(Septembre 2022) |
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Correspondance avec le Red Specter Collective (USA) sur la dynamique de la lutte des classes et l’intervention des organisations communistes
Nous publions ici des extraits de la correspondance que nous avons eue avec le Collectif Red Specter des États-Unis [1]. Les camarades du collectif ont dans un premier temps compris notre position sur les syndicats comme une position indifférentiste vis-à-vis des luttes quotidiennes, économiques ou revendicatives, du prolétariat. C’est essentiellement cette confusion que nous essayons de clarifier dans notre courrier. Nous n’avons pas eu le temps de traiter directement différentes autres questions soulevées comme, par exemple, ce que la première lettre appelle « formations pré-parti ». De même, nous n’abordons pas directement la question du « réseau de groupes territoriaux » que le collectif appelait de ses vœux dans un premier temps ; ou encore la distinction que la lettre fait, à tort selon nous, entre « lutte en soi » et « lutte pour soi ». Néanmoins, les camarades sont revenus sur la constitution d’un réseau de groupes territoriaux suite à notre courrier et à leur lecture de L’idéologie allemande de Marx et de Grève de masse, parti et syndicat de Rosa Luxemburg. Nous sommes convaincus que la publication de ces échanges et la poursuite du débat sur ce point intéressera l’ensemble des forces communistes à l’aube de confrontations massives entre les classes provoquées inévitablement par la crise et la guerre.
Lettre du Red Specter Collective (29 juin 2022)
Camarades,
Oui, vous pouvez partager la correspondance avec la TCI. (...) Nous discutons de votre plate-forme lors de notre prochaine réunion ce dimanche et nous espérons pouvoir vous envoyer des réflexions supplémentaires à la suite. Si possible, ce serait utile d’avoir vos réflexions sur les positions avancées ici avant dimanche, si vous en avez le temps, afin que nous puissions approfondir plus à partir de celles-ci. (…)
Syndicats, lutte économique et spontanéité
En ce qui concerne la question des syndicats, nous sommes d’accord sur le principe de leur rôle historique contre-révolutionnaire ; cependant, nous débattons toujours en interne de la tactique appropriée face à eux aujourd’hui. Ce qui suit est un essai d’un membre qui n’a pas été entièrement discuté par tous les membres, mais nous apprécierions une réponse.
Abstention vis-à-vis de la lutte économique ?
Votre plate-forme semble impliquer que les formations pré-partis qui devraient devenir de « véritables organisations permanentes » ne devraient pas elles-mêmes s’engager dans la lutte de classe défensive, économique, pour faire avancer les intérêts immédiats des travailleurs sur une base permanente.
« Par conséquent, le caractère capitaliste de ces organes s’étend à toutes nouvelles organisations qui se donnent des fonctions similaires et ceci quels que soient leur modèle organisationnel et les intentions qu’elles proclament. Il en est ainsi des syndicats dits révolutionnaires ou de base comme de l’ensemble des organes (comités ou noyaux ouvriers, commissions ouvrières) qui peuvent subsister à l’issue d’une lutte, même opposée aux syndicats, et qui tentent de constituer une véritable organisation permanente de défense des intérêts immédiats des travailleurs. » (Plateforme du GIGC)
La lutte autour de la défense des intérêts immédiats des travailleurs fait partie intégrante de la lutte de classe en soi. Le travail des communistes est de s’engager dans cette lutte pour l’élargir à une lutte de classe pour soi autant que possible ; l’émergence de la lutte de classe politique vient des réalités mises en avant dans la lutte économique, par les contradictions au sein de l’infrastructure économique qui mettent les travailleurs en confrontation directe avec leur ennemi de classe et sont ainsi capables de se constituer en une classe distincte à partir d’une masse de travailleurs individuels agissant, dans des circonstances normales, en concurrence les uns avec les autres. Seule la lutte des classes peut effacer le brouillard de confusions de l’idéologie bourgeoise, qui tente constamment de détourner les antagonismes sociaux créés par son système de production pour se revitaliser elle-même.
