(semestriel - février 2020) |
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Lettre du Gulf Coast Communist Group (30 novembre 2019).
Dans le numéro 12 de cette revue de juillet dernier, nous avions publié les nouvelles positions de base du Gulf Coast Communist Fraction (https://gulfcoastcommunistfraction.wordpress.com/), ses nouveaux Points d’unité, ainsi que nos commentaires [1]. Nous publions ici la réponse des camarades.
Chers camarades,
Nous voudrions vous remercier pour la lettre que vous nous avez envoyée qui permet d’avancer dans le débat et les confrontations nécessaires au regroupement de la Gauche communiste. Nous vous envoyons une réponse précisant et répondant à certains des commentaires que vous avez faits sur nos nouveaux points d’unité.
Tout d’abord, il faut préciser clairement : vous parlez de nos points d’unité comme d’une "plate-forme", mais ce n’est pas cela, c’est quelque chose de plus simple ; ce sont les positions unificatrices de base qui constituent notre collectif, mais pas une plate-forme détaillant nos tâches à moyen terme, nos stratégies pour prendre le pouvoir, ou nos tactiques pour intervenir dans des luttes. Nous envisageons d’adopter une plate-forme, mais notre groupement est encore en train de développer une perspective et en est encore au stade de ce que vous avez décrit comme un "cercle de discussion". Une fois cette clarification établie, nous pourrons répondre à vos commentaires sur nos formulations
L’argument sur le point 2 est que cette formulation est "peu claire" et peut laisser la place à des concessions à la gauche, au radicalisme bourgeois, etc. C’est précisément le cas contraire. "Surmonter" renvoie plus à ce que nous voulions dire qu’à "remplacer". Peut-être essayions-nous d’être trop techniques avec les termes, mais nous utilisons le terme "supersession" ["remplacement" en français, ndt] dans le sens où Hegel ou Marx l’ont utilisé : une élimination ["sublation" en anglais, ndt], une négation déterminée, une préservation et une annulation simultanées de la chose. C’est plus précis que de dire quelque chose comme "abolir" le capitalisme, car cela laisse la place à des significations multiples derrière "abolir". Nous ne voulons pas simplement et purement "nier" le capitalisme comme le font les anarchistes, nous voulons sublimer/surpasser le capitalisme. Nous voulons préserver la production socialisée et annuler/annihiler la propriété privée de la production. Dire que nous voulons simplement "abolir" ou nier purement et simplement le capitalisme peut être interprété comme signifiant annuler/annihiler à la fois la production socialisée et la propriété privée, ce qui revient à recourir à un mode de production plus archaïque au lieu de le remplacer par un mode de production supérieur.
Nous sommes d’accord avec votre affirmation concernant le point 12 que la dictature du prolétariat doit être établie à l’extérieur et contre le parlement ou les organes législatifs bourgeois, mais cela n’exclut pas nécessairement la possibilité de se présenter aux élections pour des raisons tactiques et ce à des fins purement propagandistes. Si des travailleurs combatifs sont mobilisés sur le terrain électoral, il peut être nécessaire que les révolutionnaires se présentent aux élections pour tenter d’éloigner les travailleurs du terrain électoral et de les attirer sur le terrain de la classe prolétarienne. Nous comprenons que, dans cette période historique, se présenter aux élections est rarement, voire jamais, une tactique productive pour les communistes. Cependant, élever notre abstentionnisme du niveau de la tactique au niveau des principes, c’est habiter la conception anarchiste ahistorique de la question parlementaire ; notre abstentionnisme est d’ordre tactique. Même Amadeo Bordiga a polémiqué contre la version anarchiste de l’abstentionnisme en 1913 [2].
