(semestriel - février 2020) |
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Finlande : Vague de grèves au « pays le plus heureux du monde » (Parti communiste international - Le Prolétaire)
L’ONU a publié en mars 2019 son rapport sur le bonheur dans le monde [1] : pour la deuxième année consécutive la Finlande était classée au premier rang. La Finlande est un petit pays nordique de 5,5 millions d’habitants qui a la réputation de jouir d’un Etat-providence modèle. Les médias du monde entier ont ainsi parlé de son projet de créer un revenu universel garanti à tous ses habitants pour éradiquer la pauvreté.
Mais la réalité est moins rose et il semble bien que les prolétaires finlandais n’ont pas la même opinion sur leurs conditions de vie et de travail que les statisticiens bourgeois de l’ONU. Si nous commençons par ce fameux « revenu universel » institué en 2017, il n’était en réalité qu’au stade d’expérimentation pour deux années. Il ne s’appliquait qu’à 2000 chômeurs de longue durée, tirés au sort, et son montant n’était que de 560 euros, une somme équivalente aux indemnités de chômage dont il prenait la place, le seul avantage pour les bénéficiaires étant qu’il était accordé y compris aux chômeurs en fin de droit. Finalement la mesure n’a pas été reconduite en raison de l’hostilité du patronat et des couches petites bourgeoises qui se plaignent du niveau trop élevé des dépenses sociales et des impôts qui les financent.
La Finlande était un pays prospère qui, comme d’autres pays du nord de l’Europe, a pu longtemps financer un Etat providence capable de garantir la paix sociale et lier le prolétariat au système capitaliste et à l’État bourgeois. Ce n’est plus le cas ; le pays a été durement touché par la crise économique de 2008 dont les conséquences se firent sentir pendant des années. Un exemple symbolique en est la chute de Nokia ; l’ancien géant des télécoms n’a échappé à la faillite qu’en se séparant d’une grande partie de ses activités et en supprimant des milliers d’emplois en Finlande et dans le monde. De même l’exploitation forestière et l’industrie papetière qui sont traditionnellement le premier secteur d’activité [2] et qui représentent toujours un peu plus de 20% des exportations du pays, ont subi une forte crise. La production de papier a été en majorité délocalisée en Asie et en Amérique Latine et les entreprises les plus faibles ont disparu.
Les difficultés économiques de cet ancien paradis capitaliste ont également touché ou menacé de larges secteurs petits bourgeois ; cela a suscité l’apparition d’un parti politique d’extrême droite qui est devenu en quelques années la troisième force politique du pays, « Les Vrais Finlandais ». Dans leur programme on trouve en bonne place la « défense des patrons des petites et moyennes entreprises », à côté de la défense de « l’identité finlandaise » [3] et des positions anti-immigrés et eurosceptiques.
Après leur score spectaculaire aux élections législatives de 2015 (19%), les Vrais Finlandais entrèrent au gouvernement dirigé par le Parti du Centre avec le Parti de la Coalition nationale, deux partis bourgeois de droite traditionnels.
L’objectif central de ce gouvernement réactionnaire était le redressement du capitalisme finlandais, ce qui signifiait restaurer le taux de profit en diminuant le « coût du travail » et en réduisant les dépenses sociales.
L’outil principal a été un « pacte de compétitivité » négocié avec les syndicats, censé baisser de 3,5% le coût du travail. Il s’agissait d’un ensemble de mesures d’austérité et anti ouvrières dont les principales étaient le gel des salaires et l’augmentation du temps de travail (3 jours de travail supplémentaires non payés par an), l’augmentation à 65 ans de l’âge de la retraite à partir de 2025 (âge qui variera par la suite selon l’augmentation de la durée de vie), la baisse des indemnités de chômage, une réduction de 30% du paiement des jours de congé des fonctionnaires, une augmentation des cotisations sociales des salariés (et une baisse équivalente des cotisations des entreprises) ; par contre du côté patronal le « pacte » prévoyait une baisse des impôts.