En excluant les activités organisationnelles qui incorporent des tactiques orientées vers le regroupement avec les travailleurs autour de l’organisation pratique de la défense de leurs intérêts immédiats, les communistes perdent l’opportunité de faire progresser la conscience des travailleurs dans les moments critiques et parfois brefs, au moment même où ils agissent selon leur instinct de classe, et sont les plus susceptibles de faire de grands pas vers une conscience de classe plus large. Comme la conscience de classe ne se développe pas de manière linéaire et qu’elle n’apparaît généralement qu’à la suite des contradictions économiques auxquelles les travailleurs sont confrontés et dans la défense de leurs intérêts matériels, il est de notre devoir d’intervenir de manière à renforcer la capacité des travailleurs à défendre leurs intérêts individuels tout en les aidant à comprendre leurs intérêts de classe plus larges et leur rôle historique. Nous devrions également avoir pour objectif critique de travailler à l’incorporation des travailleurs qui sont gagnés à la position internationaliste au sein de ces luttes de classe dans des groupes territoriaux vivants et actifs de révolutionnaires. Nous savons que la conscience communiste se décompose et meurt si elle réside dans l’esprit de travailleurs individuels restant isolés et détachés d’un collectif révolutionnaire, où seul peut vivre l’histoire de notre classe et ses leçons. Les thèses de la TCI sur le rôle des communistes dans la lutte économique de la classe ouvrière stipulent que
« Aujourd’hui, la lutte économique est immensément plus complexe qu’à l’aube du capitalisme mais malheureusement les communistes ne peuvent pas s’asseoir les bras croisées en attendant des jours plus prometteurs. Il est illogique qu’une organisation qui se définit communiste n’intervienne au sein du prolétariat que lors de certaines périodes historiques ou lors de meilleurs rapports de force. S’impliquer dans la lutte quotidienne de la classe ouvrière fait partie intégrante du travail révolutionnaire. Comme insistait Onorato Damen à cet effet : "Mettre de l’avant des politiques révolutionnaires sur le terrain de la classe, aussi petit soit-il dans les conditions d’insécurité et de faiblesse actuelles de la lutte ouvrière, en s’engageant dans un militantisme politique actif, lequel ne se restreint pas seulement à l’écriture et à la théorisation qui représentent une activité individuelle toujours discutable dans l’intention autant que dans les résultats." Aujourd’hui, ce n’est plus le syndicat qui est l’école du socialisme, mais la lutte des classes elle-même. » [2]
Ici, la TCI et Onorato Damen impliquent que la mise en avant de « petites » revendications révolutionnaires dans la lutte économique quotidienne des travailleurs est une partie essentielle du travail communiste, dans des moments comme aujourd’hui où le mouvement ouvrier est petit et faible. Dans tous les écrits de la TCI, ils décrivent comment une partie du travail d’organisation communiste consiste à élargir et à généraliser les revendications dans la lutte économique des travailleurs en fonction de la réalité de la situation.
Bien sûr, si le seul engagement des communistes auprès des travailleurs dans le feu d’une grève ou d’une lutte consiste à apparaître comme extérieurs, se contentant de distribuer du matériel de lecture, puis à se retirer de la situation, le résultat le plus probable est que ces bouts de papier seront immédiatement mis à la poubelle. Nos interventions doivent impliquer à la fois la théorie et l’action en participant directement à ces luttes et en aidant les travailleurs à accomplir le travail nécessaire pour mener à bien une activité militante, selon leurs besoins. Ainsi, un équilibre approprié entre le travail de développement théorique et l’action doit être trouvé dans les formations pré-parti. Une telle activité nécessite des regroupements et des adhésions de personnes qui ne sont pas seulement des experts en théorie, développant de la propagande et du matériel éducatif pour la distribution, mais des combattants courageux qui ont fait leurs preuves dans la guerre de classe elle-même et qui travaillent ensemble à l’unisson en ajoutant à l’activité globale des formations pré-parti. En participant activement au travail partagé de la lutte collective, les militants s’engagent dans la construction de relations avec les travailleurs, ce qui permet de faire de la propagande et d’agiter les travailleurs de manière beaucoup plus approfondie et cohérente par le biais d’échanges discursifs et de dialogues dans le cadre des développements en cours d’une lutte particulière. Ce type de méthode est beaucoup plus efficace pour élever la conscience communiste que la simple distribution de matériel de lecture. (...)
