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La grève de General Motors aux États-Unis - Workers Group, 1e novembre 2019
Les camarades du Workers Group des États-Unis ont publié l’article qui suit et qui fait un bilan de la grève des usines de la General Motors à l’automne dernier. Tiens donc, au pays où soi-disant tous les cols bleus auraient voté pour Trump, il y aurait encore des luttes ouvrières ! Voilà le premier enseignement de cette grève. Les camarades exposent très clairement l’alliance des syndicats avec les compagnies automobiles américaines et avec l’État capitaliste. Ils montrent aussi les limites dont les ouvriers ont souffert au cours de ce combat, en particulier leur incapacité à combattre la main-mise syndicale sur la lutte.
Depuis, les camarades ont publié une deuxième partie à leur article [1]. Cette partie ne revient pas vraiment sur la grève mais aborde uniquement la question syndicale en général et l’organisation dont devraient se doter les travailleurs en lutte. Si nous ne partageons pas la vision qui présente les syndicats « comme des négociateurs et médiateurs » de la force de travail face au capital - pour nous les syndicats aujourd’hui ont avant tout un rôle politique anti-ouvrier au service de l’État capitaliste -, nous sommes d’accord avec les moyens organisationnels que les camarades mettent en avant dans cet article. Nous espérons pouvoir y revenir dans un - le ? - prochain numéro.
Solidarité, "sacrifice" et sabotage (Workers Group, 1er novembre 2019, 1er Partie)
La défaite humiliante des travailleurs de GM offre de nombreuses leçons sur les syndicats d’aujourd’hui et les luttes ouvrières de demain. La fin de la grève de 40 jours menée par le syndicat United Auto Workers (UAW) contre General Motors a provoqué colère et frustration parmi de nombreux travailleurs de l’automobile aux États-Unis, s’interrogeant sur ce qu’il faudrait faire maintenant.
Lorsque la grève a commencé le 16 septembre, un grand nombre des plus de 49 000 travailleurs de l’automobile syndiqués à l’UAW étaient non seulement favorables à l’action, mais aussi très clairs sur leurs revendications et ce qu’ils considéreraient comme une victoire : la fin du système de différents contrats pour les travailleurs fixes, la fin du nombre croissant de travailleurs temporaires en leur donnant un statut permanent, un recul des concessions accordées à l’entreprise par l’UAW dans accord d’entreprise depuis 2007, un engagement à ne plus fermer d’usine et une garantie que les nouveaux produits fabriqués aux États-Unis le seraient par les ouvriers de l’UAW. Modestes, ces revendications auraient été les premiers gains que les travailleurs auraient obtenus dans les négociations contractuelles depuis la fin des années 1970.
De plus, en raison de la pratique de la "négociation pilote", non seulement les travailleurs de la GM, mais aussi ceux de Ford et de Fiat Chrysler auraient bénéficié de la satisfaction de ces revendications.
Cependant, il fut rapidement clair que les revendications des travailleurs de l’automobile - leur soutien ouvert et catégorique à leurs collègues aux contrats temporaires, leur conviction que plus d’une décennie de ’sacrifice’ pour maintenir GM à flot après sa faillite et le renflouement du gouvernement devait être récompensé, et ainsi de suite - n’étaient pas partagées par les dirigeants de l’UAW choisis pour négocier avec la direction de GM. Cela n’aurait dû pas surprendre pour qui connaît l’UAW.
La réalité, c’est que l’UAW comme institution syndicale n’a jamais voulu appeler à la grève ; elle la fait sous la peur et la pression. Mais nous ne parlons pas de la peur et de la pression exercées par les travailleurs de l’automobile eux-mêmes, mais de la peur et de la pression résultant de l’enquête en cours du gouvernement fédéral sur les liens étroits qui existent entre les dirigeants de l’UAW et la direction des trois grands constructeurs automobiles, les Big Three.
