Révolution ou Guerre n°15

(16 mai 2020)

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Qu’essaie de faire l’Amérique ? (Nuevo Curso, 12 mai)

Il ne se passe pas un jour sans que la presse ne mette en évidence un commentaire ou une réponse hors sujet de Trump. Le message, encore et toujours, est qu’il est raciste et qu’il est fou. Mais il y a un "système dans sa folie". Et il est plus que probable que les objectifs sous-jacents, qui indiquent une escalade du conflit avec la Chine, seront toujours portés par celui qui aura gagné la Maison Blanche en novembre – si Trump n’a pas un accès de folie furieuse d’ici là.

Le Covid a accéléré le plongeon dans la crise de l’économie mondiale. Et les États-Unis ne s’en sortent pas bien. Aujourd’hui, malgré la ruée imprudente pour reprendre la production – ce qui coûtera probablement des milliers de morts – les données sur l’emploi sont historiquement faibles, seulement comparables aux années qui ont suivi le krash de 1929. Les exportations américaines ont tellement chuté que la Chine a été contrainte de réduire ses droits de douane sur des produits clés afin de respecter les conditions de la trêve dans la guerre commerciale.

Dans une économie qui était déjà remplacée par la poussée chinoise dans des secteurs clés pour le placement de capitaux tels que l’IA et la 5G, la pandémie a introduit un élément de chaos extraordinaire. Des secteurs entiers du capital américain, qui sentaient qu’ils étaient déjà dépassés, que la concurrence chinoise était ’déloyale’, ont exprimé leur peur et leur colère en demandant des réparations à la Chine... pour le Covid. Et bien sûr, Trump les reprend à son compte. Le gouvernement chinois peut essayer de répondre à la campagne en la réfutant et en la contrant par des accusations croisées, mais le fond du problème est ailleurs, et toutes les parties le savent.

Qu’est-ce que la mondialisation ?

Les États-Unis ont pris la tête de l’ouverture des marchés mondiaux des capitaux et le démantèlement des tarifs douaniers tant que cela servait l’accumulation du capital. Amener la production en Chine, au Mexique et dans d’autres pays tout en maintenant les marchés intérieurs et en en ouvrant d’autres a augmenté le rendement du capital investi. Cela a également apporté de nouveaux flux de capitaux vers les pays accueillant des maquiladoras [usines d’assemblage] et des usines. La soi-disant ’mondialisation’ a déclenché la précarisation dans les pays aux capitaux les plus concentrés, mais elle a également créé des millions d’emplois industriels dans des pays jusqu’alors misérables. Le capital prétendait ’rajeunir’ et était fier de réduire l’extrême pauvreté dans le monde, même si la suraccumulation montrait clairement que le travail continuait de voir sa part du revenu mondial se réduire. En d’autres termes, la valeur de ce qui était produit était de plus en plus grande par rapport au marché créé par la production elle-même. La tendance à la crise a continué et s’est matérialisée par une exubérance du crédit et du capital fictif qui est allée jusqu’à la financiarisation de secteurs clés (construction, transport, distribution alimentaire, etc.). Le krach financier de 2008 a clairement montré que la bulle, qui permettait de maintenir la fiction d’un ’développement’ anti-historique, avait une limite.

Qu’est-ce que le trumpisme ?

Moins d’une décennie plus tard, la crainte de perdre des compétitions technologiques-clé au profit du capital chinois, jusqu’à récemment subalterne, et l’érosion accumulée du marché intérieur, qui s’exprimait comme la fragilité de la cohésion sociale, ont produit une étrange alliance protectionniste aux États-Unis. La rage d’une petite bourgeoisie qui sentait le souffle des faillites, des expulsions massives de terres dans les campagnes et de la paupérisation, s’est unie à celle du capital centré sur le marché intérieur – comme les industries extractives – et d’une partie du capital financier qui pariait sur un changement des règles du jeu du capital mondial et qui craignait qu’attendre plus longtemps serait trop tard. Il en résulta une rupture dans la bourgeoisie américaine qui se termina par le triomphe douloureux et controversée de Trump. Et avec elle, le passage du ’multilatéralisme’ à la renégociation un à un, bilatérale, des accords commerciaux et militaires mettant littéralement tout l’arsenal américain sur la table des négociations commerciales. Cela n’avait rien à voir avec les Démocrates contre les Républicains ; au-delà de certaines formes et embellissements, les tendances protectionnistes du Parti démocrate se sont également exprimées sous la montée de son aile "socialiste" et ont fini par être hégémoniques dans l’ensemble du capital américain. Le trumpisme leur donnait de bons résultats, même si, peut-être, ils auraient préféré l’usage d’autres formes.