Les révolutionnaires ne devraient pas reproduire par inadvertance des divisions qui les séparent du mouvement général des travailleurs en refusant de s’engager dans les travaux logistiques subalternes qui sont souvent nécessaires pour soutenir de tels moments d’action de la classe ouvrière ou de prendre les mesures risquées associées à la présence sur les lignes de piquetage ou les barricades lorsque les travailleurs prennent des mesures décisives. Oui, nous devrions nous joindre aux assemblées si et quand elles se forment, mais nous ne devrions pas non plus oublier de souligner l’importance de se joindre au travail réel et au travail que des choses comme la gestion d’une grève exigent. Les mouvements de la lutte économique sont des mouvements de la classe elle-même qui développe une conscience initiale et nous avons donc la responsabilité de nous immerger dans ces activités dans la mesure où cela est avantageux compte tenu de l’éventail des forces révolutionnaires dans une région donnée.
Ainsi, les communistes doivent être réactifs face aux réalités vivantes et dynamiques des travailleurs eux-mêmes et agir comme de bons généraux prudents en évaluant l’alignement des forces de classe dans toute situation donnée, afin de déterminer l’importance de se consacrer respectivement à l’agitation, à la propagande ou au travail d’intervention directe. Si les formations pré-parti n’interviennent que plus directement dans la lutte économique de « leurs propres lieux de travail », comme cela semble être généralement la doctrine de la tradition dameniste aujourd’hui, alors les forces pré-parti se séparent à nouveau du mouvement générale de la classe, et ne se dotent pas de la marge tactique pour accroître leurs nombres dans un endroit donné et à un degré suffisant pour réunir les prolétaires avec les armes des leçons historiques de leur classe. Le parti doit trouver un équilibre entre l’accent mis sur le développement théorique et l’activité au sein de la classe. (...)
Dans cette situation, il est nécessaire de développer des pratiques organisationnelles qui permettent aux formations pré-parti de disposer d’un champ tactique pleinement capable d’atteindre les prolétaires, tout en se préparant à développer des méthodes de plus long terme et des capacités à fonctionner dans une période où la répression étatique sera plus profonde comme cela pourrait se produire aux États-Unis. De plus, un engagement plus direct dans la lutte économique, nous permettrait à la fois d’initier les travailleurs au programme communiste et de recruter des militants. La nécessité de présenter aux camarades prolétaires une alternative politique viable aux lignes de bataille de plus en plus polarisées qui se dessinent entre les ailes gauche et droite du capital et les différents blocs impérialistes, est plus pressante que jamais. Sans la présence de groupements locaux de militants capables de participer activement aux mouvements de classe, c’est une garantie que le programme révolutionnaire n’entrera jamais en contact avec les masses de la classe ouvrière, ce n’est pas un processus que nous pouvons compter voir se produire tout seul en raison d’un déroulement mystique du déterminisme matériel, mais des questions pratiques et tangibles d’organisation qui doivent être abordées concrètement. (…)
Au-delà du contrôle totalitaire manipulateur des technologies de communication qui façonnent et taillent la conscience subjective et la manière dont les prolétaires comprennent et voient les lignes de combat et le cadre politique pour faire avancer leurs intérêts individuels au sein de l’ordre capitaliste décadent, une vaste armée d’ONG et d’organisations [gauchiste, NdT.] d’idéologies capitalistes de gauche, soutenues par un vaste éventail d’usines intellectuelles et idéologiques bourgeoises appelées universités, se présente immédiatement dans tout mouvement spontané en dehors du lieu de travail pour dominer et contrôler ces mouvements. À l’« âge de l’information » et de l’« économie de l’attention » d’aujourd’hui, nous ne pouvons pas compter sur les outils dominés par le capitalisme d’État pour nous donner une connaissance du terrain de classe et guider nos interventions. Au lieu de cela, les formations pré-parti devraient rechercher des sections de la classe ouvrière, avant même qu’elles ne fassent parler d’elles par leur propre lutte active. Construire des liens avec la classe ouvrière, l’encourager à s’auto-organiser, à agir, offrir notre solidarité et nos méthodes d’organisation pour combattre les attaques des patrons et générer un contenu d’agitation à partir des expériences vécues par la classe elle-même, au lieu de suivre le dernier acte de violence sur lequel se concentrent les forces de gauche du capital.