Au cours des dernières années, de nombreuses enquêtes sur des faits de corruption, des détournements de fonds et de pots-de-vin commis par de hauts responsables de l’UAW provenant de dirigeants régionaux et parvenus jusqu’au cœur du siège du syndicat, se sont rapprochées dangereusement du siège du président du syndicat, Gary Jones. Plusieurs anciens présidents, vice-présidents et fonctionnaires régionaux ont été inculpés ou désignés comme ’témoins assistés’ par la justice pour leur rôle dans l’utilisation des fonds syndicaux pour leur propre enrichissement ou dans l’obtention de pots-de-vin pour assurer que des accords d’entreprise soient passés.
Les enquêtes ont tellement érodé le moral et la confiance des travailleurs de l’automobile que l’UAW était mal en point et prêt à tout tenter de rétablir même une petite partie de la confiance dans leur leadership, y compris le recours à une grève - quoique fortement orchestrée et contrôlée.
À bien des égards, la grève, telle qu’elle était organisée, n’était guère plus que du théâtre. L’UAW a donné à GM suffisamment de temps pour constituer un stock de véhicules et d’autres produits nécessaires pour les aider à surmonter l’arrêt de travail. Au moment où l’action a commencé, GM disposait d’un approvisionnement solide qui pouvait durer 87 jours. En d’autres termes, même une grève de deux mois et demi n’aurait pas affaibli la capacité de GM pour vendre des véhicules avec les options souhaitées, ce qui lui permettait de continuer à générer des profits sans avoir à payer l’électricité nécessaire à la production des véhicules (que ce soit la main-d’œuvre des travailleurs de l’automobile ou l’électricité nécessaire aux machines).
De plus, il est tout à fait clair maintenant que la grève était vouée à l’échec. Non seulement parce que, comme à l’accoutumée, elle était dirigée par la ’politique de l’injonction’ qui a privé les travailleurs de leur capacité à gagner des batailles contre les classes exploiteuses depuis des décennies, mais aussi parce qu’elle n’a jamais été destinée à nuire à l’entreprise ou à ses actionnaires (l’UAW étant une grande entreprise). Les revendications des travailleurs n’ont jamais été sérieusement considérées comme faisant partie de l’ordre du jour, mais comme un outil de propagande pour les garder ’en ligne’.
Et puis il y a eu la mystérieuse rencontre entre Mary Barra, PDG de GM, et ses principaux collaborateurs, d’un côté, et Gary Jones, président d’UAW, et Terry Dittes, vice-président, quelques jours avant l’annonce de la convention collective. Peu de choses ont été dites ou confirmées au sujet de cette réunion, mais ce qui a été divulgué est centré sur deux mots qu’aucun travailleur ne veut entendre : Taft-Hartley [2]. Si les rumeurs sont vraies, la réunion devait informer l’UAW que si un accord n’était pas conclu rapidement, le président Trump aurait invoqué la loi Taft-Hartley sur le ’travail forcé’ et aurait ordonné aux travailleurs de l’automobile de retourner dans les usines, accord ou pas accord.
Même si les syndicats ne représentent que 6,3 % de tous les travailleurs en-dehors des emplois publics, ils continuent d’être considérés comme le seul moyen efficace pour défendre les intérêts de la classe sur les lieux de travail. C’est compréhensible d’un point de vue historique, mais c’est néanmoins un problème central pour les travailleurs d’aujourd’hui.
Historiquement, les syndicats ont été considérés comme un moyen essentiel pour les travailleurs de s’organiser et de se défendre contre les attaques quotidiennes des classes exploiteuses. Des premiers syndicats de métier du XIXe siècle aux syndicats industriels et unis des XXe et XXIe siècles, les syndicats sont encore considérés comme le seul moyen viable de garantir et d’assurer la sécurité de l’emploi et un meilleur niveau de vie - même si, en réalité, rien de tout cela n’est réellement obtenu.