Le noyau qui ne va pas changer

Ce qui est de plus en plus clair pour le capital américain, c’est que pour maintenir sa position mondiale, il doit récupérer la plus grande partie de son appareil productif. Le Covid n’a fait que renforcer cette idée, exactement à l’opposé de ce que dit Trump. Non pas parce que la Chine est la cause de l’épidémie, mais parce que tout élément aléatoire comme une épidémie dans une autre partie du monde, peut emporter certaines chaînes de production distribuées et fragilisées à l’extrême par un "juste à temps" pensé pour tirer la dernière goutte de profit financier en éliminant même les dépôts locaux.

Stratégiquement, il est évident que si la tendance est à une confrontation de plus en plus ouverte avec la Chine, maintenir le niveau de dépendance dans les approvisionnements que les États-Unis ont aujourd’hui avec la Chine, est suicidaire. Mais si la ’renationalisation’ et la guerre commerciale doivent être présentées comme une cause nationale, elles doivent être argumentées sous un autre angle. Celui qui a toujours été le point fort de Trump : "ramener les bons emplois". Le discours, malgré ce que reflète la presse européenne, est bien construit et sous l’idée de "restreindre" le capital, laisse entrevoir une voie subventionnée pour les entreprises. Lisons aujourd’hui un extrait de Robert E. Lighthizer, responsable du commerce au sein du gouvernement Trump :

« Il s’agissait d’un pur arbitrage réglementaire : les entreprises pouvaient éviter les normes américaines en matière de travail et d’environnement en fabriquant à l’étranger tout en bénéficiant d’un accès libre d’impôt à notre marché. Ces accords commerciaux ont également sapé un avantage concurrentiel essentiel des États-Unis : un engagement en faveur de l’État de droit et d’un système juridique indépendant et fonctionnel. Les accords permettaient aux entreprises de porter en justice les différends avec les gouvernements étrangers concernant les expropriations et d’autres questions, non pas devant les tribunaux locaux, mais par le biais de dispositions dites de règlement des différends entre investisseurs et États. Ce faisant, le gouvernement fédéral a effectivement souscrit une assurance contre les risques politiques pour toute entreprise américaine souhaitant envoyer des emplois à l’étranger.

De nombreuses entreprises ont réalisé que la délocalisation crée des risques qui l’emportent souvent sur les gains d’efficacité supplémentaires. Les longues chaînes d’approvisionnement sont soumises aux caprices de la politique locale, des conflits du travail et de la corruption. Dans certains pays, comme la Chine, le gouvernement s’est efforcé de voler la propriété intellectuelle au profit d’entreprises nationales qui deviennent les principaux concurrents des victimes du vol.

Dans le même temps, la tendance de la politique commerciale changeait elle aussi rapidement. Les entreprises ont vu que le président Trump ne soutenait pas leur recherche aveugle de l’efficacité dans l’économie mondiale. Il s’est plutôt concentré sur l’emploi, en particulier dans le secteur manufacturier, car il a reconnu l’importance du travail productif non seulement pour notre PIB, mais aussi pour la santé et le bonheur de nos citoyens. La réussite des entreprises et l’efficacité économique, bien sûr, sont restées des considérations importantes. Mais elles n’étaient plus le début et la fin de la politique commerciale.