Groupes territoriaux et aspect défensif de la lutte de classe
Ainsi, nous voyons un besoin pour les formations pré-parti, là où elles existent dans les localités avec un nombre suffisant de membres, de développer des programmes réguliers se concentrant sur l’éducation interne, la propagande, l’agitation et les activités enracinées dans la solidarité active avec les luttes défensives de la classe. Cela pourrait ressembler à la création de groupes territoriaux organisés autour de principes internationalistes qui recherchent activement des groupes de travailleurs envisageant de prendre des mesures contre leur patron sur leur lieu de travail. En les encourageant à former des comités d’action temporaires et/ou à rejoindre le groupe territorial lui-même. De telles tactiques permettent aux formations pré-parti de développer une expérience d’organisation et de confrontation, de gagner des prolétaires au programme communiste et de présenter les points de vue de nos tendances à des sections beaucoup plus larges de la classe ouvrière. Sans le développement d’un champ tactique plus large, les formations pré-partis seront probablement incapables de développer la composition organique des membres nécessaire pour développer des organisations vitales capables de devenir une véritable force matérielle capable d’avoir un impact sur le déroulement des événements. Notre tendance représente les seules réponses cohérentes fondées sur des principes pour le prolétariat mondial et il est d’une nécessité vitale de découvrir les moyens d’apporter cette tradition aux prolétaires du monde entier à la recherche d’outils de libération. (…)
Red Specter Collective, June 29th 2022
Lettre du GIGC (2 juillet 2022)
Le GIGC au Red Specter Collective,
Chers camarades,
Malheureusement, nous ne serons pas en mesure de vous envoyer des commentaires et arguments suffisamment développés avant votre réunion de demain. En effet, votre lettre traite principalement de la question de l’intervention des révolutionnaires au sein de la classe ouvrière et soulève plusieurs questions théoriques et politiques – le processus même de la lutte des classes, la relation parti-classe – qui demanderaient plus de temps et une clarification de nos positions respectives. Le moyen le plus simple pour vous faire une première idée de notre conception – et donc peut-être des différences que nous pouvons avoir – sur la lutte des classes et sur notre intervention au sein de la classe est peut-être de vous référer à certains de nos articles. Nous ne vous renvoyons pas à ceux-ci comme à des positions absolues, à « accepter ou à rejeter », mais comme des outils pour vos et nos réflexions et débats politiques – voire la confrontation – ainsi qu’une clarification générale pour savoir quels sont les accords et les désaccords.
Nous tenons particulièrement à clarifier quelle est notre position en ce qui concerne la lutte économique. Non seulement nous pensons qu’il est absolument nécessaire que les groupes communistes interviennent et en fassent partie, tant par leur intervention générale que par les membres ou sympathisants qu’ils peuvent avoir sur les lieux de travail, mais nous défendons qu’ils doivent tenter, lutter pour, prendre la direction politique de ces luttes économiques, aussi limitées et locales soient-elles. Là, il y a déjà un point à souligner : pour nous, toute lutte de classe, même très locale et très limitée est non seulement une lutte économique mais aussi une lutte politique, ne serait-ce que parce que dans notre période historique, toute lutte de la classe ouvrière se confronte directement à l’ensemble de l’appareil d’État capitaliste. Pour qu’une lutte soit la plus efficace possible au regard de ses revendications, elle nécessite de chercher l’extension et la généralisation et donc de se confronter à l’opposition syndicale, ouverte ou masquée, à celles-là. Ainsi, les revendications économiques et la dimension politique de toute lutte sont étroitement liées car les groupes communistes et leurs militants sur les lieux de travail doivent mettre en avant des revendications qui font partie de ce combat pour l’extension, pour que les travailleurs d’autres lieux puissent les reprendre à leur compte et ainsi entrer dans la lutte elle-même. Ainsi, la lutte politique que toute lutte prolétarienne doit mener pour rechercher une quelconque efficacité consiste en premier lieu à organiser l’extension et à lutter contre les tentatives de maintenir la lutte isolée qui fixent des exigences spécifiques et corporatistes étrangères à d’autres lieux ou secteurs, etc. Le rôle spécifique de l’avant-garde politique n’est pas seulement de mettre en avant ces revendications et méthodes d’extension mais aussi d’établir quel est le rapport de forces immédiat pour que l’extension et les revendications soient un véritable enjeu de la situation, de la lutte, qui soient politiquement possible – évidemment, nous n’appelons pas à l’insurrection ouvrière à tout moment. Il en va de même pour la définition des moyens et des objectifs, type d’extension et revendications, de toute lutte. Enfin, dans cette lutte pour les revendications et l’extension, les prolétaires sont confrontés aux syndicats, grandes centrales syndicales comme syndicats de base [3], qui s’opposent, ouvertement ou non, à ces revendications unitaires et à la nécessité d’étendre la grève ou la lutte. Pour faire simple et de manière grossière, cette confrontation, ouverte ou non, avec les syndicats en tant qu’organes à part entière de l’État bourgeois dans notre période historique, fait pleinement partie de la dimension politique de la lutte.
