(16 mai 2020) |
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Face à la crise, refuser les sacrifices pour l’économie de guerre !
Le lecteur habituel sera surpris de voir la sortie de ce numéro de notre revue semestrielle quatre mois à peine après le numéro précédent. La raison essentielle en est que RG #14 avait été publié avant l’explosion mondiale de la pandémie et l’arrêt brutal d’une grande partie de la production capitaliste internationale. Certes, nous avons pu publier sur notre site web des communiqués et des prises de position qui sont rassemblés dans ce numéro. On pourra ainsi vérifier la relative unité de vue et de positionnement des principales forces politiques de la Gauche communiste [1], en particulier de la Tendance Communiste Internationaliste et du PCI-Le Prolétaire, à laquelle nous adjoindrons les prises de position du groupe Émancipation (Nuevo Curso). Il nous semble néanmoins indispensable d’essayer de fournir une réponse plus large et ainsi de contribuer à l’armement politique des communistes et des prolétaires d’avant-garde pour faire face à la rupture historique en cours. En effet, celle-ci « provoquera des troubles sociaux, pouvant aller jusqu’au soulèvement et à la révolution » (Blomberg Opinion, 11 avril). Si la bourgeoisie s’y est visiblement préparée, au prolétariat international et à ses minorités politiques d’en faire de même.
La première phase de la crise, celle où le choc lié à la pandémie, à l’impréparation des systèmes de santé et au confinement massif dictait à la fois les mesures étatiques et les réactions prolétariennes – essentiellement pour se protéger sur les lieux de travail –, se clôt ces jours-ci ; en particulier en Europe. Pour tous, l’ampleur de la crise économique émerge des dernières brumes du confinement. Pour le prolétariat, la facture va être salée, elle l’est déjà : chômage massif, salaires en baisse, conditions de travail aggravées, cadences et horaires, réduction drastique de toutes les mesures dites sociales, santé, chômage partiel, etc. À ces conditions, vont s’ajouter, s’ajoutent déjà, une surveillance et une répression policières massives dont le confinement n’a été qu’un avant-goût pour les exploités et une revue d’effectifs pour tous les États.
La facture va être d’autant plus douloureuse qu’à la récession va venir inéluctablement s’ajouter une crise financière. Les 4 à 5 mille milliards de dollars et d’euros, de yens japonais et de yuan chinois – pour ne citer que les monnaies des principales puissances impérialistes – que les banques centrales ont mises sur les marchés n’ont servi qu’à prévenir un éclatement et une paralysie du système financier et un effondrement boursier. Comme en 2008-2010 mais en pire et sans commune mesure quant aux liquidités émises. Tout le monde a bien compris que l’essentiel des sommes incroyables mises sur la table, « les planches à billets s’enflamment » (New York Times, 23 mars), ne servirait pas à la "relance" de la production du fait des profits insuffisants que celle-ci peut réaliser pour des capitaux chaque fois plus avides. Il en résulte que seuls les États peuvent forcer un minimum de capitaux à se diriger vers les secteurs de la production. Ils ne peuvent le faire que par des mesures étatiques, dites keynésiennes, c’est-à-dire par un renforcement accru du capitalisme d’État : plans de relance – combien appelle à un nouveau plan Marshall ! – et déficits publics abyssaux aux dimensions de temps de guerre.
Et c’est là que crise et guerre viennent directement se conjuguer au présent, se nourrir l’un l’autre. La crise qui éclate aggrave comme jamais la concurrence internationale entre capitaux nationaux. Une véritable guerre économique dont la pandémie a donné une illustration ô combien caricaturale. Il suffit de se souvenir de la lutte sans pitié pour les masques entre les États sur les tarmacs chinois. Le capital n’a su faire face, très difficilement, à la pandémie que par des mesures, non pas sanitaires, mais d’ordre policier et militaire. Sur ce plan, la bourgeoisie américaine économiquement déclinante joue à plein et sans vergogne de son incomparable puissance militaire et de la mainmise du dollar sur le marché mondial, y compris pour l’achat des masques ou encore pour s’acheter l’exclusivité du vaccin anti-Covid à venir. La violente campagne anti-chinoise de Trump est soutenue par l’ensemble de la bourgeoisie américaine et l’étau se resserre autour de la Chine et l’étrangle petit à petit. Nous avons là la même politique impérialiste que les États-Unis avaient menée contre le Japon dans les années 1930 avant que celui-ci n’attaque Pearl Harbor.