La nouvelle politique consistait à mettre en œuvre de manière agressive les engagements commerciaux précédents, à renégocier les accords commerciaux destructeurs de main-d’œuvre comme l’Alena et l’accord de libre-échange avec la Corée, et à lutter contre les politiques économiques et commerciales prédatrices de la Chine. De nombreuses entreprises ont protesté contre le fait que ce changement de politique créait de l’incertitude. La réponse du président Trump a été simple : si vous voulez de la sécurité, ramenez vos usines aux États-Unis. Si vous voulez les avantages d’être une entreprise américaine et la protection du système juridique américain, ramenez les emplois. »

Ce nationalisme économique est plus qu’un conte de fées, c’est une politique d’État. Le gouvernement américain est en train de négocier avec Intel et d’autres entreprises de puces et de semi-conducteurs pour qu’elles rouvrent les usines qui se trouvaient autrefois sur le territoire américain.

La Chine après le Covid

La Chine est de plus en plus acculée. La combinaison d’une épidémie et d’une guerre commerciale l’a amenée au bord du chômage de masse. Bien qu’elle crée une petite bulle de crédit pour reprendre pied, son cadre impérialiste est dans le marasme : La "nouvelle route de la soie" de la Chine mettra du temps à se rétablir et est loin d’être un marché suffisant, les pays d’Asie centrale sont déjà en train de restructurer leur dette et ceux d’Afrique essaient d’échapper à leurs arriérés autant qu’ils le peuvent.

Le capital chinois traverse une période difficile. Ses bénéfices s’effondrent, le PIB se contracte comme jamais depuis 1976 et son influence recule évidemment, aux États-Unis en premier lieu, où ses investissements tombent au niveau de 2009.

Les États-Unis font pression bien au-delà de la guerre commerciale avec la Chine

Qu’on le croit ou non, le Covid a accéléré le retrait de la pression militaire mondiale des États-Unis qui s’est développée depuis Obama. Même dans le Golfe, les États-Unis retirent des missiles de l’Arabie Saoudite et tendent à une certaine pacification avec l’Iran. L’objectif premier est de redistribuer les dépenses militaires dans des régions clés avec ses "alliés", en Europe avec les membres de l’Otan, en Asie en faisant payer au Japon et à la Corée une partie des coûts de leur propre déploiement militaire.

L’objectif de la politique étrangère et du militarisme des États-Unis est de plus en plus axé sur le seul concurrent qui peut détrôner le capital américain de la centralité mondiale : la Chine. Les symptômes d’une idéologie de guerre anti-chinoise qui se répandent amènent les candidats à la présidence à rivaliser pour savoir qui est le ’plus dur’ à l’égard de la Chine.

Les tensions guerrières s’accroissent de jour en jour, et nombreux sont ceux qui parlent d’une nouvelle "guerre froide". Ils sont optimistes. Ce n’est plus Trump mais l’appareil militaire et de renseignement américain qui a accusé la Chine de mener une vague de cybercriminalité pour voler les résultats de recherche sur un vaccin Covid. Pendant ce temps, la pression militaire américaine dans la mer de Chine méridionale augmente et gagne des alliés de plus en plus actifs dans des pays comme l’Indonésie. La pente guerrière est si forte que les tentatives de Taïwan ou de la Corée du Sud pour apaiser la Chine et ses alliés directs afin d’échapper à la formation de blocs militaires sont sans espoir.

En Chine, ils sont pleinement conscients des dangers qu’une guerre avec les États-Unis, même limitée au contrôle des mers, impliquerait. Mais le débat se concentre sur la question de savoir s’il faut accélérer encore plus le programme nucléaire comme moyen de ralentir la voie à la guerre.

En Europe, deux mauvais échos. Le premier est banal mais significatif : nous n’avons qu’à lire le rapport que l’université d’Oxford a sorti hier selon lequel les sociétés les plus nationalistes et socialement militarisées d’Europe – la Grèce, les anciens États staliniens – sont les plus résistantes aux catastrophes comme celle du Covid. La seconde est plus qu’inquiétante. Le sommet Union européenne-Chine, initialement prévu à l’initiative de Merkel, a été retiré de l’ordre du jour officiel de la présidence allemande de l’UE. Pourquoi ?

Nuevo Curso, le 12 mai 2020.

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