Le deuxième questionnement que nous avons à la lecture de votre lettre est la Ligue de Solidarité Ouvrière Internationaliste [Internationalist Workers Solidarity League] que vous mettez en avant. Cela demandera une clarification plus approfondie. À première vue – nous n’avons donc pas de position définitive à ce sujet –, elle nous apparaît comme une sorte de schéma formel, alors que le processus de lutte des classes est beaucoup plus dynamique et mouvant. La façon dont vous le présentez met l’accent sur l’enracinement dans la classe, ne pas être extérieur, d’aider les travailleurs qui acceptent les principes internationalistes. La démarche tend [4] à établir le rapport parti-prolétaires comme une relation avec une addition d’individus. Elle réduit également cette organisation spécifique – est-ce la formation pré-parti que vous mentionnez ? – aux ouvriers qui acceptent les principes internationalistes – qu’en est-il des autres ? Cette position est-elle la même que celle des AAUD du KAPD qui, en réalité, et malgré leur position antisyndicale formelle, étaient de nouveaux syndicats ? Autre questionnement : qu’entendez-vous par apparaître comme extérieur ? Réduisez-vous la relation parti-classe à la seule présence physique des militants sur les lieux de travail ou à leur relation locale à tel ou tel groupe de travailleurs ? Puisque vous vous référez aux Thèses de Lyon, nous pensons qu’il est utile de citer ce passage par rapport à toute conception ouvrièriste [travailliste] et de réfléchir à la fois à la dynamique de la lutte des classes et à la relation avec le parti :
« Toute conception des problèmes d’organisation interne retombant dans la vision travailliste du parti révèle une grave déviation théorique en ce sens qu’elle substitue un point de vue démocratique au point de vue révolutionnaire, et donne plus d’importance à des projets utopiques d’organisation qu’à la réalité dialectique du conflit des deux classes opposées ; » [5]
Pour être bref, présentons, très grossièrement, quels sont [selon nous] les principaux organes-organisations que le prolétariat développe pour ses luttes historiques et immédiates dans la période du capitalisme d’État :
ce que nous appelons les organes unitaires qui rassemblent l’ensemble des travailleurs, simplement parce qu’ils sont prolétaires et qu’ils veulent participer aux luttes ; ce sont les syndicats du 19ème siècle jusqu’à, disons, la 1ère Guerre mondiale ; de nos jours, ce sont les conseils ouvriers ou les soviets en période révolutionnaire ou pré-révolutionnaire dans lesquelles la classe est mobilisée en masse, les assemblées générales ou les comités de grève – quel que soit le nom formel qu’ils portent. Ces organisations unitaires rassemblent tous les ouvriers pour la lutte ;
le prolétariat produit également ses organes politiques, c’est-à-dire le parti politique, le parti et les groupes communistes, dont la fonction est d’assumer la direction historique et politique pratique de la classe comme un tout ;
il existe un troisième type ou dimension d’organisation qui établit un lien direct entre les deux. Pour nous limiter ici, nous pouvons mentionner ce que la TCI appelle les groupes d’usine et territoriaux mis en place par le parti. Pour notre part, nous soulignons la nécessité de comités de lutte qui peuvent être le produit du rassemblement de travailleurs d’un lieu de travail ou d’un territoire qui veulent se mobiliser et préparer une lutte. Ces comités de lutte peuvent être, et parfois doivent être, mis en place à l’initiative et par les appels des groupes et du parti communistes – d’une certaine manière, nous considérons pour notre part les comités No War But the Class War comme des comités de lutte.
Cette présentation est très grossière et limitée. La réalité de la lutte des classes est beaucoup plus dynamique et mouvante que les distinctions et les catégorisations formelles. Il s’agit simplement de vous donner une idée générale de notre approche politique.