Ce sont les armes "impérialistes" qui vont dominer et dicter la lutte économique à mort entre capitaux nationaux. Chaque capital national va se recentrer autour des secteurs dit stratégiques, c’est-à-dire des secteurs de chaque appareil de production indispensable pour mener à bien cette guerre économique, et va laisser tomber, ou du moins ne viendra pas au secours des autres secteurs qui feront faillite. Par contre, chacun essaiera, essaie déjà, de préserver au moins a minima, et dans la mesure de ses forces, le secteur aérien qui est tout aussi paralysé par la récession : les compagnies aériennes des principales puissances et encore plus l’industrie aéronautique, Airbus et Boeing, seront préservées à tout prix. Tout comme l’automobile, l’aéronautique est trop liée à l’industrie stratégique de l’armement. Et qu’on ne s’y trompe pas, l’orientation militariste n’est pas l’exclusivité de la bourgeoisie américaine. « Le plan de relance européen doit intégrer la défense européenne » (La Tribune, 4 mai).
Les politiques de ’relocalisation’, voire de nationalisation, de déficits publics, visant à recentrer les forces stratégiques de chaque appareil de production autour du capital et de l’État national vont se parer de couleurs dites ’sociales’, voire de gauche, comme le relève le Global Times chinois : c’est « l’emploi, non le PIB, qui est clé dans une économie de temps de guerre » (17 avril). Cela ne veut pas dire que des gouvernements de gauche vont nécessairement accéder au pouvoir – chaque classe dominante a sa propre histoire et tradition politique – mais que les "mesures sociales de gauche" vont revenir au premier plan des "débats nationaux". Au risque de tromper les prolétaires, voire les révolutionnaires, en les entraînant sur des faux terrains. L’expérience des fronts populaires et du New Deal des années 1930 doit nous servir pour cette bataille idéologique et politique que la classe capitaliste est en train de lancer dans tous les pays.
La dynamique de luttes ouvrières et de révoltes sociales qui avait prévalu dans la deuxième partie de 2019 a été brisée par le choc de la pandémie, du confinement et de l’éclatement brutal de la récession. Depuis, les réactions prolétariennes visaient à la protection face au risque de contagion ce qui réduisait toute généralisation du combat au… refus d’aller travailler et au confinement. Pour autant, la colère et la combativité prolétariennes n’ont pas disparu. La phase de "dé-confinement" ouvre des perspectives plus larges pour toute mobilisation ouvrière face aux conditions de reprise du travail, sanitaires mais aussi salaires, cadences, horaires, etc., et aux licenciements massifs. Les exigences d’exploitation accrue liées à la concurrence économique à mort entre capitaux nationaux vont faire que le prolétariat va se trouver confronté à la fois à la crise et la guerre impérialiste, c’est-à-dire à la réalité historique du capitalisme, à la seule alternative qu’il puisse "offrir". Les enjeux sont terriblement dramatiques et s’imposent à tous. La confrontation massive entre les classes va se centrer et se jouer sur les sacrifices que la bourgeoisie cherche à imposer au prolétariat pour répondre aux besoins de la guerre économique internationale et de la préparation à la guerre impérialiste généralisée.
D’ores et déjà, la conscience de cette alternative émerge plus ou moins clairement au sein du prolétariat. Des minorités de prolétaires s’interrogent, s’inquiètent et se rapprochent des positions révolutionnaires et tout particulièrement de celles de la Gauche communiste. Il appartient à celle-ci, à ses forces les plus dynamiques, celles qui luttent le plus clairement pour le regroupement international, la clarification politique et la constitution à terme du parti, de répondre à ces interrogations, à ces inquiétudes et à ces nouvelles volontés militantes. Autre leçon des années 1930, y compris de l’Espagne 1936 (cf. la contribution dans ce numéro), la confusion théorique et politique et l’absence de parti furent des éléments additionnels de la défaite prolétarienne et de la marche à la guerre généralisée. Puisse les générations d’aujourd’hui s’en souvenir et agir en conséquence.
Notes:
[1] . À l’exception devenue habituelle, chronique, du Courant Communiste International pour qui tout événement se réduit à son dogme opportuniste de la Décomposition et qui rejette l’alternative historique révolution prolétarienne ou guerre impérialiste généralisée s’interdisant ainsi de saisir les enjeux réels concrets, la dynamique des forces agissant et le… cours historique des événements.