Dans la phase ascendante du capitalisme, les communistes se présentaient aux sièges des organes législatifs pour faire pression sur l’État bourgeois pour qu’il accorde des concessions au prolétariat par des réformes ; mais dans la phase déclinante, avec l’avènement du capitalisme d’État, l’organe exécutif a dépassé l’organe législatif comme lieu du pouvoir politique dans l’État bourgeois. Cela signifie qu’il n’y a plus aucune utilité à ce que les communistes essaient d’obtenir des sièges dans l’appareil législatif de l’État bourgeois. Cette conceptualisation se retrouve également dans la première brochure de Marc Chirik sur la théorie de la décadence : « A cette époque [ascendante], l’État, tout en cherchant déjà à se hisser au-dessus de la société, est encore largement dominé par des groupes d’intérêts et des fractions du capital qui s’expriment pour une bonne part au niveau du législatif. Celui-ci domine encore nettement l’exécutif : le système parlementaire, la démocratie représentative est une réalité, un terrain où s’affrontent les divers groupes d’intérêt... [mais dans la période de déclin] le législatif, dont la fonction initiale est de représenter la société, perd tout son poids devant l’exécutif qui est le sommet de la pyramide étatique » [3]. Nous ne pouvons pas gagner des réformes qui élèvent vraiment le prolétariat - c’est seulement contre le système du réformisme et de la "représentation" bourgeoise que nous proposons la possibilité tactique d’utiliser les élections pour dénoncer l’imposture qui est leur base. Nous ne croyons cependant pas qu’il s’agisse d’une tactique qui puisse être utilisée à n’importe quel moment - c’est une tactique qui doit être utilisée de façon minimale et qui n’est potentiellement utile que pendant une période de combativité de classe réelle. En outre, nous demandons au Groupe international de la gauche communiste quelle est son évaluation du Parti communiste internationaliste (Battaglia Comunista) aux élections législatives de 1948 en Italie ? Sympathisez-vous davantage avec la fraction bordiguiste qui finira par se constituer au sein du Parti communiste international (Programme communiste), ou êtes-vous d’accord avec l’intervention du PCInt lors des élections ?
Il peut y avoir un malentendu au sujet de ce qui est mentionné au point 13. Regardons la section du texte qui peut être à l’origine de la confusion : « Il est hypothétiquement possible pour les communistes de collaborer avec d’autres communistes qui pensent à tort qu’il est possible pour les communistes de construire des syndicats de base qui ont toujours la fonction qu’ils avaient dans la phase d’ascendance du capital. Mais travailler avec les syndicalistes qui interviennent au nom des appareils syndicaux existant est travailler avec ceux qui agissent pour le compte de l’appareil d’État ». C’est une référence implicite aux partis bordiguistes qui croient qu’il est possible de construire des "syndicats rouges". Nous ne rejetons pas la possibilité de travailler avec d’autres véritables militants qui ont des positions confuses sur le rôle de la forme syndicale dans la phase décadente du capitalisme. Pour répondre à l’hypothèse posée : Que faire si la bureaucratie syndicale est forcée, pendant un bref instant, de plaider pour l’extension et l’unité d’une lutte ? Nous soutenons l’extension et l’unité de la lutte, bien sûr. Nous n’endossons cependant pas les syndicalistes-bureaucrates, et nous restons très honnêtes et clairs quant à leur nature en tant que saboteurs de la lutte de classe. Dès que la lutte s’intensifiera en dehors du contrôle de la bureaucratie, il ne fait aucun doute qu’ils changeront d’avis, et il serait insensé d’abandonner toute vigilance à leur égard simplement parce qu’aujourd’hui ils préconisent l’extension de la lutte - demain ils en seront les fossoyeurs.
Nous sommes d’accord que le point 15 est vague. Les communistes ne font pas du pacifisme un fétiche et la lutte armée sera très probablement nécessaire. Le fait est que la révolution ne peut se réduire à une campagne militaire, à la constitution d’une force militaire et à la conquête de "territoire ouvrier" par des manœuvres militaires. Nous défendrions plutôt que la formation de l’Armée rouge pendant la guerre civile russe était un décret nécessaire pour le Parti bolchevique, mais qu’elle reflétait aussi l’isolement de la Révolution russe et qu’elle ne constituait en rien une politique à privilégier dans des conditions qui n’en font pas une nécessité absolue. Nous sommes d’accord avec l’affirmation du courant communiste international selon laquelle le « terrain militaire [est] propre à la bourgeoisie » [4]. C’est aussi la raison pour laquelle nous aurions été d’accord avec la ratification du traité de Brest-Litovsk, car lancer le parti bolchevique dans une bataille avec l’empire allemand sur le terrain militaire n’aurait pu que signifier une défaite garantie et une dégénérescence encore plus rapide de la révolution que celle qui s’est finalement imposée.
Pour conclure notre réponse à votre lettre, il convient de noter qu’il s’agit d’une contribution positive au renforcement des liens entre les groupes de la Gauche communiste et à la progression du "parti en procès". En fait, le Gulf Coast Communist Fraction perçoit cette lettre comme une contribution au développement de son propre collectif, passant d’un "cercle de discussion" à une composante politique à part entière du futur parti.
Notes:
[1] . http://igcl.org/Nouveaux-points-d-unite-du-Gulf et http://igcl.org/Lettre-au-GCCF-sur-ses-nouveaux.
[2] . The “Bordigist” Current (1912-1952) by Philippe Bourrinet. http://www.left-dis.nl/uk/bordigist.pdf. 2014
[4] . Pourquoi l’alternative guerre ou révolution ? Revue internationale #30, (https://fr.internationalism.org/rinte30/cours.htm).