Peut-être qu’une « spécificité » du GIGC à ce jour est que, parmi les forces pro-parti et celles qui se réclament de la Gauche Communiste d’Italie, nous nous référons et basons notre compréhension et notre position sur la lutte des classes sur processus de la grève de masse tel que Rosa Luxemburg l’a décrit, tel que Trotsky l’a relaté dans son livre 1905 et à la grève de masse telle que Lénine y a fait référence à plusieurs reprises.
Comme vous pouvez le constater, votre lettre a ouvert un champ de questionnements et de discussions que nous espérons pouvoir développer. Nous voulions simplement vous présenter ici quelques lignes générales de réflexion et de débat. Si vous avez le temps, vous pouvez vous référer à certaines de nos prise de position antérieures :
dans Révolution ou guerre #8, et en réponse au texte de la TCI Le rôle et la structure de l’organisation révolutionnaire, nous avons publié Réflexions sur les groupes intermédiaires entre le parti et la classe [6] ;
dans Révolution ou guerre #11, nous avons publié Commentaires sur les thèses du GCCF sur la question syndicale [7].
Sur notre intervention, vous pouvez aussi vous référer aux tracts et comptes-rendus de luttes spécifiques, en particulier en France, que nous avons aussi publiés comme dans les numéros 6, 10 et 14. Par exemple, très court est l’article Réponse aux commentaires critiques [8] sur la question des revendications économiques afin que vous puissiez avoir une vue rapide et le lire avant votre réunion de dimanche. Plus long, le Deuxième communiqué sur les grèves en France [9] traite de la question des organes « intermédiaires » et notre intervention en leur sein.
Nous sommes désolés de vous répondre si près de votre réunion. Mais, tout processus de clarification et de discussion doit s’inscrire dans la durée, notamment par rapport à la lutte pour le parti. Il est certain que vous n’aurez pas assez de temps pour lire et discuter les textes auxquels nous vous renvoyons. Mais notre objectif est simplement de vous donner quelques références pour l’avenir et de vous aider à voir et à savoir quelles sont nos positions et quelles peuvent être nos différences. Cela fait aussi partie de tout processus de clarification. Par ailleurs, et par expérience, nous savons que les débats, les confrontations et les commentaires, qu’ils soient critiques ou non, sont toujours les bienvenus. Non pas pour une raison démocratique, ni parce que toute position serait égale aux autres, mais parce que cela nous oblige à réfléchir et à répondre aux arguments et aux critiques, que ce soit en améliorant l’argumentation, ou bien en étant convaincu de la critique elle-même.(...)
Lettre réponse du Red Specter Collective (29 juillet 2022)
Camarades,
Depuis notre dernière correspondance, nous avons réfléchi collectivement à certains des points que vous avez soulevés et des documents que vous avez envoyés. Les questions que vous avez soulevées, ainsi que notre lecture de L’idéologie allemande de Marx et de Grève de masse de Luxemburg, le tout dans le contexte d’un nombre croissant de grèves dans le monde, même depuis notre dernière correspondance, ont clarifié beaucoup de choses pour nous. Un point d’achoppement majeur concernait évidemment la question de la spontanéité et de la relation parti-classe.
La lecture de L’Idéologie allemande nous permet de mieux comprendre comment, historiquement, la « masse révolutionnaire » naît des contradictions entre les rapports de production et les forces productives. Il s’agit d’un processus historique qui émerge au cours d’une longue période, en tant que tel, nous ne devrions pas tant nous considérer comme des individus séparés de la dynamique déterminante au sein du mode de production capitaliste. Nous agissons plutôt comme l’élément conscient de la classe elle-même.
Selon Marx, dans L’Idéologie allemande, « Les individus isolés ne forment une classe que pour autant qu’ils doivent mener une lutte commune contre une autre classe ; pour le reste, ils se retrouvent ennemis dans la concurrence. Par ailleurs, la classe devient à son tour indépendante à l’égard des individus, de sorte que ces derniers trouvent leurs conditions de vie établies d’avance, reçoivent de leur classe, toute tracée, leur position dans la vie et du même coup leur développement personnel ; ils sont subordonnés à leur classe. C’est le même phénomène que la subordination des individus isolés à la division du travail et ce phénomène ne peut être supprimé que si l’on supprime la propriété privée et le travail lui-même. » [10]
Ainsi, en tant que révolutionnaires, nous ne sommes pas séparés de l’émergence des différents facteurs qui déterminent l’alignement des capacités du prolétaire à un moment donné. Nous agissons en tant qu’élément conscient de la classe elle-même, qui a surgi comme produit du niveau exact des contradictions à cette jonction historique au sein du système lui-même tel qu’il s’est déroulé au cours de notre vie.