L’adoption de lois comme la loi nationale sur les relations de travail [National Labor Relations Act] a fondamentalement changé le caractère des syndicats. Ils n’étaient plus, ou ne pouvaient plus être, une expression organisée des revendications et des désirs des travailleurs eux-mêmes. La "légalisation" capitaliste, avec son labyrinthe de bureaucratie et de réglementations qui obligeait les syndicats à y répondre, les a transformés en médiateur et négociateur collectif du prix de la capacité du travailleur à effectuer un travail. Ainsi, au lieu d’avoir pour mission principale de défendre ce que les travailleurs ont gagné dans le passé, son rôle est maintenant de créer un accord "équitable" avec les exploiteurs à leurs conditions. La "stabilité" et l’"équité" - et, surtout, la préservation de la "compétitivité" capitaliste - sont à l’ordre du jour. Que les ouvriers soient damnés.
En outre, le processus de légalisation a exclu les travailleurs eux-mêmes du fonctionnement et de la direction même des syndicats, les postes supérieurs au niveau local étant de plus en plus (et maintenant régulièrement) occupés essentiellement par des éléments des classes exploiteuses : avocats, experts en "relations de travail", statisticiens professionnels et consultants. Occasionnellement, ils comprennent quelques travailleurs qui ont travaillé quelques mois en atelier, principalement pour faire "ouvrier" et camoufler cet état de fait. Faut-il s’étonner que les salariés de grandes centrales syndicales elles-mêmes soient souvent soumis aux méthodes les plus répugnantes des syndicats ?
Cette transformation, qui a commencé il y a plus d’un siècle (les premières cibles ayant été les syndicats de cheminots), a initié le processus d’intégration des syndicats dans le système capitaliste en tant que médiateurs collectifs du prix de la force de travail mentionnés ci-dessus. Cette transformation a également ouvert les vannes au flux de l’idéologie des exploiteurs au sein de la classe ouvrière en l’accélérant et l’intensifiant.
La domination du nationalisme, du corporatisme et du chauvinisme parmi les travailleurs syndiqués, ainsi que l’intensification de l’idéologie qui présente les travailleurs comme étant "idiots" et incapables de diriger les choses par eux-mêmes, sont spécifiquement conçues pour maintenir les divisions de classe qui maintiennent tous les travailleurs dans une situation de précarité, de peur et de subordination.
Un excellent exemple en est la réaction de l’UAW et de nombreux travailleurs de l’automobile face aux grèves sauvages des travailleurs mexicains dans les maquiladoras contre les Trois Grands [The Big Three, GM, Ford et Chrysler, ndt]. En février dernier, lorsque des dizaines de milliers de travailleurs de l’automobile ont fait grève à Matamoros (Mexique) contre les bas salaires et les conditions de travail horribles dans les usines - deux choses dont se plaignent les travailleurs de l’automobile aux États-Unis et au Canada depuis le début de la sous-traitance - la réponse de l’UAW a été... de tenir des rassemblements nationalistes brandissant le drapeau américain et de demander un boycott des produits fabriqués au Mexique ! À une époque où la solidarité transfrontalière entre les travailleurs américains et mexicains, luttant pour la même revendication contre les mêmes entreprises, aurait pu gêner les Big Three et les affaiblir avant les négociations contractuelles, l’UAW a redonné la main aux patrons en maintenant les travailleurs divisés selon des lignes nationales et en empêchant une véritable unité.
Le point de vue des syndicats selon lequel les gains ne peuvent être obtenus que lorsque les entreprises sont rentables ne fait qu’enchaîner le bien-être et les intérêts des travailleurs à ceux de leurs exploiteurs. Pire encore, il maintient les travailleurs divisés entre eux, y compris au sein d’une même industrie. Les besoins de la classe ouvrière sont subordonnés non seulement à un secteur des capitalistes, mais même à un sous-secteur, où l’humiliation est la seule forme de survie acceptée.
Notes:
[2] . La loi Taft-Harley donne le « droit au gouvernement fédéral d’interdire/arrêter une grève qui met en danger la sécurité nationale » (wikipedia).