En dégradant la situation des prolétaires et des larges masses, ces mesures ont amélioré la santé des entreprises ; elles n’ont toutefois pas pu réussir à sortir durablement le pays d’une récession provoquée par la diminution de ses parts de marché à l’exportation. L’impopularité croissante du gouvernement poussa les Vrais Finlandais à quitter le gouvernement en 2017, ce qui provoqua une crise en leur sein, les « modérés » quittant le parti pour rester dans la coalition. Cette crise et son positionnement plus ouvertement à l’extrême droite, n’ont pas affaibli ce parti, contrairement à ce que croyaient les analystes politiques. Les élections législatives d’avril 2019 furent en effet marquées par le recul des partis qui étaient au gouvernement, notamment le Parti du Centre de l’ancien premier ministre, qui connut un véritable effondrement. Le parti social-démocrate remporta le scrutin avec 17,5% des voix, mais il était talonné par les Vrais Finlandais (17,2%). Le nouveau gouvernement fut constitué par une alliance avec les Verts (qui à 12% des voix ont connu un résultat historique), l’ « Alliance de gauche » (ex-PC) et... le Parti du Centre ; pourtant désavoué par ses électeurs.
En dépit des promesses électorales des partis de gauche, le nouveau gouvernement ne prévoit qu’une atténuation de la politique d’austérité du gouvernement précédent ; il s’est engagé en particulier à mener à bien la « réforme » de la sécurité sociale et du système de Santé visant à réduire les coûts en taillant dans les prestations, mise en chantier par le Parti du Centre. Cela ne l’a pas empêché de recevoir le soutien des syndicats, bien plus sensibles à ses promesses d’investissements productifs qu’aux intérêts des prolétaires.
Victoire des grévistes
Il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour que les travailleurs finlandais s’aperçoivent, s’ils en doutaient, de quel côté se trouvait le nouveau gouvernement. La Poste, établissement semi-public, avait décidé dans le cadre de la recherche de la rentabilité de transférer 700 salariés à une filiale, leur infligeant au passage une baisse allant jusqu’à 30% de leur salaire !
Le projet à peine connu, les travailleurs se mirent en grève le 11 novembre. Pendant près de 2 semaines ce furent 10 000 postiers qui suivirent le mouvement, en solidarité avec les travailleurs menacés et pour revendiquer des hausses de salaire. Mais le conflit s’étendit au-delà de la Poste : des grèves de solidarité se déclenchèrent le 25/11 dans les transports terrestres et aériens, les ferrys, etc.
Quand se profila la menace d’un blocage des ports, voire d’une grève générale, la direction de la Poste retira son projet, sans aucun doute à l’instigation du gouvernement inquiet d’un blocage de l’économie (les exportations, principalement par voie maritime, représentent 40 % du PIB). Quelques jours plus tard le Premier ministre fut contraint de démissionner sous la pression du Parti du Centre qui lui reprochait sa faiblesse par rapport aux travailleurs ; c’est la ministre des transports qui a été élue à sa place le 8 /12, devenant peut-être à 34 ans la plus jeune cheffe de gouvernement en exercice dans le monde.
Ce succès indéniable de la lutte prolétarienne a servi d’encouragement aux travailleurs d’autres secteurs. C’est ainsi qu’à partir du 9 décembre, 100 000 travailleurs de l’industrie (chimie, bois pétrole...) et des services ont fait 3 jours de grève, revendiquant des augmentations de salaire et la fin du travail impayé et plus généralement des mesures anti-sociales que le nouveau gouvernement n’envisage absolument pas d’abroger ; depuis septembre une grève des heures supplémentaires non payées est largement suivie.
Le retrait du projet de la Poste n’est qu’une première victoire des travailleurs finlandais face aux attaques qui leur sont infligées et dont le gouvernement actuel, pressé par les capitalistes, n’entend pas les épargner. Mais cette victoire peut et doit servir de leçon pour les luttes à venir et d’exemple pour les prolétaires des autres pays : c’est en rompant avec les pratiques bien ancrées de la collaboration de classe et du consensus social, en se lançant dans une grève illimitée et en faisant appel aux travailleurs des autres secteurs qu’il est possible de faire reculer un gouvernement.
Nul doute que les syndicats finlandais feront tout ce qui est en leur pouvoir pour tenter de faire oublier cette leçon.
Aux prolétaires de Finlande et d’ailleurs de s’en souvenir et de la mettre en pratique !
Le Prolétaire n°535, 28/12/19.
Notes:
[1] . cf. « World Happiness report », 20/3/19
[2] . 60% de la superficie forestière exploitée appartient à des propriétaires privés (26% à l’Etat et le reste à des compagnies forestières, etc.) : ils sont plus de 600 000 (soit près de 14% de la population), la moitié d’entre eux n’ayant que de petites propriétés (moins de 2 hectares).
[3] . Ils sont en particulier hostiles à l’apprentissage obligatoire du suédois à l’école. Le suédois est la deuxième langue officielle du pays, la minorité suédophone constituant environ 5% de la population.