En nous familiarisant davantage avec la grève de masse telle qu’elle s’est produite en Russie, nous voyons maintenant comment le processus dont Marx a parlé dans L’Idéologie allemande s’est déroulé en termes concrets au cours d’une période prolongée de développement de la lutte des classes sur le plan historique. Étant donné la période prolongée de la crise d’accumulation actuelle, il ne semble pas que la tendance actuelle de combativité ouvrière accrue soit susceptible de s’arrêter de sitôt. Elle indique un développement potentiel d’une grève de masse mondiale. Nous sommes d’accord pour dire que toute lutte économique est aussi une lutte politique. En tant que tel, nous sommes d’accord sur le fait qu’il est essentiel que nous, en tant que membres de l’avant-garde révolutionnaire consciente de la classe, jouions notre rôle historique en fournissant une direction politique dans les luttes émergentes de notre classe. Étant donné que la classe capitaliste ne peut résoudre sa crise actuelle que par une Troisième Guerre mondiale, nous sommes également d’accord sur l’importance centrale de développer l’opposition prolétarienne à celle-ci en présentant la seule alternative à la volonté de guerre du capitalisme, la révolution.
En ce qui concerne les interventions au sein de la classe, nous avons apprécié vos clarifications, et nous sommes d’accord pour dire que celles-ci devraient se concentrer sur la généralisation des luttes et la rupture de leur isolement au sein des secteurs particuliers. Nous avons vu comment, même dans les événements récents, cela s’est produit dans la lutte des travailleurs de la santé dans laquelle nous sommes présents actuellement et, plus largement, avec les tentatives des cheminots de passer à la grève aux États-Unis. Nous sommes également d’accord en ce qui concerne les efforts visant à étendre les revendications de certaines luttes de travailleurs par rapport à une évaluation de la relation immédiate des forces au sein de toute lutte de travailleurs donnée.
Compte tenu de tout cela, nous avons abandonné nos plans concernant la Ligue de défense territoriale. Après réflexion, nous avons en effet estimé que c’était trop schématique et que cela retombait dans nos erreurs passées, en essayant de générer une lutte de classe là où les conditions ne poussaient pas déjà les travailleurs vers une activité spontanée. Nous avons plutôt choisi de redoubler nos efforts au sein du comité No War But Class War. Notre correspondance nous a aidés à clarifier le contexte historique, à savoir comment l’action spontanée naît de la situation historique objective, quelles sont les possibilités d’interventions plus efficaces à l’avenir et quelle est la relation appropriée entre le parti et la classe.
(…) En outre, nous vous demandons la permission de publier sur notre blog toutes les correspondances que nous avons eues jusqu’à présent, car nous espérons également mettre en pratique cet élément de la « méthode de parti » en ce qui concerne notre blog Red Specter et les discussions avec d’autres groupes de la Gauche communiste.
Notes:
[2] . TCI, Thèses sur le rôle des révolutionnaires dans les luttes économiques de la classe ouvrière, 2015, https://www.leftcom.org/fr/articles/2017-09-29/th%C3%A8ses-sur-le-r%C3%B4le-des-communistes-dans-les-luttes-%C3%A9conomiques-de-la-classe
[3] . Quelle que soit l’honnêteté et la sincérité des syndicalistes ou délégués syndicaux de base, et même si ils peuvent même être parfois d’accord et soutenir notre orientation pour un moment et une situation donnés. Et, si nous pouvons les convaincre, très bien...
[4] . Nous restons prudents car nous ne sommes pas sûrs d’avoir bien compris votre position. Mais, nous voulons aussi vous présenter notre première préoccupation afin de favoriser autant que possible la clarification de nos positions respectives.
[5] . http://www.pcint.org/ Thèses de Lyon, point 2, Nature du parti.