manifestait par une vision fataliste, du fait de sa reconnaissance d’un cours historique contre-révolutionnaire qu’elle n’a jamais présenté comme une mécanique inarrêtable, et par un indifférentisme vis-à-vis de la lutte prolétarienne en Espagne, il ne fait guère de doute qu’elle aurait développé la même volonté militante que celles que ses membres affichaient en France et en Belgique, lorsqu’ils intervenaient dans les usines et les réunions, parfois revolvers en poche pour pouvoir se protéger contre la répression stalinienne. Dès juillet, abandonnant les principes de l’insurrection et de la dictature du prolétariat, la plupart des derniers groupes oppositionnels de gauche, et même parfois de la Gauche communiste – au sein même de Bilan –, crurent voir un pouvoir prolétarien révolutionnaire dans les photos des ouvriers et ouvrières espagnols en bleus de travail, une main sur le fusil, l’autre brandissant le poing levé, arborant des bonnets rouge et noir, défilant place de Catalogne, élisant leurs officiers et en partance pour le front ; et l’internationalisme prolétarien en action dans l’afflux des brigadistes venus de toute part. Nous l’avons vu, il n’en était rien.

Dans cet ouragan de confusion et de panique provoquant tant de trahisons de classe, Bilan fut la seule voix qui maintint fermes les principes. « De deux choses l’une : ou bien la situation révolutionnaire existe et il faut lutter contre le capitalisme, ou bien elle n’existe pas et alors parler de révolution aux ouvriers, alors que, malheureusement, il ne s’agit que de défendre leurs conquêtes partielles, signifie substituer au critère de la nécessité d’une défensive mesurée pour empêcher le succès de l’ennemi, celle qui consiste à lancer les masses dans le gouffre où elles seront écrasées » (Bilan #36, La consigne de l’heure : ne pas trahir, octobre 1936).

Bilan fut la seule voix qui avançait des orientations qui eussent pu éviter la catastrophe et imposer à toutes les fractions en lutte de la bourgeoisie espagnole, le terrain des revendications de classe : « La seule voie de salut pour les ouvriers consiste dans leur regroupement sur des bases de classe : pour des revendications partielles, pour défendre leurs conquêtes en même temps qu’ils se baseront sur la force de persuasion des événements eux-mêmes pour soulever comme seule solution gouvernementale possible, celle de la dictature du prolétariat, pour lancer le mot d’ordre de l’insurrection lorsque les conditions favorables auront mûri » (Bilan #33, En Espagne : bourgeoisie contre prolétariat, juillet-août 1936).

RL, avril 2020.

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Notes:

[2. cf. notre lettre à Émancipation dans Révolution ou Guerre #14.

[3. Nous utilisons la version française republiée par les Éditions sciences marxistes en 2007. Toutes les citations présentées ici proviennent de la deuxième partie du livre, principalement des chapitres 12, 13 et 14. La répétition des mêmes arguments et la succession des contradictions au fil des pages et des chapitres, ce qui n’enlève rien au "plaisir" et à l’intérêt de la lecture mais rend le propos et la cohérence politiques particulièrement confus, nous ont obligés à choisir des citations éparpillées et à les rassembler pour la clarté de notre argumentation.

[4. Il entend par là les principales organisations du Front populaire, les syndicats UGT et CNT, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, le POUM et le PC d’alors, PCE et PSUC (parti communiste stalinien catalan de sinistre mémoire pour les exactions dont il s’est fait le champion) qui sont, du moins pour le PSOE et l’UGT déjà complètement passés dans le camp bourgeois ou en train d’y passer comme les PC depuis la mort de l’IC lors de son adoption du "socialisme en un seul pays".

[6. Les résistances nationales encadrées par les PC lors de la 2e Guerre mondiale en furent la continuité.

[7. Les principales revendications que le CC des milices rendit public le 24 : « semaine de travail à 36 heures ; augmentation de 10 % des salaires ; réduction des loyers ; paiement des jours de grève ; indemnité pour les chômeurs ; contrôle de la production par les comités d’usines, d’ateliers, des mines… » (cité par Munis). La Generalitat émit un décret avalisant la plupart de ces revendications – « il faut que les ouvriers partent [au front] avec la sensation qu’ils obtiennent satisfaction au sujet de leurs revendications » (Bilan #36, La leçon…] – qui ne furent pas appliquées, sauf quelques exceptions, pour assurer la production de guerre pour les fronts militaires. C’est avec raison cette fois que Munis défend que « le contrôle ouvrier de la production ne trouve une application révolutionnaire qu’en liaison avec l’expropriation générale du capitalisme et l’exercice du pouvoir politique par le prolétariat ». Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’est et dans quelles conditions peut-on parler d’expropriation du capitalisme et sur ce qu’est l’exercice du pouvoir politique par le prolétariat et dans quelles conditions il se réalise...

[8. Cette citation et celles qui suivent se trouvent dans le chapitre 17, La propriété.

[9. Quelques pages après la citation précédente justifiant du socialisme par la liquidation de la propriété, Munis nous dit exactement le contraire, à raison ce coup-ci : « Le capitalisme ne disparaît pas parce que l’industrie cesse d’être propriété individuelle, car sa caractéristique essentielle est l’aliénation des moyens de production dans laquelle elle maintient les travailleurs dont elle achéte la force de travail comme n’importe quelle autre marchandise » !

[10. La vision trotskiste, Trotsky lui-même, se retrouve avec le stalinisme pour justifier de la "supériorité du socialisme" par la productivité et les taux de croissance prétendument supérieurs au capitalisme. Cet argument trahit une compréhension – dans le cas du trotskisme d’avant-guerre – erronée, la marque de l’opportunisme politique, du communisme bien sûr et même de la gestion de l’économie par le prolétariat au pouvoir durant la période de transition, lorsque, sous la dictature du prolétariat, les classes et les rapports marchands ne sont pas encore totalement détruits.

[11. Lénine, Le marxisme et l’insurrection, 1917 (https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/09/vil19170926.htm).